Traduit du danois par Alain Gnaedig. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Chaudement recommandé par la bibliothécaire de Dinard, ce roman m’a également beaucoup plu ainsi qu’à Aiffele. On sent dès les première pages, que l’auteur va, peu à peu nous faire remonter dans le passé douloureux d’Ellinor. Ce jour là, elle enterre son mari Georg et s’adresse dans un long monologue à Anna, sa première femme décédée, il y a 40 ans. Le premier drame qui hante son récit , c’est la découverte que son mari Henning avait une liaison avec Anna. Ils ont été emportés tous les deux par une avalanche, alors que les deux couples passaient des vacances ensemble à la neige. Mais au delà de cette souffrance, nous apprendrons pourquoi elle n’a pas d’enfant à elle, pourquoi elle a élevé ceux d’Anna. Pourquoi sa mère n’a jamais été mariée et pourquoi le poids de la honte de sa mère est peut-être, finalement la clé de toutes ses souffrances. Avec elle, nous voyons la société danoise pas si éloignée que la nôtre finalement.

La période de la guerre est vue à travers les souffrances de sa mère, l’après-guerre à travers les difficulté de vie d’Ellinor et enfin le monde moderne à travers Stefan et Morten, les jumeaux qui ont partagé sa vie quand elle s’est mariée avec Georg et certaines pages sur le couple de Mia et Stefan nous font penser aux excès de notre époque. A la fin du roman elle retrouve son quartier d’enfance et, on espère pour elle, un peu de joie de vivre malgré sa solitude et la perte de l’homme qu’elle a fini par beaucoup aimer. Ce roman est aussi une réflexion sur l’amour, on comprend bien pourquoi elle s’est trompée la première fois, mais la vie lui a permis, finalement, de vivre une belle histoire.

Citations

L’amour

Les années ont passé, nous sommes devenus proches simplement parce que nous vivions l’un à côté de l’autre. Quand on est jeune, on sous-estime la force de l’habitude, et on sous-estime ses bienfaits et sa grâce. Un mot étrange mais, voilà, c’est dit

Une baby-sitter au Danemark

Le quai de la gare de Charlottelund était vide comme si on était au milieu de la nuit. Sur le dernier banc, j’ai aperçu une petite silhouette. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un enfant, mais c’était la petite Philippine, penché sur son iPhone. Joy avait-elle aussi son vendredi libre ? Pour autant que je sache, on parle espagnol aux Philippines, mais ici on donne un nom anglais aux filles au pair, le plus souvent des noms piocher dans le registre frivole, celui celui des filles de bordel.

 

La garde d’enfants

Les femmes de la classe moyenne mercantiles ont trouvé une solution postcoloniale au calcul compliqué qui pose,  » égalité fois carrière fois réalisation de soi plus maternité ». On trouve une domestique du tiers-monde et on appelle ça échange culturel, mais neuf fois sur dix, la gamine vit dans une chambre à la cave d’où elle peut skyper avec les enfants qu’elle a dû abandonner dans la paillote des grands-parents.

 

La honte de sa mère

J’étais un faux pas, je n’aurais jamais dû naître. Dans mon esprit d’adolescente, pour ma mère, l’histoire de son amour ne qu’on pensait pas l’histoire de sa honte. Cette honte m’a suivie au cours de toutes ces années, comme un chien sans maître et insistant. Nul n’a été plus fidèle que mon roquet galeux et nul ne me connaît mieux que lui. Un jour, j’ai entendu le marchand de légumes dire à un client ce que l’on aurait dû faire avec les gens comme moi. « Ils ont ça dans le sang », a-t-il déclaré. J’ai baissé les yeux, la gorge sèche en attendant mon tour.

 

Dernière phrase

C’est la seule chose qui compte pour un enfant. Nous pardonnons à nos parents qu’ils nous oublient, à condition qu’ils s’aiment.

(mais, je me demande si on peut pardonner à ses parents d’être oublié)

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. (Mon club de lecture va peut -être devenir célèbre)

Ce petit roman m’a beaucoup plu, mais je suis incapable de savoir s’il plaira à d’autres. Je le définirai comme un roman d’atmosphère, il règne une ambiance à laquelle je me suis laissée prendre. La narratrice, part en train sur les bords du lac Baïkal pour retrouver un homme qu’elle a aimé Gyl, et dont elle n’a plus de nouvelles. Ce voyage est l’occasion de renouer tous les fils qui font d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui. Cette pérégrination vers ce qu’elle est, avait commencé quelques années auparavant lors de sa rencontre avec une femme très âgée, sa voisine du dessous, Clémence Barrot, une ancienne modiste qui ne sort plus guère et à qui elle lit des histoires. Elle la retrouve le plus souvent possible installée sur son canapé rouge, -d’où le titre- .

