Édition le Seuil

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Après « la villa des femmes » et « l’empereur à pied« , voici ma troisième lecture de ce grand écrivain libanais. Ce texte est très court et les chapitres qui le composent font parfois moins d’une demi-page. Le titre dit beaucoup sur cette biographie : Raphaël Arbensis aurait pu, en effet mener des vies bien différentes. L’auteur sent que sa destinée tient plus du hasard et de la chance que de sa propre volonté. Ce sont des idées bien banales aujourd’hui mais qui, au début du XVII° siècle, sentent l’hérésie pour une élite catholique toute puissante et peu éclairée. Elle vient de condamner Galilée et donc, regarder, comme le fait le personnage, le ciel à travers une lunette grossissante relève de l’audace. L’auteur ne connaît pas tout de la vie de cet aventurier du pays des cèdres comme lui, mais malgré ces périodes d’ombre qu’il s’empêche de remplir par trop de romanesque, il sait nous rendre vivant ce personnage . Le plus agréable pour moi, reste son talent d’écrivain : grâce à son écriture, on se promène dans le monde si foisonnant d’un siècle où celui qui voyage prend bien des risques, mais aussi, est tellement plus riche que l’homme lettré qui ne sort pas de sa zone de confort. Chaque chapitre fonctionne comme une fenêtre que le lecteur ouvrirait sur la société de l’époque, ses grands personnages, ses peintres, sa pauvreté, ses paysages. Un livre enchanteur dont les questionnements sont encore les nôtres : qu’est ce qui relève de notre décision ou de la chance que nous avons su plus ou moins bien saisir ?

 

Citations

De courts chapitres comme autant de cartes postales du XVII° siècle

Chapitre 6
Il fréquente aussi les lavandières qui lavent le linge dans le Tibre . Il fait rire et les trousse à l’occasion. À cette époque , les rives bourbeuses du fleuve sont envahies par les bateliers , et les teinturiers y diluent leurs couleurs. Nous sommes dans les premières années du pontificat d’Urbain VIII. La colonnade du Vatican n’est même pas encore dans les projets du Bernin, Borromini n’a pas encore construit la Sapienza, le palais des Barberini s’appelle encore palais Sforza et la mode des villas vénitienne intra-muros commence à peine. Mais il y a des chantiers et l’on creuse des allées et des voies. Des peintres et des sculpteurs habitent en ville. Le Trastevere et un village séparé de la cité, cette dernière n’a pas la taille de Naples, mais depuis le bord du fleuve on voit les dômes de Saint-Pierre et le palais Saint-Ange. Les grands murs du temps de l’Empire sont toujours debout, roses et briques parmi les cyprès et les pins, et sous la terre dorment encore bien des merveilles. Un jour de 1625, sur la place du Panthéon, un larron interpelle Raphaël pour lui vendre quelque chose en l’appelant Monsignore. Ardentis s’arrête, méfiant, le larron rit en découvrant une horrible rangée de dents abîmées et lui indique sa brouette sur laquelle il soulève une petite bâche. Avensis se détourne du spectacle de l’affreuse grimace du mendiant pour regarder ce qu’il lui montre et là, au milieu d’un bric-à-brac fait de clous, de chiffons, de morceaux de plâtre et de divers outils abîmés, il voit une tête en marbre, une grande tête d’empereur ou de dieu, le front ceint d’un bandeau, les lèvres pulpeuses, le nez grec et le cou coupé, posé sur le côté, comme lorsqu’on dort sur un oreiller.
Chapitre 27 un des plus courts
Dans le ciel, il y a toujours ces grands nuages blancs qui se contorsionnent tels des monuments en apesanteur, qui prennent des postures fabuleuses et lentement changeantes comme les anges et les êtres séraphiques improbables de Véronèse.

Á travers une longue vue les personnages regardent Venise et le lecteur croit reconnaître des tableaux

Une autre fois, il voit un homme buvant du vin à une table sur laquelle, en face de lui, une femme nue est accoudée qui le regarde pensivement, le menton dans la main. Il voit un maître de musique près de sa jeune élève devant un clavecin, il voit une table un globe terrestre dans une bibliothèque déserte et un jour, dans ce qui semble une chambre à coucher, il voit une femme en bleu, peut-être enceinte, debout et absorbée dans la lecture d’une lettre.

Le hasard ou le destin

Nos vies, écrit-il, ne sont que la somme, totalisable et dotée de sens après coup, des petits incidents, des hasards minuscules, des accidents insignifiants, des divers tournants qui font dévier une trajectoire vers une autre, qui font aller une vie tout à fait ailleurs que là où elle s’apprêtait à aller, peut-être vers un bonheur plus grand si c’était possible, qui sait ?, mais sans doute souvent plutôt vers quelque chose de moins heureux, tant le bonheur est une probabilité toujours très faible en comparaison des possibilités du malheur ou simplement de l’insignifiance finale d’une vie ou de son échec.

