Édition JC Lattès, 213 pages, août 20024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

L’auteure dans ce premier roman – le mot roman figure sur le dos du livre- raconte sa quête pour retrouver ses racines paternelles.

Virginia Tagvald est la fille du navigateur, Per Tangvald qui a été connu dans les années 70, pour plusieurs raisons : il naviguait sur un bateau sans aucun confort et uniquement à la voile, il a embarqué sa famille pour naviguer sur toutes les mers du globe, deux de ses femmes sont mortes en mer, et finalement, il mourra ainsi que sa deuxième fille en faisant naufrage sur les rochers de l’île de Bonaire au large du Venezuela . Son fils Thomas sera rescapé de ce naufrage mais lui aussi périra en mer beaucoup plus tard.

Elle dédie son livre à sa mère qui, dit-elle, l’a fait naître deux fois . Effectivement, en fuyant son mari, elle lui a permis de vivre.

Le roman va de personnages en personnages qui ont connu son père. Cela empêche le récit de trouver son unité et même parfois, on se demande ce que ces gens apportent à sa recherche, par exemple la rencontre avec Yvon Le Corre, ce navigateur a rencontré son père et a navigué sur le même genre de bateau uniquement à voile sans aucun confort, ni moteur, mais il n’apporte rien à son récit.

En réalité, je me suis empêchée pendant toute la lecture de penser que son père était un assassin et que je le détestais de toutes me forces. La mort de ses deux femmes est horrible et tellement bizarre, la première aurait été assassinée par des pirates mais qui n’ont rien volé sur son bateau et lui ont laissé la vie sauve ainsi qu’à son fils Thomas , quand à la deuxième, elle est passée par dessus bord sans savoir nager. Le voilà débarrasser de deux femmes qu’il avait obligé auparavant à accoucher en pleine mer sans aucune assistance ! enfin son naufrage avec à son bord sa petite fille enfermée à clé dans un cabine à l’avant de son bateau , il traînait derrière lui le petit bateau de son fils Thomas qui aurait dû lui aussi périr, il survivra mais sera marqué par ce drame, n’oublions pas qu’il avait déjà vécu la mort de sa mère.

Ce que je ne comprends pas, dans son récit c’est pourquoi elle n’interroge pas plus sa mère : la seule personne que j’aurais eu envie d’entendre.

J’ai eu beaucoup de mal à m’intéresser à Per Tangvald, je comprends l’envie de sa fille de mieux connaître son père et de ne pas le juger, mais rester ainsi entre deux eaux sans prendre partie enlève beaucoup de force à son propos. Je me sentais tellement en colère contre son père qui profite de son beau physique d’homme du nord et ses qualités de navigateurs pour séduire des jeunes femmes. Toutes les femmes qui ont eu des bébés doivent me comprendre, comment peut on ne pas tout faire pour que les femmes qu’on aime accouchent dans les meilleures conditions possibles ? Le navigateur va les entraîner au milieu de l’océan où elles vont accoucher sans aucune aide si ce n’est la sienne, enfin, elles y survivront mas pas très longtemps .

Et puis comme toujours quand quelqu’un cherche la mort et entraîne ses enfants avec lui, cela me révolte au plus profond de moi, son naufrage final ressemble beaucoup plus à un suicide qu’à un accident.

En écrivant ce billet je me rends compte que j’aurais voulu que sa fille se révolte contre l’image du navigateur solitaire, beau comme un viking. Il y a trop de morts autour de cet homme ! Et si les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, une accumulation de malheurs non plus !

 

Extraits

Début

Bonaire , côte est de l’île, juillet 1991
 Crabe bleu, visqueux et luisant, campé sur les rochers. Les enfants l’ont vu, ils s’approchent lentement. Ils sont trois. Le corail est tranchant comme un poignard. Il suffit de l’effleurer pour saigner. Il veille à ne pas se couper. Le corail est mort depuis longtemps ; des squelettes blancs et friables, les bras tendus vers le ciel comme s’ils ne savaient pas qu’ils étaient morts. Il craque sous les pas des enfants, leurs éclats roulant en cascade avec un tintement de clochette. Le crabe déguerpit et disparaît dans les crevasses. 
Le rire des enfants se mêlent au vent.

Le malheur : hasard ou pas ?

Comment sa destinée a basculé ensuite, quand, en route vers l’Australie, le long de la côte de Bornéo, sa femme et mère de leur enfant, Thomas, avait été assassinée par des pirates. Comment il avait perdu une deuxième épouse en mer en 1985, tombée par-dessus bord pendant une traversée de l’Atlantique. Ne sachant pas nager, elle avait disparu dans les flots. C’était la mère de Carmen.

La vérité ?

Avant de quitter le port en direction du Venezuela en passant par Porto Rico pour récupérer son fils, Peter avait demandé à Garry de l’aider à hisser la grand-voile pour partir. Il avait refusé, estimant que s’il était trop faible pour hisser la grand-voile, il serait trop faible pour naviguer avec un enfant de 8 ans enfermé dans la cabine avant. Peter fut aidé par d’autres marins qui en frissonnent encore quand ils en parlent. « Pauvre enfant », disaient-ils. Tous savaient qu’elle allait mourir. Depuis Gary était hantée par la culpabilité d’avoir abandonné cette petite fille à son sort. Honteux, il faisait tout pour conjurer le souvenir de ce monstre de Tangvald.
 En apprenant l’identité de Thomas Tangvald, il avait conclu que Thomas ne s’était jamais libéré de la cabine de son enfance. Que cette prison, il la portait partout avec lui.

La deuxième naissance de l’écrivaine.

 Mon père nous implorait de revenir. Il ne supportait pas qu’on puisse lui échapper.
 Ma mère l’avait quitté sur un coup de tête, sans le prévenir, à Porto Rico, quand j’avais 2 ans. Elle avait appelé sa propre mère depuis une cabine téléphonique pour lui demander d’acheter un billet d’avion et avait sauté dans le premier vol vers Toronto pour la rejoindre. Elles étaient déjà loin quand mon père comprit qu’elle était partie. Elle n’aimait pas cette ville. Elle répétait qu’on en partirait bientôt, quand elle saurait où elle aimerait vivre et ceux qu’elle aimerait faire de sa vie. Elle avait vingt-deux ans.

 

 


Édition Le tripode, 234 pages, avril 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai pensé à ce clan si actif des « antidivulagâcheuses » en lisant les premières pages du livre qui raconte la fin de l’histoire : la plumeuse meurt pendue au croc où, d’habitude, elle suspend les oies avant de les plumer . c’est d’ailleurs cette morte qui va nous raconter son histoire.

