Édition Gallimard NRF – Traduit de l’italien par Danièle Valin

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

« Le voilà donc, se dit Ilaria le familialisme amoral. » Et la famille était la sienne. Son père, l’illettré éthique. Dysfonctionnement, privilège et favoritisme vus comme des moteurs évidents de la société.

J’ai déjà lu et apprécié les deux premiers romans de cette écrivaine italienne que Dominique m’avait amenée à lire . Eva dort (mon préféré) et Plus haut que la mer . Je me souviens bien de ces deux romans ce qui est un gage de qualité pour moi. Comme dans ses précédents romans Francesca Melandri, mêle l’histoire de l’Italie à une histoire d’une famille fictive pour nous la rendre plus humaine. Le reproche que je fais à ce dernier roman, c’est qu’elle a voulu cette fois couvrir une très large période de l’histoire italienne et que son roman est donc très dense voire un peu touffu.

La famille d’Iliaria Profeti est compliqué car son père, Attilio Profetti a eu deux épouses , trois enfants d’un premier mariage et un fils avec sa maîtresse qu’il a fini par épouser. De son passé, éthiopien, sa fille Iliaria n’aurait rien su si un jeune éthiopien du nom de son père n’était venu un jour frapper à sa porte lui apprenant de cette façon que son père était le grand père d’un jeune immigré en situation irrégulière. Ce sera un autre aspect du roman le parcours semé de souffrances à peine inimaginables, d’un jeune éthiopien, qui sans le recours à un ressort romanesque aurait été renvoyé en Ethiopie et à une mort certaine. L’inventaire de tous les thèmes abordés vous donnerait sans doute une impression de « trop », mais l’auteur s’en sort bien même si, parfois, j’ai eu besoin de faire des pauses dans ma lecture.

  • L’interdiction du divorce en Italie et les doubles vies que cela entrainait.
  • L’engagement dans le mouvement fasciste d’un jeune diplômé.
  • Le parcours d’un prisonnier italien aux USA pendant la guerre 39/45
  • L’injustice d’une mère qui dévalorise un enfant au profit d’un autre.
  • Le parcours des immigrés arrivés clandestinement en Italie.
  • Les théories racistes reprises par le mouvement fascistes.
  • La corruption en politique.
  • La construction à Rome.
  • Les marchands de sommeil.
  • Les malversations de Berlusconi.
  • Et le plus important la guerre en Éthiopie menée par les fascistes Italiens avec son lot d’horreurs absolument insupportables.

Et peut-être que j’en oublie, mais on comprend sans doute mieux quand je dis que ce roman est touffu, car L’écrivaine veut aussi montrer que tout se tient . En particulier, que de ne pas avoir voulu regarder en face le passé fasciste entraîne de graves conséquences sur les choix politiques actuels en Italie. Elle a pour cela créé le personnage d’Attilio Profetti, un homme à qui tout sourit dans la vie. « Tous, sauf moi » c’est lui. Il sait se sortir de toutes les situations car il a de la chance. Sa première chance : avoir été l’enfant préféré de sa mère, Viola qui en sous main oeuvre pour la réussite de son fils adoré jusqu’à dénoncer anonymement un supérieur dont une grand-mère est juive ! Ensuite, il sait grâce un charisme indéniable aider les supérieurs militaires à gagner du terrain dans la guerre coloniale en se faisant aider par une partie de la population éthiopienne. Cela ne l’empêchera pas de participer aux actions les plus horribles de la conquête comme le gazage des derniers combattants avec le gaz moutarde et ensuite de les brûler au lance flamme. Il a su partir à temps du parti Fasciste et se refaire une dignité dans la politique d’après guerre. Et finalement, comme tous les politiciens de cette époque, il a vécu et bien vécu de la corruption.

Sa fille, Ilaria, se sent loin de tout cela sauf quand elle comprend que l’appartement qu’elle occupe, cadeau de son père, est certainement le fruit de la corruption.

Le personnage le plus intègre, c’est le frère aîné d’Attilio, Othello, qui a été prisonnier pendant la guerre . On voit alors un fait que je n’ignorais complètement. Les Américains ont demandé à partir de 1943 aux Italiens, de combattre pour eux. La situation était complexe puisque l’Italie était alors en partie occupée par les Allemands, donc l’autre partie s’est déclarée alliée des États Unis. Les prisonniers italiens qui ont accepté ont eu une vie très agréable et ont retrouvé leur liberté. Othello qui n’était pas fasciste n’a pas réussi à comprendre comment il pouvait après avoir combattu pendant deux ans les Américains et les Anglais devenir leur allié. Il paiera cette décision au prix fort, d’abord le camps de prisonniers devient très dur et ensuite en revenant il aura l’étiquette fasciste, ce qu’il n’avait jamais été, contrairement à son frère qui lui a réussi à faire oublier son passé. Et il ne pourra pas faire carrière comme ingénieur alors que lui avait eu tous ses diplômes (son frère non !)

