Édition Albin Michel, 328 pages, mai 2024.

 

 

Les fils sont là pour continuer les pères.

Le père de Thibault de Montaigu va mourir et son fils lui offre ce roman, l’écrivain va le faire revivre pour ses lecteurs. Son père est un personnage odieux, brillant mais odieux. Il aurait pu gagner correctement sa vie mais il s’est lancé dans des affaires qui ont toujours fait faillite, et il n’a vécu que grâce aux femmes. C’est un séducteur hors pair et même à la fin de sa vie il séduira une femme remarquable qui l’accompagnera tout au long de la fin de sa vie. Son père demande à son fils aîné écrivain, notre narrateur, de raconter l’histoire de Louis l’aïeul qui est mort à la guerre 14/18, suite à une charge sabre au clair.

La recherche de la vérité sur ce glorieux soldat va permettre à l’écrivain de mieux comprendre l’ensemble de sa famille . Il mettra du temps à comprendre le passé de Louis, qui a raté l’entrée de Saint Cyr , un peu comme son père a raté les grandes écoles. Brillant mais méprisant le travail des laborieux. Louis réussira à revenir dans les cadres de l’armée mais par la petite porte et grâce à ses talents de cavalier. Mais il partira de l’armée pour en revenir juste avant la guerre. On découvrira que lui aussi a fait de mauvaises affaires, et sa charge sabre au clair n’est peut être pas une simple preuve de bravoure. Le courage des femmes dans cette famille est incroyable, elles sont souvent riches mais leur richesse est engloutie dans la volonté de gloire des Montaigu .

Notre narrateur est fragile, il est à la recherche de la reconnaissance de son père, et même s’il est capable de voir tous les défauts de son père il ne peut pas s’empêcher de l’aimer et d’admirer son courage face à la maladie et la mort.

Le livre se lit facilement , on y retrouve l’analyse des aristocrates pauvres mais « glorieux » . J’ai souri de ce descendant de de la famille de sa mère : Hubert Parent du Châtelet, qui vit dans un lotissement à côté de Châteaubriant dans une petite maison, dans laquelle une énorme cheminée occupe trop de place dans un petit salon. La raison  : ce Hubert a fait construire cette maison autour d’une plaque de fonte avec les armes de la famille Choiseul dont il descend …

J’ai souvent souri, j’ai détesté son père, j’ai souvent trouvé que son fils n’avait pas la dent assez dure pour ce personnage, mais j’ai bien aimé cet amour filial. J’ai été sensible par l’authenticité de la démarche de cet écrivain, je le crois sincère. Le jour où j’écris ce billet je vois que ce roman a obtenu le prix « interallié » , il trouvera donc son public et cela ne m’étonne pas.

 

Extraits

Début.

 À chaque fois, que je pousse la porte je me demande si mon père n’est pas mort. Il est toujours assis au même endroit, sur son fauteuil au ressort effondré dont le faux cuir, déchiré çà et là laisse s’échapper des étoupes de coton . Tête baissée, le visage atone, ses beaux yeux bleus perdus dans le vague, il n’esquisse pas un geste. Pas même un clignement. Dans la pièce en désordre, un vieux poste gris à molette résonne à tue-tête et je dois répéter à plusieurs reprises « salut Papa, c’est moi. Papa ? » Pour qu’enfin un frisson parcoure ce masque aux minces cheveux blancs peignés en arrière. Ses lèvres se tordent, sa pupille s’affole tandis que d’une main il tâtonne en direction de la radio pour l’éteindre.
 » Il y a quelqu’un ? demande il d’une voix incertaine.
– Oui, Papa. C’est moi Thibault.
– C’est Thibault ?
– Oui ton fils aîné.
– Ah Thibault. C’est sympa de venir voir ton vieux père. Tu m’oublies, tu sais ? »

Mort de Péguy.

 Pour éviter un massacre, Péguy commande à ses hommes de se coucher et de faire feu à volonté tandis qu’il reste debout, jumelle aux yeux à diriger le tir et à haranguer ses troupes, arpentant la ligne de ses tirailleurs dans une attitude de défi. Rien ne semble pouvoir calmer sa ferveur, sauf la mort qui vient se loger soudain dans son crâne sous la forme une balle de Mauser. « Ah mon Dieu … mes enfants… » lâche-t-il avant de s’écrouler. Il tombe en héros. « Mais n’est-ce pas ce qu’il désirait secrètement ? » se demanderont certains après coup. Une manière de quitter en beauté ce monde dont il désespérait ? De retrouver dans la mort la grandeur est le sacré dont la vie moderne soumise à la technique et l’argent était privée ? Ou encore de se consoler de son amour impossible pour cette jeune agrégée d’anglais, Blanche Raphaël, alors que lui-même est marié, et demeure fidèle à une femme qu’il n’aime pas ?

