Édition folio, traduit de l’américain par Josée Kamoun

 

C’est donc le troisième roman de cet auteur sur mon blog . Après « La Tache« , chef d’œuvre absolu , et « Le complot contre l’Amérique » qui m’avait un peu déçue, j’ai retrouvé dans « Un Homme » tout ce qui fait de cet écrivain un grand de la littérature contemporaine. Dans un texte assez court Philip Roth cerne la vie d’un homme de 73 ans à l’enterrement duquel nous assistons dans le premier chapitre. Grâce à une succession de flashback nous allons mieux connaître ses parents, son frère, sa fille Nancy, ses femmes et ses fils . Certains de ces personnages l’aiment ou l’ont beaucoup aimé d’autres, en particulier ses deux fils, n’éprouvent que de l’hostilité pour lui. Philip Roth sait bien décrire tous les ressorts de l’âme humaine, sans jamais forcer le trait , il n’édulcore aucun aspect négatif mais ne renie jamais ce qui a été le moteur de sa vie : il aime et a été aimé des femmes et cela a rendu le mariage compliqué pour lui, il aime la jouissance physique cela rendu aussi, la fidélité quasiment impossible. Il a bien réussi sa carrière de publicitaire mais nous n’en saurons pas grand chose si ce n’est que cela lui permet de vivre une retraite sans soucis financier. Une grande partie du roman décrit la difficulté de vivre avec les maladies qui accablent parfois les êtres vieillissants. Et lui a subi moultes opérations pour permettre à son cœur de fonctionner normalement. Alors, bien sûr, il ne peut que se poser « La Question », la seule qui devrait nous hanter tous : celle de la mort. Aucune réponse n’est donnée dans ce livre et pourtant le personnage principal se confronte à elle sans cesse, il passe même une journée dans le cimetière où sont enterrés ses parents pour bien comprendre le travail du fossoyeur, et, il est parvenu à m’intéresser à la technique du creusement d’une tombe ! J’ai aimé aussi l’évocation de sa vie de petit garçon qui faisait les courses pour son père horloger bijoutier, celui-ci lui faisait traverser New-York avec une enveloppe remplie de diamants. J’ai aimé aussi son rapport à Hollie son grand frère toujours en bonne santé. Il éprouvera même de la jalousie face à cette injustice, lui, encore et toujours, malade et Hollie dont la bonne santé est comme un contrepoint à ses propres souffrances. Son amour pour Nancy, sa fille de sa deuxième femme, est très tendre . Bref un homme tout en nuances comme sans doute les trois quart de l’humanité, banal en somme mais quel talent il faut à un écrivain pour intéresser à la banalité en faire ressortir tout l’aspect humain. Ce livre qui commence et se termine par les poignées de terre jetées sur son cercueil, comme elles l’avaient été auparavant sur celui de son père nous permet-il d’accepter un peu mieux la mort ? Aucune certitude évidemment.

 

(Je me souvenais d’avoir lu le billet de Géraldine que je vous conseille vivement.)

 

Citations

Les communautés de retraités aux USA

Il quitta Manhattan pour une communauté de retraités, Starfish Beach, à trois km de la station balnéaire où il avait passé des séjours d’été en famille, tous les ans, sur la côte du New Jersey. Les lotissement de Starfish Beach se composaient de jolis pavillons de plain-pied, coiffés de bardeaux, avec de vastes baies et des portes vitrées coulissantes donnant sur des terrasse en teck ; ils étaient réunis par huit pour former un demi-cercle autour d’un jardin paysager et d’un petit étang. Les prestations offertes aux cinq cents résidents de ces lotissement répartis sur cinquante hectares de terrain comprenaient des courts de tennis, un vaste parc avec un abri de jardin, une salle de sport un bureau de poste, une salle polyvalente avec des espaces de réunion, un studio de céramique, un atelier bois, une petite bibliothèque, une salle informatique avec trois terminaux et une imprimante commune, ainsi qu’un auditorium pour les conférences, des spectacles et les diaporamas des couples qui rentraient d’un voyage à l’étranger. Il y avait une piscine olympique découvert et chauffée en plein cœur du village, et une autre, plus petite couverte, il y avait un restaurant tout à fait convenable dans la modeste galerie marchande, au bout de la rue principale, ainsi qu’une librairie, un débit de boissons, une boutique de cadeaux, une banque, un bureau de courtage, un administrateur de biens, un cabinet d’avocat et une station-service.

Les choix de vie d’un homme qui a peur d’encombrer sa fille (Nancy)

Il rentra sur la côte, reprendre son existence solitaire. Nancy, les jumeaux et lui -ça ne tenait pas debout, de toute façon, et puis ça aurait été injuste, car il aurait trahi le serment qu’il s’était fait de maintenir une cloison étanche entre sa fille trop affectueuse et les tracas et faiblesses d’un homme vieillissant.

Je comprends ce choix

Quand il avait fui New York, il avait élu domicile sur la côte parce qu’il avait toujours adoré nager dans les rouleaux et braver les vagues, et puis parce que cette partie du littoral était associé pour lui a une enfance heureuse.

La vieillesse

La vieillesse est une bataille, tu verras, il faut lutter sur tous les fronts. C’est une bataille sans trêve, et tu te bats alors même que tu n’en n’as plus la force, que tu es bien trop faible pour livrer les combats d’hier. 

Une note d’humour

Son épouse de l’époque, sa troisième et dernière épouse (…) était une présence à haut risque. Pour tout soutien, le matin de l’opération, elle suivit le chariot en sanglotant et en se tordant les mains, et finit par lâcher  :  » Qu’est-ce que je vais devenir ? »
Elle était jeune, la vie ne l’avait pas éprouvée ; elle s’était peut-être mal exprimée, mais il comprit qu’elle se demandait ce qu’elle allait devenir s’il restait sur le billard. « Chaque chose en son temps, s’il te plaît. Laisse-moi d’abord mourir, si tu veux que je t’aide à supporter ton chagrin. »

 

 

 

Édition Poche Folio

 

Après avoir lu de cette auteure, grâce au club de lecture, « Le Ciel par dessus les Toits » j’ai eu très envie de découvrir un peu plus cette écrivaine mauricienne. Si l’île Maurice est synonyme pour beaucoup d’entre nous de vacances sur des plages de sable blanc, de mer bleu azur, sous un soleil toujours présent, cette île a représenté pour des populations noires un lieu d’esclavage et lorsque celui-ci a pris fin, une terre d’immigration pour des Indiens fuyant une misère absolue dans leur pays.

