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Un livre au sujet de Proust rassemblant neuf écrivains appréciant pour des raisons différentes la Recherche, : Laura El Makki, Antoine Compagnon,Raphaël Enthoven, Michel Erman, Adrien Goetz, Nicolas Grimaldi, Julia Kristeva, Jérôme Prieur, Jean-Yves Tadié.

Ils ont chacun leur Proust et, durant l’été 2013, ils l’ont raconté sur les ondes de France Inter. Je n’écoute pas souvent la radio l’été , mais ce livre me le ferait regretter. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce recueil, il m’a permis de revivre des bons moments de ma lecture de La Recherche , à la vérité les meilleurs moments sont les extraits de l’œuvre de ce si grand écrivain. Je pense que ce petit livre peut amener de nouveaux lecteurs qui ont encore peur du style de Proust. Pour les autres ceux et celles qui lisent et relisent La Recherche, nous nous sentons en communion avec des idées que nous avons eues ou qui nous apparaissent comme justes.

Si je ne suis pas plus enthousiaste, c’est que j’ai trouvé difficile de passer d’un critique à l’autre.C’est un peu comme les nouvelles, mais en plus difficile : on commence par s’installer dans un style dans un mode de pensée et il faut en changer sans en avoir envie. À chaque fois, ça m’a fait perdre les premières pages du penseur suivant car je regrettais la pensée que je venais de quitter. Enfin, il m’a manqué, ce qui pour moi fait le sel de Proust, c’est son humour. Cette écrivain qui croque avec tant de précision toutes les couches de la population est parfois très drôle . Je me souviens de la scène où Françoise est complètement indifférente à la souffrance de la jeune bonne, alors qu’elle est bouleversée à la lecture des mêmes maux dans le livre de médecine du père du narrateur.

En dehors de ces deux remarques, je dois dire que je n’ai pas réussi à quitter ce livre pendant une dizaine de jours et je sais que je le relirai souvent car j’ai toujours du mal à passer beaucoup de temps sans Proust. J’ai enfin relu Sodome et Gomorrhe qui ne m’avait pas plu à la première lecture, et j’ai été contente de lire dans ce livre à quel point Marcel Proust a écrit sans far et sans gêne ce qu’était l’homosexualité à son époque.

Citations

Antoine Compagnon au sujet de Swann et d’Odette et du narrateur avec Albertine

Car la jalousie est une psychologie de l’imaginaire. Pas plus qu’il n’y a de jalousie sans soupçon, pas plus n’y a-t-il en effet de soupçon sans imagination. Or, le propre du soupçon est que notre imagination du possible lacère l’image que nous avons du réel. Dès que nous avons perdu de vue la femme dont nous sommes jaloux, que n’en pouvons nous imaginer ? Où est-elle en ce moment ? Qu’y fait-elle ? Avec qui ? Comment ? Le jaloux tente alors de l’imaginer. En l’imaginant , il se le représente , il le mime intérieurement, il le ressent, il le vit.

Au sujet de l’amour

Il y a donc, à l’origine de tout amour, une sorte d’illusion, de méprise ou de quiproquo . Cette illusion consiste à prendre pour des propriétés objectives de la personne les fantasmes subjectifs que produit notre imagination à son sujet.

Une jolie phrase de Proust citée par Julia Kristeva

Le seul véritable voyage, (…..) ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux.

 Je partage l’opinion de Michel Erman à propos de l’œuvre de Proust

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Il aurait fallu si peu de chose pour que ce livre ne soit jamais écrit : que le placement de Lyes par l’ASE, qui avait si bien commencé dans une famille aimante prête à l’adopter ne quitte la région parisienne. Comme il le dit lui même, ces cinq ans de bonheur normal lui ont sans doute forgé des forces pour être debout aujourd’hui. Ensuite ce sera l’enfer pour lui d’abord, et lorsque les adultes qui auront à s’occuper de lui l’auront bien écrabouillé et détruit en lui, toute trace de naïveté de son enfance, ce sera l’enfer pour tous ceux ou celles qui devront l’approcher.