Père et fils de 10 ans a reçu la croix de guerre à la place de son père mort.

 De toute évidence, cette histoire n’est pas seulement celle de Louis et de Hubert, mais aussi celle de mon père et de moi-même et de bien d’autres peut-être. C’est la même histoire depuis la nuit des temps et elle tient en une seule phrase que l’auteur de la leçon de français a placé en exergue : « Les fils sont là pour continuer les pères. »
Tâche écrasante. Tâche impossible évidemment. Car les pères sont des mythes auxquels les fils un jour ou l’hôte cesseront de croire. Les pères n’existent pas. Et Hubert, du haut de ses dix ans le pressent déjà. Il reçoit la croix de guerre à la place d’un disparu, mais comment prendre la place d’un être qui réside hors hors de ce monde, au royaume du souvenir et de la légende ? Comment mettre ses pas dans ceux d’un mort ?

L’art équestre et l’écriture .

 Donner l’impression qu’on ne fournit aucun effort, comme si son cheval se mouvait de lui-même. Là est tout l’art. C’est peut-être la quintessence du style français, résumé par L’Hotte, et qui vaut aussi bien en équitation que dans les arts : gommer le travail, cultiver le naturel, faire paraître simple et aisé ce qui nous a coûté des jours et des jours de labeur forcené.
Ainsi aimerais-je écrire ce livre en tout cas.
Calme, en avant, et droit.

Toasts des cavaliers de Saumur .

« À nos chevaux, à nos femmes et à ceux qui les montent. « 

La quête des ancêtres .

 Mais n’est-ce pas le cas pour nous tous ? Quand on part sur les traces de ses ancêtres, on ne remonte pas le temps en réalité. On ne revient pas en arrière. On fait voile vers notre avenir. Vers le lieu où réside une part inexplorée de nous-même. L’histoire que nous écrivons a déjà été écrite sous une autre forme, et notre vie loin d’être une page blanche, ressemble à un palimpseste que chaque génération à tour de rôle efface et recommence. Ce qui va arriver existe déjà. Et ce qui a existé nous arrivera. On peut prédire aujourd’hui la survenue de maladie grâce à notre ADN, car nos corps ne sont que des recombinaisons génétique des corps qui nous ont précédés. De même pour nos âmes. Elles sont un amalgame – différent pour chacun- d’éléments qui ont déjà existé chez nos ancêtres. Nos âmes nous précèdent en quelque sorte. Et pourtant elle nous demeurent inconnues. Voilà le voyage auquel chacun dans une vie est appelé. 

 

 

 


Édition Gallimard NRF, 508 pages, juillet 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 Ne t’a-t-on pas appris que l’innocence est la pire des fautes ?

J’avais beaucoup aimé « le secret de l’empereur » déjà proposé par notre Club de lecture, mais j’ai encore moins de réserve sur ce roman historique. La catégorie « Roman Historique » est vaste et recouvre des livres très différents, pour celui-ci on pourrait presque parler d’un essai historique et lui enlever le mot roman, tant le travail de l’historienne est sérieux, fouillé et pratiquement complet, mais les personnages discutent entre eux, nous font part de leurs émotions, nous voilà donc dans le romanesque et rend le livre beaucoup plus facile à lire.
Comme moi, je suppose que vous aviez juste l’idée que dans les années 1400/1500 au Vatican sous la domination des Borgia, on était pape de père en fils ! cette phrase je l’ai souvent entendue mais je ne savais pas à quel point elle contenait une part de vérité. Nous voilà donc à cette époque, et dans ce premier tome nous suivons l’ascension d’Alessandro Farnèse (illustre ancêtre de l’auteure). Il s’échappera de la terrible prison papale de « Saint Ange « , grâce à la complicité d’une nonne dont il tombera amoureux : Sylvia Ruffini. Dans sa prison il pourra parler avec un personnage que l’on retrouvera par la suite : Castellesi.

Il se cache à Florence où règne les Médicis, protecteur des arts, des lettres et de la philosophie. Quelques années plus tard il revient à Rome pour satisfaire son ambition : être cardinal pour cela il devient très proche des Borgia. Seule son intelligence, et sa façon de ne se fier à personne lui permettent de garder la vie sauve et de vivre son grand amour avec Sylvia qui d’abord mariée deviendra veuve assez rapidement. On croisera plusieurs personnages tous historiques mais certains plus célèbres que d’autres en particulier Machiavel qui va faire de César Borgia le personnage qui lui inspirera « le Prince ».

