Category Archives: Roman Historique

Éditions seuil, 363 pages, janvier 2013

J’avais choisi ce roman car j’étais dans ma veine « roman historique » et qu’après la plongée dans la Chine du 7°siècle je voulais en savoir plus sur la Russie du XVIII °. Je ne savais pas grand chose sur la tzarine Catherine II, donc c’était une bonne raison de lire un roman de Makine qui est un auteur dont je lis toujours les romans avec plaisir. Depuis « Le testament français », j’ai mis sur Luocine : « la vie d’un homme inconnu« , « le livre des brèves amours éternelles » , « L’archipel d’une autre vie » , « La femme qui attendait« .
J’aurais dû me douter qu’avec un tel auteur ce ne serait pas un roman historique classique et j’ai vraiment préféré ce style là au précédent . Cet écrivain porte en lui toute sa Russie natale et souffre de toutes les vicissitudes que ce pays génèrent pour ses habitants et hélas avec Poutine de nouveau pour les pays voisins.
 Pour nous faire connaître, à la fois la « grande Catherine » et la Russie d’hier et d’aujourd’hui, nous allons suivre la création d’un film sur la Tzarine par Oleg Erdman, un cinéaste qui a commencé son film sous le régime soviétique. Il a alors souffert de la censure et n’est jamais certain que son film arrivera à sortir. Puis, il crée une série télévisée sous l’incroyable période Eltsine avec un nouveau riche qui se croit le roi du monde avant de connaître la disgrâce et la ruine. Finalement il s’exilera repart en Allemagne pays d’où est originaire sa famille comme la Tzarine.
À travers ces difficultés et la description de l’enfer qui, comme celui de Dante , encercle de plus en plus le cinéaste, la vie de Catherine apparaît.
Suivant les époques il faut faire ressortir certains aspects du personnage plutôt que d’autres.
Sous les communistes, il ne fallait pas mettre en avant ses idées novatrices mais la présenter comme une tortionnaire du peuple, sous les oligarques il faut faire de l’argent avec la série et quoi de plus croustillant que tous ses amants que Catherine a consommé en grand nombre ?
Seul un historien non compromis, donc très pauvre, semble être intéressé par la vraie histoire de cette femme : elle n’a jamais été aimée sauf une fois, mais son amant est mort trop tôt, sa conduite sexuelle s’expliquerait sans doute par cet amour qui n’a pas pu s’épanouir.
Les violences de l’époque ne sont pas si différentes de celles que la Russie a connu du temps où elle s’appelait URSS, et le sort des opposante sous Poutine ressemble fort à ceux qui s’opposait à la Tzarine.
C’est un roman qui encore une fois me rend triste pour ce pays, la Russie a un plaisir à l’horreur peu commun et il sait aujourd’hui encore nous en faire la preuve. J’en ai aimé la construction et aussi la réflexion sur le pouvoir et l’amour : peut-on croire au sentiment amoureux quand on est au au sommet de la puissance ?
Mais la tristesse l’a emportée sur l’intérêt du roman .

Extraits

Début.

 Ce grand miroir s’abaisse, telle une fenêtre à guillotine. La femme qui vient d’actionner le levier sourit : chaque fois, un petit frisson. Et si le cadre heurtait le parquet et que le verre éclatait ? Mais le contact est feutré- le monde est coupé en deux. De ce côté-ci , un salon blanc et or . De l’autre, dissimulés par le miroir, une alcôve, une bougie, un homme nu qui halète.

Portrait de Pierre III.

  » Un crétin que Catherine épouse faute de mieux et dont elle se débarrasse à la première occasion. D’accord, il adorait ses petits soldats, mettaient ses chiens dans le lit conjugal, se soulait avec ses valets à qui il apprenait à marteler le pas à la prussienne. Quoi encore ? Ah oui ! Il ne pouvait pas copuler à cause de son prépuce ! Tu vas à nous pondre maintenant un traité de circoncision, c’est ça ? « 
 Oleg se souvient d’avoir tenté une justification inutile : Pierre III n’était pas du tout l’idiot dont parle les historiens. Plutôt un inadapté un faible un songe-creux et tout le monde punit toujours la faiblesse des rêveurs.

Résumé du règne de Catherine.

 Le favoritisme comme institution, le sexe comme forme de gouvernement, l’orgasme comme facteur de vie politique. Oui, cette alcôve qui permet à Catherine de conduire la marche de l’état sans interrompre ses ébats amoureux. 
Un raccourci rapide, mais historiquement vrai.

J’aime bien ce passage.

 Nous sommes bien plus ramifiés que ce petit moi auquel nous nous agrippons. Le moi des comédiens moins adhésif, a la capacité de migrer d’un personnage à l’autre. C’est pour cela que les artistes sont si égocentriques. Ils doutent de leur propre identité.

Les nouveaux riches époque Eltsine. Cela rappelle les hôtels de quelqu’un, non ?

Oleg découvre que la nouvelle fortune de son ami est fondée sur nombre d’activités très diverses, allant de la vente de l’acier cémenté jusqu’à la pèche des anguilles dans les marais salants de la Caspienne. L’une des entreprises de Jourbine produit des sèche-cheveux, une autre des réfrigérateurs, une autre encore des meubles et de la literie. La dispersion n’est qu’apparente car les anguilles sont livrées au restaurant de Jourbine, et sèche-cheveux vrombissent dans les chambres de ses hôtels tout comme les frigidaires. Bref les Chinois qui viennent acheter son acier dorment dans ses lits, mangent ses anguilles dans ses restaurants, sortent des canettes de bière de ses frigos.

Reprise du pouvoir par les vrais oligarques proches du Kremlin.

 En fait c’est encore plus bête. Les cons de mon espèce ont mordu à l’hameçon. Allez, futurs capitalistes, sortez vos économies, investissez, vendez, revendez, travailler jour et nuit, enrichissez-vous et avec le pognon gagné, bâtissez vos holdings, d’anguilles salées, de palaces étoilés t d’alcool trafiqué. Des crétins comme moi y ont cru. On a bossé pire que les bagnards ! Demande moi de me rappeler une seule journée où j’aurais eu une heure à moi – zéro  ! Si je me rappelle les jours où je recevais des des oursons éventrés. C’est tout … On a amassé des fortunes, on se prenait pour des chasseurs de milliards ! Sauf que nous n’étions pas des chasseurs, nous étions des chiens qui traquaient la bête. Les chasseurs viennent maintenant, nous arrachent la proie et nous foutent dehors d’un coup de pied au cul. Car ils ont le pouvoir ! Ils sont au Kremlin, au Parlement, dans les ministères. Nous avons fait le sale boulot, eux ils boufferont la bête. Et si je commence à protester, une équipe de contrôleur vient, armée comme un commando d’assaut… Dans les ordinateurs qu’ils ont emporté le procureur trouvera de quoi m’offrir un long séjour derrière le cercle polaire … Lui aussi fait partie des chasseurs et la bête abattue c’est tout le pays !

Éditions Robert Laffont/ Versilio, 463 pages, janvier 2025.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Si vous voulez un roman historique bien dépaysant ce roman est pour vous. Il vous plongera dans l’antiquité chinoise du VII ° siècle après JC. Pour rappel, en France nous sommes à l’époque des rois dits « fainéants » car ils n’arrivaient pas à régner assez longtemps pour imposer leur volonté. En Chine, c’est aussi une période troublée qui se terminera par la prise de pouvoir de l’empereur Li Shiming , il va fonder avec son père la dynastie des Tang qui règnera sur la Chine pendant trois siècles, c’est une période d’une certaine prospérité pour cet empire.

Le roman est un un classique du genre « Roman Historique », l’auteur prévient dans une longue préface qu’il respecte les faits historiques , mais qu’il se permet des libertés pour rendre son récit plus vivant. Il a cherché à doter ses personnages de traits de caractère vraisemblables mais dont il ne sait rien. À la fin du livre, il précise les faits historiques et ce que l’on doit à son imaginaire, je trouve ce procédé intéressant et rajoute du poids à son roman.

Nous suivons trois personnages qui ont tous existé : Shiming un jeune homme, presque un enfant au début du roman qui a un courage fou et qui est prêt à tout pour montrer sa bravoure, il tuera ses deux frères pour devenir l’héritier de son père et remplacer l’ancienne dynastie au service de laquelle pourtant sa famille était liée. Mais l’empereur part dans une guerre perdue d’avance, les morts se comptent par milliers et les déserteurs pillent les campagnes.

La deuxième personnage c’est une femme, une princesse qui a été donnée comme épouse à un vieux chef nomade : la princesse Yicheng. Les nomades sont maintenus difficilement en dehors du royaume et vivent bien loin du confort et du raffinement de la civilisation chinoise.

Enfin un paysan Dou Jiande qui deviendra grâce aux hasards de la guerre un bandit respecté une sorte de « robin des bois » au service des plus pauvres.

Même si ce roman est long il est très facile à lire, on suit très bien les trois destinées qui se croisent sans que le lecteur se perde. La rencontre avec Shiming et Jiande se fait une jour de grande festivité : l’empereur vient inaugurer un grand canal et en même temps annoncer son désir de conquérir une région qui correspond à la Coré actuelle, une bousculade a lieu causée par Jiande . Shiming tue grâce à talent d’archer un nombre important de garde pour sauver la vie d’un enfant nomade qui devait être rendu à sa tribut .

Avec Jiande on voit la difficulté du monde paysan, à la merci du climat qui peut détruire leurs récoltes et des soldats déserteurs qui leur prennent tous leurs bien et leur vie en plus . Cela poussera Jiande à devenir hors la loi .

Avec la princesse chez les nomades, on découvre peu à peu une civilisation si éloignée de la sienne et se rend compte qu’on peut être heureux sans les raffinements des palais, des soieries, et de la nourriture sophistiquée.

Avec Shiming , on découvre les intrigues de cour , lui deviendra un homme de pouvoir grâce à ses talents de stratège et son goût pour la guerre.

L’auteur leur donne une vie amoureuse qui pimente le récit, il n’insiste pas trop sur les différentes tortures qui étaient, pourtant, monnaie courante à l’époque ;

Comme je le disais au début un roman historique classique qui permet d’en savoir plus sur une époque peu connue (en tout cas de moi) , j’ai quelques réserves sans que je sache bien expliquer pourquoi. Je pense que je lirai plus volontiers un essai historique sur cette période qu’un roman .

 

Extraits

Début.