Il veut témoigner de ce que sont les foyers où on mélange les enfants de 8 ans avec des jeunes de 17 ans, du peu de surveillance de certaines famille d’accueil, de l’absurdité des placements successifs, l’abus de l’utilisation des médicaments lorsqu’un enfant est agité et du mal que peut créer le lien avec la mère biologique au détriment de l’enfant. Un argument donné par son référent de L’ASE pour ne pas le laisser dans la famille d’accueil qui voulait absolument le garder (et qui a su conserver un lien avec lui), c’est que sa mère internée en HP ne gardait que ce fil si fragile pour ne pas sombrer dans une démence encore plus grave.

Encore un témoignage important pour ne pas oublier que dans notre société on est loin de faire tout ce qu’il faut pour des enfants privés de parents responsables, c’est dans ce foyer qu’il prendra conscience qu’il est « arabe » et j’ai lu son témoignage en pensant aux frères Kouachi, ils ont connu eux-aussi aussi l’enfer des foyers, et les éducateurs les trouvaient… « gentils » !

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 Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

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Un grand merci également à Sandrine qui m’avait déjà donné envie de lire ce roman-biographie, le style est absolument magnifique. L’auteur est totalement imprégné de l’œuvre de Ravel , et il veut que son écriture rende compte à la fois du caractère de Ravel, de son inspiration musicale, et de la violence de la guerre 14/18. Je vous conseille une expérience : lire la page 165, en écoutant le concerto pour la main gauche , les phrases plus belles les unes que les autres parlent si bien de la musique que j’ai eu du mal à maîtriser mon émotion.

Quelques notes claires dans les ténèbres, et c’est comme une énorme bulle remontée des profondeurs, gorgée de lumière, qui s’ouvrirait au visage. La souffrance s’éteint, l’angoisse disparaît, et la beauté familière, si mal connue et tout à coup dévoilée, donne son dernier baiser. C’est la vie qui reflue à celui qui la perd, juste avant la fin le meilleur de la chanson.

Je ne connaissais pas la vie de Ravel, et longtemps je ne pouvais citer de son œuvre que Le Boléro. Peu à peu , j’ai appris à aimer sa musique et j’aime beaucoup ce qu’il a écrit pour la voix. Cette biographie lui rend un hommage vibrant et discret, à l’image de ce qu’a été la vie de ce grand compositeur français. Une élégance et une discrétion qui allait de pair avec un engagement total dans ce qu’il croyait. Sa détermination à servir son pays, alors que, trois fois, il avait été réformé par la médecine militaire est admirable, mais ce qui m’a la plus touchée, c’est lorsqu’il refuse après la guerre la Légion d’Honneur. Lui qui avait vu tant d’hommes mourir au combat ne pouvait pas accepter la moindre récompense pour sa musique qu’il savait par ailleurs admirable.

Il faut lire ce livre, pour ressentir la genèse de la création musicale, la vie de ce compositeur hors du commun et pour comprendre la force du patriotisme en 1914, mais par dessus tout il faut le lire pour le style de Michel Bernard qui m’a réconciliée avec la littérature française, c’est un grand plaisir de lire de si belles phrases dans sa langue maternelle.

Citations

Le désir de servir sa patrie

 La guerre

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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

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Encore un roman construit avec de multiples retour en arrière, avec de multiples interpellations directes au lecteur qui ont le don de m’agacer prodigieusement . J’ai détesté ce roman, j’ai eu l’impression d’ouvrir les poubelles de l’histoire. Ce mélange de la vérité avec la fiction à propos du communisme des années 50 m’a totalement écœurée. Je comprends la démarche de Gérard Guégan, il était communiste à cette époque et il connaît donc bien les arcanes du grand Parti des travailleurs, l’exclusion de Marty et de Tillon en 1952, il en connaît tout le déroulement. Il se sent porteur de cette histoire et veut la transmettre.