Cette femme est riche d’une histoire d’amour qui s’est brutalement terminée en 1943. Paul a été fusillé par les Allemands, il avait été recruté par le PCF et était entré dans la résistance. Clémence garde une photo prise sur les bords de la Seine, qu’elle cache derrière le canapé. Ils avaient 20 ans, ils étaient amoureux, ils étaient beaux et la mort a tout arrêté. Clémence en veut terriblement aux Nazis et un peu au communisme qui lui a enlevé son amoureux. On retrouve un des éléments qui a constitué le passé d’Anne et Gyl, ils étaient tous les deux utopistes et voulaient changer la société. Gyl, n’a pas supporté que le communisme s’arrête et c’est pourquoi il est parti en Sibérie pour faire revivre ce en quoi il croit. Clémence aime les histoires qu’Anne lui raconte, il faut dire qu’elle choisit des femmes au destin étonnant, la brigandine Marion du Faouët, Olympe de Gouge, et Miléna Jezenska.

C’est l’autre élément qui construit le destin d’Anne : toutes ces femmes qui ont ont lutté jusqu’à la mort pour s’accomplir. Et puis il y a les livres qui l’habitent, Dostoïevski et Jankélévitch qu’elle a apportés avec elle pour ce voyage. Mais surtout, le plus important c’est de croire en la rencontre amoureuse. Tout cela provoque son départ et son voyage vers Gyl, mais en chemin elle croise Igor et s’il ne se passe pas grand chose avec lui, c’est un personnage important du voyage. Cette traversée de la Russise et son arrivée à Irkoutsk lui permettent de prendre conscience de ce qu’elle était venue chercher : elle même plus que Gyll. Hélas ! à son retour Clémence n’est plus là, elle ne pourra donc pas savoir qu ‘Anne a enfin trouvé ce qu’elle cherchait.

Citations

Fin d’une utopie

Je n’étais pas seule à percevoir cette insidieuse érosion des certitudes qui avaient emballé notre jeunesse, mais ce qui m’effrayait c’était le sentiment, que partageaient quelques-uns de mes amis, de ne rien pouvoir d’autre que de m’abîmer dans ce constat. J’avais lu dans un roman à propos de la mort des théories, « On se demande jusqu’à quel point on les avait prises au sérieux ». J’en voulais à l’auteur pour sa cruelle hypothèse. Ce monde rêvé, cette belle utopie : être soi, pleinement soi, mais aussi transformer la société tout entière, pouvaient-il n’être qu’enfantillages ? Nous consolaient-ils seulement d’être les héritiers orphelins des dérives commises à l’Est et ailleurs, que certains de nos aînés avaient fait semblant d’ignorer ?

Nostalgie

Sans aucun doute, Igor était né après la mort de Staline, et je me demandais ce qu’il me répondrait si je prononçais ce nom. J’aurais pourtant aimé lui dire combien son pays avait habité nos esprits, les cruelles désillusions qu’i l nous avait infligées, et comment ce voyage me ramenait à des années lumineuses où le sens de la vie tenait en un seul mot : révolution.

Fin d’un amour

Je me souviens aussi qu’en ouvrant la porte, j’avais en tête une phrase d’Antonioni,  » Je cherche des traces de sentiments chez les hommes ». Je l’avais dit un jour à l’homme qui me quittait sans l’avouer, par petites trahisons successives. Nous faisions notre dernier voyage. En entrant dans la chambre après des heures d’errance dans une ville où nous nous perdions, je lui avais dit ces mots comme s’ils 
étaient les miens et il avait pleuré. Je le voyais pleurer pour la première fois. La fatigue alourdissait nos corps, nous avions fait l’amour dans une sorte de ralenti, d’engourdissement, il continua de sangloter dans mon cou, j’aurais aimé que ces minutes ne s’arrêtent jamais, tout se mélodrame délicieux nous séparait avec une infinie douceur, contenait à lui seul le temps vécu ensemble.

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un livre très vite lu et sans doute très vite oublié, je n’ai aimé ni le style ni le propos. Une femme cadre dans une importante boite de communication, se sent dépassée par la jeune génération. Elle est mal dans sa peau et n’aime ni sa vie de femme ni sa vie de cadre. Elle s’invente une grossesse pour fuir ses problèmes, mauvaise idée ! Pendant cette fuite en avant dont elle finira par se sortir, elle connaîtra toutes les difficultés du monde moderne et les angoisses d’une femme de quarante trois ans qui souffre de renoncer à la maternité . La fin est très (trop) optimiste : elle retrouve son mari, un autre travail, sans doute en province loin du quartier de la Défense où elle n’a rencontré que la dureté et où la performance consiste surtout à écraser les autres.

 

Citations

Travailler à la défense

Avant, les gens travaillaient à Paris toute leur existence….À la défense on erre comme des malheureux sur le parvis, ou bien dans les galerie commercial des quatre temps. D’ailleurs je ne sors plus. Je bosse sans arrêt. Une pause d’une demi-heure, et c’est tout.
 Le bus. Les gens. On voit qu’ils vont à la défense. Leurs visages portent l’uniforme de la gravité et de l’ennui.

Une écriture que je n’apprécie pas et des portraits trop rapides

Alysson se tait enfin. Son bureau est en face au mien. Brune pas vilaine, mais une peau boutonneuse. Elle me sourit. Elle sourit tout le temps. Elle retire ses écouteurs, extirpe de son sac Lancel le dernier Musso, son iPhone, et pose le tout sur sa table. Elle est un peu maigre. Un nez pointu. Des lèvres fines. Alison, étonnante personne sûre d’elle-même, répond à Lionel comme à un pair. Très performante. Lorsqu’il s’agit de travail, ses prestations sont remarquables : elle a fait Dauphine. Mais sur les autres sujets, on dirait une midinette, une cagole. Pourquoi ne suis-je pas à l’aise ? Vis-à-vis d’elle, j’éprouve un sentiment de gêne, presque d’infériorité. Elle est exactement ce que je voudrais être : à l’aise dans mon travail. La force d’Alison est de ne pas douter d’elle-même.