 

 

 

 

Traduit de l’anglais (Ètats-Unis) par Brice Matthieussent ; collection 10/18

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

J’ai oublié sur quel blog j’avais lu qu’il fallait absolument lire ce petit roman de John Fante, mais quand je l’ai vu au club de lecture de notre médiathèque, j’étais très contente. Oui, c’est un excellent moment de lecture tout en humour grinçant et méchant qui décoiffe, parfois un peu trop pour moi. Le personnage principal est un écrivain qui trouve un soir un énorme chien devant chez lui. Un chien de race Akita qui, sur cette photo, semble bien sympathique mais qui est un véritable danger dans une famille qui n’allait pas non plus très bien avant son arrivée

Ce chien mérite très bien son nom, Stupide, il saute sur tout ce qui lui semble un compagnon sexuel acceptable et comme il est très puissant cela donne des scènes aussi comiques que gênantes. L’écrivain, narrateur de ce roman se sent mal de tous les livres qu’il ne réussit plus à écrire. Il se sent raté aussi bien socialement que dans sa vie familiale. Même s’il le raconte avec beaucoup d’humour, on sent son désespoir à l’image de la scène finale qui donne peu d’espoirs sur la survie de son mariage. Ce roman raconte aussi très bien le choc des familles lors des départs des enfants qui occupaient une place si importante au quotidien dans la maison. J’ai trouvé très originale dans ce roman la peinture de chaque personnage, on peint souvent la famille américaine comme une force en soi. Dans les films, les séries, les romans, la famille made-in US semble un lieu d’engagement et de résistance à toute épreuve. Ici, au contraire chaque individualité est caractérisée par une destinée propre et leur seul point commun lors de ce roman c’est ce chien, qu’elle le rejette ou l’aime. Un point de vue et un humour très particulier qui fait du bien en contre point des images trop lisses que nous renvoie « la culture » américaine : John Fante est issu de l’immigration italienne, et a connu la misère, ceci explique cela. Je ne voudrais pas donner une fausse image de ce livre qui est surtout très drôle même si on sent une grande tristesse sous cette façon de rire de tout et surtout de lui.

 

Citations

Beaucoup de pères pourraient écrire cela

Jimmy avait cinq mois, et je l’ai détesté comme jamais parce qu’il avait des coliques et braillait encore plus que Tina. Les hurlements d’un enfant ! Faites-moi avaler du verre pilé, arrachez-moi les ongles, mais ne me soumettez pas aux cris d’un nouveau-né, car ils se vrillent au plus profond de mon nombril et me ramènent dans les affres du commencement de mon existence.

Un père reste une fille s’en va

Pendant qu’Harriet sanglotait dans le patio, je suis allé dans mon bureau écrire à Tina une lettre que je ne posterai jamais, je le savais, quatre ou cinq pages éplorées d’un gamin qui avait laissé tomber son cornet de glace par mégarde. Mais je lui disais tout, ma culpabilité, mon terrible désir de pardon. Quand je l’ai relu, la force et la sincérité de ma prose m’ont bouleversé. Je l’ai trouvé par endroits très belle, j’ai même envisagé d’en tirer un bref roman, mais je n’avais pas mon pareil pour tomber en extase devant ma prose, je n’ai pas eu trop de mal à déchirer ce que j’avais écrit et à le mettre à la poubelle.

Chez Albin Michel

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Je suis partie, grâce au talent d’Antonin Varennes, dans le Paris de 1900, complètement chamboulé par l’exposition universelle, j’ai suivi la jeune et belle Aileen Bowman correspondante de presse d’un journal new-yorkais. Elle a imposé à son rédacteur en chef son séjour à Paris. Elle nous permet de découvrir cette ville courue par les artistes, ce qui va du classicisme absolu tant vanté par Royal Cortissoz, le critique d’art à qui le gouvernement américain a confié le choix des tableaux, par exemple celui qui lui plait le plus et dont il dit :

Puissante, avait déclaré le critique . Simple et fort. Équilibré. Parlant d’elle-même. Il y a chez cette bête la force tranquille et la persévérance des travailleurs américains de la terre.

Aillen a tendance à n’y voir qu’un taureau dans un étable et préfère les nus de Julius Stewart qui lui fera découvrir le Paris des artistes (Picasso y faisait ses débuts), l’auteur nous fait vivre dans le détail l’élaboration des tableaux de cet artiste mi-américain mi-français (comme elle)

 

 

Nous suivons aussi la construction de l’exposition universelle qui fait de Paris un village de décors et où on invite les populations indigènes à se donner en spectacle. C’est là, la première raison de la venue à Paris d’Ailleen , elle veut retrouver son demi-frère Joseph jeune métis mi-indien mi -blanc qui est devenu fou à cause de ce partage en lui de civilisations trop antinomiques, il fait partie du spectacle que les indiens donnent à Paris mais il n’est que souffrance et apporte le malheur partout où il passe ; encore que… la fin du roman donne peut être un autre éclairage à ses actes terribles..

On suit aussi l’énorme enthousiasme qu’apporte la révolution industrielle ; le progrès est alors un Dieu qui doit faire le bonheur des hommes, c’est ce que pensent en tout cas aussi Rudolf Diesel qui expose son moteur révolutionnaire, et Fulgence Bienvenüe, qui construit le métro avec un ingénieur Charles Huet marié à une si jolie femme.
Enfin le dernier fil, c’est le combat des femmes pour pouvoir exister en dehors du mariage et de la procréation et en cela Aileen aussi, est une très bonne guide.
On suit tout cela et on savoure les récits foisonnants d’une autre époque, la belle dit-on souvent, certainement parce qu’elle était pleine d’espoirs qui se sont fracassés sur les tranchées de la guerre 14/18.

 

 

Citations

Conseils de son père

Arthur lui donnait des conseils sur la façon d’affronter le monde : savoir se taire, garder sa poudre au sec, être toujours prête. Et peut-être aussi être belle. À la façon dont Arthur Bowman appréciait la beauté : quand elle naissait d’une harmonie entre un objet et son utilité, une personne et la place qu’elle occupait dans le monde.

Réflexion sur le passé

La maîtrise du temps, l’instruction, est aux mains des puissants. Les peuples, occupés à survivre, n’en possèdent pas assez pour le capitaliser, le faire jouer en leur faveur. Ils empilent seulement les pierres des bâtiments qui leur survivront.