Mais voilà comme l’auteur le dit lui-même, le parti communiste n’intéresse plus personne et pour les jeunes, « il fait figure d’inoffensive amicale », alors en y mêlant la vie amoureuse d’Aragon avec un émissaire du Komintern, Mahé, il espère intéresser un plus large public : on parle moins en effet, de la rigueur morale et rétrograde des communistes mais elle était très forte et sans pitié là où les communistes avaient le pouvoir. Mahé et Aragon ont quelques jours pour s’aimer, pendant que le congrès du parti fait subir des outrages dégradants à deux hommes entièrement dévoués à la Cause.

Les deux personnages se sont aimés passionnément, en se cachant comme Aragon a dû le faire tant qu’il était au Parti, car l’homosexualité était une tare punie d’une mort honteuse en URSS et d’exclusion du Parti en France ! Ils sont tous plus ou moins abjects ces personnages qui auraient pu prendre le pouvoir chez nous. Marty dit « le boucher d’Albacete », qui a réprimé dans le sang les anarchistes espagnols, Duclos qui ne pense qu’à bien manger, Jeannette Vermeersch, qui ne pense qu’à sa vengeance personnelle et dont les positions sur la contraception sont au moins aussi réactionnaires que celles de l’église catholique. Tous, ils sont petits et lâches et sans doute le plus lâche de tous c’est Aragon, même si le romancier en a fait un personnage lucide.

Comme le dit l’auteur en introduction ce roman est : « l’histoire d’un temps et d’un parti, où le reniement de soi était souvent le prix à payer pour échapper à l’exclusion ». Tout ce que je peux dire c’est que ça ne sent pas bon le reniement…

Citation

L’importance du Parti en 1952

Le Parti n’est pas qu’un idéal, pas qu’une vérité immuable, pas que l’expression de la transcendance historique, le Parti est aussi une famille où la critique du père, qu’il s’appelle Staline ou Thorez, est assimilé à une trahison méritant l’exclusion, le bannissement, ou la balle dans la nuque si l’on a la malchance de vivre de l’autre côté du Rideau de fer.

Les différentes épurations

Autant dire que les héros vénérés ne seront bientôt plus que des traîtres, la présomption d’innocence n’ayant jamais existé au sein d’un parti dans lequel celui qui tient les rênes du pouvoir doit tuer tous les Brutus s’il veut continuer de régner sans partage.

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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

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Finalement Keisha, le club de lecture a décidé que je lirai ce livre. Tu ne savais pas trop comment nous le recommander, comme toi, je l’ai lu en une nuit, enfin une partie de la nuit. Je pourrais recopier ton billet avec lequel je suis entièrement d’accord, mais ça ne se fait pas ! Je rajoute que, si je ne l’ai pas laissé tomber à la page 50, il y a deux raisons le club, bien sûr et le billet de Keisha. N’en concluez pas que vous pouvez économiser la lecture de ce roman, non, j’aimerais tellement avoir l’opinion de mes blogueuses préférées (excuse-moi Jérôme mais pour les blogs, le féminin l’emporte de façon trop nette sur le masculin quelles que soient les règles de grammaire !). J’ai trouvé une formule pour décrire ce livre : « du Gavalda avec un effort de concision extrême ». Et attention , je ne rejette pas du tout Anne Gavalda, je dois même avouer que, dans une période de déprime, elle m’a fait beaucoup de bien.

Arnaud Derek esquisse ses personnages et les anecdotes dans lesquelles il les met en scène, ça ressemble plus à un synopsis qu’à un roman véritable. Les rencontres sont improbables comme une plage au pôle Nord, mais ces gens un peu cassés et abimés par la vie vont se faire plus de bien que de mal. Si j’avais été tentée de l’abandonner , c’est que je déteste qu’on me prenne à partie dans un livre et que l’auteur m’annonce la suite .. mais là il s’agit du procédé de style sur lequel est construit tout le roman, j’ai donc fini par l’accepter.