Depuis Zaï-Zaï-Zaï, je suis « une fan » absolue de cet auteur de BD. Je me souviens que dans Zaï-Zaï, j’avais ri un peu »jaune » car je trouvais que la critique de notre société était assez bien vue donc triste, dans celle-ci, mon rire a été plus franc, il faut dire que se moquer des romans photos ou de romans à l’eau de rose porte moins à conséquence. Il n’empêche que la critique de notre société est aussi présente et la réunion du lancement de la Startup avec un « brainstorming à l’américaine » doit rappeler plus d’un souvenir à tous ceux qui ont travaillé dans la communication. Chaque page est un petit chef d’oeuvre d’humour, mais peut-être un peu trop le même esprit de dérision à chaque fois. Légère critique de ma part pour un album que j’ai adoré, je conseille de le lire à petites doses. J’aimerais le savoir par cœur certaines répliques pour pouvoir faire rire mon entourage.

Citations

dialogue de couple

Le coup de foudre pour le livreur de macédoine

(ils vont en manger tous les soirs pendant un mois et plus)

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Qui n’aimerait pas entendre la personne qu’on a tant aimé conclure le dialogue de la rupture par ces mots :

« Reviens quand tu veux »  ?

Je ne connaissais pas cet auteur qui m’avait tentée à travers la lecture de vos blogs, c’est chose faite, et le moins que je puisse dire c’est que je ne regrette pas les heures passées en sa compagnie. Son style est très particulier, il évoque avec des expressions un peu vieillottes la nature où ce curieux bouquiniste a décidé de vendre (ou pas !) des livres aux rares personnes qui s’égarent jusqu’à sa boutique. Chaque chapitre démarre par une description du temps ou par des éléments de la nature, souvent j’y suis peu sensible, mais Éric Holder a su dompter mon impatience, car il peuple son récit de personnages qui sont loin d’être des caricatures. Ils sont humains c’est tout, donc avec de gros défauts mais aussi quand on s’y attend le moins des qualités qui m’émeuvent. Ainsi, ce garde-champêtre ne sera pas seulement la victime du « terrible » libéralisme contemporain – et trop souvent caricatural dans les films ou dans les romans- mais deviendra gardien du camping, heureusement pour Antoine, notre bouquiniste qui pourra donc après son histoire d’amour se réconforter en regardant les soleils couchants dans l’Algeco mis à la disposition du gardien. Antoine n’est ni meilleur ni pire qu’un autre, il fera, lui aussi, souffrir Marie la boulangère qui était celle – avant Lorraine- avec qui il allait au cinéma et avec qui il finissait ses soirées. Le mari de la boulangère qui a joué et perdu tout l’argent du ménage viendra rappeler à Antoine que Marie est fragile et qu’il n’a pas le droit de la faire souffrir. Ce roman est riche d’une galerie de portraits et on a envie de se souvenirs de tous sauf, peut-être, de madame Wong qui exploitait notre Antoine mais cela se termine bien. Nous apprenons au passage que le commerce chinois recherche nos vieux livres : est-ce vrai ?

J’avais beaucoup aimé il y a quelques années le film fait à partir du roman d’Éric Holder « mademoiselle Chambon »

On pourrait facilement mettre en film « la femme qui n’a jamais sommeil » et pourquoi pas Vincent Lindon dans le rôle d’Antoine et pour Lorraine, la conteuse, Sandrine Kimberlain ce serait parfait aussi.

Citations

 Quand j’ai cru que je n’accrocherai pas à ce roman à cause des descriptions trop classiques

Quand l’avant-garde des nuages est apparue dans le ciel, on a tout de suite vu qu’il s’agissait de méchants, de revanchards. Pas une goutte depuis 2 mois, il allait corriger la situation vite fait, ce n’était pas pour plaisanter. Derrière eux, l’urgence crépitait en arc bleuâtres sous le ventre du troupeau, au loin le canon. La lumière s’est éteinte subitement, la nature retenait son souffle, en apnée. Quand le vent est revenu, fou furieux, il hurlait en se frayant un chemin à coups de gifles. Des milliers de feuilles d’acacia, jaunies ou dorées, périrent à l’instant, jonchant le sol. Les premières gouttes de pluie laissèrent entendre des hésitations de moineau sur un balcon. Quelques secondes plus tard, l’eau tombait par baquets, rejaillissant des gouttières sous pression, noyant le paysage.

Toujours le style, mais déjà je savais que j’aimais ce roman

Octobre est resté suspendu aux lèvres du soleil abondant, avec la bienveillance d’un ciel ou de rares nuages patrouillent avant de repartir dépités.

Le prénom de la femme aimée et perdue

Elle s’appelait Anne, un prénom entouré d’un hiatus, qu’on ne sait où accrocher, et qui demeure suspendu comme une exténuation, un début de mots, une adresse qui n’aurait pas été achevée. Anne, on sent déjà qu’une part manquera.

