Édition

Édition de minuit

 

Quel talent cet écrivain et quel pensum de lire un tel roman avec si peu de moyens de supporter la violence. Vers les trois quart du roman je me suis rendu compte que j’en voulais à l’écrivain de décrire avec autant de minutie des faits qui me dégoûtent au plus haut point. Je pense que dans le genre glauque et violent, je préfère les récits rapides qui me permettent de ne pas passer quinze jours avec la peur d’ouvrir encore le roman et savoir que l’on s’enfoncera encore un peu plus dans l’ignominie.

Je ne peux pas avoir un avis objectif sur ce livre, je suis certaine que Laurent Mauvignier écrit de façon remarquable mais pourquoi a-t-il pris ce plaisir à détruire tous les personnages dont il avait patiemment construit la vie pendant la moitié du roman. Il prendra encore autant de temps pour les détruire à petit feu pendant l’autre moitié. Le roman se centre sur une nuit qui au lieu d’être l’anniversaire d’une jeune femme, Marion , maman d’Ida, épouse d’un paysan Patrice et voisine de Christine artiste peintre, sera une nuit de massacre organisé par ceux qui avaient tellement abîmé sa vie d’adolescente : trois frères violents et prêts à tout pour détruire le début d’un bonheur si fragile.

Six cent trente quatre pages pour essayer de comprendre pourquoi quand la vie a mal commencé il est vraiment impossible d’avoir droit au bonheur et pourtant ça a failli réussir. Mais la fatalité , le destin, la malchance, la poisse ce sont vraiment des tentacules d’une pieuvre dont on ne peut se débarrasser qu’en visant la tête, encore faut-il pouvoir l’atteindre !

Un roman qui tient pour son écriture si particulière qui m’a enchantée pendant les trois cents premières pages, et qui n’a pas suffit à me faire supporter la description du drame final.

Citations

Village déserté

Voilà aucun ne resterait, il n’y avait de toute façon rien à foutre à la Bassée, c’est vrai, mais entre d’avoir rien à y foutre et n’en avoir rien à foutre il y avait une nuance que personne ne semblait voir, car personne ne voulait la voir. 

Les lettres anonymes

(Et longueur des phrases j’ai coupé au 2/3 .)

Les lettres anonymes, ils ont beau ironiser, oui, ou jouer la connivence en se disant que c’est malheureusement peut-être une spécialité française, il faudrait voir, toutes les histoires pendant la seconde guerre mondiale, une spécialité campagnarde au même titre que les rillettes et le foie gras dans certaines régions, une détestable tradition, assez pitoyable et heureusement souvent sans conséquence, mais qu’on ne peut pour autant pas prendre à la légère, explique le gendarme comme il l’avait expliqué la dernière fois, avec fatalisme et un peu de lassitude ou de consternation, car, répétait-il, derrière les lettres anonymes il y a presque toujours des aigris et des jaloux, des envieux, qui n’ont rien d’autre à faire que de ressasser leur bile et croit s’en décharger en insultant un ennemi plus ou moins fictif, en l’invectivant, en le menaçant, en crachant sur lui une haine recuite par l’intermédiaire d’une feuille de papier ;

Façon de distiller le suspens procédé un peu répétitif .

Pour l’instant, elle ignore les bruits, n’en n’est pas encore à les surprendre un peu partout autour d’elle, comme elle va le faire dans quelques minutes.
Pour l’instant, elle ne prête aucune attention à ces froissements, ces souffles ou ces pas qu’elle commencera à percevoir seulement quand elle aura fini d’installer sur sa table de cuisine les ingrédients et les ustensiles dont elle va avoir besoin.
Pour l’instant, donc, elle ne fait pas attention aux bruits de l’extérieur, ni au fait que son chien n’est toujours pas revenu auprès d’elle. 

Usine fermée.

Car oui, il arrive qu’on soit soulagé de la fermeture d’une usine, comme celle-ci où on a fabriqué pendant plus de quarante ans des plaques ondulées en fibro-ciment pour les bâtiments agricoles et des raccords de tuyauterie, mais surtout des cancers et, pour ceux qui n’en sont pas morts, des dépressions liées à la peur de l’amiante, de vivre avec cette saloperie en soi.

 

Édition Folio

 

J’ai certainement suivi l’avis d’un blog pour acheter ce roman, qui n’est vraiment pas pour moi. C’est un très joli texte, écrit de façon poétique. Mais je ne suis absolument pas rentrée dans cette histoire ni dans l’écriture. Ce livre raconte à la fois une histoire d’amour très puissante pour un homme des bois dans une région qui ressemble à la Sibérie. Mais c’est aussi l’histoire des violences dues à la guerre et à l’intolérance des hommes pour des gens différents. C’est aussi l’évocation d’une contrée si rude que l’on peut mourir de ne pas se protéger du froid ou de la force des éléments. Je crois qu’en « livre lu » par une belle voix ce livre aurait pu me toucher mais je ne devais pas, ce jour là, être d’humeur à me laisser portée par les esprits , les guérisseurs, les animaux sauvages qui peuvent avoir des relations avec les hommes. Non, ce jour là, je n’étais pas réceptive à ce roman qui a pourtant de belles qualités.

