Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Si vous voulez vous faire une idée exacte du trafic de l’ivoire entre l’Afrique et l’Asie ne ratez pas ce roman. L’évocation des paysages africains, m’ont entraînée vers un ailleurs qui me sortait agréablement de la grisaille bretonne. Mais bien loin des notes exotiques habituelles, nous sommes face à la réalité africaines : cette jeune Anglaise Erin, veut absolument arrêter le trafic de l’ivoire qui tue les éléphants africains. Oui mais, qui est-elle pour empêcher des hommes pauvres de vivre de ce qui leur rapporte un peu d’argent ? Que peut-elle contre les corrompus à qui ce trafic rapporte tant ? Et que faire face aux traditions qui pensent que les cornes des rhinocéros sont plus efficaces que le viagra ?

Est-ce un combat perdu d’avance ? En tout cas, la lutte semble tellement inégale, d’autant plus que, même si le trafic s’arrêtait, l’inexorable progrès et l’accroissement de la population africaine met en grand péril la faune sauvage.
Tous les aspects sont bien traités dans le roman, ce qui rend la lecture un peu laborieuse parfois, mais on ne peut pas reprocher à l’auteur d’être trop sérieux.

L’intrigue est bien construite, Erin a décidé de tracer les défenses d’éléphant pour frapper un grand coup contre la contrebande d’ivoire, elle sera aidée par un ranger qui connaît bien les habitudes des braconniers qu’il a été lui-même autrefois et un membre du gouvernement du Bostwana, cela nous permet un tableau assez complet de la population africaine impliquée dans ou contre le trafic de l’ivoire.

Je me demande toujours comment nous, les Européens, nous pouvons donner des leçons à l’Afrique, nous qui avons éradiqué tous, ou presque tous, les animaux sauvages qui peuplaient nos régions.

 

 

Citations

Trafic en Afrique

Ces dernières années, aux abords du célèbre parc, on est deux à trois rhino par jour. Leur corne, bien qu’elle soit un simple bout de kératine, restait l’appendice animal le plus cher et beaucoup essayaient de contourner la loi qui en avait interdit le commerce.

Le pourquoi des trafics

Tant que l’homme pense que ses faiblesses peuvent être compensées par la bile, du foie, des pattes, des griffes, qui lui suffit de consommer ou d’accumuler des parties animales pour guérir ou pour exister, tant que les pays consommateur de corne, d’ivoire, d’écaille et autres produits issus de la faune sauvage ne décide pas d’interdire ces pratiques et de les condamner, le braconnage prospérera toujours plus.

Rupture de milieu

C’est vrai que mon fils est quelqu’un d’important maintenant qu’il travaille pour le ministère. Si important qu’il ne peux plus dormir chez sa propre mère.

Culpabilité

Il y a quelques mois, il lui avait proposé de s’installer à Gaborone, il lui louerait un petit appartement, mettrait son père dans une clinique, mais ça ne s’était pas fait, elle ne laisserait jamais ses frères seuls, et Serese n’avait pas beaucoup insisté. Autour de lui, au ministère, on avait connu des écoles privées, on avait voyagé, lui n’était allé qu’en Afrique du Sud, il avait étudié un an à l’université de Johannesburg. On lui avait appris à penser petit, il s’en était excusé avant de comprendre que le changement devait venir de lui, qu’il n’y avait personne d’autre à tenir pour responsable de ses faiblesses, même si ce n’était pas si simple.

La Chine et le commerce illégal de l’ivoire

Chaque année, le gouvernement chinois injectait cinq tonnes d’Ivoire sur le marché intérieur légal, ivoire qui était répartie entre les différents atelier de sculpture du pays. Cinq tonnes, un chiffre dérisoire. S’approvisionner par la seule voie autorisé était impossible. Des centaines de tonnes d’Ivoire entrait illégalement dans le pays. Il se murmurait que le gouvernement comptait d’ici deux ans interdire le commerce légal et fermer le marché, les atelier de sculpture, mais ces ateliers n’étaient qu’une vitrine, la majorité des transactions étaient illicites, se passaient de certificats d’authenticité. Les groupes qui tenaient ce marché tenaient aussi des policiers, des hommes politiques, le réseau était vaste, complexe, Yang n’en n’était qu’une infime partie. Il avait fallu des années pour qu’elle se construise son propre réseau, trouve des sources fiables d’approvisionnement, mais si son rôle était essentiel, sa personne ne l’était pas, toujours, il y aurait une autre Yang.
 Ces groupes avaient des tueurs, mettaient des têtes à prix, combien de victimes de leur volonté de s’enrichir. À la sortie d’un avion, là où on se sent en sécurité, près d’une grande ville, dans un quartier huppé, des balles qui se perdent, qui se logent dans le corps de cet homme qui disparaît avec son combat, laissant un enfant à qui il sera dur de raconter la véritable histoire. Dans certains ateliers de Pékin, les défenses sculptées étaient affichées a plus de 350000 dollars.

L’avenir de la faune sauvage

Si Erin était un éléphant, elle verrait aussi les forêts devenir des fermes, elle verrait des routes coupées en deux son habitat naturel, des barrières électrifiées sur le chemin de ses migrations, elle verrait l’être humain rogner toujours plus sur les terres sauvages pour développer l’agriculture, conquérir chaque jour du terrain, elle serait emprisonnée dans un monde plus petit chaque année, ce qui était vaste ne serai plus que grand, elle pourrait aussi éprouver la soif et boire des litres d’une eau contenant du sodium de cyanure dilué, elle pourrait être prise de convulsions, sentir son cœur ralentir, sa respiration s’alourdir, elle pourrait s’effondrer sur le sol, entendre des coups de fusil, être chassée pour la simple possession de son ivoire, peser plus de six tonnes et devenir un bracelet, si elle faisait partie de ce groupe, elle penserais sans cesse à l’homme, il l’obséderait, elle saurait reconnaître ses intentions à la simple intonation de sa voix et adapterait son comportement en conséquence, elle pourrait être aussi victime de la folie du divertissement et être capturée vivante par des hommes de l’agence de la vie sauvage zimbabwéenne pour le profit de zoo qui naissent à Hangzhou ou à Shanghai, elle pourrait finir dans un parc clos, derrière une vitre, elle pourrait être une mémoire perdue, oui, si elle était l’un d’entre eux, elle serait en danger, une menace perpétuelle comme elle ne le sera jamais en temps qu’Erin.