 Les empreintes avaient beau, à chaque rafale, s’effacer un peu plus sous la neige, on discernait encore les contours de cinq coussinets, tout en rondeur, très différents des doigts et effilés des loups. Et puis la bête semblait avoir attaqué seule, pas en meute. Quand Shimin le fit remarquer, son père le rabroua :  » Et tu déduis tout ça en un instant, alors qu’on vient à peine d’arriver et qu’on y voit plus rien ? » Il essuyait avec une exaspération croissante son visage où s’accrochait les flocons tombant du ciel sombre. Ses lèvres blanches craquelées tremblaient sous sa moustache couverte de givre, sans qu’on sache si c’était les faits des bourrasques glaciales ou de la rage.

Un paysan enrichi.

Dou Jiande avait grandi au milieu des calculs de son père, de son obsession des petits profits qui, cumulés, en formaient de gros. Il lui semblait que ce père n’avait jamais rien fait qui n’ait été intéressé. S’il rendait une visite à un voisin, c’était pour en tirer les informations utiles. S’il donnait une vieille bêche à une pauvre veuve qui venait de casser la dernière qu’elle avait, c’était en espérant s’en faire une obligée et lui demander un jour quelques services, de l’espionnage par exemple, afin d’apprendre discrètement la situation de telle ou telle famille. S’il laissait son verra saillir la truie d’un autre villageois, il exigeait la moitié des porcelets. Même quand son propre père mourut, il s’arrangea pour des motifs fallacieux pour faire contribuer l’ensemble du village au frais des funérailles. Il aurait eu des moyens de prendre une ou plusieurs concubines. Il ne le fit jamais non par une affection démesurée pour la mère de Jiande, et parce que cela aurait impliqué des dépenses qui lui auraient semblé insupportables. L’hiver, comme beaucoup des villageoises tissaient jusque tard dans la soirée, il envoyait sa femme chez des voisines afin d’économiser l’huile des lampes.

Les nomades et la princesse chinoise.

Le campement des nomades changeait, lui, sans cesse d’emplacement, il occupait une étendue herbeuse après l’autre, déménageant à chaque saison, partant s’installer l’hiver sur des pâturages plus abrités, en bordure de lacs dont l’eau ne gelait pas, gagnant des contrées plus fraîches l’été. Et néanmoins il était toujours identique. Les mêmes tentes, les mêmes chariots, disposés selon le même ordre et toujours entourés, où qu’ils fussent, du même horizon de colline basse. Immuable dans le mouvement. (…)
 Puis Tardu lui avait demandé de devenir sa femme et plus que sa femme sa Kkatun. À partir de là, sa vision sombre et désespérée de la steppe s’était modifiée. Rien n’avait changé, ni les déménagements perpétuels, les paysages lassante, la puanteur, les plaisanteries vulgaires, ni la nourriture insipide ou écœurante, ni l’absence de raffinement. Et cependant tout était métamorphosé. Le fromage grossier était devenu revigorant, la langue rauque des nomades, puissante, leur goût des exercices violents, un signe de vitalité, l’absence de ville un saint refus de l’inessentiel. Yicheng avait honte, à certains moments d’avoir ainsi révisé un si grand nombre de ses perceptions, de ne plus souffrir autant que les premières années, de réussir à s’accommoder de ce qu’elle avait jadis jugé insupportable.
Elle n’avait pas regagné les palais et des jardins de son enfance, elle ne le retrouverait jamais. Mais on pouvait vivre, on pouvait même être heureux sans palais et sans jardins. Elle aimait cet homme, qui se tenait auprès d’elle et venait de l’étreindre 

La haine moteur de la guerre.

 Tulan ne possédait ni la force, ni la détermination de son père. Il lui manquait la haine pour cela, la haine sans laquelle Yicheng en avait désormais une conscience aiguë, rien de grand ou presque n’était possible en ce monde. Or le jeune homme avait appris à aimer ceux chez qui il avait été otage. Parfois il venait la voir elle, sa belle-mère, uniquement pour évoquer les merveilles de raffinement des trois capitales. Ces visite irritaient Yicheng. Tulan lui rappelait tout ce qu’elle voulait oublier et détruire.

 

Éditions Stock Flamarion, 359 pages, Janvier 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un roman historique qui se situe au 14° siècle dans un couvent anglais. Une jeune femme, au cractère naturellement frondeur, s’ y trouve enfermée malgré elle. L’auteur décrit bien à quel point être dans un couvent aux règles strictes sans être consentante est une pure horreur. Il se trouve que le fait est réel , Joan a existé et elle s’est enfuie. Je pense que tout le reste vient de l’imagination de l’écrivain, il imagine qu’elle se fait passer pour morte. Car c’était bien la seule façon de sortir d’un couvent. Tout le talent de cet écrivain est donc , de nous faire vivre au rythme des règles monacales, qui écrasent toute volonté de formation intellectuelle : obéissance , comme première règle, soumission comme première vertu, tout cela à la sauce de l’ignorance et de la prière.

Ensuite quand Joan de Leeds découvre le monde et ses plaisirs on croit un peu moins au personnage qui découvre la sexualité, mais cela reste plaisant à lire et la peinture de Londres à l’époque ne manque pas d’intérêt.

Et bien sûr, il y a le suspens de la traque, là, l’écrivain s’est fait plaisir en inventant des personnages hauts en couleur : une espèce de sorcière qui connaît les plantes et un homme désabusé qui traque Joan, qui ressemble aux policiers fatigués des romans actuels .

Un roman qui plaira à tous les amateurs du genre et tous ceux et celles qui veulent en savoir plus sur les couvent de cette époque. Le blog de « je lis je blogue  » a très bien décrit ce roman qu’elle a aimé elle aussi.

Extraits

Début.

 L’ange me regarde.
 Quel que soit l’endroit où je me trouve, il me suit des yeux. C’est un bel ange, je le reconnais ; gracieux, si calme. On dirait qu’il dort les yeux ouverts. Je devrais me sentir flattée d’être ainsi observée, mais j’aimerais parfois qu’il m’oublie. Après tout j’ai choisi la solitude, nous sommes des dizaines ici à l’avoir choisie, et nous l’avons fait pour échapper aux regards. Quelque chose d’autre me gêne. Il lui manque une oreille depuis qu’un morceau du plafond, abîmé par l’humidité, est tombé en emportant un peu de son visage.

La hiérarchie dans les couvents.

 Comme je m’appelle Helisende de Wigmore et que je m’accroche à l’une des branches les moins pauvres de la famille de Wigmore, j’ai été reçue à bras ouverts. Il doit être dit quelque part, dans l’immense livre de Dieu, que mon appartenance à la petite aristocratie du Herefordshire me donne le droit de consacrer ma vie à la lecture des Évangiles. D’autres filles de mon âge, moins bien nées, se retrouvent ici, dans l’abbaye. Elles ne portent pas la robe des moniales, elles portent le tablier des domestiques.

Mysticisme.

 À cause d’un serpent, l’homme et la femme ont connu la chute, ils ont été marqués par la faute et nous l’ont transmise. Est-ce que cela signifie que l’Irlande sans serpent est un pays vierge de tout péché ? C’est une question que pourrait nous poser Joan. Mais à cette question, l’abbesse apporterait une réponse immédiate  : la volonté de Dieu s’applique à l’univers entier.
Elle nous dirait aussi : le serpent est un symbole. Mais un symbole de quoi  ? J’ai parfois du mal à comprendre. Quand une chose devient un symbole, j’ai l’impression qu’elle se dilue dans l’air. Sa consistance est introuvable.

 


Éditions la tribu, 459 pages, janvier 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai lu chez « je lis je blogue » un billet à propos de ce roman et il se trouve qu’il était au programme du club dans le thème » roman historique ».

Je rappelle brièvement le fait central : rue Transnonain, au 12 exactement, la nuit du 14 avril 1834, les troupes commandées de loin par un certain Bugeaud obéissant à Adolphe Thiers, entrent dans cet immeuble et tuent tout le monde : hommes, vieillards femmes et enfants. C’est un crime d’état et qui a d’abord choqué l’opinion publique et puis qui a été bien oublié. Il préfigure ce que sera la répression de la Commune toujours menée par Adolphe Thiers, ce boucher qui a encore tant de rues et de places à son nom dans les villes françaises.

Ce qui a sans doute rendu célèbre ce crime d’état c’est le dessin de Daumier plus que le texte de Ledru-Rollin qui, déjà, dénonçait ce crime sans raison de 12 parisiens.

Description de cette image, également commentée ci-après

À partir de ce crime horrible, l’auteur crée une fiction historique, très intéressante qui permet de se plonger dans le Paris de la misère sous Louis Philippe. Les deux personnages principaux, la prostituée, Annette Vacher, et l’ancien policier Joseph Lutz ne sont pas des personnages de pure fiction mais très librement interprétés par l’auteur. La trame principale de ce récit est de démonter la propagande officielle de l’époque qui consistait à faire porter le chapeau de cette tuerie aux habitants de cet immeuble qui auraient caché un homme qui a tué un officier de la garde. En réalité, le règne de Louis Philippe est secoué par de multiples révoltes dont celle des canuts à Lyon, et le pouvoir, avec le tristement célèbre Thiers à sa tête, veut remettre de l’ordre . Pour cela, il faut museler la presse et mettre en prison tous les gens qui appartiennent à des mouvements progressistes. Bugeaud pense qu’il faut faire peur aux bourgeois, rien de telle qu’une tuerie bien organisée.

Le monde de la misère est parfaitement décrit en particulier celui de la prostitution. L’auteur fait revivre deux femmes remarquables de l’époque : Suzanne Voilquin et Claire Démar qui ont lutté toute leur vie pour la cause des femmes, trop tôt, sans être le moindre du monde entendues à leur époque.

J’ai une réserve sur ce roman trop foisonnant. L’auteur a voulu tout dire de l’époque . Le fil narratif est, de façon permanente, fait d’aller et retour sans que cela se justifie. Pour moi, la chronologie aide à la compréhension et le contraire m’a lassée. Et puis le romanesque emporte l’auteur dans des invraisemblances qui n’apportent pas grand chose et surtout le personnage de la prostituée amoureuse d’un jeune ouvrier occupe une très grande partie du roman sans pour autant être très incarnée : c’est une très belle coquille vide . Bref, quelques longueurs dans un roman qui vaut vraiment le peine d’être lu pour découvrir la misère du tout début de l’industrialisation de la France.

 

Extraits

Début.

« … on ne tue pas le monde comme ça. « 
 Au numéro 12 de la rue Transnonain, à l’emplacement de l’actuel 62, rue Beaubourg à Paris, deux amants sont allongés dans un lit. L’un dort l’autre veille. La jeune femme s’appelle Annette Vacher. Elle doit avoir dépassé la vingtaine. Personne ne peut donner son âge exact, mais tous se souviennent de ses yeux verts légèrement bridés, de son épaisse chevelure d’un rouge rabattu et de ses tâches de rousseur. Quelque chose d’excessif dans la féminité, de débordant. Madame Pajot, la concierge de l’immeuble, est plus directe pour elle, « c’est une fille ».