Voilà un roman dans lequel vous apprendrez forcément quelque chose sur le passé italien. Quant à moi je n’oublierai jamais les pages sur la guerre en Éthiopie (même si je n’ai pas noté de passages sur cette guerre tout est trop horrible !).

 

Citations

Le frère d’Ilaria ,accompagnateur d’excursions pour voir des gros poissons sur son bateau à voile.

 Puis il y a ceux qui à la fin veulent une réduction parce que le rorqual est resté trop loin ou que les cabrioles des dauphins n’étaient pas assez spectaculaires, peut-être parce qu’ils n’ont pas danser des claquettes comme dans les dessins animés. Ce sont en général des pères qui passent toute excursion à accabler leur malheureuse famille de leurs connaissances sur les manœuvres de bateaux à voile, en gênant sans arrêt le travail d’Attilio. Il gagnerait sûrement de l’argent en écrivant un livre sur les expressions de la navigation à la voile dites au petit bonheur par ses passagers, en commençant par « borde la grand-voile ». Ils croient ainsi restaurer leur autorité sur leur progéniture adolescente qui, en réalité, nourrit déjà un sévère mais juste mépris pour eux.

Scène tellement plausible en Éthiopie actuelle.

 Un matin alors qu’il était avec elle, un policier s’approcha de lui et murmura à son oreille  » : « Rappelle-toi qu’elle elle s’en va, mais que toi tu restes. » Le jeune homme ne traduisait pas la phrase à la journaliste. Mais il lui demanda : « Laisse-moi partir avec toi. » Elle regretta beaucoup, mais non, malheureusement elle ne pouvait pas l’emmener au Danemark. Elle lui donna pourtant son adresse mail et lui dit une dernière fois «  »Amaseghenallõ » avec un sourire qui était l’orgueil de l’orthodontie occidentale. 

Visions de Rome.

 Piégés dans leur voiture les Romains se défoulaient en klaxonnant. Ailleurs, cette cacophonie aurait terrorisé et fait fuir au loin les étourneaux, mais ceux de Rome y étaient habitués. Massés en de frénétiques nuages noirs face aux magnifiques couleurs du ciel, ils bombardaient de guano les voitures bloquées. « Voilà ce qu’est devenue cette ville pensa rageusement Ilaria, une beauté démesurée d’où pleut de la merde. »
Celle qui avait été une des plus belles places de la nouvelle Rome capitale grouillait maintenant de rats gros comme des petits chiens, de dealers et de toute substance chimique et végétale, de putains dont à la différence de celles du bon vieux temps (« Bouche de la vérité », « Mains de fée », « La Cochonne »), personne ne connaissait le nom : elles restaient dans les recoins de stands mal fermés le temps d’une pipe, puis elle disparaissaient remplacées par d’autres encore plus droguées et meurtries.

Régime éthiopien .

 En Éthiopie les journalistes sont mis en prison quand ils ne sont pas assassinés, de même que quiconque protestent contre la corruption et les déportations dans les villages tribaux ; pourtant les occidentaux disent que l’Éthiopie est un rempart de la démocratie. Et pourquoi le disent-ils si ce n’est pas vrai ? Parce que l’Éthiopie leur est indispensable dans la guerre contre les terroristes.

Berlusconi et la pertinence sémantique du verbe voler …

 « Moi j’ai confiance en lui dit Anita quelqu’un d’aussi riche n’a pas besoin de voler. « 
Atilio ressentit une de ces nombreuses pointes d’irritation provoquées par sa femme qui ponctuant ses journées. Comme si en politique l’essentiel était de ne pas voler ! Et puis, que signifiait exactement cette expression présente dans toutes les bouches à la télé, dans les journaux, dans les dîners ? Lui, par exemple avait-il volé ? Non. Il avait pris mais seulement à ceux qui lui avaient donné. À ceux qui étaient d’accord. Comme d’ailleurs était d’accord Casati, l’homme dont il était le bras droit depuis des dizaines d’années. Et Anita aussi  : vivre dans cet immeuble liberty avec vue sur la Villa Borghèse ne lui déplaisait surement pas. Bref, ils étaient tous d’accord sur le peu de pertinence sémantique du verbe « voler ».