Propos prêtés à Rudolf Diesel vainqueur du grand prix de l’exposition universelle

Vous ne croyez pas, comme Saint-Simon, que les ingénieurs seront les grands hommes de ce nouveau siècle ? Que la technologie apportera la paix et la prospérité ?
 Il lui fallut encore un peu de silence pour trouver ces mots, ou le courage de répondre.
– Je suis un pacifiste, madame Bowman , mais je sais que ce ne sont pas les ouvriers ni la masse des pauvres qui lancent les nations dans des guerres. Il faut avoir le pouvoir des politiciens pour le faire. Et politiciens ne se lanceraient pas dans des conflits armés s’ils n’avaient pas le soutien des scientifiques, qui garantissent les chances de victoire grâce à leurs découvertes et leurs inventions. Non je ne partage pas l’optimisme du comte de Saint-Simon.

Réflexion sur la bourgeoisie et la noblesse en 1900

Les bourgeois comme les Cornic et mes parents sont convaincus que la bonne éducation de leurs enfants est leur meilleure défense contre les préjugés dont ils sont victimes. Ils se trompent.Les aristocrates, dont les privilèges sont l’héritage du sang, ne méprisent rien tant que l’éducation.

Édition Sonatine. Traduit de l’anglais par Julie Sibony 

Tout est faux dans cet excellent roman , même ma classification. Non ce n’est pas tout à fait un roman policier, non Saint-Louis dans le Haut Rhin n’est pas la ville de province sinistre que le personnage Manfred Baumann se plaît à nous décrire, non, la préface que j’ai lue -sans rien trop la comprendre au début- ne dit pas la vérité sur l’auteur sauf sans doute cette citation de Georges Simenon dont je n’ai pas eu le temps de vérifier l’authenticité

tout est vrai sans que rien ne soit exact.

Je ne peux tout vous dire sur ce roman incroyablement bien ficelé sauf qu’on y boit beaucoup -et pas que de l’eau-, qu’il décrit avec beaucoup de talent les ambiances des habitués dans les bars restaurants de province et que vous connaîtrez petit à petit Manfred Baumann, cet homme torturé et enfermé dans des habitudes qui lui servent de règles de vie. Le coiffeur et d’autres habitués fréquentent régulièrement le café restaurant « La cloche » ici tout le monde connaît, Baumann comme directeur de l’agence bancaire sans rien savoir de lui.

 

Le policier l’inspecteur Gorski, a un point commun avec Manfred Bauman, mais comme ce point n’est dévoilé qu’à la fin, je ne peux pas vous en parler sans divulgâcher l’intrigue. Les deux personnages n’ont rien de remarquables sinon qu’ils sont tous les deux issus de cette petite ville et qu’ils ont peu d’illusion sur l’humanité. Le policier a plus de cartes dans sa manche et surtout une fille Clémence qui lui donne le sourire, pour sa femme, qui appartient au milieu chic de Saint-Louis c’est plus compliqué et ce n’est pas certain que son mariage tienne très longtemps. Manfred, lui aussi, vient des quartiers chics mais il a été orphelin très jeune et a été élevé par un grand père qui ne l’aimait guère. Les femmes sont un gros problème pour lui, et il est heureux dans son café en « reluquant » le décolleté d’Adèle Bedeau, celle qui disparaît . Il s’enfonce dans un mensonge qui fera de lui un coupable possible et les bonnes langues du café ne vont pas tarder à se délier. C’est un roman d’ambiance où chaque personnage est décrit dans toute sa complexité, où la vie de cette petite ville nous devient familière, mais dans ce qu’elle a de sombre et d’ennuyeux, c’est sans doute ce qu’on peut reprocher au roman, je suis certaine que l’on peut être joyeux et insouciant à Saint Louis dans le Haut Rhin. Pour conclure c’est un livre que je recommande chaudement (malgré l’ennui qu’a ressenti Gambadou) à tous les amateurs de romans policiers, et à tous ceux qui n’apprécient pas ce genre ; je ne suis donc pas étonnée qu’il ait reçu un coup de cœur à notre club de lecture.

 

Citations

Propos masculin

 Petit et Cloutier, bien que tous deux mariés, parlaient rarement de leur épouse et, quand ils le faisaient, c’était toujours dans les mêmes termes péjoratif. Lemerre, lui, n’avait jamais pris femme. Il déclarait à qui voulait l’entendre qu’il était « contre le fait d’avoir des animaux à la maison ».

Le décor

Bref, les gens de Saint-Louis sont exactement comme les gens d’ailleurs, que ce soit dans les petites villes tout aussi ternes ou nettement plus clinquantes.
 Et comme les habitants de n’importe quel autre endroit, ceux de Saint-Louis ont une certaine fierté chauvine de leur commune, tout en étant conscient de sa médiocrité. Certains rêvent d’évasion, où vivent avec le regret de n’être pas partis quand ils en avaient l’occasion. Mais la majorité vaquent à leurs affaires sans prêter grande attention à leur environnement.

le Policier

Ce qui l’ intéressait n’était pas tant dans le fait que quelqu’un mente que la façon dont il le faisait . Souvent , les gens allumaient une cigarette ou s’absorbaient un peu brusquement dans une activité sans aucun rapport avec le sujet . Ils n’arrivaient plus à soutenir son regard . Des femmes se tripotaient les cheveux . Les hommes , leur barbe ou leur moustache .

