Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Encore un écrivain qui raconte d’où il vient et, comme par hasard, ce n’est pas très gai. Notre club a discuté avec passion d’un autre livre de souvenirs d’une écrivaine : Chantal Thomas et « ses souvenirs de la marée basse » que j’ai peu apprécié contrairement à d’autres lectrices qui voulaient lui attribuer un coup de cœur. Je me dois donc d’expliquer pourquoi ce livre me fait plaisir. Pour son humour d’abord, je me suis déjà resservie de la description de Guy et sa façon de ralentir « au feu vert de peur qu’il ne passe à l’orange ». Dans une soirée où vous êtes avec des conducteurs qui racontent leurs points de permis en moins vous êtres sûr de l’éclat de rire généralisé. J’apprécie aussi sa façon de faire revivre une époque, je reconnais très bien les lieux et les impressions de sa jeunesse, la maison de campagne aux tapisserie style Vasarély. Et surtout la galerie de portraits des gens qui ont peuplé son enfance est absolument extraordinaire. Commençons par celle qui est un personnage de roman à elle toute seule : sa mère, qui toute sa vie aura vécu pour rendre malheureux les gens qui l’entourent sans pour autant en avoir le moindre plaisir. Son couple avec Guy, le beau père de Hervé Le Tellier est terrible. C’est digne de Mauriac, et Bazin réunis. Le pauvre homme comment a-t-il pu supporter tout cela, le mystère est entier. Elle semble ne l’avoir jamais aimé, ni lui ni sa famille dont elle jalouse les titres de noblesse. Elle est tout entière dans la rancœur et dans la jalousie. le père biologique (dont elle a effacé même le nom !) est totalement absent et ne cherche pas du tout à connaître son fils.
Pourtant, cet auteur ne fait pas une peinture si sombre de son enfance, il y a des portes de sorties à cet univers aigri et amer, ses grands-parents, une tante plus libre que sa mère. Et surtout comme dit l’auteur lui même
« Je n’ai pas été un enfant malheureux, ni privé, ni battu, ni abusé. Mais très jeune, j’ai compris que quelque chose n’allait pas, très tôt j’ai voulu partir, et d’ailleurs très tôt je suis parti.
Mon père, mon beau-père sont morts, ma mère est folle. Ils ne liront pas ce livre, et je me sens le droit de l’écrire enfin. Cette étrange famille, j’espère la raconter sans colère, la décrire sans me plaindre, je voudrais même en faire rire, sans regrets. Les enfants n’ont parfois que le choix de la fuite, et doivent souvent à leur évasion, au risque de la fragilité, d’aimer plus encore la vie. »
Enfin ce livre tient surtout par la qualité de son style, cet humour en distance et un peu triste donne beaucoup de charme à ce récit.
Citations
Sa mère et les mensonges
J’ai compris pourtant vite qu’il était difficile d’accorder le moindre crédit à ce que ma mère racontait. Ce n’était pas qu’elle aimât particulièrement mentir, mais accepter la vérité exigeait trop belle. Elle accumulait ainsi les mensonges, et elle les imposait à tous.
Ce que cache le dévouement
La maladie de mon grand-père fut l’occasion pour ma mère de se lancer dans une course au dévouement dont, pour plus de sûreté, elle posa les règles. Elle insista pour le conduire à l’hôpital pour chaque transfusion. C’était souvent très tôt le matin et Raphaëlle, qui habitait plus loin et devait déposer ses enfants à l’école, partait avec handicap. Et lorsqu’elle se libérait pour l’emmener, la cadette se joignait à eux, ne supportant ni d’être supplantée dans l’abnégation ni de laisser son père seul avec Raphaëlle. Cette dernière finit par se décourager. Ma mère ne cessait jamais de le lui reprocher, tout en signalant l’exemplarité de son propre sacrifice. Cas remarquable de désintéressement intéressé.
Portrait de Guy
Guy, ainsi, portait la cravate. A priori – ceci posé pour rassurer tout lecteur cravaté-, on n’en saurait rien déduire. D’autant que c’était une cravate simple en soie , passe-partout, ni slim, trop décontracté, ni en tricot, trop risquée car il n’eût su avec quoi la porter. Elle était presque toujours unie, dans les bleus profonds, mais il arrivait qu’une très fines rayures l’égayât. Je lui avais offert des cravates d’autres coloris, ou aux motifs fantaisie, en vain. Elles avaient échoué au fond d’un tiroir, au mieux. Les autres, une cinquantaine, étaient suspendues à une longue double tringle métallique dans son placard et j’aurais été bien incapable de les distinguer entre elles.
Il était trop court de buste et pas assez fort de col, et il choisissait ces cravate trop longues. Il avait beau en coincer l’extrémité dans le pantalon, elle finissait toujours par s’échapper, pour flotter de manière incontrôlée sur la boucle de ceinture.
J’ignore d’où lui venait son goût pour cette bande d’étoffe décorative. Enseigner l’anglais dans le secondaire n’exigeait guerre qu’il en portât une. J’imagine qu’inconsciemment il s’agissait pour lui d’établir avec ses élèves une ligne Maginot vestimentaire infranchissable. A moins que la tradition anglaise, « Tie », qui signifie aussi, « lien », « attache », ne soit une clef d’analyse. Quoi qu’il en soit, une fois rentré chez nous il ne la retirait pas, ne desserrait même pas le col. Longtemps je mis cela sur le compte de la fatigue. Arriva l’âge de la retraite. Il ne l’abandonna pas. Il nouait son nœud tous les matins, par tous temps, en toutes circonstances. Il la portait indifféremment sous une veste, sous un pull, un blouson, un anorak, tout cela convergeant pour lui conférer l’allure d’un vigile d’une société de gardiennage. Au sport d’hiver, ses mauvais genoux l’empêchaient de skier mais il y emmenait parfois mon fils, il portait la cravate jusqu’au bas des pistes de ski, et il pouvait même manger une fondue, cravaté, dans les restaurants d’altitude. J’ai la photo. L’ôter pour dormir où se baigner devait être un déchirement.
Son conformisme était si extrême qu’il confinait à l’originalité.
Toujours Guy qui devait énerver plus d’une personne sur la route
Nous démarrions alors, mais seulement après que le siège eut été réglé au millimètre, et les rétroviseurs repositionnés. Sortir en créneau de sa place lui prenait plus de temps qu’il en eut fallu à quiconque pour y entrer. Au premier feu tricolore, il ralentissait malgré le vert pour éviter de passer à l’orange. Et lorsque le feu quittait le rouge, il n’arriva jamais que la voiture qui nous suivait ne klaxonnât pas au moins une fois.
Quand son humour rejoint celui de Jean Louis Fournier
Une église sur le fronton de laquelle était écrit : « Ah qu’il est bon le bon Dieu ! » Ce n’était pas de l’humour, d’autant qu’à tout prendre, un « Ah qu’elle est vierge la Vierge Marie ! » eut été plus amusant.