Il y a un charme incontestable à ces esquisses de personnalités et d’histoires, on se surprend à remplir les vides que l’auteur n’a pas voulu écrire. Et on reconnaît de plus en plus notre société dans ce qu’elle a de plus acceptable. Oui, Keisha, ce court récit fait du bien et cet auteur a un style bien à lui qui me m’amènera, j’en suis sûre à lire ces autres romans.

Citations

Parce que je fais partie des amatrices de Rooboïs

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Un livre que l’on m’a offert en pensant à mes exploits de navigatrice débutante. Roman passionnant, sur une navigation très particulière. Clara a beaucoup aimé, elle partage avec moi le goût des récits qui se passent en Bretagne sur l’eau ou sur terre. Le roman a commencé par m’agacer à cause du style de l’auteur, volontiers poétisant. Et puis, lorsque ces trois personnages prennent la mer pour fuir vers l’Angleterre en partant de Saint-Malo, mon attention a été immédiatement captée. En partie parce que, comme les trois personnages, j’ai débuté la voile, dans la baie de Saint-Malo et je connais toutes les difficultés dont parle Sylvain Coher, je voulais savoir comment trois néophytes pouvaient passer dans le chenal entre le grand Jardin et l’île Cézembre sans encombre.

Sylvain Coher a été lui-même moniteur de voile, il connaît bien la côte bretonne et ses multiples pièges, cela lui permet d’avoir à la fois le regard d’un expert et se souvenir de tous les étonnements des débutants. Il m’a beaucoup amusée lorsque l’un des fugitifs imagine que les bouées annonçant les dangers devaient être une façon d’amarrer un bateau qui voulait s’arrêter en pleine mer….

La tension monte dans ce roman, car évidemment la navigation est beaucoup moins simple qu’ils ne l’imaginaient, et même si les cours d’optimiste de l’ado malouine les aident bien au début, découvrir la voile au milieu du rail de la Manche entre les cargos et la houle qui s’est levée s’avère une périlleuse entreprise révélatrice des qualités et de la force de résistance de chacun. Le personnage principal, c’est la mer, celle qui attire et qui fait peur, qui rend malade certains et fascinent les autres. Avec un vocabulaire précis et des images que j’ai de plus en plus appréciées, l’auteur rend bien ce qui peut se passer sur un bateau au large mené par des débutants.

L’accostage auprès du phare des Scilly est un moment de tension extrême, le phare Bishop est aussi appelé ou phare des naufragés et ce n’est pas pour rien !

La tension vient aussi du passé que fuit les deux garçons. Il est peu à peu dévoilé et le lecteur comprend ce qui les unit. Cette histoire là, est moins bien rendue que la difficulté de la navigation avec toute sa palette de réactions : Lucky découvrira sa vocation, il ressentira l’appel de la mer et sera marin, le « petit » le plus jeune n’a, sur ce petit voilier, éprouvé que la peur et a été tout de suite victime d’un mal de mer qui ne lui a laissé aucun répit, il aurait préféré être dans les bras de la fille qui n’était pas la sienne. Un roman à lire pour la description de la navigation, il faut tenir bon, j’ai dû passer les cinquante premières pages pour être conquise . C’est aussi un livre à offrir à tous ceux et celles qui naviguent au large des côtes bretonnes.

Citations

Phrases poétiques qui m’ont agacée au début

Il s’étira et se laissa caresser une bonne heure par la main experte d’un soleil pourtant déjà rendu bas dans le ciel

 
La pluie l’appuyait au sol dans les longues flaques du parking désert

L’eldorado anglais

D’après Lucky, les Anglais allaient droit au but ; là-bas, l’école comptait bien moins que l’esprit d’entreprendre, les bénéfices nets et les costumes bien taillés. En Angleterre, les hommes se refaisaient à neuf en rien de temps. le monde s’ouvrait à eux, pour peu qu’ils aient des tripes.