Citations de la presse d’opposition .

 La caricature, 17 avril 1834
 Pendant toute la journée, on voyait à chaque instant sortir des cercueils des maisons démantelées de la rue Transnonain ; on avait oublié d’écrire dessus : laisser passer l’ordre public. 
(plus loin)
 L’administration des pompes funèbres a placé, dit-on, au-dessus de son établissement l’écriteau suivant : Au Pouvoir, les pompes funèbres reconnaissantes. 

Portrait d’Adolphe Thiers.

 Au moment des Trois Glorieuses, ils parie sur Louis Philippe. Dans les colonne du « National », il le pousse sur le trône. Élu député, il s’arrange pour envoyer le mari de sa maîtresse en poste dans le Nord et, ne pouvant mettre la main sur la mère, épouse la fille de seize ans. Le voilà riche, le voilà électeur, le voilà éligible. Grâce à la fortune du beau-père, il s’installe place Saint-Georges, dans un hôtel particulier en style néogothique, qui symbolisera aux yeux des Parisiens, ce que peuvent faire la ruse et le pouvoir réunis en un seul personnage.

Le carnaval et les excès .

 Son nom est Milord l’Arsouille. Le fils bâtard d’un riche Anglais qui vient d’hériter de cent mille livres sterling. Elles lui brûlent les mains. Et pas que les siennes. Son jeu préféré consiste à plonger une poignée de pièces d’or dans l’huile de la friture et, muni d’un mouchoir, de les lancer sur la foule. Il faut les voir s’arracher la peau en paiement de leur lucre. Quand il a bien ri, il se bat. Peu importe la raison. Avec les bourgeois. les fiers-à-bras. Comme s’ils voulaient se punir d’avoir eu tant de chance.

Genre de scènes trop fréquentes à mon goût.

 Dans son dos les chaufourniers retroussent sa robe. La poussière lui entre dans les narines, les oreilles, les yeux. Par tous les orifices du corps. Il doit y en avoir sur le sexe en érection parce que ça la brûle de l’intérieur. Dans la cour les femmes parlent de plus en plus fort. Les enfants jappent comme des petits chiens. Les chaufourniers avaient et toussent, leur souffle si court qu’Annette croit plusieurs fois qu’ils vont mourir en elle.

6 ans d’une vie.

 Elles arrivent ainsi de devant la barrière d’Italie. Celle par laquelle six années plus tôt, Annette entrait dans Paris. Six ans c’est peu … à moins qu’on n’ait été obligé de coucher avec des centaines d’hommes, qu’on n’ait éborgné une femme, passé un an en prison, connu plusieurs révolutions, échappé à un massacre, dormi sur des grabats, éprouve la faim, le froid rencontré l’amour et tenu dans ses mains son crâne ouvert.

La peur et l’action .

 Dimanche après-midi quelques heures avant l’assaut. La rue Beaubourg est remplie à la gueule. Des familles entières qui musardent depuis la tour Saint-Jacques jusque dans le Marais. Ça chante, ça prend du bon temps. C’est pas comme ça qu’on va faire la révolution. Retiens bien mon avis, Lutz : la peur c’est le seul combustible valable. Sans elle, autant rester chez soi.


Édition Denoël, 373 Pages, octobre 2022

Un roman historique et … d’amour, nous fait revivre l’Espagne de 1925 à 1939. Il est raconté par un vieil homme qui vit à Paris, en 2000 .

C’est un roman très touffu car il couvre une très longue période avec beaucoup de personnages.

En 1925, Juan Ortega est un jeune gitan qui, fils et neveu de toréador, a une autre passion : la cuisine. Dans la première partie, il vit chez son oncle Ignacio et sa famille, mais Ignacio est amoureux d’une danseuse de Flamenco : Encarnacion . Cette première partie permet d’évoquer le talent des toréadors et des dangers de la corrida.

Ignacio emmène le très jeune Juan avec lui à Madrid car il décide de quitter sa femme qu’il n’aime plus. Et là, c’est l’énorme choc pour Juan, il tombe immédiatement amoureux d’Encarnacion la maîtresse de son oncle . Alors va commencer pour lui ce rôle qu’il jouera toute sa vie : le petit gitan très fier mais toujours en arrière plan et qui doit protéger l’amour d’ Ignacio et de la danseuse de flamenco.

C’est la partie la plus longue et la plus riche du roman. Car à Madrid l’auteure décrit bien la rencontre avec tous les intellectuels madrilènes en particulier un certain Federico Garcia Lorca ,ce poète qui transforme tout ce qu’il vit en une langue magnifique. Ignacio a arrêté la tauromachie pour s’essayer à l’écriture et se donner tout entier à son amour. Mais dans un retour désespéré pour braver la mort dans une dernière corrida, et avant d’avouer à Encarnacion qu’il veut refaire sa vie avec une nouvelle conquête, il y trouvera la mort.

Juan peut-il enfin aimer Encarnacion ? Non, car celle-ci ne semble pas l’aimer et lui préfère son beau poète qui pourtant lui n’aime que les hommes. Pour corser les relations amoureuses, il y a la petite sœur Carmen qui est follement amoureuse de Juan mais celui-ci ne la voit que comme une petite fille et de toute façon n’a d’yeux que pour sa sœur.

Dans cette partie, on voit la montée des dangers pour la toute jeune république espagnole avec le moment le plus terrible l’assassina de Federico Garcia Lorca, victime de sa liberté de paroles et de mœurs, d’après cet auteur il aurait été victime d’une vengeance d’une haine entre familles de Grenade, certains se seraient reconnus dans des pièces de théâtre où il s’est moqué de l’étroitesse d’esprit de certaine familles voisines de la sienne.

Juan se réfugie à Paris et devient cuisinier dans le restaurant « le catalan », ce moment de sa vie est presque heureux et permet d’évoquer la période du front populaire et le soutient aux républicains espagnols .
Il retrouvera Encarnacion le temps de l’aider à franchir la frontière en 1939. Mais ils seront séparés , il faut attendre l’année 2000 et son retour à Madrid pour que le roman d’amour trouve sa fin, dont je ne vous dirai rien.

J’ai des réserves sur ce roman, dont j’ai beaucoup aimé l’arrière plan historique mais dont les différentes histoires d’amour ne m’ont pas convaincue et m’ont empêchée d’adhérer aux personnages. J’ai souvent trouvé que les intrigues amoureuses encombraient le récit, je retiendrai, pourtant, l’effervescence prérévolutionnaire en Espagne et la perte des illusions quand la jeune République Espagnole ne sait, ni se défendre contre ceux qui veulent la détruire de l’extérieur, ni de ses ennemis intérieurs : les divisions et les illusions idéologiques des républicains.

 

Extraits

Début du prologue 6 février 1939

7 heures du matin col de Lli
 Avant de reprendre le chemin de la montagne, le petit groupe se tourna une dernière fois vers la silhouette du ma de Can Barrière, qui s’effaçait sous la pluie glacée. Ils savaient que cette bâtisse leur survivrait et que les larmes qu’ils avaient versées entre ses murs épais murs de pierre rejoindraient et celles d’autres tragédies oubliées elle aussi.

Début.

Tu te tiens bien droit et tu dis rien sauf si on te pose une question . T’as bien compris Juan ?
Ils avaient quitté la route principale et s’étaient engagés sur un chemin cahoteux qui traversait les champs déjà grillés par le soleil andalou. Les roues de la carriole grinçaient à chaque pas du robuste bidet qui la tirait, langue pendante vers une hacienda nichée sur une colline de Pino Montano couverte de vignes et d’oliviers. Dans les champs les affaneurs, ces gagne deniers venus de Galice ou de la plaine, levaient tête au passage de l’attelage. De leurs yeux plissés sous les rayons d’un soleil bas se happaient la fatigue et l’envie.

Le goût de la mort .

 Quelques jours après l’enterrement à Séville de son célèbre cousin, et alors que tous le pays et le « mundillo » fermé de la tauromachie étaient encore sous le choc, en habit de deuil mais le regard sec, Maria Ortega avait pris Juan par les épaules
– Mon fils, lui avait-elle dit d’une voix tremblante de fierté, ne montre jamais que tu as peur. Être un Ortega c’est porter dans son sang le courage et la mort.

J’ai beaucoup de mal à croire au coup de foudre.

Sa première rencontre avec Encarnación eut un caractère d’étrangeté absolue. Il n’avait jamais vu tant d’amour ni une femme si émue. Pourtant, malgré toute l’affection qu’il portait à Igncio, il fut envahi par la plus insolite et la plus contradictoire des émotions : une forme de honte mais aussi la certitude qu’il n’était coupable de rien. En un regard, il tomba amoureux d’Encarnación

Vision de New York 1930.

 Il vit défiler dans un chaos organisé et puant des façades hétéroclites mêlant styles gothique et barres de fer assemblées par de gros boulons. Les rues étaient encombrées de calèches, d’omnibus, d’automobiles au moteur pétaradant est de files de piétons pressés. Juan eut le sentiment effrayant que cette turbine urbaine aurait pu avaler une marée humaine dans l’indifférence la plus totale. Une ville brutale, moderne, enfumée et gigantesque, une fourmilière dont la nature était exclue, une métropole tentaculaire à l’activité incessante : voilà quelles furent ses premières impressions. 

Le « duende ».

 le « duende », « ce pouvoir mystérieux que tout le monde ressent et qu’aucun philosophe n’explique » pour reprendre les mots de Goethe sur Paganini Le « duende » unit sur le fil l’extase de la beauté et la possibilité de la mort.

Éducation d’un gitan espagnol.

Mon fils, lui avait-elle dit d’une vœux tremblante de fierté, ne montre jamais que tu as peur. Être un Ortega, c’est porter dans son sang le courage et la mort.

Le toréador et la corrida.

Le public accourait à chacune de ses corridas pour le voir combattre les bêtes, tant avec la hantise qu’avec le désir secret de voir les cornes déchirer ses chemises et son sang couler sur le sable, se mêlant à celui du taureau. 

Paroles de Federico Garcia Lorca :

Dans mon recueil « Impressions et paysages », je dis que la poésie existe en toute chose. Dans le laid, dans le beau, dans le dégoûtant ; le plus difficile est de savoir la révéler, réveiller les lacs profonds de l’âme. Ce qu’il y a d’admirable chez un esprit, c’est sa capacité à recevoir une émotion, à l’interpréter de bien des manières, toutes contraires les unes aux autres.