La visite de Kadhafi à Berlusconi .

 Il est accompagné de deux gardes du corps des femmes comme toujours. Elles ont des corps massifs moulés dans des treillis, des lèvres étrangement gonflées, un double menton. Elles cachent leur regard derrière des lunettes encore plus noires que leurs cheveux et identiques à celles de leur patron. Qui l’est dans tous les sens du terme, disent les gens bien informés. Dans les cercles diplomatiques, on raconte que les fameuses amazones du colonel font partie du vaste harem d’esclaves sexuelles qu’il choisit lui-même parmi les étudiantes libyennes, avec de sombres menaces contre les parents qui envisagent de s’y opposer, pour des pratiques telles que le « bunga bunga ».  » Drôle d’expression, pense Piero, jamais entendu en Italie. » Il l’a entendue à Tripoli en accompagnant Berllusconi lors de sa première visite il y a deux ans, celle du fameux baise-main. L’ambassadeur italien en Libye lui avait expliqué qu’il s’agissait d’une pratique de groupe incluant le sexe anal, de très loin le préféré de Kadhafi.

Rapport d’enquête au sénat italien (on pourrait le dire pour d’autres pays).

 La coopération italienne n’a pas été un instrument de grands développement pour les pays du tiers-monde, mais simplement une occasion de prédation, de gaspillages et de bénéfices pour les entreprises italiennes, protégées et garantie par l’État aux dépens du contribuable. L’ aide aux pays tiers était un résultat marginal, s’il tant est qu’il y en ait eu. Le secteur des grands travaux a été le secteur des vols.

L’Italie et son passé fasciste.

 Et tout ce qui, à tort ou à raison était associé au fascisme était considérés comme un corps étranger, une parenthèse, une déviation du vrai cours de l’histoire de la patrie celui qui reliait l’héroïsme du Risorgimento à celui de la Résistance. L’Italie était un ancien alcoolique qui, comme tout nouvel adepte de la sobriété, ne voulait pas être confondu avec le comportement qu’il avait eu lors de sa dernière et tragique cuite. Elle ne désirait que les petits progrès quotidiens du bien-être moderne qui germait comme les pissenlits de mars sur les décombres.

Le mépris de classe.

 « Récapitulons donc, lança Edoardo Casati pour finir, je vous offre un bon salaire et d’excellentes perspectives de carrière ; en revanche je ne vous offre pas ma gratitude et encore moins ma confiance. Celle-ci se donne entre pairs, et nous deux, nous ne le sommes pas. Vous êtes le fils d’un chef de gare, moi j’ai dans les veines le sang de sept papes. Vous comprenez bien que ni vous ni moi ne pourrons jamais l’oublier. » 

Les bordels en temps de guerre.

 Au bordel de Bagnacavello maintenant, il y avait beaucoup de femmes d’origine moins populaire : veuves de soldats au front, fille de parents exterminés tous les deux par un seul bombardement orphelines des ratissages nazis. La tenancière les avait toutes accueillies dans un esprit d’œcuménisme, sans distinction. Et on peut dire bien des choses horribles sur la guerre, mais pas qu’elle enlève du travail aux putains.

On peut imaginer ce genre de propos de quelqu’un qui lit « Physiologie de la haine » de Paolo Mantegazza.

« Vous êtes jeune et compétent. Mais vous avez encore beaucoup de choses à comprendre. Il y a des peuples qui ont l’esclavage dans le sang. D’autres comme le peuple italien ont la civilisation dans le sang. Et nul ne peut changer ce qui coule dans ses propres veines. »

Traduit du Néerlandais par Philippe Noble

 

Cette partie de petits chevaux ne sera jamais terminée puisque ce soir de janvier en 1945, à Haarlem en Hollande, la famille Steenwick entendra six coups de feu dans leur rue. La famille voit alors avec horreur que leurs voisins déplacent un cadavre au seuil de leur porte. C’est celui de Ploeg un milicien de la pire espèce qui vient d’être abattu par la résistance. Peter Steenwick un jeune adolescent sort de chez lui sans réfléchir et tout s’enchaîne très vite. Les Allemands réagissent avec la violence coutumière des Nazis, exacerbée par l’imminence de la défaite, ils embarquent tout le monde et incendient la maison. Anton âgé de 12 ans survivra à ce drame affreux . Après une nuit au poste de police dans une cellule qu’il partage avec une femme dont il ne voit pas le visage mais qui lui apportera un peu de douceur, il sera confié à son oncle et sa tante à Amsterdam et comprendra très vite que toute sa famille a été fusillée. C’est la première partie du roman, que Patrice et Goran m’ont donné envie de découvrir. Un grand merci car je ne suis pas prête d’oublier ce livre.

