Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Voici la phrase qui résume le sens de ce roman
Les marchands n’ont pas d’ennemis, ils n’ont que des clients.
Dans notre médiathèque, et à notre club, les romans historiques ont toujours beaucoup de succès, je pense que la moyenne d’âge doit-y être pour quelque chose. Je ne suis pas une fan absolue du genre, non pas que je sois plus jeune que les autres, mais souvent je trouve que les romans historiques sont trop didactiques et ne m’embarquent pas toujours dans la petite histoire à force de vouloir servir la grande (Histoire). Pour ce roman, on doit d’abord remarquer que Patrick Rambaud est un excellent écrivain, on sent son plaisir à nous raconter cette épopée et je suis partie avec lui sur la terre de tous les dangers : brigands, barbares, comme sur la mer de l’Adriatique sur laquelle régnaient de terribles pirates . Les riches marchands de Venise, ne veulent plus dépendre de Rome et en 823, ils embarquent pour Alexandrie, voler la relique de Saint Marc afin d’asseoir leur autorité face aux papes. Parce que c’est à ce détail que se joue l’autorité d’un lieu , l’importance de la relique qui la protège.
Le Vatican possède et vénère le corps de Saint Pierre, Venise aura celui de Saint Marc. On sent que l’auteur s’amuse beaucoup (et nous avec lui !) avec ces histoires de reliques, nous suivrons donc le coude de Werentrude qui a été remplacé par un fémur de cochon.., nous apprendrons qu’une église possède le nombril du Christ – il a dû l’oublier avant de monter au ciel ! Les marchands doivent d’abord se rendre à Mayence pour faire le plein d’esclaves, puis se confronter aux luttes de pouvoir à Venise et enfin partir à Alexandrie et revenir. Inutile que je vous raconte la fin, nous la connaissons tous puisque de Venise nous connaissons la place Saint Marc, nos marchands ont donc réussi leur mission : ils ont ramené le corps de l’évangéliste sur leur bateau. Venise pourra donc se développer sans autre tutelle que les doges vénitiens.
Ce grand voyage nous permet de comprendre la société du XIXe siècle et toute l’originalité de la cité lacustre. L’humour de l’auteur est présente dans tout le roman, mais c’est là ce que je lui reproche, c’est écrit par un homme du XXIe siècle et évidemment ces histoires de reliques nous font surtout rire. Mais les personnages de ce roman n’y croient pas du tout, eux non plus, ils s’en servent juste pour manipuler les foules. Je me demande si c’était aussi simple que cela. Comment faire croire aux foules des histoires auxquelles on ne croit absolument pas soi-même ? Je pense que les positions des uns et des autres étaient plus nuancées. Mais peu importe, l’histoire est belle et bien racontée, vous aimerez le moine septique et jouisseur Thodoald, vous admirerez l’intelligence des deux marchands Marino Bon et surtout Rustico qui savent inventer les interventions divines qu’il faut pour permettre à Venise, la cité né des flots de faire du commerce librement.
Citations
Présentation de Venise au IXe siècle en 828
Les Vénitiens étaient ce peuple de marchands réfugiés dans les lagunes, entre les Alpes et l’Adriatique, pour se garantir des barbares qui désolaient le continent européen. Ils vivaient sur l’eau à la façon des oiseaux de mer. Ils ne voulaient pas affronter des ennemis mais cherchaient des clients. Aux uns ils vendaient des esclaves, aux autres du poivre ou de la soie. Leur force, c’était leurs bateaux. L’Europe était aux mains des évêques et des Papes, qui avaient su profiter des invasions venues de l’Est pour supplanter partout le pouvoir pâlichon des empereurs de Rome. Ceux-là tentaient d’exercer leur tutelle sur cette Venise récalcitrante dont les richesses excitaient déjà les convoitises.
Le nord et le sud en 823
Au nord, les ténèbres d’un christianisme primaire, teinté de magie, des contrées où l’on manque de tout et où l’on ne sait plus rien ; Charlemagne n’a jamais réussi à lire. Le sel est un luxe. Et le piment, pour cacher l’odeur forte du gibier en décomposition, est aussi un luxe. Du côté d’Aix la chapelle on n’a plus de mémoire. Les mœurs civilisé de l’Antiquité n’ont pas pénétré ces cervelles durcies. On subsiste entre brutes, on élève la superstition en dogme. Au sud, en Méditerranée, les mahométans commencent à razzier les îles chrétiennes et sauvages, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, des terres riches que leurs habitants sont incapables de fertiliser. Les califes ont de l’or et du savoir. Ils ont conservé un lien avec la lointaine Asie dont ils reçoivent les caravanes interminables. Au Sud, on sait aussi bien caresser que tuer. Au nord, tout vous agresse.
Les abbayes
La cave d’une abbaye, il n’y a rien de plus précieux. Quand les barbares envahissaient le pays, les moines commençaient par cacher les tonneaux avant même les crucifix.
Humour
– » Silence ! commande Rustico. un peu de respect pour le coude de sainte Werentrude que les parents de cette enfant ont mise à la broche.-Elle n’avait qu’à se convertir à l’islam, dit Thodoald. Elle serait morte de vieillesse.– Sûrement, mais elle ne serait pas sainte.– Je sais : il faut choisir …. :
Les dangers d’un roi pieux
La vertu produit l’hypocrisie. Il faut s’attendre aux pires malheurs, avec un roi qui pratique la sainteté...
La religion (Propos d’un personnage du 9° siècle, j’en doute !)
Les croyances, toutes les espèces de croyances génèrent le désordre. Si tu crois, tu veux persuader ceux qui ne croient pas au même chose que toi, tu t’imposes, tu légifères, tu ordonnes. Tous nos malheurs viennent de ces conflits lamentables et diaboliques. Les religions sont les manufactures où se fabriquent des monstres. Elles provoquent acharnement, délation, haine, meurtre, mépris, interdiction, rigidité, extermination, hécatombe, perversité, illusion, enfantillages…