Le personnage de la fille ado

La mer,c’est là où on s’emmerde le plus après le bahut, bien sûr

le quart de nuit

 Impression de débutant que j’ai eu !

Le retour sur terre

Le ponton flottant accompagnait encore un peu leur pas. Mais tout au bout, le bitume leur offrit une terrible sensation de pesanteur et d’immobilité .Chaque fois qu’ils posaient le talon sur le sol, c’était comme si on leur mettait le pied à l’étrier. La bourrade faisait fléchir les genoux et pesait lourdement sur les épaules. Ils étaient simultanément trop raides et trop mous, leurs premiers pas ressemblaient à ceux des poulains dans les prés

Quelques mots au hasard

le vit de mulet

Les moques 

Le vent les dépalait

Capeyer 

La boucaille 

Capeler

Les dalots du cockpit

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Un ami m’a confié son livre paru en 2013, avec ces mots : « Je voudrais que la lecture de ce témoignage dure le temps d’une consultation ». Que se cache-t-il derrière ce désir de brièveté ? Une grande modestie, et, un paradoxe pour ce médecin qui avoue lui-même s’être mortellement ennuyé au lycée pendant les cours de français. Ni Flaubert , ni Balzac, n’ont su séduire ce futur amateur des sciences médicales. Alors pourquoi commettre un livre ? Sans doute un trop plein de souffrance humaine qu’il a voulu nous faire partager. Lui qui soigne les corps en prenant grand soin de soulager chacune des souffrances, comment ne pas être révolté par les sociétés humaines qui les massacrent à plaisir ? Deux patients roumains sont venus un soir lui confier leur parcours pour arriver jusqu’en France et vivre une vie « normale ». Nous voici, donc, plongés sous le régime de Ceaușescu , triste dictateur communiste, que nous avons peut être oublié mais qui a ravagé son pays et torturé de mille et une façon ses habitants.

Les deux patients sont originaires des Carpates de « Poiana » petite ville à côté de Brasov, régions qui semblent aujourd’hui entièrement tournées vers le tourisme. A l’époque , un des chantier fou du Conducator voulait faire de ce lieu un endroit réservé à un membre de sa famille, on a donc expulsé tous les paysans de cet endroit (beaucoup trop beau pour eux !). La famille paysanne roumaine est arrivée, comme tant d’autres, dans la sinistre banlieue de Bucarest et a été livrée au bon vouloir d’une milice si folle et si imprévisible que les parents ont compris que leur vie était menacée ; cette menace est devenue plus précise le jour où le chef de la milice les a fait recompter le nombre de poires sur leur arbre en leur prouvant qu’ils se trompaient, et que donc, ils voulaient dissimuler leur production pour faire des profits . Ces pauvres paysans ont donc décidé d’organiser l’exil de leur fils avec son épouse enceinte. Ils étaient, à l’époque, persuadés ne jamais les revoir. Ce témoignage nous replonge dans l’horreur communiste, avec des gens ordinaires, qui voulaient simplement vivre puis finalement, survivre.

Chaque époque invente son lot de souffrances, comme toujours face à ce témoignage on se demande : pourquoi ? L’idéologie ? la soif de pouvoir ? la folie d’un homme ? Peu importe les réponses, Xavier Guézénnec a voulu donner la parole à ces deux anciens paysans, ces gens qu’on entend si rarement et qui laissent si peu de traces dans l’Histoire. La sensibilité avec laquelle il a su rendre compte de leur récit, montre bien que si la littérature était éloignée de lui quand il avait seize ans, c’est, sans doute, plus la responsabilité de l’enseignement que celle des grands auteurs.