Loin de ces impressions paradisiaques, ce roman se situe en 1890 : l’île Maurice est alors sous domination britannique, depuis une trentaine d’années, mais les plantations restent la propriété de riches planteurs français qui recherchent à tout prix une main d’œuvre bon marché pour remplacer leurs anciens esclaves. Les noirs habitent aussi cette île mais refusent de se faire maltraiter par les propriétaires blancs, peu d’entente sont possibles avec les Indiens qui acceptent des conditions de travail dont eux mêmes ne veulent plus. En peu de chapitres, les problèmes sont très bien posés. On comprend d’autant mieux tous les problèmes qui assaillent dès leur arrivée ces malheureux Indiens sur l’île Maurice que chaque personnage nous est présenté avant leur départ dans leur lieu de vie d’origine. On comprend alors, pourquoi ils partent, mais aussi comment ils vont être forcément déçus car trop de fables irréalistes, comme ces pièces d’or que l’on trouve en soulevant des rochers, leur obscurcissent le cerveau !

Ce roman nous permet de comprendre la situation des Indiens en 1890, certains sont accablés par les dettes que leurs parents ont contractées, un des personnage est seulement joueur de poker et perd tout l’argent de ses parents aux cartes, une jeune femme de sang royal doit brûler sur le bûcher de son mari mort à la chasse, un autre croit rejoindre son frère… Tous se retrouvent sur un bateau : l’Atlas qui après des mois de navigation d’autant plus éprouvante que les Indiens craignent beaucoup la mer, ils débarquent apeurés sur l’île « Meuriche » et trouvent une condition qui se rapproche plus de l’esclavage que celle de travailleurs pauvres et précaires.

J’ai beaucoup aimé ce livre, certainement parce que je ne savais pas grand chose de cette immigration mais aussi parce que cette auteure sait très bien raconter, j’ai quitté à regret ses personnages et j’aurais aimé les suivre un peu plus longtemps. Il y a un aspect qui m’a beaucoup intéressée : à quel point l’enfermement dans les traditions de l’Inde asservit la population et empêche les plus pauvres de s’émanciper, mais à quel point également, ces carcans représentent un lieu rassurant face à un inconnu encore plus menaçant que la servitude que l’on connaît bien. Le roman l’annonce mais ne le décrit pas, visiblement les Indiens sauront grâce à leur courage et à leur force de travail devenir une partie très importante de la population active de l’île et à finalement s’enrichir même sans trouver les fameuses pièces d’or qui ont fait briller les yeux de leurs ancêtres.

 

Citations

Les dettes des paysans pauvres

Quand il emprunta cinquante roupies au zamindar, les deux hommes étaient convenus d’un kamia C’était un contrat où l’on troquait sa sueur, son labeur et parfois la chair et le labeur de ses enfants contre de l’argent. Tant que les cinquante roupies et les intérêts sur le prêt n’étaient pas remboursés, Devraj Lal s’engageait à travailler les terres du zamindar pour la moitié d’un salaire. Il s’engageait aussi à ce que son fils reprenne le kamia s’il décédait avant d’avoir remboursé les cinquante roupies. Ce qui arriva moins d’un an après et son fils, Chotty se trouva en devoir d’honorer une dette qu’il n’avait pas contractée.
Cela faisait dix années que Chotty travaillait pour le zamindar. Les intérêts sur le prêt avaient grandi comme le blé : vite. Et Chotty, semblait–il, ne travaillait pas aussi vite que le blé. Il avait amassé quelques roupies mais plusieurs fois son fils était tombé malade ou le zamindar décrétait qu’il n’avait pas bien fait son travail ou encore ce qui arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps, la bibi se plaignait.

Être veuve

Il n’y avait rien de pire que de survivre à son mari. Donner naissance à une fille en premières couches ou toucher un paria étaient des manquements terribles mais être veuve était innommable. Ici, depuis des siècles, dans les familles de sang royal, les femmes montaient sur le bûcher avec leur mari. C’était une tradition comme une autre. De toute façon, que ferait une femme sans son mari ? Qui voudrait d’une veuve quand les jeunes filles vierges ne manquaient pas ? Surtout, qui prendrait le risque d’accueillir une femme qui porte tellement le mauvais œil qu’elle finit veuve ?

Les rapports des noirs anciens esclaves et les indiens nouvellement arrivés

« Je t’ai eu, Malbar. Vous croyez supérieur, hein, tous, tous autant que vous êtes ? Vous venez ici, vous léchez le cul des blancs, vous faites vos village, vous amassez de l’argent, vous achetez des terrains et ensuite, vous vous prenez pour des blancs. Vous nous crachez dessus. Nous sommes des êtres inférieurs pour vous. Vous aussi, vous fouettez vos employés … Tu vas voir, Malbar. Tu vas voir ce que c’est que pourrir en prison. Tu travailleras sous le soleil et comme nous, tu soulèveras les pierres et tu pourriras loin des tiens. »

Édition Rivages

Quel roman ! Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire toutes les turpitudes humaines, tout cela pour s’enrichir, et, avec quoi ? Le guano ! autrement dit la fiente d’oiseaux. J’ai lu ce roman en vérifiant sans cesse les informations car je ne connaissais absolument pas cette histoire. Nous sommes à la fin du XIX° et grâce aux îles au large du Pérou ce pays connaît une richesse phénoménale. On appelle ce moment « l’ère guano ». Une telle richesse a attiré des convoitises multiples, ce que raconte le roman se situe au moment où le Pérou a chassé les puissances coloniales et exploite à son profit cette ressource. Malheureusement, si les puissances coloniales sont parties ceux qui les avaient chassées sont devenus aussi corrompus que les anciens exploiteurs. La terrible condition des miséreux qui sont sous les ordres des propriétaires des terrains des îles sur lesquelles on exploite le guano est horrible. Pour le roman, l’auteur invente une histoire d’amour impossible et évidemment tragique, cela lui permet de décrire deux personnages un peu moins sombres. Sur terre, en face de ces îles, à trois jours de navigation, la guerre que se livrent les deux ports qui se disputent la vente de la « fiente » est sans pitié, vraiment plusieurs fois on se dit en lisant ce livre « et tout cela pour de la m….. » . De plus cette région est soumise à un climat très particulier, la plupart du temps les gens vivent dans un brouillard opaque qui empêche le soleil d’éclairer un peu la vie celle des riches comme celle des pauvres. Je n’ai pas bien compris pourquoi l’auteur semble faire correspondre ce brouillard à l’exploitation du guano.