Je ne savais pas ça

 La Veuve Clicquot, née Nicole-Barbe Ponsardin, tient lieu de phare. J’apprends à Lorraine qu’elle vécu quatre-vingt-neuf ans, son mari, qu’elle adorait, était issu de la plus illustre famille de facteurs d’orgues français.

Deux hommes ont aimé la même femme

 Lui me parle souvent de toi. Tu as même intégré nos quelques sujets de conversation favoris, ceux qui permettent de nous entremettre, bon gré mal gré, sur la lande où nous ne sommes que deux. Je ne réponds pas à toutes ses questions. J’adore voir, quand il les pose, le rêve passer dans ses yeux.

Un portrait

Parmi les habitués, un ancien matelot. Outre la marine, son domaine de prédilection, qu’il cultive historiquement, il maîtrise des sciences qui, si on l’écoute, s’y rapportent, la géologie, l’astrophysique, la botanique, l’anthropologie. À l’aide d’une mémoire étincelante, il jette des passerelles inédites de l’une à l’autre. Il n’a pas navigué sans savoir sous quels ciels, ni sur quel flots il se trouvait, leur composition, leurs impératifs, leur pouvoir. Ce passionné restait modeste, les cimetières, disait-il, étaient remplis de gens comme lui.


J’avais lu, sur les commentaires à propos d’un de ses livres, que celui-ci plaisait à beaucoup de blogueurs et blogueuses. Comme je le comprends ! Il a tout pour plaire ce roman. D’abord l’art de raconter, à propos d’objets anodins tout ce qui les rattache à un pan de vie. Comme ces boucles d’oreilles qu’il a retrouvées et qui lui rappelle une partie de sa jeunesse. Une virée à Paris, ville où il se promène jeune adulte avec trois autres amis, un premier amour qui n’a pas duré très longtemps, et ce cadeau qui devait sceller une grande amitié. Les années 80 époque où

Les Free Time viennent d’être supplanté par les MCDonald’s. Tout le monde porte les United Colors de Benneton

Peu à peu, au fil des objets, sa vie se déroule à travers les pages de ce roman, construit sur la douleur d’un divorce mal vécu. Sa femme partant avec un dentiste, certaines phrases sur cette honorable profession sont très drôles même si elles sont caustiques. Mais le charme de la construction du roman ne s’arrête pas là, chaque personne qui s’arrête devant un objet le fait pour des raisons bien précises, et redonne une nouvelle vie à l’objet en question. Le livre est construit en boucle et ce qui devait n’être un débarras, est porteur de vie : les objets perdus, prennent un nouveau départ vers des objets trouvés. Et, grâce à l’acheteuse des boucles d’oreille, s’esquisse un départ possible vers une rencontre : l’auteur pourra-t-il ainsi sortir de la tristesse de son divorce ?

La multiplicité des points de vue sur les objets permet de rendre compte des différentes perception du même événement. L’histoire du cadre rouge est vraiment attachante, l’homme a détesté ce cadre dans lequel sa mère affichait des photos de lui enfant qui ne lui rappelaient que des mauvais souvenirs, mais son épouse avait été touchée par le geste de sa belle -mère lui confiant un moment de l’enfance de celui qu’elle aimait.

Jean-Philippe Blondel a ce talent particulier de garder en lui, et de nous faire revivre des moments de notre passé par une chanson, une marque de vêtements, un événement. Son minuscule inventaire, c’est certainement ce que beaucoup d’entre nous pourrions faire à propos d’objets que nous gardons et dont nous seuls connaissons l’histoire, mais évidemment nous n’avons pas tous ni toutes son talent pour les raconter.

Citations

La lecture adolescente

Je cherche des romans qui parleraient de moi -de nous, mais dans les librairies, je ne vois que des récits de quadragénaires qui s’épanchent sur leur divorce et sur leurs maîtresses.

On pense à une chanson de Bénabar

 Marianne est institutrice, elle s’est dénudée pour un autre instituteur et ensemble ils forment un couple CAMIF parfait, ils ont un monospace acheté d’occasion et trois enfants ceinturés à l’arrière, ils vont en vacances en Vendée et ont fait poser dernièrement des pavés autobloquants dans la descente de leur garage.

Vision de la Bretagne

Chrisian Lapierre venait de Bretagne -de l’autre côté de la France, pas loin de cet océan que je n’avais vu qu’en carte postale,nous, on allait plutôt à la montagne, c’était moins cher, et même si on avait choisi la mer, on aurait viré plus au sud, en Bretagne, il pleut tout le temps et c’est une région triste à mourir.

Les petites anglaises

Je suis sorti pendant quelques temps avec une fille qui s’appelait Kathleen, assistante anglaise de son état, qui trouvait la France for-mi-da-ble, la culture for-mi-da-ble, la cuisine extra-for-mi-da-ble et les Français hyper-for-mi-da-ble. J’ai été content de l’accompagner sur le quai de la gare du Nord pour son retour dans son pays natal. Elle était en pleurs, mais moi, je trouvais ça formidable. 

Au moins, j’ai pratiqué l’anglais oral.