Traduit de l’italien par Daniele Valin

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Après « Le jour avant le bonheur » et « Le Tort du Soldat » voici ma troisième lecture de cet auteur et un vrai coup de cœur . C’est un roman très court, parfaitement écrit qui embarque le lecteur dans le monde de la montagne, des chamois et des braconniers. Plus exactement d’un braconnier qui a consacré sa vie à la chasse, et d’un superbe chamois qui a passé la sienne à l’éviter. Les évocations de la nature sont pleines de charmes et de poésie et sont parfois belles à couper le souffle. Le temps de la lecture on respire un air différent et de cette lutte implacable personne ne sortira vainqueur. J’ai aimé l’écriture économe autant que somptueuse (bravo à la traductrice  !) , ce roman a sa place dans toutes les bibliothèques des amoureux de la nature et les protecteurs du monde animal mais dépasse largement ce cadre. Voilà bien l’illustration du pouvoir de la littérature car ce sont deux sujets qui sont souvent loin de mes préoccupations et pourtant, j’ai tout aimé dans ce roman.

 

Citation

Une bien jolie évocation

Les sabots des chamois sont les quatre doigts d’un violoniste. Ils vont à l’aveuglette sans se tromper d’un millimètre. Ils giclent sur des à-pics, jongleurs en montée , acrobates en descente, ce sont des artiste de cirque pour le public des montagnes. Les sabots des chamois s’agrippent à l’air. Le cal en forme de coussinet sert de silencieux quand il veut, sinon l’ongle divisé en deux est une castagnette de flamenco. Les sabots des Chamois sont quatre as dans la poche d’un tricheur. Avec eux, la pesanteur est une variante du thème, pas une loi.

L homme et le chamois

Le chasseur avait suivi des cerfs, des chevreuils, des bouquetins, mais plus de chamois, ces bêtes qui courent à la perfection au-dessus des précipices. Il reconnaissait une pointe d’envie dans cette préférence. Il avançait sur les parois à quatre pattes sans une once de leur grâce, sans l’insouciance du chamois qui laisse aller ses pieds, la tête haute. L’homme pouvait aussi faire des ascensions bien plus difficiles, monter tout droit là où eux devaient faire le tour, mais il était incapable de leur complicité avec la hauteur. Eux vivaient dans son intimité, lui n’était qu’un voleur de passage.

 

Traduit de l’américain par Juliane Nivelt

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une belle histoire d’amour et une lutte de tous les instants contre la sclérose en plaque. SP pour les intimes (qui aimeraient tant ne pas l’être !). Pour vous mettre dans l’ambiance je vous recopie la quatrième de couverture :

Maddy s’était juré de ne jamais sortir avec un garçon du même âge qu’elle, encore moins avec un guide de rivière. Mais voilà Dalt, et il est parfait. À vingt ans, Maddy et Dalt s’embarquent dans une histoire d’amour qui durera toute leur vie. Mariés sur les berges de la Buffalo Fork, dans le Wyoming, devenus tous deux guides de pêche, ils vivent leur passion à cent à l’heure et fondent leur entreprise de rafting dans l’Oregon. Mais lorsque Maddy, frappée de vertiges, apprend qu’elle est enceinte et se voit en même temps diagnostiquer une sclérose en plaques, le couple se rend compte que l’aventure ne fait que commencer.

Je dois avouer que ce roman ne m’a pas entièrement conquise. Certes la nature est belle, et oui, cet auteur sait décrire les somptueux décors des réserves naturelles nord-américaines. Mais les romans qui avancent à coup de dialogues ne sont pas mon fort. Et puis cette femme dont je comprends si bien la colère a souvent besoin de jurer et « les trou du cul » de succèdent à un rythme qui m’ont vite fatiguée. Leur histoire d’amour est belle un peu trop sans doute, on peut cependant y croire car l’auteur le raconte avec beaucoup de délicatesse. Ces deux thèmes qui se mêlent : cet amour profond qui les lie l’un à l’autre et la maladie qui ronge peu à peu les capacités de la jeune femme ont visiblement su séduire un large public. Je suis restée un peu en dehors, certainement à cause du style et je l’ai trouvé beaucoup trop long pour une fin que l’on sait, hélas ! inéluctable .

 

 

Citations

La maladie dans le regard des autres

Ses intentions sont bonnes, mais la vérité, c’est que je préférerais être brûlé vive.Je veux dire, je suis toujours heureuse de me retrouver dans les bras d’Allie, les rares fois où un type ne s’y trouve pas déjà, s’arrogeant toute la place. Mais pas de cette manière-là. Pas par pitié. Pas parce que je ne peux plus cacher mon bras, ma maladie.

 

Traduit de l’anglais écosse par Céline Schwaller 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Véritable coup cœur pour moi que je n’explique pas complètement. Je vais énumérer ce qui m’a plu :

  • J’ai retrouvé l’ambiance des films britanniques que j’apprécie tout particulièrement au festival de Dinard.
  • J’ai adoré les sentiments qui lient les deux héroïnes, deux sœurs différentes mais qui s’épaulent pour sortir de la mouise.
  • Je suis certaine que, lorsqu’on va mal, la beauté de la nature est une source d’équilibre.
  • Les personnages secondaires ont une véritable importance et enrichissent le récit.
  • La mère va vers une rédemption à laquelle on peut croire.
  • La fin n’est pas un Happy-End total mais rend le récit crédible.
  • Le caractère de la petite est drôle et allège le récit qui sinon serait trop glauque.

Voilà entre autre, ce qui m’a plu, évidemment la survie dans la nature encore sauvage des Highlands est difficile à imaginer, pour cela il faut deux ingrédients qui sont dans le roman. D’abord un besoin absolu de fuir la ville et ses conforts. Sal l’aînée en fuyant l’horreur absolue de sa vie d’enfant a commis un geste qui ne lui permet plus de vivre chez elle. Il faut aussi que les personnes soit formées à la survie en forêt, et Sal depuis un an étudie toutes tes façons de survivre dans la nature. Malgré ces compétences, les deux fillettes auront besoin d’aide et c’est là qu’intervient Ingrid une femme médecin qui a fui l’humanité elle aussi, mais pour d’autres raisons. Sa vie est passionnante et c’est une belle rencontre. C’est difficile à croire, peut-être, mais j’ai accepté ce récit qui est autant un hymne à la nature qu’un espoir dans la vie même quand celle-ci a refusé de vous faire le moindre cadeau.

Les Highlands :

 

Citations

La maltraitance

J’avais envisagé de le raconter pour Robert et qu’il comptait bientôt aller dans la chambre de Peppa aussi qu’il battait m’man et qu’il était saoul et défoncé tout le temps. Mais je savais que la première chose qui se passerait serait qu’il se ferait arrêter et qu’on nous emmènerait et qu’on serait séparé parce que c’est ce qui se passait toujours. En plus personne ne croirait que m’man n’était pas au courant et on l’accuserait peut-être de maltraitance ou de négligence et elle irait en prison. J’avais lu des histoires là dessus sur des sites d’informations, où la mère était condamnée et allait en prison et où le beau-père y allait pour plus longtemps parce que c’était lui qui avait fait tous les trucs horribles comme tuer un bébé ou affamer une petite fille, mais il disait que la mère avait laissé faire et elle se faisait coffrer aussi. Ils accusent toujours la mère d’un gamin qui se fait maltraiter au frapper, mais c’est toujours l’homme qui le fait.