Édition Stock

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce roman raconte une histoire qui touche et bouleverse trois générations de femmes, liées entre elles par des tragédies qui ont eu comme cadre un village de province écrasé de soleil, et en particulier un ruisseau dans lequel elles peuvent se baigner(contrairement au ruisselet de ma photo). L’héroïne, Billie une jeune femme de trente ans, artiste peintre, doit revenir dans cet endroit qu’elle a fui pour enterrer sa mère, qui vivait dans un EHPAD spécialisé pour les personnes atteintes d’Alzheimer. Celle-ci a été retrouvée noyée dans le ruisseau qui arrose le village. La violence avec laquelle Billie reçoit cette nouvelle nous fait comprendre à quel point ce passé est très lourd pour elle. Une phrase rythme le roman : « les monstres engendrent-elles des monstres ? » . 

Il faudra trois cents pages du roman pour que tous les fils qui lient cette jeune femme à cette terrible hérédité de malheurs se dénouent complètement. Et heureusement aussi, pour qu’elle parvienne à se pardonner et à repousser l’homme qui la respectait si peu.

L’ambiance oppressante dans laquelle se débat Billie rend ce récit captivant, on se demande comment elle peut se sortir de tant de malédictions qui sont toutes plausibles. C’est très bien écrit, Caroline Caugant a ce talent particulier de nous entraîner dans son univers et de savoir diffuser une tension qui ne se relâche qu’à la fin. Ce n’est pas un happy-end mais un renouveau et sans doute, pour cette jeune femme la possibilité de se construire en se détachant de tous les liens qui voulaient la faire couler au fond de la rivière maudite.

 

 

Citations

L’EHPAD

Aux Oliviers le temps était comme arrêté. Il n’y avait que la prise des médicaments qui compartimentait les journées. À heure fixe les infirmières arpentaient les couloirs, disparaissaient tour à tour derrière les portes bleues. En dehors de ces légion en blouse blanche, la lenteur régnait. Si on restait trop longtemps dans cet endroit, c’était à ses risques et périls. On pouvait y être avalé , y perdre la notion des heures, s’endormir là pour toujours, comme Louise.

Le temps qui passe

Le temps est censé changer les êtres. Si par hasard on les croiser au détour d’une rue, on ne les reconnaît pas immédiatement. Il nous faut un moment pour retrouver un nom, le lier à une époque, à cause de toutes ces modifications minimes sur la chair, dans la voix, qui s’additionnent et en font des étrangers.
Mais les autres, les rares -ceux que l’on a aimés-, il semble ne jamais vouloir s’éloigner de nous.

 Presque la fin …

Demande-t-on pardon aux morts ? En sentant la vague de chaleur qui l’empli au niveau de la poitrine, elle se dit que oui.
Le calme revient à la surface, les oscillations s’estompent. Seule s’éternise la danse paisible et silencieuse des grands moustiques d’eau.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Un livre étonnant qui commence une série que je ne connaissais pas l « Égo-histoire », qui se définit ainsi :

une forme d’approche historiographique et de courant d’écriture historique à travers laquelle l’historien est censé analyser son propre parcours et ses méthodes de manière réflexive et distanciée. (Wikipédia) . 

Il peut très bien se glisser dans une de vos valise pour accompagner vos vacances. Même si il n’est pas qu’un livre léger et plaisant de souvenirs d’une famille intellectuelle parisienne, ceci n’est, en effet, qu’un tout petit aspect de ce livre, qui cherche à atteindre des buts beaucoup plus larges, plus « scientifiques » trouver en quoi les vacances organisées par ses parents s’inscrivent dans une conduite sociologique ne correspondant pas exactement à l’originalité à laquelle elle semblait à l’époque répondre. C’est certainement l’aspect qui lui a enlevé un ou deux coquillages sur Luocine, car j’ai trouvé ces explication très répétitives, on comprend assez vite mais l’auteur a besoin d’y revenir plusieurs fois sans rien ajouter au propos. Le second aspect m’a beaucoup touchée : que se cache-t-il derrière cette injonction paternelle « Soyez heureux !«  ? Toutes les difficultés des rescapés de la Shoah sont dans ces deux mots et la façon dont son père a rendu ses enfants « heureux » est extraordinaire à la fois de simplicité mais aussi de courage . Enfin le dernier aspect, ce sont les souvenirs de cet enfant qui a comme tous les enfants préfèrent jouer avec ses amis plutôt qu’écouter les explications savantes à propos des ruines grecques et romaines.

Un livre que j’ai beaucoup aimé malgré les bémols que j’ai évoqués.

 

Citations

Ambiance familiale marquée par la Shoah

Dans ma famille, le bonheur représentait un tel enjeu qu’il en devenait non seulement inaccessible, mais vicié, légèrement putréfié, pas si désirable que cela. C’est une perversion dont je ne me suis jamais tout à fait remis. Le seul remède à cette maladie de l’âme consistait à rompre le soupçon et a décidé immédiatement, toutes affaires cessantes, que je pouvais être heureux, pour aucune autre raison que j’en avais le droit. 

 

Le camping -car

Si les moquerie de mes camarades me mettaient mal à l’aise , c’est parce que je sentais qu’elles visaient bien plus que des vacances : notre identité familiale , notre mode de vie , notre « style » , la personnalité de mes parents , donc l’éducation que je recevais d’eux. Partir en camping-car révélait un certain niveau de revenu, mais aussi l’absence de traditions familiales et de racine ; un certain capital culturel, et aussi un manque de savoir-vivre ; une inclination au ridicule, mais aussi une liberté d’esprit, une capacité de détachement, par fierté ou indifférence au qu’en-dira-t-on.