Vous connaissez donc la fin, est-ce que cela vous empêchera d’apprécier ce roman ? En tout cas certainement pas pour cette raison. Au cas où ce roman vous séduirait ce sera par son écriture si particulière. Il faut souvent le lire à haute voix pour entendre celle de l’auteure-narratrice. J’ai, parfois, été touchée par son propos mais agacée aussi par des procédés que je trouve bien inutiles : l’auteure ne met aucun point ni aucune majuscule. Mais va souvent à la ligne ce qui permet au lecteur de suivre le souffle de la narration. Elle ne dit jamais, non plus, qui prend la parole ni même s’il s’agit de dialogues.

Ce roman raconte l’histoire d’une femme libre de son corps et qui pense que si les hommes et le femmes avaient accès au plaisir, ils vivraient tous mieux . Cela se passe dans un village isolé au Canada à une époque indéterminée, cette femme vit en dehors de la petite ville de Kangoq entourée d’une nature habitée par des animaux sauvages qui fournissent plumes et fourrures à une petite industrie d’édredon. L’ambiance de la plumerie faite de chaleur et d’érotisme troublent les hommes et éduquent les femmes. Les femmes dignes épouses de ces hommes qui fréquentent la femme lui en veulent bien sûr mais auront-elles le courage de tuer la « plumeuse » ? Ce roman raconte aussi la misère des petites ouvrières, et évoque aussi les pauvres jeunes filles qui sont enfermées et meurent peu à peu à l’abri des regards de ceux qui ne veulent pas les voir.

Mes réserves sur l’histoire viennent surtout de mes propres limites, rien de rationnel dans le fil narratif, on ne sait jamais qui fait quoi, je ne risque pas vous dévoiler qui a assassiné « la plumeuse » car je ne suis pas certaine d’avoir bien compris qui a fait ce geste atroce.

Mes extraits vous donneront une idée du style, si vous y êtes sensibles, n’hésitez pas car vous aimerez ce roman. Je ne peux pas vous pousser plus à choisir de lire ce roman qui est très clivant. Certains aimeront et d’autres, comme moi seront déroutées par l’absence d’informations concrètes pour tout comprendre.
Je respecte le point de vue de cette auteure : face aux duretés de la condition de vie des plus pauvres, elle a choisi de nous les faire comprendre comme dans un conte plutôt que de façon réalistes.
Ce n’est pas ce que je préfère et malgré le réel talent de cette écrivaine pour manier la langue, j’ai eu bien du mal à me retrouver dans ce récit : à vous de vous faire votre idée.

Je vais mettre à la fin des extraits un lien pour l’écouter au « Festival des grands voyageurs » elle donne des clés qui peuvent aider à la lecture.

Et l’avis d’Athalie qui a beaucoup aimé

 

Extraits

Début et idée du style

 Longtemps j’ai enseigné ma fin
 à l’heure de ma mort, je pends entre mes bêtes, cheveux et corps et mains, mon visage basculé vers le plafond, mes yeux avalés par la pénombre ; dans la rue, les hommes
– combien ?
– ils ne se comptent plus
– et les femmes, compte-les
– conte aussi les femmes
 se demandent s’ils sont ouverts ou fermés, mes yeux ; personne ne les voit ; tout ce qu’on distingue dans la lumière du quinquet, ce sont mes côtes, mes seins élongés, ce qu’il reste d’une jupe de soie blanche ; du sang tombe en gouttes noires sur les viscères empilés, sur les carcasses des oies, sur le cou mince des jars qui s’amoncellent près de l’étal
– c’est la saison 
-le carnage de la chasse achève
 Au-dessus de mon comptoir, je tiens accroché par la gueule et par les poignets : celui qui m’a hissé là n’a pas su comment bien s’y prendre, il a d’abord percé mon menton pour le bec du cane puis, se ravisant, a étiré mes bras plus haut, jusqu’aux traverses du toit 

 

Ce n’est pas simple à comprendre .

en février, il neige, dedans l’air est touffu et moite ; depuis trois jours, j’ai enfilé toutes les peaux du désir : tantôt espiègle, là femme-muraille, parfois géante qui tenait dans ses paumes des plumes minuscules et plus tard fauve, assez pour qu’on m’en donne le nom, « ma fauve, fauvesse, mon enfauvée » : j’ai emprunté la robe noire des panthères et bondi, j’ai porté la jungle sur mon dos

Mélange d’érotisme et du travail pour récupérer la peau de la renarde.

– elle observe de tous ses yeux le chasseur qui se retourne 
 Le drap se perd dans son sillage, il dort désormais toute nudité offerte, sa verge posée sur sa cuisse droite, assoupie, détendue : Philomène découvre ce qu’elle voulait  ; elle se presse contre l’orphelin, pendant que je tire en douceur la fourrure de la renarde, de son flanc à sa gorge, une main agrippée ferme à la base de la queue, l’autre à la peau de l’abdomen 

La misère évoquée à travers ce passage.

 Pierre les appelle des poupées-mauvais-sort
– c’est à cause de leurs yeux mauves, des vêtements arrachés au dos de bébé morts trop tôt, en ville et utiliser pour habiller les corps de porcelaine
 La petite l’ignore, bien sûr ; elle coiffe la chevelure noire
– lisse, lisse ma crinière, belle enfant
– peine et tresse et soigne ma déchéance
– les marchands de la ville ne disent pas que les cheveux ont été cultivés à même vos crânes d’adolescentes
– belles indigentes qui ne faites rien d’autre qu’être là, chevelures et corps disponibles 
– dans des pièces grises, enfermées à quinze, vingt 
– trop de poupées, pas assez filles
– le recel d’adolescentes est un problème lointain 
– un problème de ville qui ne concerne pas les enfants
– ni leurs grands-mères qui achètent des cadeaux en versant toutes les pièces rondes qu’il faut
 le notaire, lui, sait : il se souvient de ses années d’études, de la chambre close, terrifiante où des camarades l’avaient entraîné un soir ; il n’a pas oublié les filles chauves, gémissantes sur le sol, qui tendaient des bras de sirènes et l’attiraient vers elles, vers les couches jetées par terre ; il se souvient de l’odeur
– sperme, urine, vomissure et sueur masqués par la puanteur entêtante des lys et du jasmin pendu au plafond


Édition Julliard, 213 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai oublié de noter le blog ou les blogs où j’ai déjà vu passer ce roman. Ce livre est écrit dans un style très prenant auquel j’ai adhéré pourtant souvent je suis gênée par l’accumulation de phrases très courtes, et cet auteur en use et même en abuse. L’ histoire de Youssef est si poignante que je me suis laissée à lire à voix haute son texte qui résonne parfois comme une tragédie classique.