Traduit de l’italien par Elise GRUAU. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Roman qui se lit agréablement mais je pense que je l’oublierai assez vite. Il raconte cependant un point de vue intéressant, une jeune femme, fille d’un artiste reconnu et célèbre, part avec celui qui n’a pas su être un père dans un voyage à travers l’Italie alpine . On sent tout de suite que c’est leur dernière chance de se comprendre : tant de choses les ont séparés. Elle est la fille d’un couple qui n’a pas su s’aimer et d’un père célèbre trop souvent absent. Elle est la femme d’un mari qui ne la fait plus rêver et la mère d’une petite fille qu’elle aime de toutes ses forces. Il faudra du temps pour que ce père mutique et fuyant arrive à lui faire comprendre qui il est : au-delà de l’artiste célèbre et consacré se cache un enfant blessé et un homme meurtri. Acceptera-t-elle de quitter sa position de victime (qu’elle est) pour lui tendre la main ? Ce qui est certain c’est qu’elle ne sortira pas indemne de ce voyage vers une Italie des origines où se mêlent aux drames d’une enfance tragique des forces mystérieuses et magiques.

Pour que cette histoire soit plausible, c’est à dire pour comprendre pourquoi le père et la fille se connaissent si peu, il faut que les secrets qui les séparent soient à la fois énormes et crédibles. Sinon ils se résument en une phrase trop banale et quelque peu sordide. Son père a épousé sa mère par intérêt mais était amoureux d’une autre femme. Je ne trahis en rien le roman car tout le travail de l’écrivain c’est d’habiller cette triste réalité par des sentiments très forts, des pouvoirs magiques venant de femmes puissantes, des mystères de la création artistique. Malgré cela, je ne peux pas dire que j’ai été très convaincue par ce roman qui m’a semblé tellement » italien », dans la description du sentiment amoureux.

Citations

Personnalité masculine

Et puis que veux-tu que je te dises Viola ? Que je suis un ingrat ?
Il avait tout à coup pris ce visage que je détestais, celui qui disait : « Saute moi dessus si tu penses que cela peut te faire du bien, ou pardonne-moi. Mais ensuite, oublie et mets un point final. Tu n’arriveras pas à me faire changer, de même que personne n’a jamais réussi à le faire. »

L’artiste et les femmes

Oliviero place dans toutes ses sculptures quelque chose qui m’appartient et qu’il me dérobe en permanence, continua-t-elle, en s’efforçant de masquer ces mots avec la stupeur d’une flatterie. Il finira par m’avoir tout prix, ajouta-t-elle en souriant.
 Ma mère ne perdit pas de temps, et à la première occasion elle raconta à mon père ce qui lui avait été confié. Et si Oliviero pouvait supporter la jalousie de Pauline, il était en revanche trop jaloux de son art pour accepter qu’elle s’en serve pour se vanter face à une inconnue.
– Comment as-tu pu dire à cette femme une chose pareille, tellement à nous ?
– Tu as fait bien pire : pour elle, tu détruis la seule chose qui soit vraiment à nous. L’amour.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Il s’agit de rhum et chez moi, certains ne plaisantent pas avec cette boisson, entre ceux qui parfument la pâte à crêpe et ceux qui le dégustent avec un petit carré de chocolat noir. Il y a même sur cette photo une bouteille de rhum de la même origine que cet auteur franco-vénézuélien. Miguel Bonnefoy part dans ce roman à la recherche du trésor d’un pirate des Caraïbes, et ils nous entraînent dans des contrées aussi fascinantes que dangereuses. Il ne s’agit pas d’un récit réaliste mais évocateurs des difficultés à vivre dans ces pays dominés par une nature luxuriante et des hommes facilement violents surtout s’ils sont en quête de trésors. C’est un auteur dont on parle sur les ondes radiophoniques et j’ai beaucoup entendu que Séréna, la femme et personnage principal, est du type « Emma Bovary » , et que Miguel Bonnefoy nous livrait là un conte philosophique épicé au merveilleux d’Amérique latine. Le roman flotte entre ses eaux là, et se lit très facilement.

Si aimer lire et connaître le monde grâce aux romans c’est faire du bovarysme alors je pense que nous sommes nombreuses à en faire ; si faire mourir sur un tas d’or une femme trop cupide c’est de la philosophie, cela m’étonne un peu ; si décrire un incendie qui mettra trois ans à s’éteindre c’est faire du merveilleux, pourquoi pas ? L’aspect que j’ai préféré c’est bien l’évocation de ces régions, la végétation luxuriante, les excès de pluies puis de sécheresse, le soleil trop violent puis la nuit trop sombres. Oui tout est « trop » dans ce pays des caraïbes . Et on ne peut survivre qu’en maîtrisant ses peurs et ses fièvres. Le rhum doit bien aider un peu, et vous saurez tout sur la façon d’en fabriquer un de grande qualité. Les personnages sont peu crédibles mais ce n’était visiblement pas le propos de cet auteur. Malheureusement, je fais partie des lecteurs qui aiment penser aux personnages et comprendre un peu leur choix de vie sans cet aspect je sais que je ne garderai pas en mémoire très longtemps ce roman. Je me souviendrai d’une odeur de rhum, d’une nature étonnante et de la cupidité des chercheurs d’or.