Tout cela peut sembler un peu compliqué : aucun doute, c’est affreusement compliqué ! Mais l’auteure, en se concentrant sur un seul personnage, Alessandro Farnese, nous permet de suivre et de comprendre ce qu’il se joue. En réalité sous toutes ces apparentes complications, les ressorts sont simples

  • la satisfaction sexuelle avec une femme ou des prostituées ou un homme , l’important c’est de jouir.
  • La création d’un domaine à léguer à ses enfants.
  • Obtenir du Pape des charges lucratives permettant d’entretenir de somptueux palais .
  • Le Pouvoir

Et la religion dans tout ça ? Elle permet d’assurer le salut de son âme quels que soient les procédés qu’on a mis en œuvre pour obtenir tous les points cités avant : meurtre, empoisonnement, coup de couteau, condamnation à mort avec la confiscation de tous les biens du condamné, séduction des femmes mariées, reconnaissance des enfants pour qu’ils puissent hériter, différentes formes d’orgies, et les victoires militaires grâce à des alliances avec les ennemis d’hier, trahir un puissant pour un autre moins puissant que l’on dominera plus facilement. Vraiment tout est permis et la réputation des Borgia est la hauteur de ce que décrit Amélie de Bourbon Parme. J’apprécie beaucoup son style car elle ne prend pas partie , elle ne s’offusque pas, elle suit l’ambition d’Alessandro et nous permet de bien comprendre cette période.

On ne peut que s’étonner que le grand schisme du protestantisme ne soit pas arrivé plus vite, bien sûr elle nous parle de Savonarole mais ses prêches sont bien isolés dans cet océan de turpitude, le peuple lui a faim, subit la guerre et doit croire aveuglement à des principes auxquels les grands de l’église croient si peu . J’ai hâte de lire les deux autres tomes.

 

Extraits

 

Début.

En prison ?
 Un léger frisson avait parcouru le dos du pape qui, maintenant redressé, donnait à voir son visage : des yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, des paupières lourdes, un nez long et aquilin, une bouche petite est pincée, le menton fuyant. Son front fortement arrondi était surnommé d’un « camauro » de velours rouge bordé d’hermine, duquel, en dépit de la tonsure s’échappait une nuée de cheveux blancs. Le regard de Giovanni Battista Cibo, devenu pape sous le nom d’Innocent VIII, vibrait d’une lueur curieuse, vaguement gourmande, entre inquiétude et fascination coupable, l’ivresse d’un pouvoir sans limite.

Que cela est bien dit !

 Un reste de fierté empêchait cependant le pape de se ranger trop vite à ses recommandations : Innocents VIII exerçait une sorte de liberté transitoire à travers son indécision.

Le problème ? se retrouver au milieu de tous ces noms et intrigues.

 Puccio Pucci était un homme influent à la cour de Laurent de Médicis. Il était le fils du premier conseiller de Cosme de Médicis, le grand-père de Laurent. Depuis la mort de Pier Luigi Farnese, son beau-père avait pris l’ascendant sur la destinée des Farnese. D’une loyauté sans faille ans à l’égard de Laurent de Médicis, il mettait un point d’honneur à entraîner son entourage dans les pas de son maître et à défendre les intérêts de la cité avant toute chose. Ceux-ci étaient clairement du côté de Ferdinand de Naples que Laurent soutenait afin d’empêcher le pape de gagner en influence au frontière de la république de Florence

Florence.

 À Florence chaque citoyen si riche et important fût-il, s’habillait sans ostentation, pour ne pas choquer l’esprit républicain de la ville.

Florence et Rome.

(Castellesi a été son voisin de cellule à la prison du pape)

 La voix de Castellesi résonnait encore dans le conduit en pierre, qui parlait de la cour de Laurent de Médicis : une Olympe peuplée d’érudits, d’hommes de lettres et autres philosophes. Il avait retenu ses paroles :  » À Rome nous sommes environnés de ruines ; à Florence l’antiquité est vivante : les hommes mettent en pratique ses concepts philosophiques et leur donnent de nouveaux développements. »

Laurent de Médicis à Florence.

Ce sont les idées qui gouvernent le monde, ce ne sont plus les dogmes qui ont figé les peuples dans l’ignorance la peur et la soumission.

Scène érotique papale.

 La tête posée sur l’oreiller, il regardait Giulia disséminer adroitement ses baisers sur son ventre, ses épaules, entre ses jambes, selon une sorte de parcours sacré qui menait à ce lieu unique où se rejoignent les puissances terrestres et célestes.
 Le pape soupira en respirant son odeur, mélange de miel et de musc. En la voyant aller se servir un verre de vin, et marcher pieds nus sur les tapis tressés d’or et de soie, avec son ventre bombé porteur de vie, il était reconnaissant à ses cheveux blonds, à ses hanches si parfaites, à ses courbes infinies, à sa peau soyeuse, à ses yeux aussi lumineux qu’un vitrail en plein soleil, de l’accompagner dans cette aventure. Giulia Farnese n’avait que dix-huit ans mais elle semblait la plus expérimentée des maîtresses, la plus charmante des concubines, la plus sainte des amantes.