 

Citations

Pour vous donner une idée du style de l’auteure :

Chez les Illiakov, on se contentait de ce qu’en avait toujours dit la grand-mère, « Ajoute une herbe sèche dans le désert et ce n’est plus le désert ». La mère avait repris ses gestes et ses paroles. Elle les avait à son tour transmis à Olga. La décoction avait un goût de terre. L’haleine d’humus rappelait que sous l’écorce de glace, la glèbe sommeillait, prête à réapparaître. Matin après matin, ce goût nous accompagnait un peu plus loin dans la fonte des neiges. Combien de fois l’hiver l’emportait-il sur le courage ? Combien de fois nous ôtait-il la force de nous lever ? Les ancêtres avaient trouvé des ruses. Déjoué la tentation de l’abandon. « Ajoute une herbe sèche dans le désert et ce n’est plus le désert. »

Les esprits

Immobile auprès d’Igor, je souris dans le vague. Je sais que ma bouche est traversée par une trace grise. On ne revient jamais indemne du Grand-Passage. Il faut bien payer un tribut aux esprits. Je n’en connais pas la nature. Je sens seulement, après chaque rituel, que mon corps pèse si lourd qu’il pourrait s’enfoncer dans la terre. Mes mains pendent au bout de mes bras, plus lourdes que des outres pleines. On dirait que du plomb a coulé dans ma tête. Je souris car j’ai accompli mon devoir mais il me semble aussi que dans ma chaire devenue viande on m’a ôté un peu de vie. Alors Igor pose sa main sur ma tête, ainsi que Baba le faisait, et la régularité de son pouls, l’enserre de ses doigts m’allège de cette pesanteur. Je sors de ma torpeur comme on recouvre progressivement la vue après avoir regardé trop longtemps le soleil en face.

Édition L’Élan . Traduit du suédois par Marguerite Gay

 

Encore une fois , j’ai oublié comment j’ai noté ce roman. Et en plus, de façon suffisamment forte puisque je l’ai même acheté . Finalement je crois qu’il vaut mieux se plonger dans « la saga des émigrants » le livre qui a fait connaître Vilhelm Moberg, mais je ne le ferai sans doute jamais. En lisant cette passion amoureuse racontée dans les moindres détails, je croyais vivre un film d’Ingmar Bergman , tourné au ralenti … Je dois avouer que j’ai fait l’impasse sur quelques pages au milieu du livre tellement il me pesait. Inutile de vous dire qu’on comprend dès le début que cette belle Märit épouse du trop sage et trop gentil Pavel va succomber au charme de Hakan grâce à qui elle éprouve le plaisir physique pour la première fois de sa vie.

Si j’ai acheté ce roman, c’est certainement qu’il promet au delà de la passion amoureuse, une peinture de la société rurale du 19° siècle. C’est vrai on apprend pas mal de détails sur l’organisation foncière de la Suède et la difficulté pour les petits paysans à sortir de la misère. On voit aussi le poids de la religion protestante, peu encline au plaisir physique. Mais cela n’a pas suffi pour m’embarquer dans une lecture plus attentive. On peut même penser parfois à Flaubert ou Maupassant mais à la suédoise donc sans une once de joie ou d’humour : pour moi, un ennui total que la qualité d’écriture n’a pas pu soulever.

 

Citations

 

Le mariage

Il est vrai qu’on ne se marie qu’à deux périodes de la vie : ou avant d’avoir tout son bon sens ou quand on l’a perdu.

L’amour physique

Les hommes et les femmes sont faits pour se donner mutuellement du plaisir par leur corps. Et, pourtant, ils s’écartent sans nécessité l’un de l’autre, tant le prêtre leur inspire la peur de l’enfer et dans l’enfer leur inspire la peur du prêtre. Que de volupté perdues chaque jour dans le monde ! Et dire qu’un pareil gaspillage reçoit des louanges ! Celui qui le premier à prêcher cela était d’une bien grande naïveté !

La femme d’un paysan « gentil » !