C’est un phénomène, que les chiliens appellent « le camancha » , il a existé de tout temps me semble-t-il. (Et il existe encore aujourd’hui : des essais sont fait pour en capter l’humidité pour fertiliser des zones désertiques.)

(Depuis j’ai eu la réponse de l’auteur qui est si pertinente que je m’en veux un peu de ne pas avoir compris toute seule :

Je voulais que le brouillard fasse comme une chape déposée sur l’intrigue, qu’il enferme un peu plus les personnages sur eux-mêmes.
C’est un texte assez métaphorique, donc je trouvais intéressant que le brouillard s’installe concomitamment à la découverte de la ressource, comme si l’exploitation de la fiente allait de pair avec une malédiction céleste…)

Ce récit qui se passe dans la fiente et où on ne voit jamais le soleil et qui ne donne aucun espoir est vraiment terrible. Le pire étant qu’il respecte la réalité historique. Pour la fiction, on suit le parcours du Capitaine Moustache, le seul marin qui ose affronter ce brouillard avec son vieux bateau pour le charger de guano et le livrer aux deux villes concurrentes qui vont bientôt se détruire. Lui, il a un plan et veut fuir cet endroit avec le maximum d’argent, mais ses plans seront contrecarrés par la soif de richesse des gens si peu recommandables avec lesquels il doit traiter. C’est bien connu, il ne faut jamais pactiser avec le diable ! Et dans cette région des diables, il y en a un peu partout. Pour un des personnages la fin se termine un peu mieux mais sinon la mort, le crime, le viol les tortures sont au rendez-vous. Un roman bien mené qui respecte la réalité historique que vous lirez si vous avez envie, comme moi, de découvrir un pan de l’histoire humaine peu glorieux mais que vous éviterez si vous n’aimez pas vous enfoncer dans la m….. jusqu’au cou.

 

Citations

Conseil d’une mère

Vald pensa ce que lui avait murmuré sa mère, il y avait des années, quand son petit frère Igor, cet enfant maladif, s’en était allé : »Tu sais, mon fils, si tu n’accepte pas les épreuves, si tu souffres trop, alors ce monde n’est pas pour toi. »

Portrait du capitaine

Seul marin familier de ces archipels calcaire, unique capitaine à affronter le brouillard, la commercialisation du guano reposait sur son oncle stature. Cela faisait de lui, en cette année 1897, un des êtres les plus importants de la région. Assis sur une rente pour l’éternité, il disposait d’une épouse qui ne l’attendait plus, d’enfants éloignés goûtant une jeunesse confortable, d’une maison en dur sur le littoral au sud d’Arequipa, ainsi que de nombreuses maîtresses parsemées au gré de ses voyages.
 Capitaine :car il était le seul à bord et qu’il n’y avait personne pour lui disputer le titre. Moustache : une trace de suie épaisse sous le nez pour couvrir l’odeur de la fiente.

Les navigateurs et les terriens

Vois-tu, quand on reste accroché comme une huître à un caillou mouillé, on est si heureux de la visite d’un navigateur. Toi, forcément, cela te passe au-dessus de la tête, tu n’es jamais confronté à l’attente. Tu dois savoir, Ernesto, il y a deux types d’hommes, ceux qui se meuvent et ceux qui attendent. Les premiers négligent presque toujours les seconds.

Lorsque le guano valait de l’or

Deux ans auparavant, la loi américaine avait autorisé les citoyens états-uniens à s’emparer des îles, îlots ou rochers déserts disposant de gisement de guano, partout dans le monde. On ne refait pas un peuple de pionniers.

Les anglais 1871

Impossible de faire comme s’il n’y avait pas eu de colonisation. Certaines puissance tiennent à laisser une trace là où, un jour, elles plantèrent leurs drapeaux. Les possessions britanniques avait été étudiées une à une. Les terres des colons anglais resteraient aux colons anglais, qui deviendraient citoyens à part entière du territoire. Ils garderaient leur langue, leur portrait du souverain sur la cheminée et toutes les coutumes qu’on appelait pour se moquer « le droit au thé ».
 Les bâtiments officiels passeraient sans délai sous la coupe de la nouvelle administration. La couronne avait négocié ensuite quelques terres australes abandonnées, pour conserver une présence maritime et permettre à quelques scientifiques d’observer on ne sait quel phénomène climato-géographique. Elle avait été exaucée. On lui avait cédé des îlots vides, sans homme, richesse, ni guano.

Un personnage important le brouillard appelé par les Chiliens « Camancha »

Le brouillard s’installa progressivement, comme une maladie infectieuse. Par bandes de ciel d’abord, striant un quartier, une île, un littoral, coiffant les pinacles des églises, les faîtes en fer forgé des auberges. Il entra par les fenêtres, engouffra ses filaments par le trou des serrures et sous les chanlattes des toits. Il s’accrocha aux épines des buissons, aux branches de bois jeune, aux mâts des bateaux, au fil pour sécher le linge. Puis il arriva par nuages entiers, des masses célestes humides et stagnantes, comme des monceaux de coton blottis au flanc des collines. Il revint sans cesse, deux, trois fois par semaine, un peu plus, chaque jour.

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Édition Les Éditions de Minuit

Ce roman prend comme point de départ l’installation de deux Parisiens dans une proche banlieue et dans un petit ensemble « écoquartier ». Leur bonheur sera de courte durée car les voisins vont s’avérer plus pénibles à supporter qu’ils ne l’avaient imaginer. De plus, la construction de ce quartier n’échappe pas aux malfaçons habituelles et rendent assez vite la vie de tous les jours fort désagréables. En réalité ce roman est une satyre de tous les comportements à la mode autour de l’écologie et des clichés autour du « mieux vivre ensemble ». Je n’ai pas adhéré au projet de l’auteur qui ne m’a pas embarquée dans son histoire ni dans la description des personnages. Je m’explique assez mal pourquoi car le sujet aurait dû m’intéresser. Le côté décalé sans doute, et, l’accumulation des petits détails signifiants qui m’ont semblé assez lourds. Cela donne souvent cette impression quand on n’adhère pas à un roman. Beaucoup d’avis positifs sur ce livre qui permettront de se rendre compte que je suis passée à côté d’un roman qui a trouvé son public.

Géraldine ,par exemple avait bien aimé (sauf la fin).

 

Citations

La métaphore des soucis qui traverse le roman

Après quoi elle s’est penchée par la fenêtre pour admirer mes soucis. J’avais vraiment la main verte, s’est elle exclamée, il faudrait que je lui donne des conseils.
– Les soucis sont résistants, ai-je répondu, ils se relèvent du pire comme du meilleur.
Et nus avons ri. 