Citation

Portrait de femme soumise

Elle aimait recevoir des louanges sur l’entretien de sa vaisselle, sur le choix de ses meubles, sur la santé de son mari. Ses draps étaient toujours parfumés de fleurs glissées entre leurs plis. C’était une femme d’une patience minérale et, jusqu’à la fin de sa vie, prépara des soupes créoles, les yeux effacés au fond des marmites, dans sa cuisine où pendaient des jambons secs.

Jolie figure de style

L’heure n’avait pas d’ombre, la chaleur était forte, le soleil mordait la nuque, mais les deux hommes ne faiblissaient pas. 

Le pouvoir des livres

Ces livres enseignèrent à Séréna tout à la fois la servitude et la révolte, l’infidélité et le crime, la magie d’une description et la pertinence d’une métaphore. Ils lui firent découvrir les diverses aspects de la virilité, donc elle ignorait presque tout. Elle appris que la tour de Pise penchait, qu’une muraille entourait la Chine, que des langues étaient mortes, et que d’autres devaient naître.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. (thème Hollywood).


Dans la famille Musso, voici Valentin, le frère de Guillaume, en attendant Julien à qui se roman est dédié. Il s’agit d’un roman policier très bien ficelé et que les aficionados du genre se rassurent, je ne vais pas raconter la fin (par laquelle j’ai débuté ma lecture …) . David Badina, le personnage principal et narrateur de cette histoire, est le fis d’Elizabeth, une jeune actrice qui, en 1959, a disparu lors du tournage du film qui devait définitivement lancer sa carrière, sans que l’on sache ni pourquoi, ni comment. Son fils avait un an et quarante plus tard, ce passé se rappelle à lui car le célébrissime metteur en scène qui avait choisi sa mère comme actrice pour ce rôle l’appelle pour lui confier un travail.

C’est aujourd’hui un scénariste réputé, il a connu un très grand succès succès pour son premier film mais depuis son inspiration semble d’être tarie. Ce qu’il croyait être le plus enfoui en lui, la disparition inexpliquée de sa mère refait surface avec une telle force que l’on sent bien qu’il devra aller jusqu’au bout de ses recherches pour pouvoir enfin vivre sa vie : le roman policier raconte cela.

Ce qui m’a plu, c’est la peinture des années soixante dans le monde du cinéma hollywoodien qui est très bien décrite. L’on a des personnages à la « Harvey Weinstein », et comme dans les séries TV, les enquêtes du FBI, si le Maccarthysme est terminé, les habitudes et les mœurs de la police américaines n’ont pas encore complètement changé . Alors cette star naissante du cinéma, qui voulait la faire disparaître ? Et puis est-ce que David apprendra par la même occasion qui est son père ? Il y a du Michael Connely dans cette enquête moins (hélas !) la personnalité d’Harry Bosch .

Citations

Le métier de scénariste

Le côté négatif de ce métier, c’est que les scénaristes ont souvent l’impression d’avoir fait quatre vingt dix pour cent du boulot et d’être totalement ignoré à la sortie du film. Le côté positif, c’est que, lorsque ledit film ne marche pas, ce sont rarement eux qui essuient le tir des balles.

Los Angeles : question que je me pose aussi

 Je me suis toujours demandé comment on pouvait être prêt à traverser la moitié de la planète rien que pour voir l’étoile de Sharon Stone ou de Tom Hanks dans cette rue sale, bondée de monde et de vendeurs à la sauvette qui ne vous lâchent pas d’un pouce. En fait, je ne connais aucun habitants qui prenne plaisir à se balader dans cette attrape-touriste géant. Les endroits clinquants de L.A.-ils ne manquent pas- m’ont toujours déprimé, on dirait qu’ils ont été inventés que pour dissimuler aux yeux des gens les rêves brisés et les échecs dont se repaît cette ville.

Passage qui s’adapte bien au contexte actuel

 Grands fumeurs de cigares qu’il faisait venir de Cuba, gros buveur de whisky, connu pour son sexisme légendaire, Welles draguait tout ce qui portait jupon à Hollywood. Plusieurs sources laissaient entendre qu’il avait fréquemment harcelé des actrices dans des suites de luxueux hôtels et qu’il était presque toujours parvenu à ses fins. Il était de ces grands manitous capables de faire ou de défaire une carrière à Hollywood d’un simple claquement de doigts. Vu la terreur qu’il inspirait, je comprenais parfaitement que de jeunes actrices en quête de gloire n’aient pas eu le cran de le repousser malgré l’aversion qu’elle devait ressentir.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clotilde Meyer et Isabelle D. Taudière.

Laissez moi vous dire une chose. On est jamais trop vieux pour apprendre.