Liberté

j’étais libre parce qu’il n’y avait pas de ceinture à l’arrière et que nous nous déplacions dans l’habitacle pendant les trajets
 parce que je pouvais flâner dans les musées sans les visiter
 parce que je pouvais rester des heures à jouer dans les vagues
 j’étais libre parce qu’on campait n’importe où, sur les plages, les débarcadère, les parkings, au bout des jetées , dans les clairières
parce que mon sac de couchage était un vaisseau spatial, avec des manettes et des cadrans intégrés
j’étais libre parce que aucun cahier de vacances ne venait prolonger le travail scolaire de l’année
parce qu’une pression se relâchait
l’urgence était suspendue
parce qu’on changeait de destination tous les ans
parce que nos spots ne figuraient sur aucun guide de voyage
et que cela ne coûtait rien de se perdre, l’égarement n’étant qu’un autre chemin
j’étais libre de m’éprouver Juif errant, tout en étant protégé par un État 

 

 

Comme vous le voyez, il a obtenu un coup de cœur au club de la médiathèque de Dinard

Je comprends très bien ce coup de cœur, car au-delà de l’humour qui m’a fait sourire, il s’y installe peu à peu une profonde tristesse que l’on sent sincère. Ce roman se construit, en de courts chapitres, autour d’événements de cette génération qu’elle appelle « millénium », celle de l’auteur qui grandit avec la coupe du monde de 1998, et la défaite de Jospin au premier tour des élections de 2002. Mais le fil conducteur de ces courts chapitres, c’est aussi son amitié avec Carmen, jeune femme dynamique qui n’a peur de rien, jusqu’au 11 août 2003, date à laquelle une erreur de conduite la rendra responsable d’un accident mortel. Carmen ne pourra pas surmonter sa culpabilité, ni « refaire sa vie » – expression que la narratrice trouve particulièrement vide de sens . Et tout cela au rythme des chansons du groupe ABBA dont l’auteur a la gentillesse de nous traduire les textes. Je ne connaissais pas, mais je trouve une belle nostalgie dans ces paroles.

 

Un roman vite lu, comme les SMS d’aujourd’hui mais qui laisse une trace dans notre mémoire et qui permet de mieux comprendre une génération, dans laquelle les hommes n’ont vraiment pas le beau rôle. Il faut dire qu’enfant son prince charmant était Charles Ingall qu’elle a eu du mal à rencontrer dans sa vie de parisienne de tous les jours ….

 

 

Citations

 

Son père

Quand j’étais petite, je disais à mon père que je voulais devenir « docteur des bébés ». Et lui, au lieu de prendre ça en compte, de me dire quelque chose d’encourageant, genre : « C’est bien », il répondait. « T’es pas assez intelligente pour ça. Toi, il faudrait que tu travailles dans une boulangerie. » Il avait des idées louches. Comme si tous les boulangers étaient bêtes.

Sa mère

Si j’avais le culot de contester une de ses décisions, si j’exprimais un désaccord, j’avais droit à un interminable monologue culpabilisant qui commençait par : « Je te rappelle que j’ai passé vingt huit heures trente sur la table d’accouchement ! Vingt huit heures trente ! » Elle finissait par : « Je me suis battue pour avoir ta garde et je me sacrifie pour t’élever ! Il est où ton père, hein ? Il est où là ? » Elle disait ça en regardant autour d’elle ou en levant les yeux au ciel. Comme si elle le cherchait. »Hein ? Il est où ?. Tu le vois quelque part toi. » 

 (J’en ai rêvé des dizaines de milliers de fois, qu’il sorte de derrière le canapé, ou qu’il rentre par la fenêtre en mode Jean-Paul Belmondo pour lui fermer son clapet. « Abracadabra ! Top top badaboum. Coucou c’est moi ! »)

Sa mère sarkozyste

Entre son divorce, son remariage avec une chanteuse et les affaires dans lesquelles il avait trempé, le nouveau président était au centre de toutes les discussions. 
« On peut pas changer de sujet maman ? J’en fais une overdose !
– T’avoueras qu’il a un certain charisme, il est viril…. Je dis pas qu’il est beau, mais il a un truc… 
-T’es sérieuse ?
– Nan, mais attends, c’est tout de même autre chose que le père Chirac et son pantalon remonté jusqu’aux tétons… »

Art de la formule

C’était étrange, mais elle regardait mon menton. Il fait s’y faire, Sylvia, la mère de Carmen, parle aux gens en les regardant droit dans le menton.

Humour de Carmen son amie

En ce temps-là, mon père était en couple avec Nadine : une Corse qui travaillait dans un bar PMU et louait le studio meublé juste au-dessus de chez lui. 
Elle faisait des permanentes pour se friser les cheveux et les teignait en blond platine. Carmen se moquait tout le temps :  » Ça va ton père ?… Et son caniche ça va ? » Des fois elle demandait : « Ça te fait pas bizarre que ton père il sorte avec Michel Polnareff ? »

La séparation

C’était une punition injuste. Je l’avais quitté, mais il m’y avait poussé avec tant d’ardeur. Ce n’était pas faute d’avoir fermé les yeux, d’avoir résisté. Voilà pourquoi j’ai eu longtemps le sentiment d’avoir « subi » cette séparation. 

Lui, je ne l’aimais plus. 
Mais j’aimais tant ce rêve d’avoir une famille. J’aimais tant l’idée de donner des frères et des sœur à ma fille. J’avais tellement peur qu’une fois de plus on dissocie aussi Papa ET Maman. 
Je me réconcilie à présent avec l’idée que le divorce n’est pas la fin. Il conclut simplement une histoire qui se brise depuis longtemps déjà.