Cela raconte le vie d’un Marocain, qui est professeur à Paris, il a fui son pays sa ville de Sale , car il est homosexuel et en a terriblement souffert. Il revient dans sa ville natale car il doit vendre l’appartement dont il a hérité de sa mère. Toute sa vie lui revient au gré de ses déambulations et de ses souvenirs. D’abord son premier amour, Najib, il avait 16 ans et Najib 24 quand ils se sont rencontrés et aimés. Et Najib lui a permis d’éviter toutes les souffrances auxquelles lui-même a été victime. Najib est devenu un grand trafiquant de drogue qui n’a rien oublié des gens qui l’ont méprisé dans son enfance, il est maintenant un puissant craint et respecté car immensément riche.

Sale c’est aussi la ville ou Youssef a grandi avec ses six sœurs. C’est l’aspect le plus tonique de ses souvenirs, bien sûr la famille a eu faim et était réduite à une misère à peine imaginable, mais c’était aussi un lieu de vie qui a donné des forces au jeune Youssef. Ses six sœurs avaient une énergie incroyable qui s’est dissoute dans leurs mariages respectifs.

Ce roman est une charge incroyable contre la société marocaine. Quelle hypocrisie face à l’homosexualité ! la scène ou un vieux viole un jeune enfant de huit ans au hammam est très dure et le récit des tortures que le jeune Najib a supporté dans son enfance est insoutenable. Les mêmes hommes qui le violaient jusqu’à réduire son anus en sang, étaient les premiers à dire que les rapports homosexuels méritaient la mort !

Najib deviendra l’amant d’un haut gradé militaire et là non seulement, il découvrira que les rapports homosexuels existent dans toutes les tranches de la société, mais aussi que les plus hauts responsables de l’état sont aussi à la tête du plus gros trafic de drogue du Maroc.

Youssef et Najib sont deux aspects contradictoires de la réaction à la même sorte d’enfance : Najib a construit sa vie sur la vengeance, Youssef est toujours à la recherche de l’amour des siens.

On peut reprocher à ce roman de ne faire la critique de la société marocaine qu’à travers l’homosexualité, j’ai été gênée par le fait que l’auteur ne se penche pas plus sur le trafic de drogue qui est aussi pourvoyeur d’horreurs dont l’auteur ne parle absolument pas. Mais il est vrai que la sexualité raconte beaucoup de choses sur une société, surtout en ce qui concerne l’hypocrisie des puissants.

 

Extraits

Début.

 Sœur avait trois jours devant elle pour payer les dettes de notre défunte mère Malika.
Pas un jour de plus.
 Elles ont dit que c’était la tradition marocaine qui l’exigeait.
 Je n’ai jamais entendu parler de cette tradition mais j’étais avec elles, les sœurs, de leurs côté. J’ai proposé de participer moi aussi aux règlements des dettes. Elles ont catégoriquement refusé.
 C’est une affaire de femmes, Youssef. C’est à nous, ses six filles, que reviennent cette charge. Pas à vous nos trois frères. Cela fait partie de notre héritage. Les hommes n’ont rien à voir là-dedans.

J’aime ce passage.

Mes six sœurs sont toutes plus âgées que moi. Elles s’appellent Kamla (la Parfaite), Farida (l’Unique), Hadda ( la Tranchante), Sandra (la Veilleuse) , Ilham (l’inspiration) et Ibtissam (la Souriante) .

Le rejet de l’homosexualité.

 (Kaddour) Kaddoura a vécu dans le péché dans le « haram ». Allah ne pardonne pas ce péché.. C’est parmi les plus grands péchés, l’homosexualité.. Kaddoura ne s’est jamais repentie. Il paraît que Kaddour a continué sa mauvaise vie de pédale à Marrakech, Agadir et Ouarzazat. Quelle honte. Personne ne devait aller au funérailles de Kaddour. C’était un mécréant. Un homme du côté du diable.
 En l’espace de deux heures seulement, la mémoire du quartier de Khabazat accueillait de nouveau kaddour pour le rejeter de nouveau. Même mort, Kaddour n’a pas été accepté L’imam de la mosquée n’a pas voulu s’occuper de sa dépouille. Ni réciter pour lui la prière des morts. Presque personne ne s’est rendu ce soir-là au repas des funérailles de Kaddour.

Le hammam.

 Le monde triste et ses misères n’ont pas le droit de cité ici. Même les hommes ne se comportent plus vraiment comme des hommes. Ils deviennent vulnérables. Ils offrent aux autres leur corps et leurs espoirs les plus secrets. Ils se lavent bien comme il faut et ils n’oublient jamais d’aider les autres à le faire. Le Maroc est un royaume c’est vrai. Mais la véritable démocratie n’existe que dans les hammams.

L’extrême pauvreté.

J’ai immédiatement reconnu l’atmosphère d’autrefois. L’odeur de cette époque. Nous ensemble. Dans les cris et le chaos, mais ensemble. La mère. Le père. Neuf enfants. Entassés les uns sur le autres. Cette odeur est encore là, dans cet appartement. Celle de corps qui passaient l’essentiel de leur temps par terre. Nous vivions au niveau du sol. Assis. Accroupi. Allongés. Endormis. Affamés. Enragés. Envoûtée. Possédés par les djinns. Malades. Sous le poids du « mektoub » .

 


Édition Zoé, 173 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

À ma grande surprise , cette écrivaine écrit en français, elle doit parler italien, anglais, allemand et donc français. comme je l’envie ! Ce roman raconte un enlèvement d’enfant par son père et leur dérive pendant deux ans. Tout est raconté du point de vue de l’enfant qui a 8 ans quand son père l’enlève et 10 quand elle retrouve sa mère. Son père est le fils d’une riche famille italienne et d’une mère fantasque qui habite dans un palais à Rome .

L’emprise de ce père sur cette petite fille est très bien racontée. Elle n’arrive pas à se défaire des phrases assassines de son père : « ta mère ne veut plus de toi ! » , « ta mère est méchante ».
Son père téléphone régulièrement à sa mère, le téléphone portable n’existe pas et ils vont de cabine téléphonique en cabine téléphonique. Le lecteur comprend que le père exerce un chantage sur son ex-femme pour qu’elle revienne avec lui. Son père boit beaucoup, même au volant et cela provoquera un accident qui aurait pu leur être fatal. L’enfant participe aussi aux malversations de son père et elle sent que ce n’est pas bien. Le seul moment où elle sera heureuse, elle le doit à une famille paysanne du sud de l’Italie avec laquelle elle participera aux travaux des champs.