Citations

Lettre que les parents doivent lire à l’usine après le départ de leurs enfants en espérant, ainsi, ne pas être inquiétés par la milice

« Camarades,

Nous sommes les camarades X, et nous avons le devoir de vous annoncer la honte qui frappe notre famille. Notre fils et sa femme ont renié leur patrie et leur famille en fuyant à l’étranger. Ces traîtres sont une infamie pour notre grande République Socialiste de Roumanie. C’est un crime que de succomber aux sirènes des exploiteurs capitalistes pour des travailleurs de la classe ouvrière et prolétarienne. Ils ont trahi et renié la classe ouvrière et prolétarienne. Nous avons guidé ces enfants sur les pas de notre illustre Conducator, le Génie des Carpates, le Danube de la Pensée, le guide sublime que le monde nous envie ; à notre tour nous les renions et nous les chassons de notre mémoire. Camarades ouvriers, nous vous souhaitons de ne jamais connaitre la même infamie ! Nous sommes coupables de ne pas avoir su enseigner la Vérité Socialiste et nous ne sommes plus dignes d’être appelés camarades. avec votre aide nous essaierons de nous corriger et d’effacer la honte qui nous frappe. »

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Coup de cœur au club de lecture de la médiathèque de Dinard.

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Il n’y a pas que les lectrices du club qui ont été touchées par ce très court roman épistolaire, Jérôme, Aifelle chez qui je l’avais déjà remarqué, partagent leurs avis. Je l’ai également beaucoup apprécié. Il s’agit d’un texte qui se lit en une heure ou deux mais qui trotte dans votre tête pendant beaucoup, beaucoup plus longtemps. Puisqu’il se lit vite on peut s’appesantir sur chaque mot et sur ceux qu’on ne peut pas prononcer tellement l’horreur est parfois au delà des mots.

Prenez, par exemple, ce texte qui sert d’introduction :

1991. L’Armée populaire yougoslave, soutenue par les forces paramilitaires, envahit la Croatie pour mettre fin à sa volonté de sécession. Les combats font des milliers de victimes. Des villes et des villages subissent de lourds dommages.

Ce genre de phrases, on les lit souvent, on est choqué puis on oublie. « Les combats », « les victimes » « les dommages » : ce ne sont que des mots, des mots ordinaires et sans beaucoup de contenu, des mots « normaux » puisqu’il s’agit de guerre. Antoine Choplin et Hubert Mingarelli, vont grâce à la correspondance de deux hommes qui ont participé à cette guerre nous la rendre dans toute son horreur à partir d’un seul fait qui n’est somme toute qu’un détail aux yeux de l’Histoire. Leurs lettres commencent alors qu’ils se sont revus après les événements qui les ont tellement marqués l’un et l’autre, on ne sait pas combien de temps s’est écoulé depuis qu’ils sont revenus à la vie civile, Pavle en Argentine et Jovan à Belgrade.. En revanche, on sait qu’un certain Branimir , n’est plus qu’un souvenir pour eux. Les lettres sont échangées d’abord sur un ton banal et puis peu à peu la tension monte jusqu’à la chute finale. Pavle et Joan, ne pourront jamais vivre comme si la guerre était derrière eux. Elle est en eux maintenant , et pour toujours.

La guerre c’est donc ça : pousser trois copains qui aiment rire et faire des projets d’élevage de lapins à commettre les pires atrocités ?

Citations

La fin du roman

Je vais aller m’asseoir au bord de la rivière et vous serrer dans mes bras, toi autant que Branimir. Je vais regarder passer l’eau et attendre. Demain je mettrai en marche ma scie à ruban et je regarderai les planches défiler. Le soir j’irai boire avec Herman, le contremaître. Je boirai comme un cochon et tous les deux nous aurons les larmes aux yeux. Un jour, toi et Branimir me manquerez à nouveau.

Un jour je t’écrirai.

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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

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Je n’ai visiblement peu de goût pour les romans historiques, et sans ma fidélité au club de lecture, je ne finissais pas ce roman. Tout m’agaçait prodigieusement dans cette relecture de l’histoire d’Aliénor d’Aquitaine et de son mari, le très pieux roi Louis VII. J’en voulais à l’auteure qu’elle fasse d’Aliénor une féministe en révolte contre la religion, avec des traits de caractère beaucoup plus proches du 21e siècle que du 12e.