Les musiques de téléphone

L’annonce sur sa messagerie vocale , je m’en souviens très bien , c’était un extrait de mauvaise qualité de »novembre Rain » des Guns N’Roses. Eddy adorait ce groupe de musiciens crasseux et chevelus. Moi, je trouvais qu’il avait l’air de sentir la pisse.
 » De quoi tu parles ? Tu connais rien à la musique !Tu écoutes de la merde ! Abba, sérieux ? Quelle genre de meuf et écoute cette merde ? »
J’ai toujours pensé que les gens qui n’aimaient pas Abba ont le cœur aride, ils n’aiment pas la vie. Les membres du groupe ABBA, eux, au moins, portaient des vêtements propres et pailletés, et donnaient l’impression de sentir la lavande. J’ai toujours pensé aussi que mettre un extrait pourri d’une chanson sur son répondeur, c’est le summum du ringard. (Tout ce que l’on veut entendre sur une messagerie c’est le bip, putain, que ce soit bien clair une fois pour toutes.)

 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

Quel roman ! Je suis peu sensible à la science fiction, je ne l’apprécie que, lorsque le côté futuriste n’est qu’une légère exagération de notre réalité. Et c’est le cas ici ! Aussi bien pour la société dans laquelle l’écrivain au chômage a retrouvé du travail que dans la vie de sa fille qui s’adonne à un jeu vidéo.

J’ai eu peur et je me suis sentie oppressée aussi bien par l’ambiance de l’entreprise « Larcher » que par le jeu « Yourland » interactif de sa fille. On sent très bien que les deux vont vers une chute angoissante, évidemment, je ne raconterai rien de ce suspens d’autant plus facilement que ce n’est pas ce qui m’a fait apprécier ce roman. Le narrateur est un écrivain en panne d’inspiration au bout de ses droits au chômage, sa femme l’a quitté et il ne voit plus beaucoup sa fille qu’il aime beaucoup. Il retrouve du travail – et donc l’espoir de sortir du marasme- dans une grande société : Larcher, qui l’emploie à rédiger des modes d’emploi. En apparence en tout cas, car cela semble la couverture pour des tâches qui pourraient êtres anodines si on n’exigeait pas de ses employés un secret absolu qui cachent des phénomènes étranges qui seront dévoilés peu à peu. Et le jeu vidéo de sa fille ? Et bien, il rejoint en partie les problèmes de son père. Bien sûr c’est une fiction, mais qui nous interroge de façon percutante sur tous les renseignements que nous laissons sur nos personnalités dans les différents réseaux connectés entre eux. Et s’il y avait derrière tout cela une intelligence capable de nous manipuler ? D’ailleurs, n’est-ce pas déjà le cas, nous entendons à longueur de temps que la richesse et la puissance de Google et autres GAFA proviennent des DATA, c’est à dire de toutes les données que nous laissons un peu partout en utilisant nos ordinateurs, téléphones, tablettes et autres appareils connectés. On retrouve la roman de Pierre Raufast, « Habemus Piratam« , sans l’humour, ce que j’ai (un peu) regretté. La description des nouvelles techniques de managements des grandes entreprises sont très bien vues et on retrouve les comportements grégaires même de gens qui seraient censés réfléchir plus que d’autres, comme cet écrivain. Et Dieu dans tout ça ? Ce n’est pas pour moi la partie la plus intéressante du roman, le narrateur (l’auteur ?) semble avoir des comptes à régler avec une certaine forme de catholicisme représentée ici par le nouveau conjoint de son ex-femme. Ce petit bémol et une fin qui ne m’a pas totalement convaincue lui ont fait rater un cinquième coquillage, sur Luocine. Mais j’espère bien qu’il trouvera son public car ce roman a le mérite de nous captiver et de nous faire réfléchir.

 

Citations

Début du roman

Cette histoire a de multiples débuts. Pour moi, elle commence en 2003 : je suis marié, j’ai 31 ans et je regarde par la fenêtre le monde changer. Les voitures prennent des rondeurs de nuages comme pour circuler dans des tubes à air comprimé. Les costumes se cintrent à la taille ils épousent la sveltesse capitalistique à la mode et le rêve d’un corps social dégraissé. Les téléphones se changent en ordinateur, les ordinateurs en home cinéma, les films en jeux vidéos, les jeux vidéos en film, l’argent en abstraction, les licenciements en plan de sauvegarde de l’emploi. Le vingt et unième siècle sera robotique, virtuel et plus sauvagement libéral encore que le vingtième , proclament les experts. Comme ça les excite – et quelle peur on sent derrière.

 

Formation d’adultes

Un seul candidat montre une application à la hauteur de la mienne : Brice. Il devient l’ami à côté duquel je m’assieds chaque matin, preuve que renvoyer des adultes à l’école les rend à leur sociabilité d’enfants.

Dialogue d informaticiens

– Et si j’ai un programme parallèle à mémoire partagée en C +++ que je veux faire migrer sur l’infrastructure Hadhop ?
-Tu sais que sur Hadhop les hommes ne communiquent pas ? On t’a appris quoi à l’ ESDI ? Passe sur Spark. Avec Apache ignite, t’auras une couche partagée. Sinon tu viens au bowling vendredi ?- – Ouais. On t’invite le nouveau ?
-Tu as pas vu ? Il boit des menthe à l’eau, donc il aime pas le bowling.
– S’il n’aime pas le bowling il risque pas de nous griller dans les promos.
-Toute façon pour moi l’an prochain c’est le siège.
-C’est con que ce soit pas réversible. Je veux dire, si j’arrive devant toi dans le tableau des promos, je baiserai ta femme et c’est cool mais si je baise déjà ta femme, j’arriverai pas forcément devant toi dans le tableau.

Portait de sa fille qui lit « Le père Goriot » pour le bac de français.