 

Le quartier devient invivable

J’ai laissé mon regard errer vers la fenêtre. Les trouées des canalisations béaient à ciel ouvert. Sous la chaleur, la boue craquelait en plaques assoiffées, pourtant le gazon demeurait irréductiblement vert. Il m’a semblé qu’on pourrait toujours en resté là, à mi-chemin de la résolution sans que la balance penche jamais d’un côté ni de l’autre.

 

 

Édition livre de poche

  1. Livre reçu en cadeau et lu avec attention car j’avais lu beaucoup d’avis positif sur les blogs que je suis, en particulier Krol , qui depuis ne lâche plus cet auteur et bien d’autres lectrices ou lecteurs dont j’ai oublié de noter le nom. Ce roman a reçu le grand prix des lectrices de « Elle », le prix « Psychologie » du roman inspirant, et le premier prix « Babelio ». Une jolie carte de visite pour cet auteur que je découvre donc longtemps après l’engouement pour ce roman. Cet écrivain a une écriture très personnelle et envoutante, on le suit dans tous les tours et détours de son histoire . De plus, quand tous les fils sont dénoués on se rend compte que tous les hasards qui auraient pu rendre cette histoire peu crédible suivait en réalité la logique d’un super prédateur. L’histoire est racontée par les différents personnages de ce drame, ils ne savent qu’une partie de la vérité et Rose qui confie sa vie à des carnets n’a jamais su (ou pu) faire les bons choix. Il faut dire que son père l’a jetée dans la gueule d’un « ogre » qui va la violer et la torturer , elle avait tout juste quatorze ans et n’ose pas faire confiance à Edmond le seul personnage de ce terrible endroit qui semble ne lui vouloir aucun mal . Celle qu’il appelle la Reine Mère fait avec son fils Charles un duo au service du mal, hélas ! Edmond ne pourra pas sauver Rose du destin qui l’attend. Elle aura donc un enfant qui lui sera enlevé et est destinée à finir dans un asile psychiatrique à la merci du docteur troisième élément du trio infernal dans les griffes desquelles la pauvre Rose est tombée. Il y a une lueur d’espoir à la toute fin du roman, qui ressemble à un rêve plus qu’à la réalité.
    J’ai aimé ce roman, son écriture et sa construction. J’ai aimé aussi la difficulté de raisonner des personnages même s’ils ne savent pas prendre les bonnes décisions. Mais c’est ce qui m’a empêcher de mettre cinq coquillages à ce livre c’est ce côté excessif dans l’horreur : trop de fatalités ont nuit à la vraisemblance du récit. Je me disais sans cesse « trop c’est trop ». Mais cette nuance dans le concert d’éloges ne m’empêchera de lire les autres romans de cet auteur.

Citations

Remarque qui ne concerne pas seulement les prêtres

Faut-il vieillir pour voir grandir le doute de n’avoir pas été à la hauteur de ma mission ?
Vieillir, est-ce la seule façon d’éprouver durablement la foi ?

Les femmes dans le monde paysan

 On était quatre filles, nées à un an d’écart. J’étais l’aînée. Les filles valent pas grand-chose pour des paysans, en tout cas, pas ce que des parents attendent pour faire marcher une ferme, vu qu’il faut des bras et entre les jambes de quoi donner son nom au temps qui passe, et moi et mes sœur, on a jamais rien eu de ce genre entre nos jambes. Si j’ai pas entendu mille fois mon père dire que les filles c’est la ruine d’une maison, je l’ai pas entendu une seule.

Les hommes

Même à l’âge que j’avais, je savais à quoi m’en tenir avec les hommes, il y en avait deux sortes, ceux avec un pouvoir sur les autres, venu de l’argent du sang, ou même les deux à la fois, et puis les lâche. Lâche, comme Edmond. Parce qu’être lâche, c’est pas forcément reculer, ça peut simplement consister à faire un pas de côté pour plus rien voir de ce qui dérange. À ce qui me semblait, Edmond, l’avait toujours fait des pas de côté, alors, je voyais pas bien pourquoi il se mettrait d’un seul coup en travers du chemin du maître, surtout pour une fille comme moi. Malgré son boniment et ses regrets, j’y croyais pas une seconde.

La folie

J’imagine que pas vouloir laisser souffrir quelqu’un qu’on aime, c’est être fou, aller contre la souffrance que Dieu aurait décidé de nous faire subir. Ici, il y a que des gens bloqués dans une souffrance qu’ils ont jamais acceptée, c’est la seule vérité, c’est pour ça qu’ils se réfugient de l’autre côté de cette souffrance, dans un temps qui file à l’envers, alors crois pas que je suis folle …

 

 

Édition Gallimard. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une belle découverte que cette auteure qui a un style très particulier, entre poésie et réalisme.
L’histoire se résume en peu de mots, une femme d’abord prénommé Éliette et qui deviendra Phénix, est trop, mais, mal aimée par ses parents et ne saura pas, à son tour, aimer ses deux enfants : sa fille Paloma et son fils Loup. Éliette était une enfant d’une beauté incroyable et un début de talent de chanteuse, ses parents d’un milieu populaire en font, naïvement et sans penser la détruire, une petite poupée qui chante en public en particulier au Noël de l’usine devant tout le village. Ce corps trop beau et vieilli avant l’âge attire les convoitises des hommes, et détruira l’âme d’Éliette. Paloma, sa fille quittera, à 18 ans, le domicile de sa mère, un garage pour pièces détachées dans une zone péri-urbaine, pour se construire une vie plus calme mais elle abandonne son frère Loup à ce lieu sans amour. Loup prendra la fuite en voiture sans permis et blessera d’autres automobilistes, il fera huit jours de prison. Il y a bien sûr un incident qui peut expliquer la conduite d’Éliette, mais l’auteur n’insiste pas, elle montre à quel point l’enfant était mal dans sa peau d’être ainsi montrée en public à cause de sa beauté et de sa façon de chanter. Pour punir ses parents elle s’enlaidira au maximum, et sa voix deviendra désagréable. Bref de trop, et mal aimée elle passe au stade de rebelle et entraîne dans cette rébellion ses deux enfants. Le roman se situe quand Loup est en prison et que Paloma et sa mère essaie de comprendre leur passé respectif. Tout le charme de ce texte tient à la langue de Natacha Appanah, on accepte tout de ce récit car elle nous donne envie de la croire, elle ne décrit sans doute qu’une facette de la violence sociale et la poétise sans doute à l’excès mais c’est plus agréable de la lire comme ça, cette violence sociale, que dans le maximum du glauque et du violent qui me fait souvent très peur. Et pour autant elle n’édulcore pas la misère du manque d’amour maternel et des dégâts que cela peut faire.