L’étude de la survie

Tout en attendant à côté du feu éteint d’entendre quelque chose j’ai essayé de mettre un plan au point. Les chasseurs essaient de prévoir la réaction de leur proie pour savoir où et quand il les trouveront, ils savent ce qu’elles cherchent comme de l’eau et de la nourriture et ils adaptent leur propre comportement en fonction. Les prédateurs exploitent les besoins des proies pour essayer de les attraper quand elles sont les plus vulnérables comme lorsqu’elles font caca ou se nourrissent.

La nature

C’était la première fois que je voyais des blaireaux ailleurs que sur un écran et même s’ils étalent plus gros qu’on aurait pu le croire ils se déplaçaient en souplesse avec leur dos qui ondulait. Les deux plus petits ont commencé à fouiner dans la neige et les feuilles et l’un d’eux n’arrêtait pas de partir et de revenir en courant vers les autres comme s’il voulait jouer. Le gros a humé l’air puis il est parti sur une des pistes qui venait presque droit sur nous. Les deux autres l’ont suivi et tous les trois se sont approchés de nous en ondulant et la m’man m’a saisi la main et me l’a serrée quand je l’ai regardée elle avait la bouche ouverte sur un immense sourire et ses yeux étaient tout écarquillés et brillant comme si elle n’en revenait pas. Comme les trois blaireaux s’approchaient de plus en plus de notre arbre on est resté parfaitement immobile. Ils ont continué d’avancer et on les entendait gratter dans la neige et on voyait les poils gris et noir de leur pelage bouger et ondoyer à mesure qu’ils marchaient. À environ quatre mètres de nous le gros s’est arrêté puis il a levé la tête et nous a regardé bien en face. Il nous fixait dans les yeux tandis que les deux autres avaient le nez baissé et continuaient de renifler et de gratter la terre derrière lui. Ils ont levé les yeux à ce moment là et nous ont fixé tous les trois. J’avais envie de rire parce qu’ils avaient l’air carrément surpris avec leurs petites oreilles dressées. M’man relâchait son souffle très doucement. On est restées comme ça pendant que les minutes passaient dans le bois silencieux, maman et moi sous un arbre en train de fixer trois blaireaux.

Je sais que je dois cette lecture à la blogosphère en particulier à Jérôme mais à d’autres aussi. J’ai d’abord dégusté et beaucoup souri à la lecture de ce petit livre et puis je me suis sentie si triste devant tant de destructions, à la fois humaines et écologiques. Le regard de cet auteur est implacable, il sait nous faire partager ses révoltes. Comme lui, j’ai été indignée par le comportement de Philippe Boulet qui refuse de donner un simple coup de fil pour sauver de pauvres Malgaches partis en pirogues. Un de ses adjoint finira par l’y contraindre , mais trop tard si bien que seuls 2 sur 8 de ces malheureux ont été sauvés et vous savez quoi ?

 

En tant que chef de mission, Philippe Boulet a été décoré d’une belle médaille par le gouvernement malgache pour son rôle émérite dans le sauvetage des pêcheurs. un article de presse en atteste. Il sourit sur la photo.

 

La vision de la Chine est particulièrement gratinée, entre les ambiances de façades et la réalité il y a comme un hiatus. Comme souvent dans les pays à fort contrastes « le gringo » ou le »blanc » est considéré comme un porte monnaie ambulant. L’auteur se moque autant de ses propres comportements que ceux des touristes qui veulent absolument voir de « l’authentique ». Mais souvent la charge est lourde et quelque peu caricaturale. C’est peut être mon âme bretonne qui m’a fait être agacée aux portraits de bretons alcooliques. Ceci dit, pour voyager comme il le fait, il vaut mieux résister à l’alcool car on est souvent obligé de partager le verre de l’amitié qui est rarement un verre de jus de fruit quand on veut absolument vivre avec et comme les autochtones.

Enfin, le pire c’est le traitement de la nature par l’homme, c’est vraiment angoissant de voir les destructions s’accumuler sous le regard des gens qui se baladent de lieux en lieux sans réaliser que, par leur simple présence, (dont celle de l’auteur !) ils contribuent à détruire ce qu’ils trouvent, si « jolis », si « authentiques », si « typiques »….

 

Citations

 

Humour

J’ai passé des journées à marcher dans les rues, fouiner chez les disquaires de Soho, contempler l’agitation de Notting Hill ou des puces de Camden. Tout cela était très intéressant, je rencontrais d’autres possibles, mais ça ne m’aidait pas réellement à savoir qui j’étais. Le déclic eut lieu une nuit que j’étais à me morfondre dans quelque pub anglais au cœur de Londres. Accoudé sur un comptoir, je noircissais des page de cahier à spirale, dans une navrantes tentative postadolescente de devenir Arthur Morrison. Je zonais depuis une semaine, le groupe du pub reprenait Walk Of Life et j’en étais à écrire des sonnets sous Kronenbourg quand quelqu’un a renversé son verre de Guinness sur mes vers de détresse. Une vision, féminine, chevelure fatal et hormones au vent. Note pour les jeunes poètes maudits : écrire la nuit dans les bars, pour pathétique que ce soit, peut attirer la gourgandine. C’était une vieille, elle avait au moins 25 ans. Elle portait une robe noire sophistiquée et des talons arrogants ; elle travaillait dans la mode. Ses yeux brillaient d’une assurance alcoolisée. Volubile et pleins d’histoires.

Très drôle

Il existe, à l’est de Leeds, localité dont peu de gens soupçonne l’existence. Un port où le soleil n’est qu’un concept lointain, une cité prolétaire ou Margaret Thatcher est Satan et Tony Blair, Judas. Une riante bourgade ravagée par la crise postindustrielle, où l’on repère les étrangers à leur absence de tatouages et de cirrhose. Liverpool sans groupe de rock mythique, Manchester sans le foot. Hull est un sujet de moquerie pour le reste de l’Angleterre. Sa page Wikipédia se résume à 5 lignes, c’est que pour une ville de 250000 habitants.
PS  : Vérification Hull a plus que 5 lignes sur Wikipedia

Cette envie de recopier le livre !

Toutes ses économies dilapidées dans un voyage à pile ou face, des mafias engraissées, le cache cache avec la police de deux continents, la peur et le froid. Tout cela pour devenir esclave à Hull, qui concourt au titre de la ville la plus pourrie d’Europe. Khalid n’exprimait aucun regret : « Il vaut mieux être ouvrier à Hul que mort à Kaboul. » Une évidence contre laquelle aucune loi ne peut lutter.
… Dix kilomètres jusqu’à la maison. Des cités décaties où descendaient les rouquins à capuche, un immense supermarché Tesco, qui était une des raisons pour lesquelles Azad, Mohamed et Khalid, victimes de la géographie politique avez tenté la vie en Europe. Je travaille à l’usine pour pouvoir voyager. Ils avaient beaucoup, beaucoup voyagé pour venir travailler à l’usine.