Comme le récit n’est fait que par Ilaria, on ne comprend pas bien pourquoi la grand-mère ne cherche pas à entrer en contact avec la mère de l’enfant, ou peut-être est-ce la raison pour laquelle on l’envoie au Sud de l’Italie. Quand enfin elle retrouve sa mère et sa sœur, le récit s’arrête mais on sent très bien qu’elle doit maintenant faire sans ce « papa » qui a occupé deux ans de sa vie.
Le style du récit est très particulier, les chapitres sont brefs et apparaissent comme des fragments de la vie d’Ilaria , pour situer dans le temps le récit on écoute les informations de la radio qui parlent des années noires de l’Italie donc les années 80. Le style épouse bien le propos de l’écrivaine, l’enfant se sent un enjeu entre ses parents mais ne peut en aucun cas choisir. D’ailleurs elle ne saura quoi dire, à la fin, quand l’avocat lui demande son avis. Elle raconte bien ce qu’elle ressent mais ne peut pas analyser les enjeux du combat entre adultes pourtant, d’une certaine façon, elle comprend tout. D’habitude je n’aime pas trop les récits qui se place du point de vue de l’enfant, car on sent, évidemment l’effort que fait un adulte pour penser comme un enfant, et Ilaria, il est vrai, ne s’exprime pas comme une enfant de huit ans, mais pour une fois, cela ne m’a pas trop gênée.

Un livre original dans sa façon de traiter un problème si banal, des enfants au centre d’un divorce qui se passe mal et qui deviennent un enjeu de pouvoir entre adultes’, il est servi par une écriture efficace. Bref ce roman m’a beaucoup plu et j’en conseille la lecture.

 

Extraits

Début

Mai 1980
 À huit ans j’aime sentir le haut de mon corps suspendu dans le vide, le contact de mes genoux repliés sur le métal. J’aime l’instant où je ferme très fort les yeux, lâche prise et laisse le vertige me traverser. Quand mes mains sont à plat sur le noir de l’asphalte, c’est que j’ai dépassé ma peur. Et là l’image de ma gymnase préférée, Nadia Comaneci, arrive. Elle a les bras grands ouverts. Victoire.

Les mensonges de son père.

 Quand quelqu’un demande à papa ou nous nous allons, il indique une ville à l’autre bout de l’Italie. Quand on lui demande quelle est sa profession il dit entrepreneur, ingénieur, avocat… Un vrai homme orchestre qui parle tous les métiers, toutes les langues, tous les jargons. Papa ment avec naturel, très poliment, avec les yeux. Il donne un tas de détails comme s’il décrivait une image. Mais tous ses mensonges ne changent rien à ce silence qui grandit entre nous. Un vrai sac de nœuds.
 Pourquoi inventes-tu toutes ces choses ? 
 Qu’est-ce que cela peut bien leur faire où j’habite, ce que je fais ? Je suis avec toi, c’est le plus important. Papa me cherche des yeux. Je baisse les miens. . Ne t’en fais pas pour ses mensonges. Ce sont des petits riens du tout . Allez ! Allume la radio.

Le caractère de son père.

Il est nerveux. 
Il est en colère. 
Il va devenir méchant. 
 Depuis quelques semaines, papa s’excite pour un rien. Il dit qu’il ne supporte pas l’hiver, qu’il ne supporte pas le manque de lumière. Des fois, sa colère est-elle que je vois voler des boules de pétanque au-dessus de ma tête. Je frissonne, je me bouche les oreilles.

La fin.

 On ne parle pas de ce qui s’est passé. On ne me demande rien et je ne demande rien non plus. Le mot « Papa » est sous nos pieds. Un morceau de verre. L’éviter. Après demain, il y a l’école. Il faut penser au cartable aux chaussures, à m’acheter une veste. Maman a pris un congé pour faire des courses.

 


Édition Flammarion, 252 pages, août 2024. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un roman qui a failli être un coup de cœur, et puis à la réflexion certaines critiques m’empêchent d’être totalement enthousiaste.

Voici le sujet du roman : une jeune femme, Agnès, élevée dans une famille catholique traditionnelle après des études, d’abord au Lycée à La Légion d’Honneur, puis de lettres à l’université, trouve son mari au bal du Triomphe à Saint Cyr. Un beau mariage qui doit donc se concrétiser par une famille nombreuse. Catastrophe ! la naissance ne vient pas, et cette jeune femme engagée dans le mouvement anti-IVG, souffre de sa stérilité. Elle suivra son mari dans ses différentes affectations militaires , le roman prend une tournure particulière au Sénégal, où elle rencontre un certain Pierre dont elle tombera amoureuse sans pour autant tromper son beau militaire. On a vraiment toutes les images de ces familles, les naissances qui se succèdent, la mort d’un enfant vécu comme un cadeau de Dieu, les mariages dans les demeures de famille, les vacances en tribu à Saint Lunaire …
De militante anti- IVG elle va radicalement évoluer, et elle va peu à peu détester son mari et ira vers des péchés qui seront bien difficiles à avouer pour une catholique convaincue. D’où cette confession puisque c’est la forme qu’a choisie l’écrivaine pour nous raconter cette histoire.

Ce qui est vraiment très bien raconté et qui est un vrai scandale, c’est ce que font les catholiques anti IVG : ils s’arrangent pour que des jeunes femmes qui veulent avorter tombent sur leur site et grâce à leur technique de persuasion , ils réussissent au moins à mettre ses femmes très mal à l’aise. Cette pratique était tellement répandue qu’il a fallu faire une loi pour l’interdire. Agnès est particulièrement douée et elle décrit comment elle est à peu près certaine d’avoir réussi à changer les décisions de certaines femmes.

