Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Bisseriex. Livre lu grâce à Babelio et offert par les éditions « le nouveau pont ».
Pat Conroy fait partie des auteurs qui savent me transporter dans un autre monde et dans un autre genre de vie. J’ai lu tous ses romans et sa mort m’a touchée. Le monde dans lequel il me transporte, c’est la Louisiane ou l’Alabama. Il sait me faire aimer les états du Sud, pourtant souvent peu sympathiques. Il faut dire qu’il vient d’une famille pour le moins non-conventionnelle : sa mère qui se veut être une « parfaite dame du Sud », n’est absolument pas raciste, car si elle est en vie, c’est grâce à une pauvre famille de fermiers noirs qui l’a nourrie alors qu’elle et ses frères et sœurs mouraient de faim pendant la grande dépression. Le racisme, l’auteur le rencontrera autant à Chicago dans la famille irlandaise qu’à Atlanta mais sous des formes différentes. L’autre genre de vie, c’est sa souffrance et sans doute la source de son talent d’écrivain : une famille « dysfonctionnelle », un père violent et des enfants témoins d’une guerre perfide entre parents dont ils sont toujours les premières victimes.
Ce livre est donc paru (en France ?) après la mort de son auteur et explique à ses lecteurs pourquoi malgré cette enfance absolument abominable il s’est réconcilié avec ses deux parents. Il montre son père « le grand Santini » sous un jour différent grâce au recul que l’âge leur a donné à tous les deux. Cet homme aimait donc ses enfants autant qu’il les frappait. Il était incapable du moindre mot de gentillesse car il avait peur de les ramollir. Plus que quiconque le « grand Santini » savait que la vie est une lutte terrible, lui qui du haut de son avion a tué des milliers de combattants qui menaçaient les troupes de son pays. Un grand héros pour l’Amérique qui a eu comme descendance des enfants qui sont tous pacifistes.
Pat Conroy a fait lui même une université militaire, et il en ressort écœuré par les comportements de certains supérieurs mais aussi avec une certaine fierté de ce qu’il est un … « Américain » . Il décrit bien ces deux aspects de sa personnalité, lui qui pendant deux ans est allé enseigner dans une école où il n’y avait que des enfants noirs très pauvres. Il dit plusieurs fois que l’Amérique déteste ses pauvres et encore plus quand ils sont noirs. Mais il aime son pays et ne renie pas ses origines.
On retrouve dans cette biographie l’écriture directe et souvent pleine d’humour et dérision de cet écrivain. Il en fallait pour vivre chez les Conroy et s’en sortir. On reconnaît aussi toutes les souffrances qu’il a si bien mises en scène dans ses romans. On peut aussi faire la part du romanesque et de la vérité, enfin de la vérité telle qu’il a bien voulu nous la raconter. Ce livre je pense sera indispensable pour toutes celles et tous ceux qui ont lu et apprécie Pat Conroy
Citations
Un des aspect de Pat Conroy son estime pour certains militaires
À la dernière minute de ma vie surmilitarisée, j’avais rencontré un colonel que j’aurais suivi n’importe où, dans n’importe quel nid de mitrailleuse et avec lequel j’aurais combattu dans n’importe quelle guerre. Ce colonel, dont je n’ai jamais su le nom, me permit d’avoir un dernier aperçu du genre de soldat aux charmes desquels je succombe toujours, dévoués, impartiaux et justes. C’est lui qui me flanqua à la porte et qui me renvoya dans le cours de ma vie.
Genre de portrait que j’aime
Sa relation avec la vérité était limitée et fuyante -mais son talent pour le subterfuge était inventif et insaisissable par nature.
Toute famille a son barjot
Autant que je sache, chaque famille produit un être marginal et solitaire, reflet psychotique de tous les fantômes issus des enfers plus ou moins grands de l’enfance, celui qui renverse le chariot de pommes, l’as de pique, le chevalier au cœur noir, le fouteur de merde, le frère à la langue incontrôlable, le père brutal par habitude, donc qui essaie de tripoter ses nièces, la tante trop névrosée pour jamais quitter la maison. Parler moi autant que vous voulez des familles heureuses mais lâchez-moi dans un mariage ou dans un enterrement et je vous retrouverai le barjot de la famille. Ils sont faciles à repérer.
Son père
Les années les plus heureuse de mon enfance étaient celles où Papa partait à la guerre pour tuer les ennemis de l’Amérique. À chaque fois que mon père décollait avec un avion, je priais pour que l’avion s’écrase et que son corps se consume par le feu. Pendant trente et un ans, c’est ce que j’ai ressenti pour lui. Puis j’ai moi-même déchiré ma propre famille avec mon roman sur lui, « Le grand Santini ».
Humour que l’on retrouve dans les romans de Pat Conroy
-Ton oncle Joe veut te voir. Il habite dans un bus scolaire avec vingt-six chiens.-Pourquoi ?– Il aime les chiens, je crois. Ou alors les bus scolaires
La sœur poète et psychotique
Ma sœur Carole Ann a vécu une enfance vaillante et sans louange mais surtout une enfance d’une solitude presque insupportable. Elle aurait été un cadeau pour n’importe quelle famille mais passa inaperçue la plupart du temps. À tout point de vue, c’était une jolie fille qui n’arrivait pas à la hauteur des attentes des mesures et de sa mère. Malgré elle, Peg Conroy avait le don insensé de faire croire à ses filles qu’elles étaient moches.
Son rapport à l’Irlande
Dans mon enfance, tout ceux qui me frappaient était irlandais, depuis mon père, ses frères et ses sœur, jusqu’aux nonnes et aux prêtres qui avaient été mes enseignants. Je percevais donc l’Irlande comme une nation qui haïssait les enfants et qui était cruelle envers les épouses.
L’éloge funèbre de Pat Conroy à son père
Il ne savait pas ce qu’était la mesure, ni même comment l’acquérir. Donald Conroy est la seule personne de ma connaissance dont l’estime de soi était absolument inébranlable. Il n’y avait rien chez lui qu’il n’aimait pas . Il n’y avait rien non plus qu’il aurait changé. Il adorait tout simplement l’homme qu’il était et allait au devant de tous avec une parfaite assurance. Papa aurait d’ailleurs aimé que tout le monde soit exactement comme lui.
Son obstination été un art en soi. Le grand Santini faisait ce qu’il avait à faire, quand il le voulait et malheur à celui qui se mettait en travers de son chemin.