Après Dominique, Kathel, Keisha et tant d’autres, je viens vous recommander la lecture de cette épopée. Voici le sujet, tel que le raconte la quatrième de couverture :

«  lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-et-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l’Odyssée d’ Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s’affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d’une croisière thématique sur les traces d’Ulysse. »

 Daniel Mendelsohn a écrit un roman concernant la famille de sa mère assassinée lors des massacres de la Shoah : « Les Disparus » -récompensé par le prix Médicis en 2007-, livre qui m’avait beaucoup marquée . (C’était avant Luocine, et je me promets de le relire). Il consacre donc ce temps romanesque et son talent d’écrivain à la quête de la personnalité de son père. Il le fait à travers l’analyse minutieuse de l’Odyssée, ce si difficile retour d’Ulysse vers son royaume d’Ithaque, son épouse Pénélope et son fils Télémaque. On y retrouve tous les récits qui ont construit une partie de notre imaginaire. Ulysse et ses ruses, Pénélope et sa fidélité à toute épreuve, Télémaque, ce fils qui recherche son père, mais aussi le Cyclope, Circé, Calypso, les enfers… tous ces récits, grâce au talent du professeur Daniel Mendelsohn, nous permettent de réfléchir à la condition humaine. On aurait, je pense, tous aimé participer à ce séminaire au cours duquel ce grand spécialiste de la littérature grecque et latine, n’assène pas son savoir mais construit une réflexion commune aux participants et au professeur grâce aux interventions pertinentes de ses étudiants. Je n’ai pas très bien compris si tous connaissent le grec ancien ou si (comme cela me semble plus probable) seul le professeur peut se référer au texte originel. L’épopée prend vie et se mêle à la quête de l’auteur. Qui se cache derrière ce père taiseux, incapable de montrer ses sentiments à ses enfants ou à son épouse ? Certainement plus que la personnalité d’un père ingénieur devant lequel son fils tremblait avant de lui avouer qu’il ne comprenait rien aux mathématiques. Au détour d’une réaction d’étudiant, d’une phrase analysée différemment, nous comprenons de mieux en mieux ces deux fortes personnalités si différentes. On se prend à rêver que tous les pères et tous les fils sachent un jour entreprendre ce voyage vers une réelle connaissance de l’autre. Daniel est écrivain et professeur, le chapitre intitulé ‘Anagnorisis« , où il s’agit bien de « reconnaissance » se termine ainsi :
Quand vous enseignez, vous ne savez jamais quelles surprises vous attendent : qui vous écoutera ni même, dans certains cas, qui délivrera l’enseignement.
Et il avait commencé 60 pages auparavant de cette façon :
Une chose étrange, quand vous enseignez, c’est que vous ne savez jamais l’effet que vous produisez sur autrui ; vous ne savez jamais, pour telle ou telle matière, qui se révéleront être vos vrais étudiants, ceux qui prendront ce que vous avez à donner et se l’approprieront -sachant que « ce que vous avez appris d’un autre professeur, une personne qui s’était déjà demandé si vous assimileriez ce qu’elle avait à donner….
Quel effet de boucle admirable et toujours recommencée, oui nous ne sommes au mieux que des transmetteurs d’une sagesse qui a été si bien racontée et mise en scène par Homère. J’ai beaucoup de plaisirs à raconter les exploits d’Ulysse à mes petits enfants qui s’émerveillent à chaque fois du génie du rusé roi d’Ithaque, j’ai retrouvé le livre dans lequel enfant j’avais été passionnée par ces récits. Et je crois que comme le père et le fils Mendelsohn, j’aimerais faire cette croisière pour confronter mes souvenirs de récits à ces merveilleux paysage de la Grèce.
Peut-être que comme Jay, je trouverai que l’imaginaire est tellement plus riche que la réalité, et puis hélas je n’ai plus de parents à retrouver car il s’agissant bien de ça lors de cette croisière « sur les pas d’Ulysse » permettre à Daniel de retrouver la facette qu’il ne connaissait pas de son père, celui qui sait s’amuser et se détendre et faire sourire légèrement la compagnie d’un bateau de croisière. Bien loin de l’austère ingénieur féru de formules de physique devant lequel tremblait son plus jeune fils.

Citations

Relations d’un fils avec un père qui n’aime pas qu’on fasse des petites manières ou des histoires.

Lorsque mon père racontait cette histoire, il passait rapidement sur ce qui, à moi, me semblait être la partie la plus intéressante – la crise cardiaque, sa précipitation, à mon sens, poignante à rejoindre mon grand-père, l’action, en un mot – et s’étendait sur ce qui avait été pour moi, à l’époque, le moment le plus ennuyeux : les rotations de l’avion. Il aimait raconter cette histoire, car pour lui, elle montrait que j’avais très bien su me tenir : j’avais supporté sans me plaindre l’assommante monotonie de tous ces ronds dans l’air, de tout cette distance parcourue sans avancer. « Il n’a pas fait la moindre histoire », disait mon père, qui avait horreur que l’on fasse des histoires, et même à cette époque, malgré mon jeune âge, je comprenais vaguement qu’en donnant une légère inflexion caustique au mot « histoires », c’était en quelque sorte ma mère et sa famille qu’il visait. « Il n’a pas fait la moindre histoire », disait papa d’un hochement de tête approbateur. « Il est resté sagement assis, à lire, sans un mot ».
 De longs voyages, sans faire d’histoires. Des années ont passé depuis ce long périple de retour, et depuis, j’ai moi-même eu à voyager en avion avec des enfants en bas âge, et c’est pourquoi, lorsque je repense à l’histoire de mon père, deux choses me frappent. La première, c’est que cette histoire dit surtout à quel point « lui » s’était bien tenu. Elle témoigne de la façon exemplaire dont il a géré tout cela, me dis-je maintenant : en minimisant la situation , en faisant comme s’il ne se passait rien d’anormal, en donnant l’exemple et restant lui-même tranquillement assis, et en résistant -contrairement à ce que j’aurais fait car, à bien des égards, je suis davantage le fils de ma mère et le petit-fils de Grandpa – à la tentation d’en rajouter dans le sensationnel ou de se plaindre.
La seconde chose qui me frappe quand je repense aujourdhui à cette histoire, c’est que pendant tout le temps que nous avons passé ensemble dans l’avion , l’idée de nous parler ne nous a pas effleurés un instant.
Nous avions nos livres et cela nous suffisait.