Les gitans et les artistes militants.

Juan, seul représentant de la misère andalouse était tétanisé par leur prise de parole. Les gitans qui vivaient en marge de la société espagnole ne s’étaient jamais impliqués dans les conflits idéologiques de leur pays. Ils formaient un refuge collectif intérieur, clos et régis par les seules lois et traditions ancestrales. Pourtant le jeune homme n’avait jamais accepté que la noblesse d’un gitan puisse consister également à subir les injustices de la vie avec humilité. Il connaissait le quotidien des pauvres gens, celui des journaliers qui vendaient leur sueur et leur corps pour quelques pièces. Celui des mères démunies face à leurs enfants affamés. Il aurait voulu hurler la douleur du peuple et faire comprendre à ces jeunes excités à quel point ils étaient privilégiés. Leur démontrer que le seul fait d’avoir la liberté de penser était un luxe. À plusieurs reprises, il eut le courage d’intervenir dans les discussions, mais ses paroles furent vite balayées par la verve de ces artistes qui, sans jamais avoir connu le spasme d’un ventre vide, se targuaient de savoir qu’éduquer le peuple était plus essentiel que de le nourrir.

Amoureux au premier regard et certitudes des danseuses de flamenco.

Allons, tu e trop jeune pour souffrir comme ça à ton âge, il est inconvenant de t’effondrer parce qu’un garçon t’ignore. Tu verras. Plus tard, quand tu danseras en public, il y aura tant de grands hommes à tes pieds que tu en oublieras Juan, puisqu’il est assez sot pour ne pas te voir aujourd’hui. 
Pourtant, Carmen sentait bien qu’il n’y aurait jamais personne d’autre ; elle restait convaincue que Juan était l’homme de sa vie et qu’il lui ouvrirait un jour son cœur et ses bras

Prémices de la guerre d’Espagne.

Depuis quelques mois, la déception grandissait en Espagne, et les républicains semblaient complètement dépassés par l’instabilité du régime parlementaire, la grève générale et les conflits incessants au sein de leur parti. S’ils s’étaient assuré le soutien du peuple, qui les avait portés à la tête du pays en 1931, plus personne désormais ne contrôlait cette force qu’ils avaient mise en branle et qui se divisait en groupuscules disparates. Dans les municipalités socialistes, la « guardia civil » , le corps de police traditionnel qui, depuis 1932, devait collaborer avec la « guardia de asalto » , la garde d’assaut mise en place par le gouvernement de gauche, avait décidé de ne plus intervenir pour maintenir l’ordre face à l’escalade de la violence.

Douleur et amour .

L’amour est une projection vers l’autre. Il dure tant qu’on n’est pas déçu, et tant qu’on ne s’ennuie pas. Et puis il disparaît beaucoup plus lentement qu’il n’est apparu. La défaite de l’amour, on ne l’accepte pas. On se bat, on se raccroche à ce qui nous a fait aimer . Voilà pourquoi l’amour fait mal : parce qu’on s’est trompé. En fait, aimer c’est peut-être avant tout s’aimer soi-même. 

 


Édition Gaïa, 1999, traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Tome 1, Au pays, 315 pages

Tome 2, La traversée, 267 pages

C’est Sacha qui m’a donné envie de lire cette Saga , et elle était à la Médiathèque de Dinard, mais surprise elle était dans les réserves, c’est à dire en passe de disparaître. C’est incroyable la vitesse à laquelle les livres ne sont plus lus dans une médiathèque qui ne peut évidemment pas tout garder sur ses rayons . Dommage pour cette Saga qui est vraiment formidable, depuis j’ai vu que Patrice avait, aussi, recommandé cette lecture.

J’ai finalement décidé de mettre les tomes au fur et à mesure de mes lectures, les deux premiers m’ont carrément enchantée. Dans le premier, on comprend pourquoi au milieu du XIX° siècle des paysans suédois se sont exilés vers les USA . L’auteur prend son temps pour nous faire comprendre les raisons de la misère de la paysannerie suédoise. La première famille que nous suivrons est celle de Karl Oskar et de Kristina dans la ferme de Korpamoen et leur jeune frère Robert valet maltraité dans une autre ferme. Robert y rencontrera Arvid, qui deviendra son meilleur ami .
Les familles sont nombreuses et les fermes sont loin d’être extensibles, elles permettent de survivre mais il suffit d’une mauvaise récolte pour que le fragile équilibre s’effondre. Oskar est un homme déterminé mais son courage ne suffit pas à conjurer tout ce qui se ligue contre lui, alors quand son jeune frère Robert revient le dos en sang car il a été fouetté par un propriétaire pervers et brutal, vient vers lui et lui dit qu’il veut s’exiler en Amérique, Karl Oskar lui avoue qu’il en a lui même le projet. Il lui reste à convaincre sa femme qui a très peur de partir vers un lieu dont on ne sait rien ou presque. La mort pratiquement de faim de leur fille aînée sera la goutte d’eau qui décidera le couple à partir. Robert et Arvid seront de la partie.

Une autre famille partira avec eux, c’est celle d’un pasteur qui s’oppose au clergé traditionnel, car Danjel Andreasson a vu Dieu et en plus il accueille chez lui tous les réprouvés du village ? On y retrouve Arvid qui a fui son maître violent et surtout la rumeur lancée par une la mère de la fermière qui fait croire qu’il a eu des rapports sexuels avec une génisse. Cette rumeur lui rend la vie impossible et il sera si heureux de mettre l’océan entre lui et ce surnom qui le fait tant souffrir « Arvid le taureau ». Le pasteur a aussi recueilli la prostituée du village et sa fille . Ce personnage nous permet de comprendre toute la rigueur de l’église officielle mais aussi la façon dont d’autres pouvaient facilement s’imposer comme ayant vu Dieu.
Il me reste à vous présenter l’homme qui ne s’entendait plus du tout avec sa femme , un couple terrible où la haine a remplacé l’amour, l’homme partira seul. Nous sommes au début de l’exode des Suédois et tout le tome expose en détail la difficulté de se lancer dans un voyage aussi aventureux : on comprend très bien qu’en réalité la misère fait parfois qu’on n’a pas le choix, et Robert est tellement persuadé que l’Amérique est un eldorado où tout est possible ! Evidemment, on pense à tous les malheureux qui meurent dans les flots de le Méditerranée ou de la Manche , il y a des points communs dans la nécessité absolue de partir et aussi beaucoup de différences.

Le tome se termine sur les quais du de Karlshamm. Et évidemment on veut connaître la suite.

La suite, le tome 2, c’est donc la traversée et j’ai tout autant adoré. 78 Suédois s’entassent sur un vieux navire « la Charlotta » un brick mené par un capitaine taiseux mais bon marin. Le voyage était prévu pour trois ou quatre semaine mais il va durer presque trois mois. Les voyageurs connaîtront une tempête terrible et surtout des vents contraires qui ralentiront l’avancée du bateau. L’auteur décrit très bien le choc pour des hommes et des femmes qui ont passé toutes leur vie à travailler à se voir confiner dans un espace si petit et surtout ne rien faire. On sent aussi toute l’incompréhension entre les marins navigateurs et les paysans si terriens .

La famille de Karl Oskar est éprouvée car Kristina a un mal de mer terrible amplifiée parce qu’elle est enceinte, elle est persuadée qu’elle va mourir sur ce bateau. Son mari est toujours aussi déterminé mais la santé de sa femme le fera douter.

Robert a décidé d’apprendre l’anglais , et s’oppose pour cela au clan du pasteur : Danjel (l’homme qui a vu Dieu) a persuadé ses ouailles que Dieu leur permettra de parle l’anglais dès leur arrivée car le miracle de la Pentecôte se reproduira pour tous ceux qui ont la foi …

La promiscuité sur le bateau donne des tensions entre les exilés, en particulier entre Kristina et Ulrika l’ancienne prostituée. Et lorsque les gens découvriront qu’ils ont des poux tout le monde accusera « la catin » , c’est pourtant la seule qui n’en a pas ! Le récit du passé d’Ulrika est d’une tristesse incroyable et mérite si peu l’opprobre des gens dits « honnêtes » qui n’ont jamais aidé la pauvre petite orpheline qui a été violée par son patron !

Nous connaissons bien maintenant ce petit monde d’exilés et la description de ce voyage terrible a été si bien raconté, j’ai vraiment hâte de lire la suite et de voir comment ils vont réussir à s’adapter à la vie américaine, j’espère que le pire est enfin derrière eux !

 

Extraits

Début tome 1

 Voici l’histoire d’un certain nombre de gens qui ont quitté leur foyer de Ljuder, dans le Smâland, pour émigrer en Amérique du Nord.
 Ils étaient les premiers à partir. Leurs chaumière étaient petites sauf quand au nombre d’enfants. C’était des gens de la terre, héritiers d’une lignée cultivant depuis des millénaires la région qui laissait derrière eux.

Instruction.

 La plupart des habitants, tant de sexe mâle que féminin, savaient à peu près lire les caractères imprimés. Mais on rencontrait également, parmi les gens du commun, des personnes sachant écrire leur nom ; ceux dont les capacités allaient au-delà n’était pas légion. Parmi les femmes, seul un petit nombre savait écrire : nul ne pouvait imaginer à quoi cela pourrait servir pour des personnes de leur sexe.

Les malheurs des paysans.

 En juillet, sitôt la fenaison, il se mit à pleuvoir en abondance et une partie du foin fut emportée par les eaux. Une fois ce déluge terminé, le reste s’avéra entièrement pourri et inutilisable. Il sentait si mauvais que nulle bête ne voulait le consommer et, de toute façon il n’avait plus aucune valeur nutritive. Karl Oscar et Kristina durent donc vendre une de leurs vaches. Mais ce ne fut pas la fin de leur malheurs : une autre vache mit bas un veau mort-né et un de leurs moutons s’égara dans la forêt et fut la proie des bêtes sauvages. À l’automne, on constata, dans toute la région, que les pommes de terre avaient la maladie : quand on les sortait de terre près d’un tubercule sur deux étaient gâtés et pour chaque panier de fruits sains que l’on rapportait à la ferme on en avait un de pourris au point qu’on pouvait à peine les donner à manger au bétail. Au cours de l’hiver qui suivit, ils n’eurent donc pas de pommes de terre à mettre dans la marmite tous les jours.

Une idée des prix.

