Éditions du Seuil, 228 pages, octobre 2024

 

« J’ai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

Cet auteur a fait de sa famille l’objet de certains de ses livres, sur Luocine j’ai mis « En finir avec Eddie Bellegueule » et « Qui a tué mon père » , j’ai lu aussi celui consacré à sa mère. J’ai beaucoup aimé celui-ci , car on y apprend beaucoup sur un homme que je n’aurais guère aimé rencontrer un soir dans une rue d’Amiens ou ailleurs. Un homme que j’aurais méprisé car sujet à des accès de violence : il frappait les femmes et faisait peur à ses enfants, un homme que l’alcool rendait fou, qui tenait des propos racistes et homophobes. Et pourtant un être humain !

Édouard Louis, ne cache rien des horreurs que son frère a été capable de faire ou de dire, mais en recherchant qui il était à travers différents témoignages, on se rend compte qu’il pouvait être « gentil » et qu’il avait été aimé par des femmes qui rendent toutes l’alcool et son enfance responsables de ses violences. Le roman suit les préparatifs de l’enterrement, les souvenirs de l’enfance où ce frère a fait tellement souffrir le petit Eddy, mais aussi la façon dont le père a brisé tous les rêves de cet enfant. Est-ce que l’abandon par son père géniteur qui a été capable d’aimer d’autres enfants que lui, est la première blessure dont cet homme ne s’est jamais remis ? Est-ce que l’alcoolisme est héréditaire ? Son père, son oncle, son cousin sont tous morts d’alcoolisme . Est-ce que la misère sociale en est responsable ?

Ce portrait m’a permis de comprendre des gens que je ne croise pas souvent et que j’ai tendance à mépriser. Je trouve que ce roman permet effectivement d’ouvrir les yeux sur les ravages de l’alcoolisme car l’auteur ne cache rien sur les faiblesses, mais aussi sur les causes possibles de cette autodestruction, l’auteur n’est donc jamais dans le jugement ni dans la justification : c’est ce que j’ai beaucoup apprécié. Même quand il raconte l’homophobie violente de son frère donc de l’auteur.

Je trouve que pouvoir comprendre des gens qui, tout en étant tout près de moi, je ne vois jamais c’est presqu’aussi exotique que décrire une population au fin fond de l’Amazonie. Et surtout on se rend compte que chez des hommes détruits par l’alcool, il y a aussi une être humain. C’était le cas de son frère qui méritait bien ce roman .

 

Extraits.

 

Début.

 Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors, ou comme on écouterait une personne quelconque nous dérouler le récit de son après-midi au supermarché. Je ne l’avais pas vu depuis presque dix ans. Je ne voulais plus le voir. Certains jours ma mère tentait de me faire changer d’avis, d’une voix hésitante, comme si elle avait eu peur de me froisser ou de créer un conflit entre elle et moi : 
– Tu sais, ton frère peut être que tu devrais lui donner une chance … je crois que ça lui ferait plaisir. Il parle beaucoup de toi…

La haine de ses parents.

 Il les détestait parce que à cause d’eux, il était détruit mais c’était fini maintenant, grâce à ses amis allée se reconstruire.

 Ma mère a raccroché assommée. Elle ne savait pas que mon frère couvait cette haine pour elle à l’intérieur de lui – et je crois qu’elle était sincère, elle ne savait pas il ne faut pas lui en vouloir. À la fin de l’appel téléphonique elle a soupiré et elle a dit à mon père, les yeux grands ouverts et la mine stupéfaite, comme si elle venait d’apercevoir un fou qui poussait des cris dans les rues : « Mais ça va pas bien l’autre à inventer des trucs comme ça. »

Différence entre classes sociales.

... Dans notre monde essayer n’était pas une chose possible, je l’ai vu plus tard dans le monde de ceux qui vivent dans le confort et dans l’argent ou du moins avec plus d’argent et plus de confort, certains de leurs enfants étaient comme mon frère, certains buvaient, certains volaient, certains détestaient d’école, certains mentaient, mais leurs parents essayaient des choses pour les aider et pour tenter les transformer, ils leur offraient une formation de pâtissier, de danseur, d’acteur dans une mauvaise école de théâtre trop chère, ils essayaient, et c’est aussi ça l’Injustice, certains jours il me semble que l’Injustice, ce n’est rien d’autre que la différence d’accès à l’erreur, il me semble que l’Injustice ce n’est rien d’autre que la différence d’accès aux tentatives qu’elles soient ratées ou réussies, et je suis tellement triste, je suis tellement triste.