Mais voici ce qui m’empêche de me sentir très bien dans ce roman, la critique de ce milieu est si facile, on a l’impression de si bien les connaître. Tous les étés, je les vois occuper les villas de leurs famille autour de chez moi, et remplir l’église de Saint Énogat le dimanche midi, je m’amuse de toutes les petites filles avec un cerceau sur la tête, les garçons en bermuda et pull marin … (Dans le roman, la famille se retrouve dans une villa à saint Lunaire à 5 kilomètres de Dinard, cela m’a fait sourire !) . Je sais aussi qu’elles ont défilé en famille à la manif contre le mariage pour tous, qu’elles se sont retrouvé derrière Zemmour et son mouvement reconquête. Mais je sais aussi que derrière cette belle façade d’unanimité se cache bien des fêlures et aussi parfois de richesses humaines. Mais surtout ce qui me gène c’est l’évolution brutale du personnage principal, j’ai beaucoup de mal à croire à son premier revirement quand à la fin, elle est tellement évidente ! Alors à ce moment là, il me manque une dimension : que va devenir la foi catholique d’Agnès dans sa vie actuelle. C’est vraiment le sujet qui m’aurait intéressée comment garder sa foi chrétienne ou autre dans tous les drames de la vie moderne . Le personnage principal pourrait perdre ou garder sa foi, mais pour moi elle devait expliquer à ses lecteurs que va-t-elle faire aujourd’hui avec son Dieu.

 

Extrait.

 

Début.

 Vous avez l’air étonné que je sois revenue. Moi aussi. Après tout, je n’ai pas besoin de vous pour recevoir ma pénitence. Jusqu’au bout, j’ai hésité à faire demi tour. Il y avait un homme effrayant en bas des marches. Il n’était pas là, la première fois ou bien étais-je trop bouleversée pour le remarquer. Entortillé dans son sac de couchage, affalé sur un carton, il avait l’air de dormir – et puis il s’est redressé d’un coup en m’entendant approcher. J’ai vu ses yeux luisants au fond de ses orbites, ses traits émaciés sous la capuche qui enserrait comme un linceul son visage mangé par la barbe. J’ai eu peur. Le temps que j’arrive à sa hauteur, il a sorti son bras pour me tendre une main calleuse aux longs ongles noircis.
 On m’a appris à donner aux pauvres, on m’a appris qu’il le fallait, du moins – le nécessiteux, le mendiant en haillons, figurait souvent parmi les personnages que convoquait maman dans les saynètes de la vie quotidienne avec lesquelles elle essayait de nous édifier dans les salles d’attente où sur les bouchons de l’autoroute des vacances. Elle appelait ça le jeu de l’ange et du démon.

 Le Triomphe .

« Le Triomphe ». Le mot courait sur toutes les lèvres et il désignait autant un lieu qu’une tradition, une date, immuable figée, Aussi indiscutable que l’évènement historique qu’elle commémorait, à la fois point de départ et destination, origine et avènement, le « Triomphe », une sorte de métonymie, ou bien de synecdoque, je ne sais plus, j’ai beau avoir une licence de lettres modernes, je m’y perds, dans les figures de style – le Triomphe nous attendait à la fin du lycée, plus solennel encore que le bac ou le premier bulletin dans l’urne, et sa simple évocation suffisait à nous donner des envies de robe, de bustier, de taille de guêpe, de virginales perles aux oreilles.

Mort d’un enfant.

 Il n’est pas bien vu de s’apitoyer sur son sort chez nous. Au contraire, la mort de Pilou a toujours été présentée comme un jalon sur le chemin spirituel de mes parents une chance -un cadeau. Quand mon père est invité à témoigner pendant les cessions d’été de la communauté de l’Emmanuel à Paray-le-Monial, qu’il monte sur la scène en faisant « allô allô » dans le micro et que son image agrandie, ses épaules voûtées, son coup de vautour, se retrouvent à occuper les quatre mètres carré de l’écran géant derrière lui, il finit toujours par dire que la perte de son seul fils l’a replongé dans l’eau vive, que c’est quand Pilou a été rappelé auprès de son créateur qu’il a décidé que sa foi devait orienter sa vie professionnelle, et non l’inverse. 

Regard des autres sur son ventre stérile .

Puis ma belle-famille m’a rejointe et j’ai dû encaisser leurs coups d’œil inquisiteur. Après plusieurs années à porter en public des vêtements près du corps, j’ai appris en grossissant au Sénégal à fermer le regard de mes interlocuteurs afin de les empêcher de s’aventurer sur ma taille incertaine et d’en tirer des conclusions erronées. Me suis entraînée à enfouir mes yeux dans les leurs et à ne pas les lâcher. 

Son portrait.

 On m’a toujours répété que la beauté de de la femme est intérieure, que c’est Dieu en nous qui est beau. Qu’est-ce que qui reste, alors une fois qu’il est parti ? Une bonne femme ingrate en uniforme marine et beige, qui affiche dix ans de plus que son âge et implore gauchement l’asile en poussant la porte carillonnante d’un institut de beauté ?

 


Édition Albin Michel, 214 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Roman très original autant pour son écriture que son propos. Une famille française, d’origine juive marocaine, s’inquiète parce que leur mère et grand mère du narrateur qui est restée au Maroc, ne va pas très bien et, le croit-elle c’est à cause d’ un bruit qui l’empêche de dormir.

Elle habite à Marrakech, dans le quartier du Guéliz, et sa fille et son petit-fils viennent la voir pour essayer de trouver d’où vient ce bruit.

Voilà, je vous ai résumé le roman, on devinera assez vite que ce bruit mystérieux que ni sa fille ni son petit fils n’entendent est surtout la trace insupportable pour la vieille femme de son monde disparu. Ce roman raconte les traces d’une civilisation éteinte depuis le départ des Juifs du Maroc en 1967, après la guerre des six jours. Leur présence est très ancienne dès le V° siècle, communauté assez stable jusqu’à l’arrivée, en nombre, des juifs chassés d’Espagne par Isabelle la Catholique au XV° siècle. Tout l’intérêt du roman, c’est cette quête des traces de la présence juive au Maroc, et de la réflexion du narrateur sur l’exil. Sa grand-mère est fragile et ses souvenirs sont tous teintés de douleur. Nous visitons avec un chauffeur très attentif : Bourriel un berbère qui accepte de les conduire dans quelques lieux de pèlerinages juifs. Il n’y a plus personne dans ces lieux qui étaient très fréquentés autrefois, mais ils ne sont pas détruits. Le cas particulier du Maroc le doit aux rois marocains qui ont empêché que les juifs soient assassinés et, aujourd’hui, il a rendu au quartier juif de Marrakech les noms juifs et la synagogue, que les visiteurs découvriront fermées, est toujours là. Le quartier Mellah est aujourd’hui un haut lieu touristique derrière lequel le cimetière juif de Miâara permet à la grand-mère d’honorer ses morts.