Anton devient médecin anesthésiste et en quatre épisodes très différents, il fera bien malgré lui la lumière sur ce qui s’est passé ce jour là. Il avait en lui ce trou béant de la disparition de sa famille mais il ne voulait pas s’y confronter. Il a été aimé par son oncle et sa tante mais ceux-ci n’ont pas réussi à entrouvrir sa carapace de défense, il faudra différents événements et des rencontres dues au hasard pour que, peu à peu , Anton trouve la force de se confronter à son passé. Cela permet au lecteur de vivre différents moments de la vie politique en Hollande. La lutte anti-communiste et une manifestation lui permettra de retrouver le fils de Ploeg qui est devenu un militant anti-communiste acharné. Puis, nous voyons la montée de la sociale démocratie et la libération du pire des nazis hollandais et enfin il découvrira pourquoi son voisin a déplacé le cadavre du milicien. Il y a un petit côté enquête policière mais ce n’est pas le plus important, on est confronté avec Anton aux méandres de la mémoire et de la culpabilité des uns et des autres. Aux transformations des faits face à l’usure du temps. Et à une compréhension très fine de la Hollande on ne peut pas dire que ce soit un peuple très joyeux ni très optimiste. Les personnalités semblent aussi réservées que dignes, et on découvre que la collaboration fut aussi terrible qu’en France. La fin du roman réserve une surprise que je vous laisse découvrir.

PS je viens de me rendre compte en remplissant mon Abécédaire des auteurs que j’avais lu un autre roman de cet auteur que je n’avais pas apprécié  :  » La découverte du ciel »

Citations

Discussion avec un père érudit en 1945 à Haarlem au pays bas.

Sais-tu ce qu’était un symbolon ?
– Non,dit Peter d’un ton qui montrait qu’il n’était pas non plus désireux de le savoir.
-Eh bien, qu’est ce que c’est, papa ? Demanda Anton.
– C’était une pierre que l’on brisait en deux. Suppose que je sois reçu chez quelqu’un dans une autre ville et que je demande à mon hôte de bien vouloir t’accueillir à ton tour : comment saura-t-il si tu es vraiment mon fils ? Alors nous faisons un symbolon, il en garde la moitié et, rentré chez moi, je te donne maître. Quand tu te présentera chez lui, les deux moitiés s’emboîteront.

Les monuments commémoratifs

Peut-être s’était-on vivement affronté, au sein de la commission provinciale des monuments commémoratifs, sur le point de savoir si leurs noms avaient bien leur place ici. Peut-être certains fonctionnaires avaient-il observé qu’ils ne faisaient pas partie des otages à proprement parler et n’avaient d’ailleurs pas été fusillés, mais « achevés comme des bêtes » ; à quoi les représentants de la Commission nationale avaient répliqué en demandant si cela ne méritait pas tout autant un monument ; enfin les fonctionnaires provinciaux avaient réussi à obtenir à titre de concession au moins le nom de Peter fût écarté. Ce dernier -avec beaucoup de bonne volonté du moins -comptait parmi les héros de la résistance armée, qui avaient droit à d’autres monuments. Otages, résistants, Juifs, gitans, homosexuels, pas question de mélanger tous ces gens-là, sinon c’était la pétaudière !

Culpabilité

Tu peux dire que ta famille vivrait encore si nous n’avions pas liquidé Ploeg : c’est vrai. C’est la pure vérité, mais ce n’est rien de plus. On peut dire aussi que ta famille vivrait encore si ton père avait loué autrefois une autre maison dans une autre rue, c’est encore vrai. Dans ce cas je serai peut-être ici avec quelqu’un d’autre. A moins que l’attentat n’ai eu lieu dans cette autre rue, car alors Ploeg aussi aurait pu habiter ailleurs. C’est un genre de vérité qui ne nous avance à rien. La seule vérité qui nous avance à quelque chose, c’est de dire, chacun a été abattu par qui l’a abattu, et par personne d’autre. Ploeg par nous, ta famille par les Chleuhs. Tu as le droit d’estimer que nous n’aurions pas dû le faire, mais alors tu dois penser aussi qu’il aurait mieux valu que l’humanité n’existe pas, étant donné son histoire. Dans ce cas tout l’amour, tout le bonheur et toute la beauté du monde ne serait même pas compensé la mort d’un seul enfant.