 

Citations

L’art du tatouage

Son biceps gauche est encerclé de trous lignes épaisse d’un centimètre chacune, d’un noir de jais. Sur son poignet droit, elle porte trois lignes du même noir mais aussi fine qu’un trait de stylo. Une liane de lierre, d’un vert profond, naît sous la saillie de la malléole, entoure sa cheville gauche, grimpe en s’entortillant le long de sa jambe et disparaît sur sous sa robe. Entre ses seins, que l’ouverture de sa chemise de nuit laisse entrevoir, il y a un oiseau à crête aux deux ailes déployées, à la queue majestueuse. C’est le premier tatouage qu’elle s’est fait faire à dix huit ans, pour inscrire à jamais le prénom qu’elle a qu’elle s’était choisi : Phénix. 

Impression que je partage même si, moi, j aime la ville

Georges n’a jamais aimé la ville mais il aime bien les gares. Celle-ci n’est pas trop grande, pas encore en tout cas. Il a l’impression que tous ce qui était à taille humaine, reconnaissable, inoffensif, est aujourd’hui cassé, agrandi, transformé. Les cafés, les cinémas, les magasins, les stations services, les routes, à croire que tout est fait pour que les hommes se sentent mal à l’aise, tournent en rond et se perdent.

Portrait amusant

D’habitude, elle est de ces femmes à ne jamais cesser de bavarder, grandes histoires, petits détails,un véritable moulin à paroles, et le docteur Michel soupçonne que c’est le genre de femme à commenter, seule chez elle, sa vie.

Bien observé

Il y a donc ce gâteau dont l’emballage précisait « transformé en France et assemblé dans nos dans nos ateliers »

 

 

 

 

Édition ZOE traduit de l’anglais (Canada par Christian Raguet)

Après « Les Étoiles s’éteignent à l’Aube » et les incitations de Krol et d’Aifelle , j’ai retrouvé avec grand plaisir le talent de Richard Wagamese. On retrouve Franck, celui qui avait permis à son père de mourir en Indien et à nous lecteur de comprendre la beauté de la Colombie-Britannique. Cette fois encore le rapport de l’homme et de la nature est un des ressorts de ce roman que l’auteur n’a pas eu le temps de finir.

Nous retrouvons le thème de la rédemption par le retour sur soi-même qu’offrent la nature et les animaux sauvages. Emmy est une jeune femme violentée par la vie et des compagnons tous plus brutaux et alcooliques les uns que les autres. Elle a une petite fille Winnie, au milieu de tant d’horreurs quotidiennes, il ne lui reste qu’une seule volonté positive : que sa petite fille connaisse une vie meilleure que la sienne. Elle fuit donc les deux hommes qui la brutalisent et la violentent régulièrement pour sauver sa fille. Elle rencontrera Franck et son ami Roth qui travaillent avec lui à la ferme du « Vieil homme » celui qui a sauvé Franck et lui a donné le sens et le respect de la vie. Le roman suit deux traces , l’une terrible et uniquement faite de violence d’alcool et de vengeance : celle des deux hommes qui traquent Emmie pour assouvir leur vengeance, et celle de la reconstruction de Winnie et d’Emmie auprès de Franck dans les montagnes de la Colombie-Britannique.
L’auteur n’a pas eu le temps de terminer son roman, mais, il me semble que la fin est inscrite en filigrane dans ce que nous pouvons lire. Il s’agit de deux chasses, mais l’une est le fait de prédateurs qui ne sentent pas la nature dans toute sa complexité et l’autre celle d’une réconciliation avec le monde dans toutes ses facettes. Parce que ce roman n’est pas complètement fini, on sent aussi, parfois, des dialogues rapidement esquissés qui auraient demandé une relecture. Mais à côté de cela , il y a des moments splendides en particulier sur les rapports possibles entre les animaux et les hommes quand ceux-ci prennent le temps de les écouter. Un très beau livre d’un auteur qu’on aurait aimé lire encore longtemps.

 

Citations

Les loups

Ils étaient couchés sur un rocher pentu qui dépassait de l’extrémité de la saillie. Derrière eux, la lune étincelait comme un œil gigantesque. Le mâle alpha était le seul à être assis, face au disque lunaire scintillant, la tête légèrement relevé, semblable à un enfant empli d’émerveillement. Starlight reprit son souffle rapidement et se releva de toute sa hauteur. Le loup tourna la tête. Il s’observèrent : l’homme se sentit percé à jour, vu dans son intégrité, il n’avait pas de peur en lui, seulement du calme, le même que dans le regard résolu du meneur de la meute. Le loup se dressa. Il balaya du regard l’ensemble du tapis céleste moucheté d’étoiles et Starlight suivit ses yeux. L’univers, profond et éternel, était suspendu au-dessus d’eux, solennel et franc comme une prières.
 Le loup se rassit et sembla étudier le panorama. Puis il souleva son nez et lança un un hurlement glaçant face à la lune et aux étoiles éparpillées autour.

La violence faite aux enfants

Elle ne pouvait se remémorer une seule fois dans sa vie ou des hommes n’aient pas voulu la toucher, la tenir dans leurs bras, la caresser, et pendant un moment elle avait laissé faire parce que ça comblait le vide de solitude qu’elle portait en elle, orpheline placée dans une famille. Elle avait laissé faire jusqu’à ce qu’elle commence à en souffrir. Elle ne voulait pas penser à cette époque-là. Elle avait, une bonne fois pour toute, claquer la porte sur cette noirceur d’une nature particulière. Il y avait là des monstres, à l’affût, furtifs, en embuscade, attendant l’heure avant de se montrer et de s’emparer d’elle de sang-froid, avec leur sauvage mâchoire hargneuse. Elle avait senti leur présence toute sa vie. Il n’y avait jamais eu assez de lumière pour les chasser ou s’il y en avait eu, elle n’avait lui que brièvement avant de devenir l’ombre qu’elle avait connu et à laquelle elle s’était habituée depuis un temps bien trop long. Ce n’est que l’impitoyable cruauté de Cadotte qui avait précipité à la surface la vieille rage couvant en elle. Elle l’avait submergée. Elle avait déferlé sur elle comme une incontrôlable vague de peur, de négligence, d’abandon, d’aspiration, de néant, de faim, de besoin et de haine ; une haine d’un violet pur, insidieuse, furieuse, pour les hommes pour la vie, pour elle-même, pour avoir toléré ce qu’elle avait toléré qu’il lui arrive.