Ce roman est aussi une promenade originale à travers un Maroc peut connu comme la vallée de l’Ourika , à la fin de ce voyage on comprend les phrases de la mère du narrateur qui y a retrouvé son enfance, elle s’adresse, ainsi, à leur adorable chauffeur au moment du départ à l’aéroport :

  • Dis. Tu montreras le chemin à tes enfants, a-t-elle dit. Promets-le-moi. Qu’ils y amènent les miens quand ils seront plus grands.

Extraits

Début.

 Il y avait à Marrakech, dans le quartier du Guéliz, un bruit. Un mystérieux bruit, qui s’était installé dans un appartement, au premier étage du 66 avenue Al-Mâ’ Az-Zahr. Qui sait ce qui l’avait attiré ici ? Le poids d’une solitude, le confort des vieux fauteuils en feutre, le grisant parfum du camphre brûlé, ou l’infaillible hospitalité de ma grand-mère ? Personne ne peut le dire.

Joli style.

Le vent devait avoir soufflé tout le sable de la médina pour bâtir à la force de ses bras le mirador de la Koutoubia. Il semblait comme cela, si vulnérable qu’un seul homme d’un geste imprécis aurait pu le rendre à la poussière comme un château de sable. Mais il était en vérité, inébranlable, Dieu même le sait, car il n’existe au sable de liant plus puissant que la foi, cette eau de tous les jours qui ruisselle dans les avenues du Guéliz et de partout ailleurs, se presse dans les rues, inondé toutes les venelles, se jette dans la vieille ville.

Un long passage que j’ai adoré.

 « Yak ». Ce petit mot, ma grand’mère l’employait aussi souvent que possible. Si facilement, « yak » se faisait une place dans chaque conversation. Il signifie « n’est-ce pas ». Il est le petit dernier d’une fratrie de mots qui ne grandit jamais, qui de justesse parvient toujours à s’insinuer avant que les grandes portes de la parole ne se referment seules Il se montre sous les airs d’un début de question et tinte comme le bruit de l’âme qui somme qui sème le doute partout. Il dit « rien n’est jamais certain tout est seulement possible ». Il est le son du doute que ma grand’mère, sans peine se plaît à employer à chacune de ses phrases. Ainsi « yak » , les choses peuvent être ou ne pas être. Tout devient révocable. De ses trois lettres, il fait vaciller toute vérité, et vibrer le fil sur lequel tous ceux qui l’ont précédé se tiennent en équilibre. Qui eût cru qu’une si petite chose, de sa timide empreinte, rende tout si vulnérable ? Il cherche l’approbation, quand sa maîtresse, elle, doute. Ma grand’mère s’est attachée à lui. Lui s’est offert à elle. Et pour le remercier d’être tout le temps présent elle lui a cousu une laine. C’est une laine de joie qui lui donne fière allure et qu’il ne quitte plus. Car « yak » se présente, depuis que je le connais toujours sous les traits d’un sourire. « Yak » ? demande ma grand-mère en souriant. Grâce à lui, les fins de phrases sont joyeuses. Et toutes les fins d’ailleurs. Puisque « yak » est partout. Elle a fini par le croire. Nous sommes ici au Guéliz, pour mettre un terme au bruit. Désormais portés par l’espoir que ce terme sera joyeux, « yak » ? Le seul problème c’est quand ma grand-mère parle du bruit étrangement « yak » s’absente. Il ne se risque pas à contester le bruit devenu certitude. « Yak » est un petit être que je souhaite courageux.

L’exil du Maroc. C’est si bien dit !

 Il ne reste personne. Personne à qui parler. Il ne reste plus qu’elle. Depuis longtemps maintenant. Les vivants sont parti Ils ont quitté le port de leur propre récit. Ma grand-mère a vu les derniers bateaux s’unir à l’horizon. Sur les docks de l’oubli, elle est restée. Ils ont tout emporté. Tout ce qu’ils pouvaient prendre. Ils ont laissé les morts. Ils ont laissé les murs et de morceaux de pierre. Et l’immense solitude. Elle seule est restée. Elle seule foule cette terre brûlée, sans faillir, immortelle gardienne du passé elle-même oubliée. Après son passage, les tombes que les vivants ont laissé, redeviennent des bancs de pierre dont l’ordinaire s’empare. Elle seule leur donne un sens. Elle seule leur donne un nom.

L’exil de sa mère.

– Je me souviens, dit-elle, c’était en 67. Pendant la guerre des Six Jours. J’avais six ans. J’étais avec ma grand-mère, ton arrière-grand-mère. Nous allions au Mellah, en taxi. Les informations passaient à la radio et disaient que les avions israéliens bombarder l’Égypte. Le chauffeur en roulant jusqu’à Mellah, se tournait vers nous pour nous cracher dessus. Il criait : « Sales juifs ! ». Il nous crachait dessus et il criait. Nous étions morts de peur à l’arrière.
 Je l’ai regardée essuyer de sa main une larme précipitée sur sa joue. Il n’y a pas de haine. Il n’y a que la tristesse d’une enfant de six ans, résignée au regret et à l’évidence que rien ne renaîtra jamais. Que la peur a laissé dans les coeurs l’irréparable. Ce matin là de mars, c’est un recueillement sur la petite stèle blanche d’un amour disparu. Je l’ai serrée dans mes bras. Ma grand’mère elle, ne peut y prendre part. Il y a trop de douleur. 


Édition l’arbalète Gallimard , 201 pages, septembre 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Vivre est assez bouleversant entre le début et la fin, on ne sait jamais ce qui va se passer.

Un très beau livre de Clémentine Mélois, écrivaine, fille de Bernard Mélois sculpteur . Il a toujours travaillé avec des objets émaillés et ses sculptures sont célèbres et très connues. Voici un de ses oiseaux :

 

Avec une sensibilité touchante sa fille, Clémentine Mélois raconte son père Bernard Mélois, son amour pour sa femme Michelle. C’est aussi le récit d’une enfance heureuse, mais nous suivons aussi pas à pas, le déclin et la fin de la vie de cet artiste original, respectueux des autres et aimant sa famille et la vie. La disparition d’un être aussi sensible qui a beaucoup aimé et été aimé aussi fort, donne toujours des témoignages qui me touchent beaucoup. Cet artiste était (comment en être étonné ?) très fantaisiste, son épouse et ses enfants ont voulu lui garder sa force de vie jusqu’à ses derniers instants. Et son enterrement sera à son image, un moment musical, coloré et où certainement tous ceux qui l’ont connu l’ont retrouvé. Bien sûr, je ne le connaissais pas, mais j’ai l’impression qu’il fait partie maintenant de mes morts, de ceux qui me manquent tant aujourd’hui. J’ai retrouvé dans ses remarques, dans sa façon d’être présent aux autres, mon frère qui nous faisant tant sourire lors des fêtes familiales.