En Hollande en 1966

Voilà ce qui reste de la Résistance, un homme mal soigné, malheureux, à moitié ivre , qui se terre dans un sous-sol dont il ne sort peut-être plus que pour enterrer ses amis, alors qu’on remet en liberté des criminels de guerre et que l’histoire suit son cours sans plus s’occuper de lui …

Réflexion sur le temps

Il n’y a rien dans l’avenir, il est vide, la seconde qui vient peut-être celle de ma mort -si bien que l’homme qui regarde l’avenir a le visage tourné vers le néant, alors que c’est justement derrière lui qu’il y a quelque chose à voir : le passé conservé par la mémoire.
Ainsi les Grecs disent-ils, quand il parle de l’avenir :  » Quelle vie avons-nous encore derrière nous ? »

Lu dans le cadre de masse critique de Babelio.



Je me souviens que le résumé de ce livre m’avait attirée car on y parlait de la guerre en Abyssinie en 1936. C’est une guerre dont on parle peu mais qui m’a toujours intéressée et révoltée. L’Éthiopie d’aujourd’hui est aussi un pays qui m’intrigue et qui semble avoir un dynamisme où l’on retrouve cette fierté nationale dont parle ce roman. Je ne regrette pas d’avoir dérogé à mes principes et d’avoir répondu à « Masse-critique ». Ce roman historique qui commence en 1936, en Éthiopie pour se terminer à Rome en 1945, est passionnant et a d’étranges résonances avec la période actuelle. L’auteure Theresa Révay à choisi comme héroïne principale une correspondante de guerre. C’est une idée géniale car cela lui permet d’exercer son regard critique sur tous les points chauds du globe à l’époque. De la guerre d’Espagne à la montée du nazisme à l’entrée en guerre de l’Italie fasciste de Mussolini en passant par les guerres du désert et de la vie à Alexandrie. Elle aura tout vu cette sublime Alice et tout compris.

Le seul point faible du roman c’est cette superbe histoire d’amour entre ce prince italien et la belle correspondante de guerre américaine. Mais il fallait bien un amour pour relier entre eux des événements aussi tragiques. J’avoue que je n’y ai pas trop cru, c’est un peu trop romanesque mais ce n’est pas là l’essentiel. L’important c’est de revivre ces époques et se demander si le monde n’est pas à nouveau en train de partir sur des pentes aussi dangereuses que dans ces moments tragiques. Lire le récit de tous ces épisodes dans un même roman cela fait peur car l’enchaînement tragique était évitable sans la mollesse des consciences dans les démocraties. Le Nazisme a vraiment la palme de l’horreur et pourtant Mussolini et Franco n’étaient pas des anges. Je verrais bien ce roman dans une série, chaque guerre constituant une saison ; on aurait alors le temps d’aller au bout des dessous des conflits. Je crois, par exemple, que le public serait content d’en apprendre plus sur la façon dont les Italiens se sont conduits en Abyssinie.

Citations

Les armes chimiques en 1936 en Abyssinie

Après la grande Guerre, les armes chimiques avaient pourtant été proscrites aux termes d’une convention internationale ratifiée par l’Italie. Leur usage était un acte scandaleux et méprisable.

Le correspondant de guerre

Les relations avec les hommes d’État ressemblaient à un jeu de poker. Il fallait garder l’esprit clair, dissimuler ses pensées tout en obtenant qu’ils dévoilent les leurs.

Description qui permet de se croire au Vatican : sœur Pascalina

Le voile sombre ondulé ondulait sur ses épaules. Sa jupe effleurait le sol, dissimulant ses pieds, si bien qu’on avait l’impression qu’elle flottait au-dessus d’un pavement de marbre

Portrait d’Hemingway à Madrid en avril 1937

En face d’elles, un grand miroir se fendilla sur toute sa hauteur. Hemingway, torse bombé, gesticulait en cherchant à rassurer son auditoire. Le célèbre écrivain s’était d’emblée imposé comme le cœur ardent de la bâtisse. Non seulement parce qu’il stockait dans ses deux chambres, outre d’innombrables bouteilles d’alcool, des jambons, du bacon, des œufs, du fromage, de la marmelade, des conserves de sardines, et des crevettes, du pâté français t d’autres victuailles improbables en ces temps de pénurie, mais aussi parce que sa ferveur à défendre la cause républicaine et son tempérament homérique laminaient son entourage.