L’alcool .

 Il buvait de l’alcool pour se sentir mieux et l’alcool l’enfermait dans son destin ; lui-même avait dit à ma mère quelques mois avant de mourir :  » Jai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

La famille .

 C’est un phénomène que j’ai souvent observé dans les familles : elle veulent alternativement vous aider et vous noyer.

L’alcool, la violence, les femmes.

 Pourtant l’histoire se répétait et s’amplifiait dans sa répétition : avec Géraldine mon frère se comportait comme avec Angélique, mais en pire. C’était comme s’il avait voulu l’aimer mais qu’il était, dans les faits inapte à mettre en pratique ce sentiment. Il buvait toujours plus, certain soir il vomissait dans l’appartement, il renversait les meubles. Les années passées il avait vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre ans et il s’est mis à l’alcool plus tôt dans la journée, d’abord au milieu de l’après-midi, sans occasion particulière, puis le matin. puis directement au réveil.
L’alcool devenait pour mon frère une maladie incontrôlable, et de plus en plus visible pour les autres.
(…)

Il était avec elles dans la chambre -alors moi qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mis entre lui et mes deux filles et je les ai protégées. J’étais allongée sur mes deux filles, pliée, comme une carapace de tortue, et ton frère il me tapait sur le dos comme s’il aurait voulu me le transpercer.

 Il me tapait tellement fort que mes filles elle sentait des coups à travers moi, elles me l’ont raconté le lendemain, elles m’ont dit maman On sentait ses poings à travers ton corps à toi.
 Un jour, dans la rue,
comme ça,
 sans raison, 
Il m’a mis une grosse claque dans la tête.
Mes lunettes de soleil,
elles ont volé par terre.
 Comme ça, en plein milieu de la rue.


Édition JC Lattès, 213 pages, août 20024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

L’auteure dans ce premier roman – le mot roman figure sur le dos du livre- raconte sa quête pour retrouver ses racines paternelles.

Virginia Tagvald est la fille du navigateur, Per Tangvald qui a été connu dans les années 70, pour plusieurs raisons : il naviguait sur un bateau sans aucun confort et uniquement à la voile, il a embarqué sa famille pour naviguer sur toutes les mers du globe, deux de ses femmes sont mortes en mer, et finalement, il mourra ainsi que sa deuxième fille en faisant naufrage sur les rochers de l’île de Bonaire au large du Venezuela . Son fils Thomas sera rescapé de ce naufrage mais lui aussi périra en mer beaucoup plus tard.

Elle dédie son livre à sa mère qui, dit-elle, l’a fait naître deux fois . Effectivement, en fuyant son mari, elle lui a permis de vivre.

Le roman va de personnages en personnages qui ont connu son père. Cela empêche le récit de trouver son unité et même parfois, on se demande ce que ces gens apportent à sa recherche, par exemple la rencontre avec Yvon Le Corre, ce navigateur a rencontré son père et a navigué sur le même genre de bateau uniquement à voile sans aucun confort, ni moteur, mais il n’apporte rien à son récit.

En réalité, je me suis empêchée pendant toute la lecture de penser que son père était un assassin et que je le détestais de toutes me forces. La mort de ses deux femmes est horrible et tellement bizarre, la première aurait été assassinée par des pirates mais qui n’ont rien volé sur son bateau et lui ont laissé la vie sauve ainsi qu’à son fils Thomas , quand à la deuxième, elle est passée par dessus bord sans savoir nager. Le voilà débarrasser de deux femmes qu’il avait obligé auparavant à accoucher en pleine mer sans aucune assistance ! enfin son naufrage avec à son bord sa petite fille enfermée à clé dans un cabine à l’avant de son bateau , il traînait derrière lui le petit bateau de son fils Thomas qui aurait dû lui aussi périr, il survivra mais sera marqué par ce drame, n’oublions pas qu’il avait déjà vécu la mort de sa mère.