Si l’enfance est un fluide, une rivière chantante, alors l’adolescence se compose de ciment à prise rapide. Je l’ai vue se déverser sur Emma depuis ses 12 ans. Pour figer ma petite mousquetaire qui n’aimait rien tant que rire, se faire peur et passer de l’un à l’autre en un bloc de réticence figé depuis une heure sur la page 112 du « Père Goriot ». L’adolescence d’Emma se concentre dans sa moue, qui semble dire au monde. « Vous avez beau être bien décevant, vous n’ajouterez pas à ma déception ». Ou plutôt elle surgit dans le contraste entre cet air blasé et ses regards de mésange affolée, perdue hors de ses couloirs migratoires. Et aussi dans le mouvement de sa tresse manga attachée comme une balancelle entre ses oreilles.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

Depuis « Touriste » découvert grâce à la blogosphère, je me laisse facilement tenté par cet auteur. En plus il était au programme de notre club de lecture … On retrouve bien l’humour et le sens de l’observation un peu décalé de l’auteur qui aime autant regarder une feuille qui plane jusqu’à son trottoir du quartier de Belleville, que les réactions des Parisiens après les attentats du 13 novembre 2015.

Julien Blanc-Gras est « PAPA » et nous décrit avec humour les premières années de la vie de son enfant, avec en toile de fond, la quarantaine pour lui, la montée de l’intolérance islamiste, les attentats, toutes ces violences le poussent à savoir ce que ses propres grands parents ont vécu à savoir : la guerre 39/45. Mélangeant les époques et les réactions des Parisiens d’aujourd’hui, il veut se forger une conduite personnelle face aux événements qui ensanglantent la capitale. Mais pas plus qu’il ne trouve les réactions adéquates pour éduquer son fils avec les valeurs qui sont les siennes, il ne trouvera pas non plus des lignes de conduite dans les réactions de ses aïeux : s’il y a une morale ou un enseignement à ce livre c’est qu’en matière d’éducation, comme en matière de conduite en matière de guerre, chacun fait ce qu’il peut et ne se trouvera jamais à la hauteur de la situation.
Cela nous vaut un livre agréable souvent drôle et parfois profond. Un livre de Julien Blanc-Gras en somme.

Citations

Si vrai ….

Amina faisait preuve d’un professionnalisme sans faille. J’ai slalomé entre des bébés prénommés Madeleine, Gaspard Marianne, salué des assistantes maternelles prénommées Fatou, Yuma et Chipo, et j’ai descendu l’escalier en tenant mon fils contre moi un peu plus fort que d’habitude …

Le père parle à son fils d’un an après le massacre de Charlie hebdo

Je m’imaginais en train de lui exposer la situation. « Des abrutis ont massacré des gens parce qu’ils qu’ils faisaient des dessin. »

 Tout compte fait, ce n’est pas facile à comprendre pour un adulte non plus.

Autre époque

Ça veut dire quoi, protéger ? J’étais porteur d’une inquiétude nécessaire que je voulais maintenir dans des proportions raisonnables, suffisantes pour conserver une vigilance sans toutefois diffuser une angoisse contre-productive. Où se trouve l’équilibre entre sécurité et confiance ? Le périmètre de liberté laissé aux enfants c’était affreusement réduit en une génération. Mes parents me laissaient rentrer de l’école tout seul à six ans. Impensable de nos jours. Le monde n’est pas devenu plus dangereux, notre conscience du danger s’est accrue. On ne lâche plus ses gamins des yeux. Réduction de l’autonomie géographique. Les blousons munis de balise GPS existent déjà et il n’est pas insensé d’imaginer une géolocalisation généralisée des enfants dans un futur proche. On ne lâche plus nos gamins des yeux et ils collent le leurs aux écrans, espace de liberté affranchi de la surveillance des adultes.

Autre horreur !

Un fait divers récent avait retenu mon attention, deux employés d’une crèche du New Jersey avait eu l’idée d’organiser des combats de bébé. Une sorte de Fight Club pour les tout-petits, qu’elles invitaient à se mettre des mandales pour les filmer et les poster sur snapchat. Il faut reconnaître que cela aurait pu faire un bon programme de télé réalité. Il faut aussi reconnaître que cela ne renforce pas notre foi en l’être humain.

Paroles de petit garçon deux ans et demi

– Non Madeleine, toi tu peux pas dessiner un avion parce que tu es une fille. Tant pis pour toi. 
J’étais atterré comment était-il possible qu’il soit déjà aussi phallocrate ? Quand il me demandait comment volaient les avions, je prenais pourtant bien soin de lui expliquer que c’était des messieurs ou des dames qui pilotaient.

Début de scène très drôle à la poste

Je suis allé chercher un colis à la poste. J’admets que cette phrase est sans doute la plus ennuyeuse de l’histoire de la littérature mais je ne pouvais pas y couper pour raconter l’épisode qui suit. À ma grande surprise, j’avais développé une sorte de plaisir pervers à me rendre à la poste. Le service public offrait des interstices où l’on pouvait établir une relation verbale avec des gens vieux, gros ou moche, salutaire injection de chair réel dans nos quotidien s’effrite en dans la dématérialisation marchande.

 

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Si vous voulez vous faire une idée exacte du trafic de l’ivoire entre l’Afrique et l’Asie ne ratez pas ce roman. L’évocation des paysages africains, m’ont entraînée vers un ailleurs qui me sortait agréablement de la grisaille bretonne. Mais bien loin des notes exotiques habituelles, nous sommes face à la réalité africaines : cette jeune Anglaise Erin, veut absolument arrêter le trafic de l’ivoire qui tue les éléphants africains. Oui mais, qui est-elle pour empêcher des hommes pauvres de vivre de ce qui leur rapporte un peu d’argent ? Que peut-elle contre les corrompus à qui ce trafic rapporte tant ? Et que faire face aux traditions qui pensent que les cornes des rhinocéros sont plus efficaces que le viagra ?