Bombay

J’ai entendu quelques histoires de jeunes Anglais venus faire de l’humanitaire en Inde en sortant de chez leurs parents, et repartant au bout de trois jours, traumatisés par la réalité de la misères. Impossible de faire abstraction, dans cette ville où il faut prendre garde à ne pas marcher sur les nouveaux nés qui dorment sur le goudron.

Portrait de surfeurs

Tous ces garçons vivent entre eux dans une colonie de vacances perpétuelle, voyageant d’un spot à l’autre autour du monde, mangeant des corn flakes et des sandwichs à la mayonnaise dans des maisons de location, torse nu, pendant que le coach les dorlote. Le soir, ils boivent des bières autour d’un barbecue. Chaque année, à date fixe, il retrouve Hawaï, la Gold Coast australienne, le Brésil, l’Afrique du Sud ou Lacanau, sans avoir le temps de connaître les endroits qu’ils traversent. Ils ne se préoccupent pas de descendre sous la surface, leur fonction est de rester à flot. Ils gagnent très bien leur vie, ce sont des stars. Leurs performances sportives leur permettent de postuler au Statut de surhomme. Musclés et bronzés, ça va sans dire. Pas très grands, pour des histoires de centre de gravité. Leurs copines sont des splendeurs, rayonnantes de santé et de jeunesse, tout cela est très logique. On pourrait moquer la spiritualité de pacotille qui entoure le monde du surf, bric-à-brac de panthéisme cool où l’homme fusionne avec la nature dans l’action, mais ce n’est pas nécessaire. Ces types consacrent leur vie à la beauté du geste, dans un dépassement de soi photogénique. Ils tracent des sillons parfaits, en équilibre constant entre la perfection et la mort. Ce n’est pas rien.

La Chine

À Chongqing, je je trouve ce que j’aime dans lex tiers-monde. Le chaos organisé, la vie dans la rue, les gens qui vendent n’importe quoi à même le sol, les cireurs de chaussures,( l’un deux a voulu s’occuper de mes tongs), les vieux porteurs voûtés qui charrient le double de leur poids, les bars qui appartiennent à la mafia et les chiens qui n’appartiennent à personne.

À Pékin, on a posé une Chine en plastique sur la Chine. Et ça fonctionne très bien. Ils ont réussi à cacher les pauvres et les crasseux. À Chongqing, il n’y a pas de jeux olympiques. Les pauvres et les crasseux côtoient les costards cravates. Des ouvriers cassent les vieux immeubles à la masse, torse et pieds nus, à 15 mètres du sol. Les normes de sécurité ne sont pas optimales. Mais un centre commercial doit ouvrir dans 20 minutes à cet emplacement , alors il faut faire le boulot.

Portrait féroce et réducteur de l’autre….

Elle est prof. De maths. Allemande. Un sacré boute-en-train. Elle passe son temps à détailler de A à Z, tous les points de désaccord avec la culture chinoise. Je ne comprendrai jamais les gens qui, sortant de chez eux, ne supportent pas qu’on ne se comporte pas comme chez eux. De son côté, elle ne comprend pas que les Françaises s’épilent les jambes régulièrement. C’est pour l’instant, le plus gros choc culturel de mon séjour.

Traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes

 

Encore un coup de cœur de notre club, qui avait déjà couronné Le Tabac Tresniek que j’ai préféré à celui-ci. On est vraiment pris par cette lecture et pourtant, il ne se passe pas grand chose dans ce roman, si ce n’est qu’une vie entière y est racontée. Egger a d’abord été un enfant martyrisé par un oncle paysan qui n’avait aucune envie d’élever cet orphelin « batard », puis il deviendra un paysan dur à la tâche dans une Bavière des années 30. Enfin, il connaîtra l’amour et quelques années il sera heureux avec une jeune femme malheureusement disparue dans une avalanche qui détruira son chalet et sa vie. Il sera alors employé dans une compagnie qui construira des téléphériques et verra peu à peu sa montagne se transformer en lieu de loisirs . La grande histoire lui passe au dessus de la tête, lui qui n’a connu l’amour et l’affection que si peu de temps. Les risques qu’il prend dans les constructions en montagne, la guerre et surtout sa captivité en Russie soviétique aurait dû le voir mourir lui qui a perdu sa raison de vivre, il en revient, en 1952, encore plus solitaire. Oui, c’est toute une vie d’un homme simple et mal aimé qui se déroule devant nos yeux et l’auteur sait nous la rendre présente sans pour autant qu’aucun pathos ne se mêle à cette destinée solitaire.

Citations

Un enfant martyre

Comme toujours, le fermier avait trempé la tige dans l’eau pour l’assouplir. Elles fendait l’air d’un trait en sifflant, avant d’atterrir sur le derrière d’Egger dans un bruit de soupir. Egger ne criait jamais, cela excitait le fermier qui frappait encore plus dur. Dieu endurcit l’homme fait à son image, pour qu’il règne sur la terre et tous ce qui s’affaire dessus. L’homme accomplit la volonté de Dieu et dit la Parole de Dieu. L’homme donne la vie à la force de ses reins et prend la vie à la force de ses bras. L’homme est la chair, il est la terre, il est paysan, et il se nomme Hubert Kranzstocker.

L’enfant mal aimé

Pendant toutes ces années passées à la ferme, il demeura l’étranger, celui qu’on tolérait, le bâtard d’une belle-sœur châtiée par -Dieu, qui devait la clémence du fermier au seul contenu d’un portefeuille de cuir pendu à son cou. En réalité, on ne le considérait pas comme un enfant. Il était une créature vouée à trimer, à prier et à présenter son postérieur à la baguette de coudrier.

Camp de prisonniers en Russie

Au bout de quelques semaines, Egger cessa de compter les morts qu’on enterrait dans un petit bois de bouleaux, derrière le camp. La mort faisait partie de la vie comme les moisissures faisaient partie du pain. La mort, c’était la fièvre. La mort, c’était la fin. C’était une fissure dans le mur de la baraque, qui laissait passer le sifflement du vent.

La fin des camps de prisonniers en Russie

Il s’écoula encore près de six années avant que ne s’achève le temps d’Egger en Russie. Rien n’avait annoncé leur libération, mais, un beau jour de l’été dix-neuf cent cinquante et un, les prisonniers furent rassemblés tôt le matin devant les baraquements et reçurent l’ordre de se déshabiller et d’entasser leurs vêtements les uns sur les autres. Ce gros tas puant fut arrosé d’essence, puis allumé, et, tandis que les hommes fixaient les flammes, leurs visages trahissaient leur terreur d’être fusillés sur-le-champ ou d’un sort plus terrible encore. Mais les Russes riaient et parlaient fort à tort et à travers, et quand l’un d’eux saisit un prisonnier aux épaules, l’enlaça et se mit à effectuer avec ce fantomatique squelette nu un grotesque pas de deux autour du feu, la plupart sentirent que ce jour-là serait un jour faste. Pourvus chacun de vêtements propres et d’un quignon de pain, les hommes quittèrent le camp dans l’heure même, pour s’acheminer vers la gare de chemin de fer la plus proche.