 Avec le lait de leur vache, Nils se Märta faisaient du beurre et le vendaient afin de rassembler l’argent nécessaire pour acheter une Bible alors fils, lors de sa communion. Celle qu’ils lui offrirent était reliée en cuir et n’avait pas coûté moins d’un rixdale et trente-deux skillings, soit le prix d’un veau nouveau-né. Mais elle était solide et on pouvait en tourner les pages. Il fallait bien qu’une Bible soit reliée pleine peau, si on voulait qu’elle vous accompagne toute votre existence.

Portrait des maîtres.

 Aron était coléreux et, quand il s’emportait, il lui arrivait d’assener à ses valets des gifles ou des coups de pied ; mais autrement c’était un brave homme assez bonnasse qui ne faisait de mal à personne. La maîtresse était plus difficile : elle battait tant son mari que les servantes, Aron avait peur d’elle et n’osait pas lui répliquer. Mais tous deux, à leur tour, redoutaient la vieille, l’ancienne fermière vivant dans une mansarde. Elle était si vieille qu’elle aurait dû être dans la tombe depuis longtemps, si le diable avait bien fait son travail. Mais sans doute avaient-ils peur d’elle, lui aussi.

Les premiers émigrants.

 Pour ces gens le pays dont il est question n’est encore qu’une rumeur, une image dans leur esprit personne sur place ne le connaît, nul ne l’a vu de ses propres yeux. Et la mère qui les sépare les effraie. Tout ce qui est lointain est dangereux, alors que le pays natal offre la sécurité de ce qui est familier. On conseille et on met en garde, on hésite et on ose, les téméraires s’opposent aux hésitants, les hommes aux femmes, les jeunes au vieux. Et ceux qui sont méfiants et prudents ont une objection toute prête : on ne sait pas « avec certitude » …
 Seuls les audacieux et entreprenants en savent assez long. Ce sont eux qui réveillent les villages endormis, c’est à cause d’eux que quelque chose se met à vibrer sous l’ordre immuable des siècles.

Je ne connaissais pas le mot marguillier ni leur fonction …

 Il demanda conseil à Per Persson, qui était celui de ses marguilliers en qui il avait le plus confiance. Il n’avait pas eu beaucoup de chance avec les autres : l’un s’introduisait dans la sacristie pendant les jours de la semaine et buvait le vin de messe au point qu’un dimanche le pasteur avait été obligé de renoncer à célébrer l’office. Un autre arrivait ivre à l’église et affichait le numéro des psaumes la tête en bas, sur le tableau prévu à cet effet . Un troisième s’était, un matin du jour sacré de Noël, rendu dans un coin de la tribune et avait uriné au vu de plusieurs femmes assises non loin de là.

Conception de la religion.

 Les gens simples faisaient mauvais usage de leurs lectures. Les autorités devaient se montrer vigilantes et sévères sur ce point : si l’on accordait au peuple un savoir nouveau – qui était en soi un bien – il fallait veiller à ce qu’il n’en mésuse pas. C’était le devoir sacré des autorité. Le peuple avait besoin de se sentir guidé par une main paternelle et le premier devoir de tout maître spirituel était d’implanté dans l’esprit de chacun l’idée que l’ordre établi l’avait été selon la volonté de Dieu et ne pouvait être modifiée sans son consentement.

Début tome 2

Le navire
 La « Charlotta » brick de cent soixante lastes, commandé par le capitaine Lorentz, appareilla de Karlshaml le 14 avril 1850 à destination de New York. Il mesurait cent vingt-quatre pieds de long sur vingt de large. Son équipage était constitué de quinze hommes : deux officiers, un maître d’équipage, un charpentier, un voilier, un cuisinier, quatre matelots, deux matelots légers et trois novices. Il était chargé de diverses marchandises parmi lesquelles des gueuses de fonte.
 Il transportait soixante-dix-huit émigrants partant pour l’Amérique du Nord et avait donc quatre-vingt-quatorze personnes à son bord.
C’était sa septième traversée en tant que transport d’émigrants

Sur le bateau opposition paysan marin.

 On en a pour un bout de temps, sur ce bateau. Aujourd’hui, j’ai demandé à un des marins combien il restait. Il m’a répondu qu’il y avait encore aussi loin d’ici, en Amérique que d’Amérique ici ces quasiment tout pareil. J’ai réfléchi un petit moment, je trouvais ça long. Mais il rigolait ce salaud-là et ceux qu’étaient autour ils rigolaient aussi, eux autres, alors je me suis fâché et pendant un moment j’ai voulu lui taper sur la gueule pour lui faire sortir les harengs qu’il a dans le bidon. Mais je lui ai seulement dit que je me fichais pas mal de savoir si c’était encore loin. Un marin qu’a déjà fait le trajet plusieurs fois, il devrait être capable de vous le dire, sinon il a pas à venir faire le malin et se moquer des gens honnêtes. Va pas croire, je lui ai dit que nous autres de la campagne, on est plus bêtes que vous qu’êtes tout le temps sur la mer. On comprend bien quand on se fiche de notre poire.

Le pasteur illuminé.

 Ma chère épouse redoute la langue que l’on parle en Amérique. La peur d’être sourd et muet parmi les habitants de ce pays étranger. Mais je te répète Inga-Lena, ce que je t’ai dit de nombreuses fois : Dès que nous parviendrons dans ce pays le Saint-Esprit se répandra sur nous et nous permettra de parler cette langue étrangère comme si nous étions nés sur la terre d’Amérique.
 Nous avons la promesse de notre Seigneur et nous avons la parole de la Bible que ce miracle interviendra, comme lors de la première Pentecôte.

Les préoccupations de la femme au service du Pasteur illuminé.

 On dit que le Sauveur allait toujours pieds nus, quand il prêchait parmi les hommes. Mais je suppose qu’en terre Sainte le sol est plus chaud qu’ailleurs, puisqu’il y pousse des figues de la vigne et toutes sortes de fruits. On peut comprendre que le Seigneur et ses apôtres n’est pas eu besoin de chaussettes de laine. Mon cher époux attrape toujours mal à la gorge, quand il a froid aux pieds, et il ne se soucie pas de son ventre comme il le devrait : celui-ci ne s’ouvre pas tous les jours, dit-il. Il est pourtant un bon conseil qui fit : Vide boyaux et garde tes pieds au chaud.

Le passé de la prostituée.

 Je me rappelle à peu près de tout depuis que j’ai été placée, après enchères publiques, à l’âge de quatre ans. J’avais perdu mes parents et l’enfant que j’étais devait être confié à quelqu’un qui acceptait de la nourrir et de la vêtir. J’ai été attribuée au couple d’Ålarum, car c’était lui qui demandait le moins pour mon entretien : huit rixdales par an. Le mari a ensuite regretté d’avoir consenti à me prendre pour si peu : je mangeais trop et j’usais trop de vêtements pour huit rixdales par an. Et mon père a adoptif ma fait payer ses regrets. À l’âge de quatorze ans, il a exigé de moi des compensations en nature. Et une gamine de quatorze ans qui était à la charge de la commune avait un moyen très simple de s’acquitter : il suffisait d’écarter les jambes et de se tenir tranquille.

L’inactivité sur le bateau.

 Pendant près des trois quarts de ces interminables journées en mer, la plupart d’entre eux restaient inactifs livrés à eux-mêmes sans rien pour occuper leurs mains. Et ces gens du labeur n’avaient jamais appris comment se comporter lorsqu’on n’a rien à faire.
 Ils étaient désemparés pendant ces heures d’oisiveté et se demandaient, en regardant la mer : qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Cette eau et ces vagues éternellement recommencées ne leur fournissaient aucune réponse. Il ne leur restait qu’à regarder l’horizon. C’est ainsi que s’écoulaient les jours, qui devenaient des semaines qui devenait alors tour des mois.
 Mais il trouvait le temps long et la vie à bord de la « Charlotta » monotone.

La mer et les paysans

 Ils venaient de la terre et allaient vers la terre. La mer n’était pour eux qu’un moyen de transport dont ils se servaient, une étendue d’eau qu’ils devaient traverser pour retrouver la terre. Ils ne l’empruntaient que pour aller d’un pays à un autre et ne comprenaient pas les marins qui n’allaient nulle part, étaient toujours à bord de ce bateau et ne faisaient que sillonner cette mer. Les paysans partaient dans un but précis, les marins allaient et venaient sans but.


Édition Robert Laffont, 405 pages, mai 2024

Encore une déception, et pourtant j’avais tant aime « L’été des quatre Rois » et « L’air était tout en feu » , j’ai commencé ce roman avec tant d’attente, et j’étais certaine d’éprouver un plaisir comparable aux deux autres lectures. Seulement voilà, le talent de cet auteur n’y est sans doute pour pas grand chose, cette histoire ne m’intéresse pas beaucoup. J’ai eu l’impression de fouiller dans les poubelles de l’histoire. Et même les traits d’esprit dont Camille Pascal est passé maître m’ont lassée.
Pour une fois, je peux sans craindre la levée de bouclier des anti-divulgâcheuses raconter toute l’histoire car elle est connue de tout le monde. Une intrigante « la comtesse de la Motte Valois, pas plus comtesse, que n’importe quelle jolie femme de Paris vivant de ses charmes, décide de faire reconnaître son lignage « Valois » et pour cela tape à toutes les portes qui veulent bien s’ouvrir. Par chance, elle tombe sur une benêt de service : le cardinal de Rohan. Elle devient sa maîtresse et lui soutire de l’argent et même une petite rente. C’est une femme d’intrigues, menteuse et fort intelligente. Comprenant que le cardinal souffre de sa disgrâce auprès de Marie-Antoinette, elle lui fait croire qu’elle peut l’aider à communiquer avec la Reine. Pour cela, elle utilise les services d’un faussaire qui écrit de fausses lettres signée Marie-Antoinette au Cardinal. Mais celui-ci s’impatiente et veut concrétiser ses investissements financiers, car il donne beaucoup d’argent à la comtesse, soi-disant pour les œuvres de la Reine afin d’aider les familles nobles désargentées. Finalement, la comtesse organise un faux rendez-vous le soir, tard, dans le jardin du labyrinthe proche du Trianon (d’où le titre), avec une jeune prostituée qui ressemble un peu à Marie-Antoinette.

Le duc est fou de joie et complètement à la merci de l’intrigante, mais notre comtesse a toujours besoin de plus d’argent, par hasard elle apprend que des joaillers parisiens ont sur les bras un collier valant une fortune et dont la Reine n’a jamais voulu, la machination est en place le duc se porte garant de cet achat pour la Reine , et les joaillers sont ravis. Ils déchantent assez vite car ils ne sont pas payés , en revanche le comte et la comtesse de la Motte deviennent très riches.