L’alcool

Son monde était circonscrit par la picole. Il buvait constamment. Mais elle aussi avait sa propre alliance avec l’alcool, qui semblait en accord avec celle de Cadotte. La picole permettait aux monstres et à l’obscurité de disparaître. Elle lui permettait presque d’arriver à éprouver un sentiment de joie, de liberté, et Emmy la laissait entrer dans son monde aussi souvent que s’en représentait l’opportunité. Avec Cadotte, elle se présentait tous les jours. Elle fut ivre six semaines d’affilées.

Un lieu à soi

Assister au lever et coucher du soleil est devenue la seule prière que j’aie jamais éprouvé le besoin de prononcer. Voilà mon histoire. Voilà mon chez moi. Cela vit en moi. 
Je vous vois toutes les deux, je vous vois chercher quelque part où vous installer. Très nerveuses et angoissées à l’idée de ne pas avoir de repère fixe. Effrayées, même. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas à le savoir. Mais le vieil homme m’a appris que si je peux aider quelqu’un je dois le faire. Cette terre m’a donné un endroit où poser mes pieds. Je crois que peut-être je pourrais en donner un aussi à Winnie. 
En vérité, une fois qu’il est en nous, une fois qu’on a fini par le connaître, on ne se sent plus jamais esseulé perdu ou triste. On a toujours un lieu pour porter tout cela, ou le laisser, ou lâcher prise. Et ce lieu est de nouveau en nous. Ce que je pense ? Je pense que Winnie doit avoir besoin de faire le vide. Vous aussi, si vous êtes prête.

Édition P.O.L.Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Ce roman démarre dans la légèreté : Vicente et ses amis, des juifs parfaitement assimilées à la vie en Argentine, regardent de loin ce qui se passe en Europe. Leurs conversations sont marquées par l’humour juif qui leur donnent tant de saveur. Vicente est beau garçon , un peu hâbleur et propriétaire d’un magasin de meubles que son beau-père fabrique. Il est heureux en ménage, et a des enfants qu’il aime beaucoup. Sa mère, son frère médecin et sa sœur sont restés à Varsovie. En 1938, il leur conseille sans trop insister de venir à Buenos Aires. Il est content de son exil et des distances qu’il a mises entre sa mère qu’il juge envahissante et lui qui se trouve bien dans sa nouvelle vie. Et, les années passent, l’angoisse s’installe, il va recevoir trois lettres de sa mère et il prend conscience de l’horreur qui s’est abattue sur les juifs européens. Il se sent coupable de n’avoir pas su insister pour que sa famille le rejoigne, il va s’installer dans un mutisme presque complet. Sa femme comprend le drame de son mari et fait tout ce qu’elle peut pour le ramener vers la vie, mais sans grand succès. Vicente est dans son « ghetto intérieur » , comme son cauchemar récurrent qui l’angoisse tant. Il rêve d’un mur qui l’enserre peu à peu jusqu’à l’étouffer, il se réveille en prenant conscience que ces murs c’est sa peau : il est emmuré vivant en lui-même. (D’où le titre)

L’auteur est le petit fils de ce grand père qui n’a pas réussi à parler. Santiago Amigorena comprend d’autant mieux son grand-père que sa famille a dû quitter l’Argentine en 1973, l’exil et l’adaptation à un nouveau pays, il connaît bien. Cela nous vaut de très belles pages sur l’identité et une réflexion approfondie sur l’identité juive. Le thème principal de ce roman, c’est : la Shoah, qu’en savait-on ? Comment s’en remettre et que transmettre aujourd’hui ?. Rien que nommer ce crime contre l’humanité fait débat , ne pas oublier que pendant des années on ne pouvait pas nommer autrement que « Solution finale » avec les mots que les Allemands avaient eux-mêmes donnés à leurs crimes monstrueux. Crime ? mais ce mot suffit-il quand il s’agit de six millions de personnes ? Génocide ? certes ; mais il y en a eu plusieurs en quoi celui-ci est-il particulier ? Holocauste ? mais ne pas oublier qu’alors il s’agissait d’offrir des victimes innocentes à un dieu. Qui était le Dieu des Nazis ? Et finalement Shoah qui ne s’applique qu’au génocide des juifs par les nazis. C’est si important d’avoir trouvé un mot exact. Un livre très émouvant qui fait revivre l’Argentine dans des années ou ce pays allait bien et qui apporte une pierre indispensable à la construction de la mémoire de l’humanité.

 

Citations

Le genre de dialogue qui me font sourire

– Les Juifs me font chier. Ils m’ont toujours fait chier. C’est lorsque j’ai compris que ma mère allait devenir aussi juive et chiante que la sienne que j’ai décidé de partir.
-Comparée à la mienne, ta mère n’est pas si chiante, lui avez répondu Sammy, un œil toujours rivés sur les tables de billard. (…)
 – Le pire, c’est que quand elle avait 20 ans, elle rêvait d’une seule chose, quitter le shtetl pour aller vivre en ville. Elle trouvait ma grand-mère chiante pour les mêmes raisons que moi, je la trouve chiante aujourd’hui…
-Et pourtant, chiante ou pas chiante, tu lui as fait traverser l’Atlantique pour l’avoir à tes côtés.
– Oui… même les pires choses nous manquent.

Leçon de vie

C’est ce qu’on fait depuis la nuit des temps, non ?
– On aime nos parents, puis on les trouve chiants, puis on part ailleurs… C’est peut-être ça être juif…
– Oui… Ou être humain.

La culpabilité

Mais Vicente n’avait rien fait . Il avait même avoué que depuis qu’il était arrivé en Argentine, il avait compris que l’exil lui avait permis , aussi , de devenir indépendant, et qu’il n’était pas sûre de vouloir vivre de nouveau avec elle. S’éloigner de sa mère, en 1928, l’avait tellement soulagé-être loin d’elle, aujourd’hui, le torturait tellement.

Être juif

Une des choses les plus terribles de l’antisémitisme est de ne pas permettre à certains hommes et à certaines femmes de cesser de se penser comme juif, c’est de les confiner dans cette identité au-delà de leur volonté -c’est de décider, définitivement qui ils sont.