De cet auteur j’ai beaucoup aimé Villa des femmes . On retrouve dans ce roman le regard impitoyable et rempli de nostalgie de Charif Majdalani sur son pays : le Liban qui « fut » un si beau pays. Il analyse aussi avec une précision qui n’enlève rien à la poésie, les légendes qui ont constitué un clan familial dont le narrateur est un descendant du clan des Jbeili. Cette « dynastie » a été fondée par celui qui a donné son titre à ce roman « L’empereur ». Cet homme plus mythique que réel, a bâti sa richesse en débroussaillant des montagnes et en devenant collecteur d’impôts. Mais une terrible loi empoisonne ce clan, l’ancêtre avait décidé, pour que cet empire reste intact, que seul le fils aîné aurait le droit de se marier et avoir des enfants. Les cadets connaîtront des sorts tragiques ou seront attirés par des aventures dans le vaste monde. L’auteur sait parfaitement rendre compte des ambiances et des tourments dans lesquels vivent les différents membres du clan. Il fait toujours l’effort de distinguer la part de la légende familiale de ce que peut être la réalité, nous offrant par la même une analyse très vivante de la société libanaise et des différents destins de ceux qui choisissent l’exil.
Je dois avouer que ce roman m’a moins enthousiasmé que le précédent mais j’ai été absolument saisie par la fin : le Liban d’aujourd’hui, à l’image de notre planète, détruit tout son environnement de façon sans doute irrémédiable. Les rapports entre les hommes sont régis par l’argent et rien ne saurait arrêter le béton même quand les rivages d’un pays sont paradisiaques. Ils deviennent hideux à la vue de tous pourtant rien ne semble arrêter les projets les plus monstrueux les uns que les autres. Rien que pour ces dernières pages, il faut lire ce roman qui fait réfléchir au rôle de l’homme sur la planète.

Citations

Se rendre compte d’un ailleurs dès les premières pages

C’est très beau, pourtant, au-dessus de Ayn Safié c’est sauvage à souhait, ce sont plusieurs brefs plateaux, semés de chênes verts et d’arbousiers, avec des rochers aux formes animales, qui ensuite laissent la place à des dénivelés impressionnants, des rocs et des arbres sauvages qui s’accrochent à la montagne jusqu’au fond de la gorge où coule le ruisseau de Ayn Safié. On est si haut que les Éperviers qui passent semblent à portée de main, et l’on voit de là tout le pays, les maisons cachées sous leurs treilles, les plantations de mûriers, les chemins, les chapelles, les églises, les moulins, et c’est cette vue panoramique qui déclenche ce rictus satisfait sur le visage de l’empereur, quand il se dit qu’il a sous les yeux tout le pays et que, d’une certaine manière il le domine déjà.

Description dune région aux confins de l’Asie

Tout en progressant, Shebab mesurait l’espace du regard, comme depuis qu’il était parti il n’avait cessé de le faire. Ses yeux, dirait- il, étaient comme élimés et épuisés à détailler les confins immenses et sans borne. Il observait maintenant l’horizon plat du côté du lac et de ses marais alors que de l’autre côté, comme toujours, les montagnes gigantesque semblaient leur faire des signes, assises depuis l’aube des temps dans une indifférence hautaine et mystérieuse.

Un passage qui décrit bien le Liban comme on le connaît aujourd’hui

Lorsque, en ce temps-là, on suivait la situation du Liban depuis l’étranger, comme je le faisais, on pouvait avoir l’impression que le pays était en ruine. Le monde entier – je le voyais lors de mes voyages – assistait à la dévastation du centre de Beyrouth et des quartiers limitrophes des lignes de front, et pensait que c’étaient la ville dans son ensemble et le pays qui étaient ravagé. Or l’activité économique était frénétique et le commerce florissant, ce que les récits de ma mère ne cessait de me confirmer. Il y avait un autre secteur qui explosait littéralement, c’était celui de l’immobilier. Je ne pense pas qu’il existe au monde un pays où la guerre a entraîné autant non de destructions mais de constructions. Les déplacements de population, les migrations internes et aussi l’accroissement démographique explique cette fièvre dans le bâtiment, la flambée des prix des terrains, notamment dans les environs de Beyrouth non touchés par la guerre. La déliquescence de l’État et de ses moyens de contrôle, la désorganisation générale des services urbains, la corruption et la mainmise des partis sur les rouages administratifs permirent ensuite le développement anarchique de l’urbanisme qui saccagea le paysage, détruisit les montagnes et les alentours des villes. Assez tôt, dès le début des années quatre vingt, ma mère dans ses lettres s’est mise à me décrire les premiers dommages qui aujourd’hui, étant donné tout ce qui a suivi, peuvent nous paraître bénins. Mais c’était le début d’un cycle calamiteux dont les bénéficiaires étaient aussi bien les propriétaires de modestes parcelles et les petits entrepreneurs qui bâtissaient n’importe comment que les consortiums qui naquirent à cette époque, regroupant des hommes d’affaires, des entrepreneurs et des intérêts partisans et miliciens. Ces derniers groupes lancèrent des chantiers qui contribuèrent comme le reste, mais de manière plus systématique, à détruire les paysages et à ruiner l’environnement. Vous vous souvenez, bien sûr, même si vous êtes plus jeune que moi, qu’en quelques années les orangeraies du littéral nord avaient disparu, et avec eux les bourgs et les villages submergés par le béton, un béton qui grimpa à l’assaut des premiers contreforts autour de Beyrouth, détruisant les pinèdes et brouillant les échelles par l’érection d’immeubles dont la hauteur contrevenait a des lois dont plus personne ne se souciait. Je n’étais pas là pour voir ses transformations, je les ai découvertes avec horreur à mon retour, bien plus tard. Et j’ai également découvert alors comment des groupes financiers et les entrepreneurs avaient mis la main sur les plages publiques et défiguré la côte, débordant de tous côtés sur les terres agricoles non constructibles, ce qui nous vaut ce continuum urbain hideux à la place des kilomètres de littoral et de versants montagneux arborés.

L’après guerre au Liban

Un modèle dominait à ce moment, vous vous en souvenez, celui qui avait imposé les milliardaires au pouvoir. Mais il était si difficilement accessible que nombreux étaient ceux qui, voulant jouer les richissimes nababs, dépensaient sans compter pour chaque repas, chaque célébration, chaque mariage, après quoi les dettes les mettaient sur la paille. Des personnes très en vue disparaissaient soudain, d’autres apparaissaient puis disparaissaient à leur tour, tels des papillons imprudents s’approchant trop près tantôt du pouvoir, tantôt des oligarchie financière, et y brûlant aussitôt leurs ailes trop fragiles. Tout cela se jouait tous les jours sous les yeux des gens modestes, comme mes employés par exemple, et tant d’autres, qui assistaient à cet opéra un peu obscène avec envie et parfois des airs dubitatifs.