Et puis, à la fin du roman, en quelques lignes, l’auteur dit qu’on sait si peu de choses sur cette femme qui a pourtant vécu quatre vingts ans, qu’elle a inventé un personnage sans vouloir respecter la vérité historique que, de toute façon, on ne connaît pas. Elle respecte la chronologie et les faits historiques avérés, elle invente les caractères des personnages et les motivations qui les poussent à agir Cela m’a quelque peu réconciliée, avec son texte. Si on ne peut lui en vouloir d’avoir enrichi ses personnages d’une analyse psychologique digne de Freud, on peut par contre aimer se retrouver dans cette époque grâce aux confidences des deux époux et sentir, à travers leurs récits, vivre et surtout souffrir les hommes , les femmes et les enfants du 12° siècle .

Aliénor est donc campée comme une femme dégagée de toute contrainte religieuse, elle devient sous la plume de Clara Dupond-Monod, une femme libre qui veut imposer sa vision guerrière à un roi confit en dévotion. Louis VII, mal aimé de son père, amoureux transi de sa belle guerrière, ne prend les armes que pour lui plaire et aurait préféré régner par la négociation plutôt que par le glaive. Il n’empêche qu’il matera la volonté de Poitiers de s’ériger en ville libre. Il ne tuera que les hommes en laissant vivre les femmes et les enfants ce qu’il ne fera pas à Vitry-en-Perthois où il n’hésitera pas à faire brûler 1300 habitants qui s’étaient réfugiés dans l’église, surtout des femmes et des enfants. De ce massacre horrible, il en gardera une culpabilité qui l’entraînera à faire une calamiteuse croisade pour tuer à nouveau femmes et enfants mais des infidèles cette fois ! Quelle époque sympathique ! Si l’auteure a pris des libertés avec la réalité psychologique des personnages, elle a su faire revivre cette période qui, pour le moins, ne m’attire pas du tout.

Citations

le roi Louis VII

Mon père (Louis VI Le gros) ne prêtait pas attention à moi. Il préférait Philippe. Il aurait pu me comprendre à défaut de m’aimer. Mais ma vocation de prêtre lui échappait complètement. Dès lors, j’ai pu devenir monarque sans crainte puisque j’étais sans modèle. Un père que l’on déçoit, comme c’est reposant.

Aliénor d’Aquitaine

Les chemins sont nécessaires. Ils ne sont pas là par hasard. Ils ont été inventés par l’homme. Ils ont un début et une fin. Ils sont comme la guerre. les chemins et la guerre n’existent que pour leur utilité. Personne ne les entreprend par plaisir. Ils servent. Ils sont des jalons fidèles de notre histoire, et sans eux il n’y a pas de royaume.

Aliénor la guerrière

Regretter un combat est bien pire que de le perdre.

Aliénor méprisant son royal époux

Par moi, il a goûté la haine. Par lui, j’ai découvert la honte. Quel magnifique couple nous formons ! J’aurais tant donné pour marcher à côté d’un roi. Qu’un monarque porte une couronne et un manteau d’hermine, est-ce trop demander ? Maudits soient ces abbés qui effacent les êtres !

On en parle

Peu de critiques négatives sur Babelio.

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Encore un roman que je peux rayer de ma liste. Quel succès sur Babelio ! plus de 617 lecteurs et 137 critiques, très favorables le plus souvent. Je ne connaissais pas l’auteure Lola Lafon, depuis, je l’ai écouté chanter et je lirai à l’occasion ses autres romans. Elle était particulièrement bien placée pour comprendre la vie de Nadia Comaneci : c’est une femme , elle vient des pays de l’est et a vécu en Roumanie. Elle revendique un point de vue féministe et fait très justement remarquer, dans les interviews qu’elle a données à propos de ce roman, que les commentateurs sportifs, le plus souvent masculins parlaient de magie quand Nadia avait un corps de petite fille et n’éprouvaient plus la même « attirance » quand elle a eu un corps de femme. Elle a construit sa biographie, en dialoguant avec l’ex-championne de gymnastique, celle qui est dans toutes les mémoires, pour avoir obtenu le premier 10 en 1976 aux jeux Olympiques de Montréal.