Cette fille, a surmonté son chagrin pour écrire ce livre et elle réussit à nous rendre son père très vivant. J’aimerais aller voir une exposition de ses œuvres que je les trouve superbes en images. Mais elle réussit aussi à nous aider à respecter ceux qui autour de nous disparaissent,(elle préfèrerait que j’écrive « meurent ») . Je crois effectivement qu’il faut tout faire pour que leur fin de vie soit comme leur vie, entourée de ce qu’ils aiment et surtout que la cérémonie leur ressemble. Je sais que j’ai beaucoup utiliser le verve aimer dans ce billet, mais c’est ce que j’ai ressenti tout au long de cette lecture, un grand amour respectueux des autres. C’est si rare !

Un beau livre et pour moi la découverte d’un grand artiste.

Extraits

Début .

 Il faut que je raconte cette histoire tant qu’il me reste de la peinture bleue sur les mains. Elle finira par disparaître, et j’ai peur que les souvenirs s’en aillent avec elle, comme un rêve qui s’échappe au réveil et qu’on ne peut retenir.
 Avec ce bleu, j’ai peint le cercueil de Papa. Un bleu RAL 5002 fabriqué à la demande chez un marchand de peinture absurde, dans un hangar à moitié vide derrière le Leclerc de Villers-Cotterêts. C’est très pratique : on donne la référence, une machine mélange et on repart avec son peau fait sur mesure.
 J’étais soulagé que le vendeur ne me demande pas à quel usage je le destinais. C’est pour l’intérieur ou l’extérieur ? Pour une cuisine ou une salle de bains ? Non, c’est pour le cercueil de mon père, il est mort hier et on va lui faire un enterrement de pharaon.

Remarque exacte.

 Pour en revenir aux cercueils, j’ai trouvé qu’ils étaient chers – d’autant que c’est un achat ingrat. Encore pire que de devoir payer une police d’assurance, changer ses fenêtres où la courroie de distribution de sa Twingo.  » C’est bête, se dit-on, avec ça j’aurais pu m’offrir des vacances à Tahiti ». Enfin, c’est ainsi, on le sait bien : la vie est faite de beaucoup de courroies distribution à changer, et de très très peu de vacances à Tahiti.

Le bleu (est ce qu’un jour, il existera le bleu Luocine ?).

 Mais pour le bleu c’est une autre histoire. Il en existe une infinité de nuances, aux jolis noms de bleuroi, bleu de Prusse, outre-mer, turquoise Majorelle, indigo, égyptien ou marine.

Phrase d’une dame de Malestroit. (Ville d’où est originaire Bernard Mélois.).

 « Je me suis marié parce que je ne voulais plus m’ennuyer le dimanche. » 

Vivre.

 Vivre est assez bouleversant entre le début et la fin, on ne sait jamais ce qui va se passer. Il n’existe pas de résumé sur Internet et on ne peut pas se fier aux critiques des spectateurs. Face aux caprices de l’inconnu nous tentons à l’aveuglette de faire de notre existence le meilleur film possible. Pendant que nous sommes occupés à soigner le scénario le décor et les accessoires nous gagnons quelques instants de légèreté. Comment faire autrement ?

J’ai ri : son père et la télévision .

 C’est lui le maître des programmes, et il passe de chaîne en chaîne à toute vitesse, ne restant pas plus de trente secondes sur chacune à force les chiffres de la télécommande ont fini par disparaître. Je n’ai jamais vu un film ou une émission en entier, mais nous pouvons résumer tout ce qui s’est passé la veille à la télévision. Les seuls programmes sur lesquels papa s’éternise sont les spectacles de danse du genre du « Martyre de Saint Sebastien » de Maurice Béjart à la scala de Milan. Lorsqu’on lui demande pourquoi il ne zappe pas alors que ça nous semble terriblement ennuyeux, il répond : « J’essaie de comprendre comment ça peut intéresser quelqu’un. »

 

 


Édition Casterman, 161 pages, Juin 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Notre club de lecture propose assez régulièrement des BD , celle-ci a reçu tant de premier prix qu’elle devrait plaire à un large public. Petit inconvénient, elle est très volumineuse et donc très lourde, c’est compliqué de la lire au lit. Ceci dit, j’ai beaucoup aimé la lire. L’histoire n’est pas particulièrement originale et n’échappe pas à quelques poncifs au moins au début : un jeune héritier « des ciments Ducerf » , doit prendre la succession de son père et pour cela doit rentrer à Polytechnique, or malgré ses efforts, il reste un élève moyen et désespère son père. Nous sommes en 1952 et son père est inquiété par la justice pour avoir vendu du ciment aux Nazis pendant la guerre, pour épargner son fils et sa femme, le père les envoie en Bourgogne.

Là, il y rencontre un ancien cuisinier et il trouve sa voie : devenir Chef , mais doit évidemment lutter contre sa famille.
Le cuisinier en question est un homme bourru et qui a failli être meilleur cuisinier de France mais a été coiffé au poteau par une certain Lecoq .

Cette partie est très intéressante car on voit l’arrivée de la nouvelle cuisine et l’adaptation que cela demandait aux cuisiniers traditionnels.

J’apprécie cette BD, comme dans toutes le BD où j’ai trouvé que le dessin rajoutait quelque chose à l’histoire. Le personnage d’Ulysse qui est pris dans ses contradictions : ses envies qu’il n’ose pas imposer, et le respect de sa famille sont très bien vus , il s’oppose bien à celui de Cyrano, rempli de certitudes et dont la vie entière est guidé par la satisfaction des plaisirs de bouche, et des bons produits.

Les personnages sont complexes, et ne sont pas des caricatures. Par exemple le cuisinier Lecoq, celui qui a gagné contre Cyrano, le chef traditionnel, aurait pu être un parvenu qui ne reconnaît pas les valeurs de la tradition, on verra qu’il est beaucoup plus intéressant que ça. Les poncifs dont j’ai parlé au début viennent de l’attitude du père qui ne voit qu’une seule voie pour son fils , mais cela reste très crédible.

J’aimerais bien que ceux et celles qui aiment les BD me disent ce qu’ils pensent de celle-ci.