Une fin bien triste

Quoi qu’il en soit, j’ai refusé jusqu’à l’idée de ce projet de parc naturel. Je ne peux imaginer ces montagnes et ces gorges balisées par des sentiers, aseptisées et protégées par des miradors de militants écologistes. C’est comme mettre des animaux fabuleux en cage pour en protéger l’espèce. C’est ce que j’ai dit aux jeunes gens venus ici me proposer de préserver les lieux. Cette région vivra le destin qu’il attend, leur ai-je dit l’entropie est partout, le monde se défait, la laideur gagne à toute allure. Je leur ai dit que, dès l’instant où l’homme avait coupé le premier arbre, le phénomène s’était enclenché. Ici, il va plus vite qu’ailleurs, parce que nos concitoyens sont plus avides et les paysages plus vulnérables. Ils finiront par disparaître, comme tout, comme la terre entière qui un jour ne sera plus qu’un souvenir, et je me demande d’ailleurs dans la mémoire de qui. C’est peut-être cela la pire angoisse humaine, le fait que, un jour, plus rien dans l’immensité du cosmos ne se souviendra de quoi que ce soit de ce que les humains auront fait, de leur rêve, de leur aventure, de leur folie poétique, ne me de ce qu’ils ont reconstruit, bâti, il, ni de ce qu’ils auront pour cela même simultanément détruit, dévasté, ravagé.

 

j’ai encore une fois trouvé cet auteur sur la blogosphère et je m’en félicite. Il se trouve que je l’ai lu deux fois car j’ai été isolée dans un endroit avec ce seul livre comme lecture possible, alors comme autrefois dans ma jeunesse, j’ai relu ce livre tout doucement pour ne pas le finir trop vite.Et j’ai été très sensible à la langue et par moment une réflexion sur les mots, ceux venant du patois comme « empurgué » qui désigne à la fois la naissance et la mort. Telle une tragédie antique le roman tient en une journée de 1961. Mais finalement la clé du livre est donnée dans un court texte qui lui se passe 2011 et raconte un fait historique peu connu de 1940 dans la ligne Maginot le combat et la résistance de l’armée française à Schœnenbourg . Le roman évoque un petit village d’Auvergne c’est l’époque du remembrement et de l’arrivée de la télévision. Des personnages complexes que l’on ne peut pas juger facilement. Un geste héroïque d’un père qui sait depuis 1940 ce que veut dire la guerre. Et enfin un moment de notre histoire très mal racontée par nos livres d’histoire et très déformée dans notre inconscient collectif : la ligne Maginot. Nous suivons d’abord les pensées d’Albert qui n’a jamais su trouver les mots pour raconter sa guerre à ses enfants. Il sait une chose Albert, il ne veut pas de la modernité que sa femme aime tant. Et le remembrement qui s’annonce signifie pour lui la fin de son monde car il se sent plus paysan qu’ouvrier chez Michelin. Puis les pensées de Gilles, ce petit bonhomme de CM2 qui a trouvé dans les livres sa raison de vivre et qui, ce jour là, est plongé dans « Eugénie Grandet ». En cheminant dans ce roman trop difficile pour lui, il ouvre peu à peu les portes de la compréhension de la vie. C’est merveilleusement raconté. Et puis il y a la belle Suzanne, la mère d’Henry soldat en Algérie né avant la guerre 39/45 et de Gilles né après. C’est la femme d’Albert qu’elle a cessé d’aimer.

Tout le roman tourne autour de l’arrivée de la télévision car l’émission phare de la seule chaîne alors diffusée « 5 colonnes à la une » consacre un reportage aux soldats d Algérie. Henry est interviewé à l’occasion. Sa mère ne manquerait pour rien au monde ce moment de revoir son fils. Les conséquences seront tragiques.
Il y a aussi la mère très âgée qui perd parfois la tête, et la sœur d’Albert qui a choisi la modernité et le communisme.
Voilà donc un moment de vie dans la campagne en 1961 et pour moi la découverte d’un écrivain qui a su évoquer en une seule journée trois guerres, celle de 14/18, le père d’Albert en est revenu victorieux, celle de 39/45 dont Albert est revenu muet et vaincu et celle d’Henry son fils qui risque sa vie même si personne ne comprend très bien ce qu’il fait dans ce pays si lointain. Je sais que ce roman restera gravé dans ma mémoire et que je ferai de nouveau confiance à cet auteur pour m’embarquer dans son univers .

Citations

Explication du titre

In extremis, il réussit à ravaler ses pleurs sous ses paupières et à les manger dans ses yeux. Ça le brûlait tellement qu’au moment où il les rouvrit il crut avoir perdu la vue. Il n’en revenait pas de ce séisme au-dedans, lui qui ne versait jamais une larme, pas même aux enterrements, pas même à l’enterrement de son père. Un homme qui pleure, ça n’avait pas de sens. Sauf parfois les vieux. Il avait déjà remarqué que, à partir d’un certain âge, les hommes n’hésitaient pas à sortir leur mouchoir, pour presque rien. Il se souvenait du père Pelou qu’il avait aidé, il y avait plusieurs années de cela, à retourner la terre de son potager. L’homme avait été une force de la nature mais, après de 80 ans, il n’avait plus un muscle dans les bras et, malgré son grand âge, il devait encore nourrir un fils impotent que le reflux de 14 lui avait ramené comme un un déchet. Incapable de le remercier du service rendu, le vieil homme s’était mis à trembler comme une feuille. C’était son corps tout entier qui pleurait sans pouvoir s’arrêter. Et pourtant Dieu sait qu’il n’avait pas été tendre dans sa vie celui-là, surtout pas avec sa femme, une sainte, qui s’epuisait à s’occuper de leur fils unique condamné à vie dans sa chaise roulante. En vieillissant les hommes pleurent. C’était vrai. Peut-être pleurait-il tout ce qu’il n’avait pas pleuré dans leur vie, c’était le châtiment des hommes forts.