J’ai, dans un premier temps, pensé que Nadia C. avait donné son accord pour que ce livre décrive sa vie ainsi et qu’elle répondait aux questions de sa biographe, grâce à vos commentaires, je me suis rendu compte de mon erreur. En réalité, même si c’est bien un roman à deux voix , c’est Lola Lafon qui les imagine toutes les deux. Cela permet d’exprimer deux opinions. Nadia C. réagit fort pertinemment , à propos des différences en ce qui concerne les entraînements de sportifs de hauts niveaux en système communiste et capitaliste. Elle sait reconnaître également qu’elle est un produit du pays communiste roumains et elle n’a pas, loin de là, que des mauvais souvenirs. Elle mettra du temps à comprendre les abus du pouvoir. En réalité pour qu’une enfant réussisse à ce niveau en gymnastique, il n’y a pas deux systèmes, elle doit d’abord être douée, et son entraîneur savait reconnaître les dons chez les enfants. Il y avait beaucoup de petites Roumaines douées, mais il a su repérer le don unique de Nadia C. Ensuite tout n’est qu’entraînement et travail forcené.

Si la médaille d’or de 1976 est un choc extraordinaire, je trouve que l’on sent encore plus en 1980 le talent de son entraîneur, car Nadia a alors 18 ans, un tout autre corps et sa prestation est parfaite. D’ailleurs, Bella Karolyi recommencera avec le même succès aux États-Unis avec Mary Lou Retton qui apportera à ce pays sa première médaille d’or dans la spécialité . En revanche, on peut vraiment se poser des questions sur la violence des entraînements pour arriver à ce résultat : oui, un enfant peut le faire, et surtout on ne peut atteindre ce niveau que si on est un enfant, mais à quel prix ! Lola Lafon, nous plonge donc dans ce monde impitoyable de la très haute compétition et les ambiances des championnats, en particulier les jeux olympiques de Moscou alors que l’URSS envahit l’Afghanistan. J’ai lu avec grand intérêt cette biographie, alors que je ne m’intéresse pas du tout à ce sport, et cela m’a amenée à changer mes points de vue un peu simplistes sur cette spécialité. (Je me disais qu’il fallait interdire toutes les compétitions aux mineurs, mais ce n’est pas si simple !).

Citations

L’entraînement vu par Nadia

Nadia C. ne fait aucune remarque mais le lendemain, lorsque je lui demande comment elle explique l’obéissance absolue des gymnastes, elle paraît gênée par ce mot, obéissance : « C’est un contrat qu’on passe avec soi-même, pas une soumission à un entraîneur. Moi, c’étaient les autres filles, celles qui n’étaient gymnastes, que je trouvais obéissantes. Elles devenaient comme leur mère, comme toutes les autres. Pas nous ».

Le programme de Bella Karolyi

Il redessine les journées ; 6 heures-8 heures : entraînement. 8-12 heures : école. 12 heures-13 heures : repas. heures-14 heures : repos. 14 heures-16 heures : leçons. 16 heures- 21heures entraînement. 21 heures 22 heures : dîner, leçons et coucher.

Le système communiste roumain

Si vous avez souhaité écrire mon histoire, c’est que vous admirez mon parcours. Et je suis le produit de ce système-là. Je ne serai jamais devenue championne dans votre pays, mes parents n’auraient pas eu les moyens, pour moi tout a été gratuit, l’équipement, l’entraînement, les soins !

 Pour revoir le premier 10 en 1976 aux jeux olympiques de Montréal attribué à une jeune fille (au corps d’enfant) de 14 ans Nadia Comaneci :