Est-ce un combat perdu d’avance ? En tout cas, la lutte semble tellement inégale, d’autant plus que, même si le trafic s’arrêtait, l’inexorable progrès et l’accroissement de la population africaine met en grand péril la faune sauvage.
Tous les aspects sont bien traités dans le roman, ce qui rend la lecture un peu laborieuse parfois, mais on ne peut pas reprocher à l’auteur d’être trop sérieux.

L’intrigue est bien construite, Erin a décidé de tracer les défenses d’éléphant pour frapper un grand coup contre la contrebande d’ivoire, elle sera aidée par un ranger qui connaît bien les habitudes des braconniers qu’il a été lui-même autrefois et un membre du gouvernement du Bostwana, cela nous permet un tableau assez complet de la population africaine impliquée dans ou contre le trafic de l’ivoire.

Je me demande toujours comment nous, les Européens, nous pouvons donner des leçons à l’Afrique, nous qui avons éradiqué tous, ou presque tous, les animaux sauvages qui peuplaient nos régions.

 

 

Citations

Trafic en Afrique

Ces dernières années, aux abords du célèbre parc, on est deux à trois rhino par jour. Leur corne, bien qu’elle soit un simple bout de kératine, restait l’appendice animal le plus cher et beaucoup essayaient de contourner la loi qui en avait interdit le commerce.

Le pourquoi des trafics

Tant que l’homme pense que ses faiblesses peuvent être compensées par la bile, du foie, des pattes, des griffes, qui lui suffit de consommer ou d’accumuler des parties animales pour guérir ou pour exister, tant que les pays consommateur de corne, d’ivoire, d’écaille et autres produits issus de la faune sauvage ne décide pas d’interdire ces pratiques et de les condamner, le braconnage prospérera toujours plus.

Rupture de milieu

C’est vrai que mon fils est quelqu’un d’important maintenant qu’il travaille pour le ministère. Si important qu’il ne peux plus dormir chez sa propre mère.

Culpabilité

Il y a quelques mois, il lui avait proposé de s’installer à Gaborone, il lui louerait un petit appartement, mettrait son père dans une clinique, mais ça ne s’était pas fait, elle ne laisserait jamais ses frères seuls, et Serese n’avait pas beaucoup insisté. Autour de lui, au ministère, on avait connu des écoles privées, on avait voyagé, lui n’était allé qu’en Afrique du Sud, il avait étudié un an à l’université de Johannesburg. On lui avait appris à penser petit, il s’en était excusé avant de comprendre que le changement devait venir de lui, qu’il n’y avait personne d’autre à tenir pour responsable de ses faiblesses, même si ce n’était pas si simple.

La Chine et le commerce illégal de l’ivoire

Chaque année, le gouvernement chinois injectait cinq tonnes d’Ivoire sur le marché intérieur légal, ivoire qui était répartie entre les différents atelier de sculpture du pays. Cinq tonnes, un chiffre dérisoire. S’approvisionner par la seule voie autorisé était impossible. Des centaines de tonnes d’Ivoire entrait illégalement dans le pays. Il se murmurait que le gouvernement comptait d’ici deux ans interdire le commerce légal et fermer le marché, les atelier de sculpture, mais ces ateliers n’étaient qu’une vitrine, la majorité des transactions étaient illicites, se passaient de certificats d’authenticité. Les groupes qui tenaient ce marché tenaient aussi des policiers, des hommes politiques, le réseau était vaste, complexe, Yang n’en n’était qu’une infime partie. Il avait fallu des années pour qu’elle se construise son propre réseau, trouve des sources fiables d’approvisionnement, mais si son rôle était essentiel, sa personne ne l’était pas, toujours, il y aurait une autre Yang.
 Ces groupes avaient des tueurs, mettaient des têtes à prix, combien de victimes de leur volonté de s’enrichir. À la sortie d’un avion, là où on se sent en sécurité, près d’une grande ville, dans un quartier huppé, des balles qui se perdent, qui se logent dans le corps de cet homme qui disparaît avec son combat, laissant un enfant à qui il sera dur de raconter la véritable histoire. Dans certains ateliers de Pékin, les défenses sculptées étaient affichées a plus de 350000 dollars.

L’avenir de la faune sauvage

Si Erin était un éléphant, elle verrait aussi les forêts devenir des fermes, elle verrait des routes coupées en deux son habitat naturel, des barrières électrifiées sur le chemin de ses migrations, elle verrait l’être humain rogner toujours plus sur les terres sauvages pour développer l’agriculture, conquérir chaque jour du terrain, elle serait emprisonnée dans un monde plus petit chaque année, ce qui était vaste ne serai plus que grand, elle pourrait aussi éprouver la soif et boire des litres d’une eau contenant du sodium de cyanure dilué, elle pourrait être prise de convulsions, sentir son cœur ralentir, sa respiration s’alourdir, elle pourrait s’effondrer sur le sol, entendre des coups de fusil, être chassée pour la simple possession de son ivoire, peser plus de six tonnes et devenir un bracelet, si elle faisait partie de ce groupe, elle penserais sans cesse à l’homme, il l’obséderait, elle saurait reconnaître ses intentions à la simple intonation de sa voix et adapterait son comportement en conséquence, elle pourrait être aussi victime de la folie du divertissement et être capturée vivante par des hommes de l’agence de la vie sauvage zimbabwéenne pour le profit de zoo qui naissent à Hangzhou ou à Shanghai, elle pourrait finir dans un parc clos, derrière une vitre, elle pourrait être une mémoire perdue, oui, si elle était l’un d’entre eux, elle serait en danger, une menace perpétuelle comme elle ne le sera jamais en temps qu’Erin.