Commence alors l’intrigue de cour, le conseiller de la Reine le duc de Breteuil veut absolument que le Cardinal de Rohan soit jugé et coupable de vol, et au lieu de s’en prendre à la véritable coupable, avec la Reine qui déteste ce cardinal, ils font tout pour que la faute soit la responsabilité du Cardinal. Finalement, il sera acquitté et la fausse comtesse condamnée.

J’ai été intéressée, au début surtout, par cette course à l’argent de gens qui veulent appartenir au monde des nantis. Cette course sans fin aux dépenses somptuaires qui en entraînent d’autres, car il faut toujours tenir son rang est très bien décrite. On sent que cette femme ne peut que perdre, mais on ne peut, aussi, qu’admirer son talent. La description de l’état de la cour du Roi Louis XVI, permet de se rendre compte à quel point on s’ennuyait à Versailles, ce palais trop grand pour le manque d’ambition de ce roi. La vie vient de la cour de Marie-Antoinette, qui loin du décorum du grand château s’amuse et les courtisans autour d’elle aussi. Le jeu de pouvoir entre le mari et son épouse donne pour l’instant la femme gagnante, mais la façon dont elle s’acharne contre un des grands du Royaume, retourne une partie de la noblesse contre elle, le procès donne lieu à un déferlement de libelles et à l’époque le peuple pense qu’elle a vraiment commandé ce fameux collier, il faudra du temps pour se rendre compte que de cette dépense – au moment où les caisses de royaume sont vides -, on ne peut pas la rendre responsable. Quelques années plus tard , tout le peuple de Paris détestera cette femme qui aura bien du mal à comprendre ce déferlement de haine. J’ai souvent lu que cette affaire du collier a été le début du désamour des Français pour la Reine (autrichienne de surcroît) .

Un roman certainement proche de la vérité historique, qui se lit très bien, mais dans un monde qui ne m’intéresse pas beaucoup, et la distance avec la quelle je l’ai lu, a fait que j’ai été moins sensible aux procédés de style de l’auteur qui petit à petit m’ont lassée.

Extraits

Début .

 « Jeudi 30 mais 1782
Paris, rue de la Verrerie, à l’enseigne de la Ville de Reims, puis à hôtel de Rohan-Strasbourg, rue Vieille-du-Temple au Marais.
 Une jeune trotteuse comme il s’en voit beaucoup rejoindre les boulevards aux beaux jours essayait, tant bien que mal, de tenir le haut du pavé de la rue étroite dans l’espoir d’épargner la soie bleue de ses petits souliers, pourtant déjà bien délavée par de multiples dégraissages. C’est là, dans un garni modeste à l’enseigne de La Ville de Reims, que Jeanne de La Motte et son mari logeaient leur gêne depuis qu’ils avaient quitté Bar-sur-Aube dans l’espoir de trouver à Paris le rang et la fortune dispersés depuis longtemps par les vents de l’Histoire, mais auxquels ils pensaient toujours avoir droit.

Le style et le vocabulaire j’ai appris ce mot « paraphernaux » .

 Une semaine plus tard, la jeune femme arriva à la tombée du jour dans un trait beau cabriolet de louage, monta directement à l’étage par le grand escalier d’honneur. Le cardinal, en grand seigneur méchant homme, exigea tout et elle ne lui refusa rien. À la nuit, elle repartit avec une aumônière brodée aux armes des Rohan pleines de deux cents Louis d’or, ainsi que la caution de son amant pour la petite dette de cinq mille livres, contractée deux ans plus tôt, qu’il s’engageait à régler l’année suivante dans le cas où elle ne serait pas encore rentrée en possession de ses biens paraphernaux

Mot d’esprit, humour .

 À la suite de quoi elle marqua une petite pause, de façon à bien fixer son interlocutrice et à juger de l’effet que cette phrase prononcée avec la douceur de l’évidence provoquait sur cette malheureuse fille dont la bêtise lui avait sauté aux yeux dès qu’elle avait franchi le pas de sa porte. Ce détail avait échappé à son mari, qui cherchait chez ce genre de femme une autre agilité que celle de l’esprit, mais il était de la plus grande importance à ses yeux car il faciliterait grandement leur plan.

La course à l’argent du temps des rois .

 Il connaissait les difficultés financières de cette maison où l’on vivait grand train sans véritable revenus, et où il était plus courant de porter les meubles au Mont-de-Piété que chez le tapissier.

Le salon de la réussite ou presque .

 Salon de la rue Neuve-Saint- Gille non-seulement ne désemplissait plus, mais il avait il avait bien changé de physionomie. Un mobilier complet garnie de tapisseries de Beauvais aux fables de La Fontaine, posé sur un grand tapis d’Aubusson, permettait de recevoir aisément une quinzaine de convives, la pendule au cadran ébréché avait rejoint la chambre de Rosalie, qui s’en montrait satisfaite, pour être remplacée par une autre, au mécanisme complexe, orné d’une figure de la sensibilité en marbre blanc. Elle était encadrée de de jolies vases de Sèvres flambant neufs, dont Jeanne laissait entendre, en baissant la voix, qu’ils étaient un présent de l’auguste souveraine.
 Le soir venu le fidèle Deschamps, promu au titre ronflant de premier valet de chambre du comte et de la comtesse de La Motte, allumait lui-même les girandoles d’or moulu supportées par d’orgueilleuses figures de bronze aux ailes déployées. Les invités arrivaient ensuite les uns après les autres ou par joyeux petit groupe et l’on accueillait sans trop de cérémonie – superflue entre gens du meilleur monde – le marquis de Saisseval ayant table de jeu ouverte dans tous les tripots du Palais-Royal, l’abbé de Cabre, conseiller au parlement de Paris, le comte d’Estain ou encore le receveur général d’Orcy.

Et le collier arrive .

 Son beau-père connaissait bien vos Boehmer et Bassenge, joaillier de la Couronne pour avoir aidé à quelques négociations délicates entre eux et le comte de Provence au sujet de l’écrin de la princesse, sa femme. Or il savait, pour en avoir souvent discuté avec les deux associés, qu’ils avaient en leur possession une parure de diamants unique au monde dont l’assemblage puis le précieux montage leur avait demandé plus de dix ans, mobilisant des capitaux immenses. D’abord destinée à la comtesse Du Barry, cette parure cherchait un acquéreur depuis la mort du feu roi, car Louis XVI avait bien pensé l’offrir à Marie-Antoinette à l’occasion de ses premières relevailles, mais elle l’avait repoussé par un caprice que personne ne parvenait encore à s’expliquer. À ce petit récit qui n’était pas uniquement de diversion après son faux pas de salon, l’avocat ajouta simplement :
 » Vous qui êtes en si grande faveur auprès de sa Majesté, peut-être pourriez-vous faciliter à ces pauvres bijoutiers la vente de leur collier avant qu’ils ne se le passent autour du cou pour se pendre avec. »

Une apparence de vérité dans cette scène .

 Si les conditions ainsi mises par écrit paraissaient plus favorables que celle évoquées par le cardinal quelques jours plus tôt, le contrat devait être impérativement signé par la reine en personne. On ne lâchait pas ainsi une pluie de diamants dans la nature sans une garantie solide. Rohan, qui ne s’attendait pas à une telle résistance en fut tout décontenancé. Il n’avait aucune habitude de la chicane, Dieu et sa naissance l’appelaient à diriger les âmes et à gouverner les hommes, pas à discutailler avec les marchands – il disposait pour cela d’intendants, de commis et d’un vicaire général. Pris au dépourvu car il n’avait pas prévu que la discussion irait plus loin, le cardinal cherchait des arguments et n’en trouvait aucun. Il offrait en garantie l’un des noms les plus illustres de France, une fortune certes ébranlée par les imprudences de son neveu Guémené mais immense et il couvrait leur accord de la pourpre cardinalice. Que voulait-on de plus ?

Style qui a fini par me lasser .

 Ce soudain tutoiement d’alcôve joint à la transparence d’un déshabillé et à ces regards mi-clos commença à faire vaciller le colosse de bordel au cœur d’argile. Jeanne, usant de séduction ne manqua pas d’ajouter l’intérêt à la concupiscence, en lui promettant de faire établir à son nom un contrat de six mille livres de rente viagère, puis après avoir déposé le petit encrier portatif posé sur la table à en-cas, elle intima :
« Prends cette plume et écrit au bas de ce marché le nom de la reine. »
Villette s’en empara sans discuter davantage et inscrivit la mention « Approuvée » là où le doigt de Jeanne le lui indiquait, puis avec toute l’application dont il était encore capable, il parapha l’ensemble d’un large « Marie-Antoinette de France … » Soulagé, le beau calligraphe se tourna vers Jeanne dans l’espoir d’obtenir sa récompense, car Priape palpitait à nouveau et réclamait maintenant son sacrifice. Cette fois-ci, le pont tomba, le verrou fut tiré et Jeanne renversée.

 


Édition JC Lattès Collection Le Masque, Avril 2022, 524 pages.

Traduit de l’allemand par Georges Sturm

 

Un roman polar sur Luocine et 5 coquillages, je ne l’imaginais pas possible. Mais ce roman, que j’avais trouvé chez Eva, lors du mois des feuilles allemande 2023, est vraiment remarquable et aussi désespéré, j’ai été passionnée par l’arrière plan historique. Dans un Berlin bombardé tous les jours par les avions alliés à quelques jours de l’arrivée des troupes de l’armée rouge, deux hommes vont suivre sans le savoir le même ennemi. Le premier Rupert Haas est un ancien commerçant de Berlin, qui a été dénoncé et condamné, il arrive à s’évader de Buchenwald et veut absolument se venger de ceux qui l’ont dénoncé. On suit aussi un officier SS Hans Kalterer qui est convoqué par son supérieur qui lui demande d’enquêter sur des meurtres, les victimes sont toutes d’ancien habitants dé l’immeuble ou habitait Rupert Haas. Je vous laisse découvrir l’enquête qui est remarquablement construite. Mais ce qui est passionnant ce sont tous les strates de la société berlinoise en décomposition. Il y a bien sûr les jeune fanatisés qui jusqu’au bout vont claquer des talons et crier « Heil Hitler », ce sont eux aussi qui jusqu’au dernier moment vont traquer les pauvres vieux soldats qui avaient réussi à se cacher, et les fusiller sans procès. Mais il y a aussi les gens qui commencent à douter et pas qu’un peu des choix de leur Führer, et les langues se délient même si la gestapo rôde toujours. Enfin, il y a les cadres du régime qui ont bien réussi à cacher leurs différentes turpitudes et qui savent tourner leur veste et se mettre à l’abri. Un des ressort de l’enquête est une énorme histoire de corruption. Quel malheur pour le peuple allemand, juste bon à croire les pires slogans des nazis, et qui est devenu de la chair à canon, pendant que les dirigeants se mettent à l’abri et savent faire de l’argent de façon les plus malhonnêtes, le peuple meurt sous les bombes et personne ne va les pleurer car s’ils sont tous hantés par les crimes de leur pays, ils y ont participé comme Hans Kalterner, ou laissé faire comme Rupert Haas qui a n’a pas été le dernier à humilier les juifs propriétaires de l’immeuble. Il n’ y a qu’un seul personnage positif : une femme qui aura le courage de cacher des juifs et aussi l’évadé de Buchenwald. Mais ce qui est certain, c’est que le peuple sous les bombes comprend qu’il s’est fait avoir, mais il en faudra des tonnes de bombes et des milliers de morts pour leur ouvrir les yeux .