 Portrait d’un cardinal à la cour du pape en 1493 (humour !).

 Le cardinal Sforza est d’une vénalité sans limite : il évalue la moindre conversation en écus. Combien pèse celui à qui je m’adresse ? Il n’a qu’une idée en tête : satisfaire sa vanité en faisant valoir les intérêts de sa famille ….un vrai sacerdoce

Savonarole.

Dialogue entre Alessandro et son ancien compagnon de captivité.

– Ne me dis pas que tu penses comme Savonarole ? ! Ce moine assoiffé de pouvoir et d’intrigues a bâti sa fortune et son autorité sur des calomnies. Il ne faut rien céder à ce fou qui envie nos œuvres et nos palais. Si tu veux savoir ce que je pense, je crois qu’il a raison : nous ne sommes que des trafiquants d’éternité ! Des marchands de salut, et rien d’autre ! Et cela dure depuis près de mille cinq cents ans.
 Les yeux exorbités, la barbe menaçante le prisonnier du château Saint-Ange était de retour. Mais il avait touché juste. Savonarole faisait se lever un vent mauvais d’obscurantisme et de pénitence. Il avait fait dresser sur la place de la seigneurie un bûcher des vanités avec des peintures lascives, des livres obscènes, des luths, des parfums, des miroirs, des poupées et des tables à jouer, bref tout ce qui était lié à un plaisir quel qu’il soit. Ces objets avaient été entassés et brûlés. Sa promesse n’était pas la rémission des péchés, mais la menace de damnation éternelle, le malheur et la délation.

 

 


Édition Stock, Janvier 2017, 322 pages

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Le thème du mois de Mai de mon club était : « l’aristocratie ». Ce livre y avait donc toute sa place. Le début du roman m’a réjoui car l’auteur sait manier l’autodérision avec beaucoup de brio. Mais au bout d’un moment je me suis beaucoup ennuyée, dommage !

L’histoire raconte la destinée de François de Rupignac rejeton d’une famille de la vieille noblesse française. On se dit que Louis-Henri de La Rochefoucault n’a pas eu à chercher trop loin ses modèles pour raconter une famille « de la haute » . Le début est vraiment drôle, la grand-mère indigne tellement décalée, bien avant qu’Alzheimer fasse son effet, est un personnage qu’on imagine très bien. L’auteur s’amuse de tous les codes de l’aristocratie qui écrasent quelque peu ce jeune homme bien-né. Il décide avec son ami de lycée de créer « le club des vieux garçons » qui se réunira au Jockey club . (Je croyais que cette institution avait disparu mais non, la noblesse peut donc s’y retrouver, sans les femmes ! .

Je crois que c’est à ce moment là que j’ai commencé à m’ennuyer, c’est terrible car c’est le sujet même du roman. Mais je n’ai absolument pas compris ce que ce club apportait au roman, la galerie de portraits de sa famille m’aurait suffit.

J’avais oublié que j’avais tant aimé « Châteaux de sable » du même auteur, son humour m’avait alors ravie.

Extraits

Humour.

Une étudiante oubliée du siècle passé, Simone de Beauvoir, avait commis en 1958 une dissertation intitulée « Mémoires du jeune fille rangée ». Le niveau en était piètre. Au risque de lui défriser le chignon, j’ose affirmer, moi, François de Rupignac, qu’il est plusieurs urgent de lire mes « Mémoires d’un vieux garçon pas si rangé que ça ».

 

J’ai ri.

 Tous les mercredis j’allais goûter chez mes grands-parents dans leur belle appartement sis dans le VII arrondissement, ce quartier silencieux qu’on dirait que ces habitants mettent des patins pour sortir dans la rue.

La grand mère scrogneugneu .

 Elle avait l’art du caquetage scogneugneu et des réponses lapidaires, comme ce jour où, alors que je l’interrogeais sur le dîner auquel elle s’était rendue cette semaine là, elle m’avait lâché dans une grimace « Pouah ! Tout était froid sauf le champagne. »

La grand mère, toujours elle.

 Les vacances d’été n’ont pas été de tout repos : ma grand’mère a dû être hospitalisée et opérée d’urgence. Jusque-là elle se croyait immunisée par son sang bleu, qui faisait office selon elle de vaccin absolu et d’élixir de longue vie. 
 « Les toubibs ne respectent plus rien. Et là de quoi ai-je l’air, sur ce siège à roulettes ? Quand je pense que nous allions en carrosse doré, autrefois. Une chaise à porteurs passe encore. Un rocking-chair de repos, oui. Mais cette espèce de chariot, non, ça fait très manant, on dirait que tu rentres du supermarché avec un sac de patates… »