Édition Notabila . Traduit de l’italien par Lise Chapuis. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Deux enfants d’un quartier de Palerme se soutiennent pour vivre et rester joyeux malgré la pauvreté dans laquelle ils vivent. Mimmo et Cristofaro passent leur temps à éviter tous les pièges que tend la vie aux miséreux. Mais Cristofaro est en grand danger car son père lui cogne dessus tous les soir comme le dit l’auteur « Il pleure la bière de son père ». Dans ce quartier de Palerme personne ne peut garder une quelconque intimité car tout se sait, puisque tout s’entend même le nombre de coups que reçoit le malheureux Cristofaro. Le héros du quartier c’est Toto le voleur insaisissable qui court si vite qu’il laisse sur place tous ceux qui veulent le rattraper, en se faufilant dans les ruelles qu’il connaît mieux que tout le monde.

Il est amoureux de Carmela la prostituée et un moment de bonheur semble arriver quand il organise son mariage avec elle et ainsi donne un père à Céleste l’enfant qui n’a pas de père. Lorsque sa mère reçoit ses clients, Céleste passe ses journées à lire ses livres de classe sur le balcon du domicile de sa mère. Elle s’instruit aussi en regardant par le trou qu’elle a réussi à creuser dans le volet de la chambre, et connaitre la longueur de le « bite » de chaque père du quartier lui permet de tenir à distance tous ceux qui auraient aimé la mépriser.

 

Mais évidement quand la misère vous colle à la peau le drame n’est pas loin, et ce livre ne pouvait pas finir par un « Happy-End » de mauvais goût .

En vous racontant l’histoire, je passe à côté de l’essentiel : le style extraordinaire. Giosué Calaciura réussit à nous entraîner dans les rues Palerme . Nous sentons physiquement les odeurs, le rythme de chacun, les peurs des uns et des autres. Toutes les scènes sont à la fois précises et oniriques. Le passage où l’auteur décrit l’odeur du pain qui envahit les rues est un moment délicieux. Les courses éperdues de Toto pour échapper aux policiers sont époustouflantes : on court avec lui. Toute la vie est scandée par la sirène du ferry qui annonce son arrivée – avec les marins clients de Carmela- et la sonnerie de son départ -qui invite ceux qui veulent fuir Palerme à monter à bord. Ce n’est pas facile de décrire la misère sans la rendre si glauque et si violente qu’elle nous fait peur où si lointaine qu’elle ne nous touche pas. L’auteur la connaît bien, cette misère, et sait nous la faire vivre presque physiquement, l’horreur est là, la violence aussi mais les moments de bonheur aussi. Bref c’est l’humanité dans sa totalité. Bravo monsieur Giosué Calaciura.

Vous pouvez aussi lire le billet de « lire au lit » qui en dit beaucoup de bien

 

Citations

La prostituée

À l’entrée, elle rencontra le client paralysé qui, ne voulant pas être reconnu, était resté là à attendre que la foule s’éparpille ; pour le tranquilliser, elle promit de lui faciliter une sortie discrète en attirant sur elle tous les regards et les méchancetés. Lorsqu’elle ouvrit la porte d’entrée de l’immeuble chaussée de ses claquettes bleues, couverte seulement de son peignoir bleu enfilé après le travail, et qu’elle se présenta dans la lumière du dimanche après-midi, elle apparut à tous très belle et exempte de toute faute. Les femmes même qui, par habitude, se signaient chaque fois qu’elle la voyait, se figèrent, le bras levé à la hauteur de « au nom du Père », pressentant dans leur geste le blasphème de ne pas avoir reconnu, au milieu de ses cheveux déliés des étreintes de la luxure, le visage de la Vierge au Manteau. Alors elle reprirent leur signe de croix non pour demander le châtiment et pour participer au pardon

Le père violent

Au Borgo Vecchio tout le monde savait que Cristofaro pleurait chaque soir la bière de son père. Après le dîner, assis devant la télévision, les voisins entendaient ses hurlements qui couvraient tous les bruits du quartier. Ils baissaient le volume et écoutaient. Selon les cris, ils pouvaient deviner où il le frappait, à coups de poing secs, précis. À coups de pied aussi, jamais au visage. Le père de Cristofaro tenait à l’honneur de son fils : personne ne devait voir l’outrage des bleus.

L’initiation de Toto, et la corruption de la police

« Tu la vois , cette voiture, là ? Les pneus , les quatre , et puis tu files. »

 C’était l’utilitaire d’un employé de l’hôtel de police en charge des passeports : il n’avait pas encore compris et s’occupait avec un zèle excessif des papiers entachés d’antécédents judiciaires , il entravait le cours naturel des autorisations et délivrances de documents , et faisait de l’obstruction à travers l’intransigeance de la loi et les temps longs de la bureaucratie . Certaines personnes , par contre , avait un besoin urgent de casiers judiciaires immaculés et d’autorisations permettant de mettre en route des dossiers de chantiers et de travaux . S’il n’avait pas compris la manière douce , étant donné qu’il avait renvoyé à l’expéditeur une invitation pour une semaine de vacances tous frais payés avec femme et enfants à l’hôtel de la mer , il allait à présent comprendre la manière forte.

Le vendeur du marché aux puces le plus malheureux

Mais parmi tous ces vendeurs de fortune, le plus synthétique était celui qui vendait la solitude d’une chaussure. L’autre avait été volée par pure méchanceté, parce que c’était la plus belle,brillante, en cuir noir, la paire de chaussures de son mariage, celle qui l’avait accompagné à chaque pas dans toutes les occasions de fêtes et aussi au repas de Noël, même si c’étaient des chaussures d’été.

 