Les questions que posent les récits grecs et qui nous concernent toujours.

Nous savons bien sûr que « l’homme » n’est autre Ulysse. Pourquoi Homère ne le dit-il pas d’emblée ? Peut-être parce que, en jouant dès l’abord de cette tension entre ce qu’il choisit de dire (l’homme) et ce qu’il sait que nous savons (Ulysse), le poète introduit un thème majeur, qui ne cessera de s’intensifier tout au long de son poème, à savoir : quelle est la différence entre ce que nous sommes et ce que les autres savent de nous ? Cette tension entre anonymat et identité sera un élément clé de l’intrigue de l’odyssée. Car la vie de son héros dépendra de sa capacité de cacher son identité à ses ennemis, et de la révéler, le moment venu, à ses amis, à ceux dont il veut se faire reconnaître : d’abord son fils, puis sa femme, et enfin son père.

Message d Homère

 L’Odyssée démontre la vérité de l’un des vers les plus célèbres et les plus troublants, que le poète met dans la bouche d’Athena à la fin de la scène de l’assemblée : »Peu de fils sont l’égal de leur père ; la plupart en sont indignes, et trop rares ceux qui le surpassent. »

Le plaisir des mots venant du grec

Les récits de Nestor sont des exemples de ce que l’on appelle les récits du « nostos ». En grec, « nostos » signifie « le retour ». La forme pluriel du mot, « nostoi », était en fait le titre d’une épopée perdue consacrée au retour des rois et chefs de guerre grecs qui combattirent à Troie. L’Odyssée est-elle même un récit du « nostos », qui s’écarte souvent du voyage tortueux d’Ulysse à Ithaque pour rappeler, sous forme condensée, Les « nostoi » d’autres personnages, comme le fait ici Nestor -presque comme s’il craignait que ces autres histoires de « nostoi » ne survivent pas à la postérité. Peu à peu, le mot « nostoi », teinté de mélancolie et si profondément ancrée dans les thèmes de l’Odyssée, a fini par se combiner à un autre mot du vaste vocabulaire grec de la souffrance, « algos », pour nous offrir un moyen d’exprimer avec une élégante simplicité le sentiment doux-amère que nous éprouvons parfois pour une forme particulière et troublante de vague à l’âme. Littéralement, le mot signifie « la douleur qui naît du désir de retrouver son foyer », mais comme nous le savons, ce foyer, surtout lorsqu’on vieillit, peut aussi bien se situer dans le temps que dans l’espace, être un moment autant qu’un lieu. Ce mot est « nostalgie ».

L’implication de l’écrivain dans le récit de l’odyssée

J’avais hâte d’aborder l’épisode de la cicatrice d’Ulysse, où se trouve mêlé dans deux thèmes essentiels de l’Odyssée : la dissimulation et la reconnaissance, l’identité et la souffrance, la narration et le passage du temps. Mais une fois de plus, j’ai dû me rendre à l’évidence, les étudiants ne s’intéressaient pas du tout au même chose que moi. Seul Damien, le jeune Belge, avait parlé de la cicatrice d’Ulysse sur notre forum. Sans doute, me dis-je, est-ce parce que je suis écrivain que cette scène me fascine plus qu’eux : car tout l’intérêt de la composition circulaire est de fournir une solution élégante au défi technique qui se présente à quiconque veut entrelacer le passé lointain à la trame d’un récit au présent en gommant les sutures.

Pour comprendre ce passage, il faut savoir que l’auteur est homosexuel. Cela avait été difficile pour lui de le dire à ses parents. Mais son père ne l’avait pas jugé à l’époque. Il est en train de faire une croisière sur « les pas d’Ulysse ». Il est adulte et son père est très vieux. Dialogue père fils

Papa, attends, insistai-je. Donc, si je comprends bien, il y a eu un garçon gay amoureux de toi dans le Bronx, c’est de lui que te vient ton surnom de « Loopy », et tu n’as jamais songé à m’en parler ?
Mon père baissa les yeux. C’est simplement, Dan, que… Je ne savais pas trop comment t’en parler.
Que répondre à cela ? Alors j’ai fait comme mon père : j’ai été sympa avec lui.
C’est bon, dis-je. Au moins, maintenant, c’est fait. Bon Dieu, papa…
Il appuya sur un bouton de son iPad et l’ Iliade émit une lumière bleutée dans la pénombre. Ouais, on dirait… Puis il leva les yeux et dit : c’est une croisière sur l’Odyssée, n’oublie pas. Chacun a une histoire à raconter. Et chacun a… son talon d’Achille.
Oui, sans doute.