Un fait historique peu connu

Je suis allé plusieurs fois visiter le fort de Schœnenbourg pour écouter ce silence de la plaine. À un moment, il faut renoncer aux mots et donner les chiffres. Seulement 22000 soldats français ont vaincu 240 000 Allemands en Alsace et en Lorraine, et seulement 85000 autres soldats français alpin dans leurs alpins dans leurs champignons de béton ont arrêté près de 650000 Allemands et Italiens. Pas un ennemi n’est passé sur la ligne Maginot, tant que des soldats sont restés à leur poste. Pas un ! Et quand l’armistice entra en vigueur le 25 juin, les soldats ne capitulerent pas pour autant, et continuèrent à se battre comme des chiens ou comme des dieux. Ils voulurent vaincre ici, puisque ailleurs tu t’étais déjà perdu, uniquement pour l’honneur de leur père et surtout pour faire la preuve non pas de leur courage (ils étaient bien trop humbles pour ça), mais de l’efficacité du plus grand projet de fortification jamais pensé ni réalisé, ni égalé en Europe et qui les avait rendu invincibles eux- mêmes. Le muscle de béton avait parfaitement joué son rôle et tenu ses promesses, et même au-delà. Si le haut commandement avait fait son travail au nord, donné les ordres au bon moment, ou si la Belgique avait opté pour un prolongement de la ligne Maginot sur ses frontières à l’est au lieu de préférer la naïve neutralité qui leur a coûté beaucoup plus cher en vies humaines, le cours de l’histoire eût été tout autre.

Les Américains en 1918 et Maginot

Fini, enfin, d’appeler à notre rescousse ces américains si mal élevés qui refusaient que leurs soldats noirs participent aux célébrations de la victoire. Saviez-vous que ce sont les paysans français qui sont allés chercher les soldats noirs dans leur caserne où leurs maîtres blancs les avaient bouclé à double tour. Et, malgré le règlement américain, ces mêmes paysans ont jeté ces esclaves dans les bras de leurs filles pour danser sur les places de tous les villages. Ils ont aimé l’accordéon, ces noirs qui ne connaissaient que le jazz. Pourquoi croyez-vous que la France fut une terre bénie pour les jazzmen qui arrivèrent à Paris au moment où Maginot justement réfléchissait à la façon d’éviter que le massacre recommence un jour ? Le jazz, c’est la musique de l’idéal, le blues, c’est la musique du spleen. Ça jouait du jazz partout, et l’armée cherchait aussi à sa façon à faire écho à cet idéal. Enfin, toutes ces raisons additionnées donnaient une réponse claire, il fallait éviter qu’un jour autant d’hommes meurent pour sauver leur pays. Après tout, ce n’est pas aux hommes de sauver leur pays, c’est au gouvernement. Maginot en était convaincu.

J’aime réfléchir sur les mots

 Mais est-ce que ça pouvait vraiment être ça le bonheur ? Il chercha dans le dictionnaire , qu’il avait aussi emprunté à son frère , l’étymologie de ce mot . Il découvrit que le bonheur n’était pas cet état de béatitude qu’il avait imaginé, le bonheur était un présage, le présage du bien, comme le malheur était le présage du mal. C’était juste une promesse.

Le charme du patois

Albert connaissais aussi le miracle de cette langue ancienne des paysans ou le feu meurt à tout jamais, alors que les hommes s’éteignent pour naître dans la mort. On ne disait pas que quelqu’un était mort, on disait qu’il s’était éteint puis « empurgué ». Le mot oublié remonta en lui pour le consoler. L’Empurgar ! Le seul mot qui désignait en patois la naissance dans la mort, un mot gaulois sûrement, qui n’existait pas en français, le seul mot qui devait apaiser Madeleine en secret.

Le plaisir des livres

Eugénie Grandet était le premier grand roman qu’il lisait, sans savoir que c’était un grand roman. Dès les premières lignes, sa confiance en ce qui était écrit grandit au fur et à mesure de sa lecture. Dans le livre, on ne parlait pas comme chez lui, à part Nanon peut-être, qui parlait un peu comme sa grand-mère. Les phrases étaient comme des routes de montagne avec des virages qui s’enchaînent les uns aux autres et au bout desquels se révèlent des paysages magnifiques. Elles étaient compliquées, même ardues quelquefois et, malgré cette difficulté, il comptait bien aller jusqu’au bout du livre. Les pages étaient encore scellées entre elles et, à l’aide du canif que son père lui avait offert, il coupait les pages les unes après les autres avec un plaisir équivalent à celui d’un explorateur obligé de couper la végétation pour se frayer un chemin dans une forêt épaisse et noire, attaqué lui aussi par les mouches qui se multipliaient dans la chaleur.

Découverte du roman de Balzac et les pleurs d’un homme.

Le cousin d’Eugenie était inconsolable. Gilles, plongé dans un nouveau chapitre du roman, chassait machinalement les mouches qui brouillaient les lignes noire et genait sa lecture. Charles venait d’apprendre la mort de son père. C’était pour l’éloigner du drame que le vieil homme ruiné l’avait envoyé à Saumur, chez son oncle. Il était perdu, le pauvre garçon. Ninon, la bonne à tout faire, et Eugenie cherchaient par tous les moyens à soulager la peine de ce jeune homme si différent de tout ce qu’elles connaissaient , et qui n’arrêtait pas de pleurer. Ça, c’était curieux. Gilles savait qu’un enfant pouvait pleurer, que sa mère pleurait quand elle lisait les lettres d’Henri, mais un homme ! Charles Grandet était un homme déjà. Gilles n’avait jamais vu son père pleurer, ni aucun homme autour de lui, pas même Henri. Alors, de quoi était fait ce Charles qui s’effondrait des nuits entières, comme une fille, écrasé dans ses oreillers ?

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Qui n’aimerait pas entendre la personne qu’on a tant aimé conclure le dialogue de la rupture par ces mots :

« Reviens quand tu veux »  ?

Je ne connaissais pas cet auteur qui m’avait tentée à travers la lecture de vos blogs, c’est chose faite, et le moins que je puisse dire c’est que je ne regrette pas les heures passées en sa compagnie. Son style est très particulier, il évoque avec des expressions un peu vieillottes la nature où ce curieux bouquiniste a décidé de vendre (ou pas !) des livres aux rares personnes qui s’égarent jusqu’à sa boutique. Chaque chapitre démarre par une description du temps ou par des éléments de la nature, souvent j’y suis peu sensible, mais Éric Holder a su dompter mon impatience, car il peuple son récit de personnages qui sont loin d’être des caricatures. Ils sont humains c’est tout, donc avec de gros défauts mais aussi quand on s’y attend le moins des qualités qui m’émeuvent. Ainsi, ce garde-champêtre ne sera pas seulement la victime du « terrible » libéralisme contemporain – et trop souvent caricatural dans les films ou dans les romans- mais deviendra gardien du camping, heureusement pour Antoine, notre bouquiniste qui pourra donc après son histoire d’amour se réconforter en regardant les soleils couchants dans l’Algeco mis à la disposition du gardien. Antoine n’est ni meilleur ni pire qu’un autre, il fera, lui aussi, souffrir Marie la boulangère qui était celle – avant Lorraine- avec qui il allait au cinéma et avec qui il finissait ses soirées. Le mari de la boulangère qui a joué et perdu tout l’argent du ménage viendra rappeler à Antoine que Marie est fragile et qu’il n’a pas le droit de la faire souffrir. Ce roman est riche d’une galerie de portraits et on a envie de se souvenirs de tous sauf, peut-être, de madame Wong qui exploitait notre Antoine mais cela se termine bien. Nous apprenons au passage que le commerce chinois recherche nos vieux livres : est-ce vrai ?