Édition Intervalles ; Traduit du grec par Françoise Bienfait. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un très beau roman qui traite si bien de toutes les questions qui hantent les hommes et pas seulement ceux de notre époque. Gazmend Kapplani pose de façon lumineuse la question de l’identité grâce à un dialogue entre deux frères. L’un, Karl, a quitté l’Albanie, et est confronté à l’exil et son frère, Frédérick, qui est resté auprès de son père, un pur communiste qui a défendu « le grand dirigeant » Henver Hodja.. Les deux prénoms sont déjà porteurs de l’engagement du père  : Karl, le prénom de Marx et Frédérick, celui d’Engels . Comme il y a beaucoup d’humour dans ce récit, on verra que, si Karl en albanais est trop proche du mot signifiant « bite », en revanche en exil avoir un prénom qui ne soit pas musulman lui a été favorable pour l’obtention de papiers (vrais ou faux). On apprendra petit à petit pourquoi Karl est si viscéralement hostile à son père, à l’Albanie à son village et si loin de son jeune frère. Au fur et à mesure qu’il décrit son exil et ses difficultés, on entend la voix de Frédérick qui pense que rien ne vaut la peine de s’exiler, que l’on est toujours de son village, de son pays, de sa langue et de ses morts. Il faut dire que Gazmend Kapllani sait bien de quoi il parle, lui qui a vécu vingt-quatre ans en Grèce sans jamais avoir obtenu la nationalité. Karl, comme l’auteur, vit et enseigne en ce moment aux USA car il a fui la violence raciste des néo-nazis grecs qui le menacent de mort . Il a révélé dans ce roman (et dans la vie réelle), les meurtres horribles contre les minorités albanaises » les Tchames. Toutes ces questions autour de l’identité de l’exilé nous interpellent aujourd’hui, mais si ce livre est un coup de cœur, c’est aussi que la trame romanesque est bien menée, on suit avec étonnement Karl qui n’arrive pas à être triste de la mort de son père, et qui semble distant avec son frère que l’auteur rend attachant. Et puis, au fil des chapitres, le passé revient et avec lui les attitudes des uns et des autres aux pires moments de la dictature communiste. Alors certes, l’exil est compliqué, et la cruauté des hommes ne connaît pas de frontières, mais quand on est exilé dans sa propre famille, je crois que rien ne peut retenir celui qui, comme cet écrivain, est capable d’apprendre, de parler et d’écrire une petite dizaine de langues.

PS. Je ne suis pas complètement certaine d’avoir compris le titre. Mais est-ce le même en grec ?

Citations

Les mœurs de village

 Il était allé déposer un bouquet de fleurs et une bougie sur la tombe de sa mère. Elle était morte un an avant le départ de Karl. La version officielle avancée par la famille était qu’elle avait succombé à une attaque. Mais tout le monde savait qu’elle s’était suicidée. Un geste aussi grave ne pouvait rester secret dans une ville où les commérages allaient si bon train qu’ils n’épargnaient pas même les trous de culotte des voisins .

Les rituels

La participation au mariage avait lieu sur invitation, alors que pour les décès, les maisons restaient ouvertes à tous, riches et pauvres, puissants et mendiants. Dans cette petite ville où les gens naissaient inégaux, vivaient et mouraient inégaux, la mort était en quelque sorte une patrie qui les accueillait tous sans discrimination.

La langue de l’exil

Karl fut surpris que son père ne disent rien quand il lui annonça qu’il émigrait de nouveau. Ce n’est qu’en quittant la table à la fin du repas qu’il brisa Le silence en lui demandant tout à coup : « Tu n’en as pas assez de passer ta vie à parler la langue des autres ? »
Karl se sentit comme quelqu’un à qui l’on enlève les vêtements par un tour de passe-passe et qu’on laisse complètement nu.

L’exil

Ma patrie est celle où sont enterrés mes morts. Chaque fois qu’on s’éloigne d’eux, on perd un peu plus de son énergie, de sa vie, de son identité.

Déboulonner la statue

Lorsque la statue du dictateur bougea un peu, tout ceux qui étaient autour se mirent à la couvrir d’insultes avec leur voix enrouée. : « Abattez ce fils de putain ! », « Niquez sa mère ! » (Parce que même lorsqu’il s’agit des dictateurs, ce sont toujours les mères qui prennent, on n’a jamais entendu quelqu’un injurier le père d’un dictateur.)

La tragédie de Smyrne

La famille de Clio avait disparu dans l’enfer des flammes qui avait recouvert la ville de Smyrne. Seules sa mère et elle, qui était âgée de neuf ans à l’époque, s’en étaient sorties vivantes. Elles arrivèrent au port du Pirée après avoir traversé la mer Égée sur une barque de pêche pourrie, surchargée de réfugiés qui avaient tout perdu. Ils laissaient derrière eux les tombes de leurs ancêtres et les corps de leurs parents carbonisés dans l’incendie, piétinés à mort par la foule qu’on pourchassait, ou tout simplement disparus. Ils espéraient revenir dans quelques jours, voire dans quelques semaines, pour les rechercher ou au moins enterrer leurs morts. Ils n’étaient jamais revenus. Devant eux se présentait une terre inconnue, rempli remplie d’autochtones qui ne cachaient pas leur méfiance et leur hostilité.

La carte de séjour

Il obtint sa première carte de séjour grâce à un cousin de Clio qui travaillait au commissariat central de police d’Athènes. Une carte minuscule, toute fine, du même bleu que le drapeau grec qui flottait au-dessus de la douane quand Karl attendait sur la-terre-de-nulle-part. « Heureusement que tu as un prénom chrétien », lui dit le cousin de Clio. Le faussaire albanais lui avait dit exactement la même chose . Si on ne portait pas de prénom grec, on devait en changer pour obtenir la carte de séjour et en choisir un plus « convenable », qui n’attirerai pas l’hostilité des autorités ni les soupçons des autochtones. Des milliers d’Albanais changeaient aussi rapidement de prénom qu’on se débarrasse d’un vêtement sale après le travail, espérant ainsi obtenir ce talisman que représentait pour eux la carte de séjour.

Le mal de l’état nation

D’après Christos, le nationalisme qui avait atteint ses contrés était une asthénie psychique bien particulière, inoculée par l’Occident qui était réputé pour sa froideur et son avarice, cette maladie incurable de l’Europe avait surtout frappé les petites nations, celles qui, d’après lui étaient nées au forceps du ventre de l’Histoire et se retrouvent est totalement dépourvues de défenses immunitaires. « Nous, dans les Balkans, nous sommes les enfants orphelins de trois empires, l’Empire romain, l’Empire byzantin et l’Empire ottoman », disait-il, planté devant la carte des Balkans qui incluait Constantinople et recouvrait presque tout le mur de son long couloir. Il avait également épinglé au-dessus une large bande de papier sur laquelle il avait écrit en gros caractères : « Chercher des gens ethniquement pures dans les Balkans revient à chercher des femmes vierges dans un bordel. »

Les tabous nationaux

Chaque pays a ses « tabous nationaux ». On les appelle ainsi parce qu’ils sont profondément enfouis dans l’oubli collectif, grâce à une convention tacite établie par la majorité des membres d’une communauté, de sorte que personne ne cherche à savoir la vérité. On peut aussi qualifier « d’ignorance institutionnalisée » ou de « statu quo » ce genre de convention. Pour prendre une comparaison un petit peu triviale, on pourrait dire que cette ignorance institutionnalisé est du même ordre que l’ignorance des usagers sur le fonctionnement des égouts, tout le monde sait qu’ils existent mais personne n’en parle, sauf quand une grande panne se produit et que leur contenu écœurant se déverse dans les rues.