Pour lui, elle fait partie de son bétail. Dans cette situation, elle a tout de même eu de bons jours, bien que qu’elle ne les ait peut-être pas appréciés à leur juste valeur. Car il l’a entourée de soins. Il s’est préoccupé de son bien-être. On tient à voir son bétail bien portant et prospère. Il a peur qu’elle ne travaille trop. Celui qui est raisonnable ne veut pas surmener ses boeufs . Il a veillé sur elle d’une manière parfaite. Un homme raisonnable ne laisse pas dépérir ses animaux. Un paysan raisonnable profite de de la santé et des forces de son bétail, il gagnerait moins si ses bêtes se portaient mal ou s’affaiblissaient. Et quand elle était bien disposée, il lui donnait parfois une tape sur la hanche, comme il caressait à l’occasion les flancs d’une jument.

 

 

Édition livre de poche

  1. Livre reçu en cadeau et lu avec attention car j’avais lu beaucoup d’avis positif sur les blogs que je suis, en particulier Krol , qui depuis ne lâche plus cet auteur et bien d’autres lectrices ou lecteurs dont j’ai oublié de noter le nom. Ce roman a reçu le grand prix des lectrices de « Elle », le prix « Psychologie » du roman inspirant, et le premier prix « Babelio ». Une jolie carte de visite pour cet auteur que je découvre donc longtemps après l’engouement pour ce roman. Cet écrivain a une écriture très personnelle et envoutante, on le suit dans tous les tours et détours de son histoire . De plus, quand tous les fils sont dénoués on se rend compte que tous les hasards qui auraient pu rendre cette histoire peu crédible suivait en réalité la logique d’un super prédateur. L’histoire est racontée par les différents personnages de ce drame, ils ne savent qu’une partie de la vérité et Rose qui confie sa vie à des carnets n’a jamais su (ou pu) faire les bons choix. Il faut dire que son père l’a jetée dans la gueule d’un « ogre » qui va la violer et la torturer , elle avait tout juste quatorze ans et n’ose pas faire confiance à Edmond le seul personnage de ce terrible endroit qui semble ne lui vouloir aucun mal . Celle qu’il appelle la Reine Mère fait avec son fils Charles un duo au service du mal, hélas ! Edmond ne pourra pas sauver Rose du destin qui l’attend. Elle aura donc un enfant qui lui sera enlevé et est destinée à finir dans un asile psychiatrique à la merci du docteur troisième élément du trio infernal dans les griffes desquelles la pauvre Rose est tombée. Il y a une lueur d’espoir à la toute fin du roman, qui ressemble à un rêve plus qu’à la réalité.
    J’ai aimé ce roman, son écriture et sa construction. J’ai aimé aussi la difficulté de raisonner des personnages même s’ils ne savent pas prendre les bonnes décisions. Mais c’est ce qui m’a empêcher de mettre cinq coquillages à ce livre c’est ce côté excessif dans l’horreur : trop de fatalités ont nuit à la vraisemblance du récit. Je me disais sans cesse « trop c’est trop ». Mais cette nuance dans le concert d’éloges ne m’empêchera de lire les autres romans de cet auteur.

Citations

Remarque qui ne concerne pas seulement les prêtres

Faut-il vieillir pour voir grandir le doute de n’avoir pas été à la hauteur de ma mission ?
Vieillir, est-ce la seule façon d’éprouver durablement la foi ?

Les femmes dans le monde paysan

 On était quatre filles, nées à un an d’écart. J’étais l’aînée. Les filles valent pas grand-chose pour des paysans, en tout cas, pas ce que des parents attendent pour faire marcher une ferme, vu qu’il faut des bras et entre les jambes de quoi donner son nom au temps qui passe, et moi et mes sœur, on a jamais rien eu de ce genre entre nos jambes. Si j’ai pas entendu mille fois mon père dire que les filles c’est la ruine d’une maison, je l’ai pas entendu une seule.

Les hommes

Même à l’âge que j’avais, je savais à quoi m’en tenir avec les hommes, il y en avait deux sortes, ceux avec un pouvoir sur les autres, venu de l’argent du sang, ou même les deux à la fois, et puis les lâche. Lâche, comme Edmond. Parce qu’être lâche, c’est pas forcément reculer, ça peut simplement consister à faire un pas de côté pour plus rien voir de ce qui dérange. À ce qui me semblait, Edmond, l’avait toujours fait des pas de côté, alors, je voyais pas bien pourquoi il se mettrait d’un seul coup en travers du chemin du maître, surtout pour une fille comme moi. Malgré son boniment et ses regrets, j’y croyais pas une seconde.

La folie

J’imagine que pas vouloir laisser souffrir quelqu’un qu’on aime, c’est être fou, aller contre la souffrance que Dieu aurait décidé de nous faire subir. Ici, il y a que des gens bloqués dans une souffrance qu’ils ont jamais acceptée, c’est la seule vérité, c’est pour ça qu’ils se réfugient de l’autre côté de cette souffrance, dans un temps qui file à l’envers, alors crois pas que je suis folle …