J’avais beaucoup aimé il y a quelques années le film fait à partir du roman d’Éric Holder « mademoiselle Chambon »

On pourrait facilement mettre en film « la femme qui n’a jamais sommeil » et pourquoi pas Vincent Lindon dans le rôle d’Antoine et pour Lorraine, la conteuse, Sandrine Kimberlain ce serait parfait aussi.

Citations

 Quand j’ai cru que je n’accrocherai pas à ce roman à cause des descriptions trop classiques

Quand l’avant-garde des nuages est apparue dans le ciel, on a tout de suite vu qu’il s’agissait de méchants, de revanchards. Pas une goutte depuis 2 mois, il allait corriger la situation vite fait, ce n’était pas pour plaisanter. Derrière eux, l’urgence crépitait en arc bleuâtres sous le ventre du troupeau, au loin le canon. La lumière s’est éteinte subitement, la nature retenait son souffle, en apnée. Quand le vent est revenu, fou furieux, il hurlait en se frayant un chemin à coups de gifles. Des milliers de feuilles d’acacia, jaunies ou dorées, périrent à l’instant, jonchant le sol. Les premières gouttes de pluie laissèrent entendre des hésitations de moineau sur un balcon. Quelques secondes plus tard, l’eau tombait par baquets, rejaillissant des gouttières sous pression, noyant le paysage.

Toujours le style, mais déjà je savais que j’aimais ce roman

Octobre est resté suspendu aux lèvres du soleil abondant, avec la bienveillance d’un ciel ou de rares nuages patrouillent avant de repartir dépités.

Le prénom de la femme aimée et perdue

Elle s’appelait Anne, un prénom entouré d’un hiatus, qu’on ne sait où accrocher, et qui demeure suspendu comme une exténuation, un début de mots, une adresse qui n’aurait pas été achevée. Anne, on sent déjà qu’une part manquera.

Je ne savais pas ça

 La Veuve Clicquot, née Nicole-Barbe Ponsardin, tient lieu de phare. J’apprends à Lorraine qu’elle vécu quatre-vingt-neuf ans, son mari, qu’elle adorait, était issu de la plus illustre famille de facteurs d’orgues français.

Deux hommes ont aimé la même femme

 Lui me parle souvent de toi. Tu as même intégré nos quelques sujets de conversation favoris, ceux qui permettent de nous entremettre, bon gré mal gré, sur la lande où nous ne sommes que deux. Je ne réponds pas à toutes ses questions. J’adore voir, quand il les pose, le rêve passer dans ses yeux.

Un portrait

Parmi les habitués, un ancien matelot. Outre la marine, son domaine de prédilection, qu’il cultive historiquement, il maîtrise des sciences qui, si on l’écoute, s’y rapportent, la géologie, l’astrophysique, la botanique, l’anthropologie. À l’aide d’une mémoire étincelante, il jette des passerelles inédites de l’une à l’autre. Il n’a pas navigué sans savoir sous quels ciels, ni sur quel flots il se trouvait, leur composition, leurs impératifs, leur pouvoir. Ce passionné restait modeste, les cimetières, disait-il, étaient remplis de gens comme lui.

Traduit de l’anglais par Christine Raguet.

Une plongée dans la souffrance d’un homme rongé par l’alcool, et qui a laissé sur son chemin un bébé qui a dû se débrouiller tout seul pour grandir. Non, pas tout seul car le geste le plus beau que son père a accompli, a été de le confier au seul être de valeur rencontré au cours de sa vie d’homme cabossée par une enfance bafouée, puis par la guerre, par le travail manuel trop dur et enfin par l’alccol : « le vieil homme » saura élevé l’enfant qui lui a été confié et en faire un homme à la façon des Indiens , c’est à dire dans l’amour et le respect de la nature. Bien sûr, cet enfant a de grands vides dans sa vie : son père qui lui promettait tant de choses qu’il ne tenait jamais et sa mère dont il ne prononce le nom qu’aux deux tiers du roman mais que la lectrice que je suis, attendait avec impatience. Ce roman suit la déambulation lente de la jument sur laquelle le père mourant tient tant bien que mal à travers les montagnes de la Colombie-Britannique, guidé par son fils qui jamais ne juge son père mais aimerait tant le comprendre. Après Krol, Jérome Kathel, j’ai été prise par ces deux histoires, la tragédie d’un homme qui ne supporte sa vie que grâce à l’alcool. Et celle de son enfant qui a reçu des valeurs fondamentales de celui qu’il appelle le vieil homme. Tout le récit permet aussi de découvrir le monde des Indiens, du côté de la destruction chez le père, on vit alors de l’intérieur les ravages mais aussi la nécessité de l’alcool. Souvent on parle de l’alcoolisme des Indiens, comme s’il s’agissait d’une fatalité, mais au centre de ce comportement, il existe souvent des secrets trop lourds pour que les mots suffisent à les évacuer. L’enfant en parle ainsi

C’est un peu comme un mot de cinq cents kilos

L’autre aspect, bien connu aussi du monde des Indiens, c’est l’adaptation à la nature qui remet l’homme à sa juste place sur cette planète. Et l’auteur sait nous décrire et nous entraîner dans des paysages et des expériences que seule la nature sauvage peut nous offrir.

 

Citations

Être indien

Il était indien. Le vieil homme lui avait dit que c’était sa nature et il l’avait toujours cru. Sa vie c’était d’être seul à cheval, de tailler des cabanes dans des épicéas, de faire des feux dans la nuit, de respirer l’air des montagnes, suave et pur comme l’eau de source, et d’emprunter des pistes trop obscures pour y voir, qu’il avait appris à remonter jusqu’à des lieux que seuls les couguars, les marmottes et les aigles connaissaient.

L’alcool

 Le whisky tient à l’écart des choses que certaines personnes ne veulent pas chez elle. Comme les rêves, les souvenirs, les désirs, d’autres personnes parfois.

La souffrance et l’alcool

 J’ai essayé de me mentir à moi-même pendant un paquet d’années. J’ai essayé d’me raconter que ça s’était passé autrement. J’ai cru que j’pourrai noyer ça dans la picole. Ça a jamais marché du tout.

Les couchers de soleil

Lorsqu’ils passèrent la limite des arbres au niveau de la crête, les derniers nuages s’étaient écartés et le soleil avait repris possession du ciel à l’ouest. Les nuages été à présent pommelé de nuances mordorées et il pensa que c’était bien la seule cathédrale qu’il lui faudrait jamais.
Photo prise dans un blog que j’aime beaucoup : ruralité .net
 oui, les couchers de soleil sont des cathédrales !