L’histoire d’amour

Ainsi allait le monde d’Umberto. Elle était consciente de ne pas y avoir sa place. (…) Elle mesura encore une nouvelle fois combien Umberto était écartelé entre sa vie de famille et les moments qu’il lui accordait. (…) A son corps défendant, une pointe douloureuse la transperça et elle regretta d’être devenue une femme amoureuse tristement banal.

Le fascisme

Je viens d’entendre le cri nécrophile « Viva la muerte ! » Qui sonne à mes oreilles comme « À mort la vie ! » s’était écrié le philosophe, avant d’ajouter : Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincre parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincre pas parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans votre combat. » Ses adversaires, fou de rage, avaient hurlé : « À mort l’intelligence ! »

Le nazisme

Pour être innocent sous le Troisième Reich, il fallait être enfermé dans un camp de concentration ou mort.

20160612_111710Traduit de l’italien par Bernard Comment.

4
J’ai ce livre depuis un certain temps, il est de tous mes déplacements avec toujours cette envie de le lire que je dois à un blog dont j’ai oublié de noter le nom. Pour une fois la quatrième de couverture dit assez bien ce que raconte ce roman : « une prise de conscience d’un homme confronté à la dictature ». Le Docteur Pereira, journaliste, vit à Lisbonne en 1938, il est chargé de la page culturelle du « Lisboa », hebdomadaire qui préfère, et de loin, raconter l’arrivée des yachts de luxe et des réunion mondaines, qu’informer ses lecteurs sur les assassinats en pleine rue de pauvres gens comme ce vendeur de pastèques. Docteur Pereira est un peu trop gras, un peu diabétique et surtout très malheureux depuis la mort de sa femme. Il se confie au portrait de celle qui a, sans doute, été le seul vrai rayon de soleil dans une vie plutôt triste. Cet homme sans espoir, et sans illusion voudrait pouvoir manger ses omelettes au fromage et boire ses citronnades tranquillement.

Mais voilà, autour de lui rien n’est exactement à sa place. Lisbonne n’est plus la même ville : le boucher juif voit sa devanture brisée sans qu’il puisse se plaindre à une police très certainement complice, sa concierge l’espionne pour le compte de la milice, et une nouvelle d’Anatole France qu’il traduit pour la page culturelle de son journal lui voudra de très vives remontrances de son directeur. La lente montée chez cet homme du malaise qui peu à peu s’empare de lui alors qu’il met toutes ses force à fuir la réalité est très bien racontée. Un presque rien, la rencontre avec un jeune couple de résistants à l’oppression, va être le petit grain de sable qui va enrayer sa belle construction intérieure, ses protections vont peu à peu se fissurer et un jour il ne pourra plus fuir. Je ne peux évidemment pas vous dévoiler cette fin mais c’est superbe.

Ce roman que j’ai commencé plusieurs fois est finalement un texte qui me restera en mémoire, je crois à ce personnage et il m’a émue à cause ou plutôt grâce à ses faiblesses si humaines. Le style est un peu agaçant puisque le livre est présenté comme un témoignage, toutes les phrases où Pereira prend la parole commence par ces mots repris dans le titre « Pereira prétend… ». C’est voulu bien sûr, et cela donne encore plus l’idée d’un personnage peu sûr de lui, il a fallu pourtant que je me force pour accepter cet effet.

PS grâce aux commentaires je sais que je dois ce livre à Éva 

Citations

La résurrection (portrait du personnage principal)

Et Pereira était catholique, ou du moins se sentait-il catholique à ce moment-là, un bon catholique, quoiqu’il eût une chose à laquelle il ne pouvait pas croire : à la résurrection de la chair. À l’âme oui, certainement, car il était sûr d’avoir une âme ; mais la chair, toute cette viande qui entourait son âme, ah non, ça n’allait pas ressusciter, et pourquoi aurait-il fallu que cela ressuscite ? se demandait Pereira . Toute cette graisse qui l’accompagnait quotidiennement, et la sueur, et l’essoufflement à monter l’escalier , pourquoi tout cela devrait-il ressusciter ?

L’envie de fuir

Il fallait se renseigner dans les cafés pour être informé, écouter les bavardages , c’était l’unique moyen d’être au courant … mais Perreira n’avait pas envie de demander quoi que ce soit à personne, il voulait simplement s’en aller aux thermes, jouir de quelques jours de tranquillité, parler à son ami le professeur Silva et ne pas penser au mal dans le monde.