EXTRAITS

 

 

Édition Albin Michel, 419 pages, mai 2024

Traduit de l’anglais par Paul Matthieu

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Prenez tout votre courage pour lire ce roman, vous partirez dans les scènes de saouleries à la bière, de rails de coke à vous exploser le nez, de bars glauques où on a le droit de mettre la main aux fesses des serveuses, des coups de poing qui partent en bagarre sans qu’on sache pourquoi, d’une mère dépassée et d’un père violent et qui a abusé son fils aîné aujourd’hui totalement détruit. Je dois avouer que les scènes d’alcool et de drogue ont fini par me lasser. Le personnage principal avait pourtant fait des études mais il est revenu à Belfast où l’attendait des « amis » qui n’avaient jamais quitté cette ville où, semble-t-il, être à jeun est totalement anormal. Le pire c’est cet effet d’entraînement où personne ne peut résister à celui qu’offrent l’alcool et la drogue. C’est terrible et tellement répétitif . Pourtant, le personnage est attachant et si je n’avais pas été tellement dégoûtée par toutes le scènes de beuveries j’aurais lu plus attentivement ce roman pour mieux comprendre son intérêt : cerner la difficulté d’être vraiment maître de sa destinée sans pour autant renier ses racines.

Extraits

Début

 C’était trois fois rien. J’ai balancé un coup de poing et il s’est écroulé. Une fille s’est précipitée et m’a poussé : Pourquoi t’as fait ça ? Le type était étendu par terre, à mes pieds et il y avait des gens partout autour qui braillaient. Le temps que je réussisse à m’extraire de la mêlée, deux Land Rover sont arrivées. Un flic à l’air blasé et au front dégarni s’est approcher de moi.

Mac do le soir

 Les lumières étaient d’une blancheur impitoyable, tout le monde avait une tête de déterré, et il régnait une ambiance vraiment atroce, cruelle, comme à la cantine du lycée, sauf que là tout le monde est bourré et se croit super marrant. Pour les pauvres clampins derrière les caisses, c’était l’horreur. J’avais sincèrement pitié pour eux. Ce n’est pas comme bosser dans un bar, il n’y a pas la musique pour faire écran, et les gens peuvent vraiment être infects quand ils sont torchés . Ils ne pensent pas à mal, la plupart veulent juste rigoler, mais quand vous êtes debout depuis midi et qu’il est deux heures du mat, la dernière chose dont vous avez envie c’est de vous faire gueuler dessus par un connard ivre mort qui trouve que son Big Mac met trop longtemps à arriver. Rien qu’à voir ça tu en viens à détester le monde entier.

Son frère

 Parce que Anthony selon toute probabilité, se mettrait en quête d’un autre endroit où aller dès que le bar annoncerait que c’était l’heure des dernières commandes, et si vous aviez une piaule à dispo pas loin, sans personne, pas de femme, pas de gamins, il viendrait squatter chez vous. Pas moyen d’y échapper. De sorte que boire avec lui quand vous n’étiez pas au même niveau vous donnait l’impression de subir une forme de torture . Sa mission était de vous faire sombrer aussi bas que lui. Et au bout du compte c’était ce qui rachetait tout ce calvaire, parce que une fois que vous étiez aussi ravagé que lui vous pouviez vous éclater comme jamais.

Le ton du livre et c’est à peu près tout le temps comme ça

 On n’avait pas prévu de boire autant ce jour-là, mais il faisait un temps agréable et il y avait plein de bars dont les terrasses se remplissaient à mesure que l’après-midi avançait, ce qui nous permettait d’économiser quelques billets en finissant les pintes les gens laissaient sur les tables au moment de s’en aller.

 

Édition du seuil, 281 pages, aout 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Pour ce roman, j’ai fait ce que je m’étais promis de ne jamais faire : abandonner la lecture ! Si je le mets sur Luocine, c’est que j’espère que l’un ou l’une d’entre vous l’avez lu et que vous viendrez m’expliquer qu’il est beaucoup mieux que ce que je vais en dire.

Cette écrivaine tenait un bon sujet de roman : une famille rom vivait en Roumanie dans un delta, fait de lac et de nature sauvage. Malheureusement pour eux , cet endroit est très proche de Bucarest et le gouvernement décide d’en faire une réserve naturelle et chasse cette famille.
Voilà le sujet, la belle nature sauvage, les pauvres roms, chassés de leur habitat pour plaire à des riches touristes
J’i trop senti dès le départ la démonstration , et puis pas de chance pour moi Corinne Royer est aussi une poétesse et s’exprime en vers qui m’ont laissée totalement indifférente.
Bref j’ai calé, ça m’arrive, je serai ravie de lire que je me suis trompée et que je suis passée à côté d’un roman qui a intéressé quelqu’un !

Extraits

Début

 De loin, on aurait pu croire que c’était un chien. Une masse sombre. Une tête émergeant au ras de l’eau, mais pas une tête entière, seulement un crâne, ou plus exactement l’arrière d’un crâne couvert d’une toison noire ; et la toison noire flottait sur un large cercle tronqué par les courants et elle paraissait démesurée par rapport à la taille du crâne.
 Un chien donc. Voilà tout ce qu’on voyait.

L’instruction et leur père

 Les connaissances que tante Marta lui avait enseignées, la géographie, les mathématiques, le français, l’histoire et les ravages du communisme considérés comme une matière à part entière, il en avait à son tour instruit ses frères et sa sœur, malgré la désapprobation du père affirmant que les foutaise écrites dans les livres allaient leur raboter le cerveau de la même façon qu’une varlope sur une planche vermoulue. On pourra allumer le poêle avec les copeaux de votre cervelle ! disait-il. La menace avait longtemps effrayé Naya.

La réserve naturelle

 Elle avait ajouté qu’en tout temps et partout on avait créé des réserves naturelles au détriment des indigènes qui y vivaient. Marta avait donné pour exemple parc national de Kaziranga, en Inde, où les habitants avaient été expulsés ; ceux qui se déplaçaient encore dans le parc pour cultiver la terre ou chasser du petit gibier s’exposaient au tir à vue, et plus d’une centaine de paysans étaient tombés sous des balles des gardes.
 C’est comme ça, avait dit tante Marta on ferme les yeux aux pauvres pour donner à voir aux touristes !

L’expression poétique.

C’est l’hiver.
Nous partons.
Si loin.
ÇA ne peut-être que l’hiver.
Le tremblement sous mes pieds
court jusque dans mes doigts
et ma salive est comme une pâte
épaisse sur la langue.
Goût amer.
Sang dans la bouche, chaud
comme une lave.
(et ça continue sur 10 pages !)