J’aurais aimé que la fin soit différente, mais cela ne respecterait pas la vérité historique, peu de dirigeants nazis paieront pour les crimes qu’ils ont commis dans la réalité pas plus que dans ce roman.

 

Extraits

Début .

 Les kapos s’étaient éloignés. Il entendait leurs rires, les voyait fumer au bord de la carrière. Ils jetèrent un coup d’œil au fond, firent des remarques méprisantes, reprirent enfin leur ronde. Plus personne ne lui prêtait attention. Épuisé, il s’adossa au wagonnet. 

Une armée de la défaite .

Ils avaient sans doute besoin de tout le monde pour l’ultime bataille. Peut-être allait-il devoir montrer à des Jeunesses hitlériennes comment on éventre un tank T34 russe avec un poignard de boy-scout. Ou peut-être avait-on besoin de ses talents pour entraîner à des combats singuliers acharnés des vétérans de la Première Guerre Mondiale, pour qu’ils forment ensuite dans leurs sous-marins individuels au fond du Rhin, de la Vistule, de l’Oder et de la Neisse, ce grand verrou inébranlable c’est un miracle censée stopper la progression des Alliés. Il soupira.

Citation de Goering est- elle exacte ?

« C’est ici que nous allons modeler l’homme nouveau même s’il nous faut commencer par lui briser tous les os., »

Description d’un bombardement.

 La cave toute entière vibrait comme lors d’un tremblement de terre, les murs vacillaient, se transmettaient les secousses. Un voile grisâtre de chaux et de ciment tomba en pluie du plafond, les recouvrit d’une épaisse couche de poussière, lui et les autres, tous accroupis dans un même désespoir. Le souffle de violentes déflagrations s’engouffrait dans les caves, levant des tourbillons de saleté et de poussière. Il se couvrit la bouche d’un mouchoir, eut de plus en plus de mal à respirer et n’arrêta plus de tousser.
Il lui sembla soudain qu’un coup à lui crever les tympans tonnait directement au-dessus de l’immeuble. Du verre explosa en éclats minuscules, une poussière de charbon microscopique surgit des fentes et les interstices des portes des caves et lui balaya douloureusement la peau du visage et des mains. Des tuyaux de plomb et des conduites d’eau se détachèrent brusquement de leur fixation et de l’eau gicle de partout. Les petites trappe d’accès en terre cuite destinées au ramonage est situées au pied des cheminées furent arrachées et projetées au loin par l’immense souffle qui s’engouffrait dans les conduits depuis les toits. Elles éclatèrent en mille morceaux contre les murs, suivies d’épais nuages de suie qui jaillissaient des ouvertures comme de la bouche de gigantesques tuyères. 


Édition Michel Lafon, 424 pages, août 2024

Olivier Norek a su me faire apprécier des romans policiers , ce qui est une forme d’exploit étant donné mon peu de goût pour le genre, et sans en avoir retenu toutes les nuances de l’intrigue je me souviens bien de « Code 93, Territoire et Surtension » , cette fois il m’a embarquée dans cette guerre avec un réalisme et un soucis du détail qui a rendu cette lecture très difficile et angoissante.

La Finlande était un était indépendant depuis 1918, mais l’URSS vivait très mal l’indépendance de ce petit pays et en 1939, déclenche la guerre et pense écraser la Finlande en quelques jours . Cela rappelle étrangement l’invasion de l’Ukraine aujourd’hui – « L’opération militaire spéciale »-. Cette guerre durera plusieurs mois appelée « la guerre de l’hiver » et se soldera par un traité avec l’Union Soviétique qui prendra une partie du territoire russe et dans cette guerre l’armée rouge a perdu près de quatre cent mille hommes, les Finlandais soixante dix mille, mais jamais l’armée rouge ne réussira à enfoncer les lignes de résistance de la petite armée finlandaise.

L’auteur dit qu’il avait entendu parler d’un héros finlandais Simo un tireur d’élite autour duquel une légende s’est tissée dans les rangs de l’armée russe , on l’appelait « Bellaya Smert » c’est à dire « La mort blanche ». Nous allons donc suivre son parcours et c’est peu dire qu’il mérite l’admiration. Mais c’est un homme modeste qui sait que l’ensemble des soldats finlandais, vivants ou morts sont à admirer, c’est grâce à eux que le pays a résisté, grâce à eux, et à la stupidité de l’armée soviétique. Comme la guerre ne devait durer que quelques jours, Staline a envoyé à la mort des divisions peu préparées vêtues en tenue d’été, et avec quelques jours de nourriture. Et comme le grand Staline avait envoyé au goulag ou à la mort tous les cadres de son armée, il les a remplacés par des commissaires politiques qui étaient prêts à fusiller sur place tous les hommes qui hésitaient à aller à la mort.

Grâce à ce récit, l’image de la Finlande apparaît, des gens fiers de leur mode de vie, et aussi un pays si difficile à vivre avec un climat qui ne pardonne aucune négligence.

Le style de cet écrivain est efficace et va toujours à l’essentiel, certains récits prennent vraiment aux tripes, ces pauvres soldats envoyées à la mort sur des lacs gelés et qui tombent dans une eau qui les tue immédiatement, m’ont bouleversée.

On le sait les Finlandais ne sont pas au bout de leur peine, l’Allemagne Nazie viendra les envahir puis après 1945 les soviétiques reviendront à la charge. On peut comprendre qu’aujourd’hui la Finlande se méfie de son grand voisin.

L’attitude des gouvernement français et anglais n’est vraiment pas à leur honneur. La façon dont l’armée rouge a été tenue en échec en Finlande a permis à l’Allemagne nazie d’imaginer qu’elle pouvait facilement envahir la Russie, ce qu’elle fera des 1941.

Un roman historique très important à lire en ce moment où Poutine essaie de rejouer la grandeur de la Russie sur le dos de l’Ukraine.

 

Extraits

Début prologue 1

La lumière pleut sur ses yeux fermés, sur son corps allongé au cœur arrêté.

Début prologue 2

Longtemps, la Finlande appartient à personne.
Pendant des siècles, elle fut une partie du royaume de Suède. Et pour un siècle encore, elle passa sous la souveraineté de la Russie. Elle dut attendre 1917 pour gagner son indépendance.

Début du roman

« Un peu avant l’enfer
dans une forêt de Rautjärvi,
village de Finlande.
Aux herbes écrasées, aux branches cassées, aux empreintes enfoncées dans la terre et dont la partition racontait aussi bien qu’un fléchage le chemin de ceux qui les avaient laissées, sans un bruit, Simo lisait la forêt.

Vision lucide

– Vous insinuez que la Russie s’est tirée dessus ?

– Ce qu’elle ne reconnaîtra jamais. Aucun pays ne souffrirait d’être vu comme à l’initiative d’une guerre surtout s’il attaque un État indépendant, neutre et relativement inoffensif comme le nôtre. Et Staline à beau avoir en horreur l’Occident, il en redoute l’opinion.

Le personnage de Simo

 On chanta malgré tout, on s’enivra jusqu’à l’oubli, mais pour Simo, Noël passa comme une journée ordinaire.
 Il partit seul, le lendemain à l’aube, fit de même les deux jours suivants et tua cinquante et un Russe de plus, au fusil, de loin, ou à la mitraillette les yeux dans les yeux.

L’armée rouge pas si russe que cela.

Ukrainiens, Roumains, Géorgiens Mongols, Turcs, Azéris, Kazakhstan, Tadjikistan, Uzbeks, Biélorusses, Arméniens…Aucun n’avait souhaité partir en guerre. Et forcer un homme revient à fabriquer un insoumis.

L’envoyé de la Stavka

 Directement envoyer par la Stavka par le train de ravitaillement, arriva le camarade commissaire Fiodor Komarov, nouvel officier politique qui avait, comme lettre de recommandation et gage de compétence, le fait d’avoir supervisé l’organisation des goulags et du quasi millions de travailleurs forcés qui y étaient détenus.

Dialogue entre le commissaire politique et le commandant militaire.

 Et qu’as-tu commandé au ravitaillement ?
– Des armes et des munitions, comme chacune des deux cent quarante autres unités, j’imagine. 
– Nous en avons déjà pour plusieurs guerres, objecta le militaire. As-tu au moins demandé des vêtements chauds et de la nourriture ?
– Que crois-tu ? Que j’allais me plaindre ? Dire au Kremlin que nous avons froid et faim ? Souligner discrètement que nous sommes arrivés mal préparés ? Non merci. Par contre, j’ai demandé des portraits de Staline. Chaque unité doit en arborer un par espèce pour notre Chef suprême, et il nous en manque.
– Une telle requête aura bel effet dans ton dossier. Mais sur le terrain…
– Je crains davantage Celui pour qui l’on se bat , que ceux contre qui on se bat. Et tu devrais aussi .

Le tireur d’élite.

Profitant de la déroute, Simo alignait ses cibles et touchait au torse. Infailliblement. Il avait, quelques jours plus tôt, manqué un tir à la tête et avait laissé au soldat survivant le temps d’abattre trois hommes avant d’enfin pouvoir le descendre. Depuis cet instant, Simo avait abandonné la tête pour préférer viser le torse, qui offrait davantage de surface, remplaçant le panache, s’il y en avait seulement, par l’efficacité. Parfois le coup n’était pas immédiatement mortel mais dans cet hiver artique au froid impitoyable, au sein d’une armée russe qui préférait réquisitionner de nouveaux soldats plutôt que de soigner ses blessés, une simple cheville brisée attirait déjà la curiosité de la Camarde.

Le froid.

 Par moins cinquante et un degrés, une température qui n’a jamais été encore atteinte dans l’histoire du pays, il suffisait simplement d’arrêter de marcher au de s’écarter un instant du feu pour geler en quelques secondes. Les Lottas passaient d’une tente à l’autre pour distribuer du papier journal dont les soldats s’entouraient les jambes et le torse avant de passer leurs combinaisons. Combattre le froid, et en souffrir remplissaient une bonne partie de leurs pensées. Ils se blottissaient les uns contre les autres, reléguant l’odeur insupportable, la saleté, les infestations de punaise de lits, les poux et les démangeaisons qui rongeaient la peau jusqu’au sang, au rang de désagréments légers. Par ce temps arctique, même les unités les plus valeureuses ne s’autorisaient qu’une seule heure de patrouille avant de rentrer avant d’éviter les nécroses, et si Simo bravait depuis l’enfance les rigueurs hivernales, en ces tout premiers jours de l’année 1940, deux heures en extérieur étaient sa grande, très grande limite .

La France de 1940 rappelle celle d’aujourd’hui ;

 – Stockholm et Berlin nous demandent d’accepter les closes de Staline. Paris et Londres nous demandent d’attendre et nous promettent l’envoi de soldats .
– Je sais bien, Anselme. Dalladier en assure quarante mille et Chamberlain près de cent mille. Mais ils arrivent quand ces hommes ? Pour l’instant, la seule chose que fait la France c’est de me mettre en une de ces journaux. Des promesses des promesses … Je ne vais pas charger mes canons de promesses ! Les minutes passées à attendre leurs soldats ne sont pas faites de secondes, mais de nos morts.

La gloire de la France

 En 1946 alors que la France de l’après-guerre devait se reconstruire, elle demanda sans la moindre gêne à la Finlande le remboursement de quatre cent mille francs pour le matériel envoyé, fusil, canon et mitrailleuses, dont la plupart n’étaient arrivés que bien après la fin de la guerre.

 


Édition livre de poche, 469 pages, avril 2022

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Damour

 

En lisant ce livre, j’ai pensé à la révélation que fut pour moi « Racine » de Alex Haley. Je n’avais avant cette lecture de ma jeunesse que l’image de tortures infligées aux esclaves, mais s’ils avaient de bons maîtres la vie était supportable. Bref , ce qu’une petite fille qui a lu « la case de l’Oncle Tom » peut avoir dans la tête. « Racine » a eu pour effet de relier l’esclavage à l’Afrique et faire comprendre l’aspect absolument insupportable de la privation de liberté pour tous ceux qui vivaient ce statut. Le remarquable travail de Yaa Gyasi a rajouté plusieurs éléments, d’abord elle décrit très bien ce qui s’est passé en Afrique, au Ghana fin XVIII° jusqu’à la fin de la traite négrière. L’esclavage était, il est vrai, une coutume tribale, les vainqueurs ramassaient les vaincus et ceux ci étaient réduits en esclavage mais ils vivaient relativement»bien ce statut qui pouvait s’inverser. Quand les Portugais, les Hollandais, les Français et surtout les Anglais ont voulu acheter ces hommes et femmes, les habitants de ces pays y ont vu un commerce lucratif. Ils n’ont jamais eu l’idée de ce qui attendait ces pauvres gens quand ils les livraient ainsi aux Blancs. Yaa Gyasi ne les excuse pas pour autant, sans la collaboration des populations locales, jamais la traite négrière n’aurait pu s’installer de façon aussi massive et efficace. Le traitement des esclaves en Amérique est présenté dans toute son horreur mais l’aspect nouveau dont je n’avais pas encore entendu parler, c’est après l’abolition de l’esclavage, la façon dont les autorités pouvaient arrêter des Noirs dans la rue pour des prétextes incroyables : « il a regardé une femme blanche », » il n’est pas descendu de trottoir pour laisser passer un Banc », et même aucun prétexte, et les condamner au travaux forcés dans les mines. Enfin, elle décrit toutes les inégalités qui perdurent jusqu’à aujourd’hui, le dernier personnage Marcus, qui fait de brillantes études, remarque que les Noirs font de la prison pour possession de haschisch, alors qu’il voit ses amis (blancs) étudiants de toutes les grandes Universités fumer la même substance, très librement, à toutes les soirées !

La construction du roman suit une famille originaire du Ghana – anciennement Côte de l’or- à travers quatre siècles. Une partie de la famille restera au Ghana et cela nous permet de vivre de l’intérieur les conflits entre les Ashantis et les Fantis, le poids des malédictions et des coutumes. C’est certainement compliqué de vivre dans ce pays mais rien n’équivaut à l’horreur de toutes les discriminations que connaîtront la branche familiale qui est partie comme esclave sur un bateau négrier. C’est un récit foisonnant, chaque chapitre est consacré à un descendant de Maame, L’une Effia épousera un négrier anglais, et sa descendance sera marquée par le poids de cette tragédie, Esi demi sœur d’Ffiaa partira comme esclave et nous permet de connaître à travers sa descendance le sort des Noirs aux USA. Le roman se termine par la rencontre de Marjorie ghanéenne et Marcus américain, ils visitent ensemble le lieu d’où partaient les esclaves : le fort de Cap Coast , et réunissent donc les deux branches de leur famille respective .

C’est une lecture indispensable, (évidemment je ne donne là que mon avis) car il permet de ne rien oublier de cette tragédie qu’a été l’esclavage et de comprendre aussi la méfiance légitime des Africains vis à vis des Européens encore aujourd’hui. J’ai une réserve cependant le découpage du roman, de personnage en personnage, donne parfois une impression de répétitions qui ne m’a pas gênée plus que ça, mais qui rend la lecture moins fluide.

 

Extraits

Début.

 La nuit ou naquit Effia dans la chaleur moite du pays fanti, un feu embrasa la forêt jouxtant la concession de son père. Il progressa rapidement, creusant son chemin pendant des jours. Il se nourrissait d’air ; il dormait dans les grottes et se cachait dans les arbres ; il brûla, se propagea, insensible à la désolation qu’il laissait derrière lui, jusqu’à ce qu’il atteigne un village ashanti. Là, il disparut. se fondant dans la nuit.

Du côté des futures esclaves.

 L’enfant avait été conçu avant le mariage d’Afua. Pour la punir, le chef du village l’avait vendue aux marchands, Afua l’avait raconté à Ezy à son arrivée dans le cachot, quand elle croyait encore qu’il y avait eu une erreur, que ses parents allaient revenir la chercher.
En entendant Tansi parler ainsi, Afua recommença à pleurer, mais personne ne sembla y prêter attention. Ces larmes étaient une sorte de routine. Elles étaient versées par toutes les femmes. Elles tombaient jusqu’à ce que le sol se transforme en boue. La nuit, Esi rêvait que si elles pleuraient toutes à l’unisson la boue se transformerait en une rivière qui les emporterait vers la mer.

Le sourire de l’homme blanc.

 Avant qu’Esi ne parte, l’homme qui s’appelait « Gouverneur » lui sourit. C’était un sourire bon, plein de compassion, sincère. Mais pendant le reste de sa vie, dès qu’elle verrait un sourire sur un visage blanc, Esi se rappellerait celui du soldat avant qu’il ne l’emmène dans ses quartiers, et elle se souviendrait que lorsque les hommes blancs souriaient, cela signifiait seulement que d’autres malheurs étaient à venir.

Parabole sur les affaires pour l’achat d’esclaves.

 – Ce que tu ne veux pas entendre, Quey, c’est le troisième oiseau la femelle. Elle reste silencieuse, écoute les mâles qui chantent plus fort, encore et toujours. Quand ils ont chanté a perdre la voix, alors, et alors seulement elle prend la parole. Alors, et alors seulement elle choisit celui dont elle a préféré le chant Pour le moment elle attend, les laisse se disputer : qui sera le meilleur partenaire, qui lui donnera la meilleure semence, qui se battra pour elle dans les moments difficiles.
« Quey, ce village mène ses affaires comme cet oiseau femelle. Vous voulez payer plus pour les esclaves, payez plus, mais sachez que les Hollandais paieront plus également et aussi les Portugais,et même les pirates. Et pendant que vous tous proclamez que vous êtes meilleurs que les autres, je reste tranquillement dans ma concession à manger mon « fufu » et à attendre que les prix atteignent le niveau j’estime juste. Maintenant, ne parlons plus affaires. »

La vie en Afrique du temps de l’esclavage .

 C’est ainsi qu’on vivait ici dans le bush : manger ou être mangé. Capturer ou être capturé. Se marier pour être protégé. Quey nierait jamais dans le village de Cudjo. Il ne serait pas faible. Il faisait le commerce des esclaves, et cela imposait des sacrifices.

Le bateau négrier.

 La mère de Ness, Esi, était une femme robuste et grave qui ne parlait jamais de choses heureuses. Même les histoires qu’elle racontait à Ness pour l’endormir parlaient du « Grand Bateau ». Ness s’endormait avec des images d’hommes jetés dans l’Atlantique comme des ancres qui n’étaient reliées à rien : ni patrie, ni peuple, ni valeur. Dans le Grand Bateau, disait Esi, ils étaient entassés dix l’un sur l’autre, et quand quelqu’un mourait au-dessus de vous, son poids pesait sur la pile comme un cuisinier pressant de l’ail .

Harlem et la drogue.

 « Les hommes blancs ont le choix. Ils peuvent choisir leur travail, choisir leur maison. Ils font des bébés noirs puis ils s’évaporent comme s’ils n’avaient jamais été là, comme si toutes ces femmes noires avec lesquelles ils avaient couché ou qu’ils avaient violées, elles étaient tombées enceintes toutes seules. Les hommes blancs peuvent aussi décider pour les Noirs. Ils les vendaient autrefois maintenant ils les envoient juste en prison, comme ils ont fait avec mon papa, et les privent de leurs enfants. Tout cela me brise le cœur mon fils le petit fils de mon papa, de te voir ici avec ces p’tis gosses qui se baladent dans Harlem et connaissent à peine ton nom encore moins ton visage. Tout ce que je peux dire c’est que c’est pas comme ça devrait être. Il y a des choses que tu n’as pas apprises de moi des choses que tu tiens de ton père même si tu l’as pas connu, les choses qu’il avait apprises chez les Blancs. Ça me rend triste de voir que mon fils est un drogué après tout ce que j’ai manifesté et ce qui me rend encore plus triste c’est de voir que tu penses que tu peux t’en aller comme ton papa. Continue à vivre comme ça et l’homme blanc n’aura plus besoin de faire quoi que ce soit. Il n’aura pas besoin de te vendre ou te mettre dans une mine de charbon pour te posséder. Il te possède juste comme ça et il verra que c’est toi qui l’as fait. Il dira que c’est ta faute. »