Ce que je ne comprends pas, dans son récit c’est pourquoi elle n’interroge pas plus sa mère : la seule personne que j’aurais eu envie d’entendre.

J’ai eu beaucoup de mal à m’intéresser à Per Tangvald, je comprends l’envie de sa fille de mieux connaître son père et de ne pas le juger, mais rester ainsi entre deux eaux sans prendre partie enlève beaucoup de force à son propos. Je me sentais tellement en colère contre son père qui profite de son beau physique d’homme du nord et ses qualités de navigateurs pour séduire des jeunes femmes. Toutes les femmes qui ont eu des bébés doivent me comprendre, comment peut on ne pas tout faire pour que les femmes qu’on aime accouchent dans les meilleures conditions possibles ? Le navigateur va les entraîner au milieu de l’océan où elles vont accoucher sans aucune aide si ce n’est la sienne, enfin, elles y survivront mas pas très longtemps .

Et puis comme toujours quand quelqu’un cherche la mort et entraîne ses enfants avec lui, cela me révolte au plus profond de moi, son naufrage final ressemble beaucoup plus à un suicide qu’à un accident.

En écrivant ce billet je me rends compte que j’aurais voulu que sa fille se révolte contre l’image du navigateur solitaire, beau comme un viking. Il y a trop de morts autour de cet homme ! Et si les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, une accumulation de malheurs non plus !

 

Extraits

Début

Bonaire , côte est de l’île, juillet 1991
 Crabe bleu, visqueux et luisant, campé sur les rochers. Les enfants l’ont vu, ils s’approchent lentement. Ils sont trois. Le corail est tranchant comme un poignard. Il suffit de l’effleurer pour saigner. Il veille à ne pas se couper. Le corail est mort depuis longtemps ; des squelettes blancs et friables, les bras tendus vers le ciel comme s’ils ne savaient pas qu’ils étaient morts. Il craque sous les pas des enfants, leurs éclats roulant en cascade avec un tintement de clochette. Le crabe déguerpit et disparaît dans les crevasses. 
Le rire des enfants se mêlent au vent.

Le malheur : hasard ou pas ?

Comment sa destinée a basculé ensuite, quand, en route vers l’Australie, le long de la côte de Bornéo, sa femme et mère de leur enfant, Thomas, avait été assassinée par des pirates. Comment il avait perdu une deuxième épouse en mer en 1985, tombée par-dessus bord pendant une traversée de l’Atlantique. Ne sachant pas nager, elle avait disparu dans les flots. C’était la mère de Carmen.

La vérité ?

Avant de quitter le port en direction du Venezuela en passant par Porto Rico pour récupérer son fils, Peter avait demandé à Garry de l’aider à hisser la grand-voile pour partir. Il avait refusé, estimant que s’il était trop faible pour hisser la grand-voile, il serait trop faible pour naviguer avec un enfant de 8 ans enfermé dans la cabine avant. Peter fut aidé par d’autres marins qui en frissonnent encore quand ils en parlent. « Pauvre enfant », disaient-ils. Tous savaient qu’elle allait mourir. Depuis Gary était hantée par la culpabilité d’avoir abandonné cette petite fille à son sort. Honteux, il faisait tout pour conjurer le souvenir de ce monstre de Tangvald.
 En apprenant l’identité de Thomas Tangvald, il avait conclu que Thomas ne s’était jamais libéré de la cabine de son enfance. Que cette prison, il la portait partout avec lui.

La deuxième naissance de l’écrivaine.

 Mon père nous implorait de revenir. Il ne supportait pas qu’on puisse lui échapper.
 Ma mère l’avait quitté sur un coup de tête, sans le prévenir, à Porto Rico, quand j’avais 2 ans. Elle avait appelé sa propre mère depuis une cabine téléphonique pour lui demander d’acheter un billet d’avion et avait sauté dans le premier vol vers Toronto pour la rejoindre. Elles étaient déjà loin quand mon père comprit qu’elle était partie. Elle n’aimait pas cette ville. Elle répétait qu’on en partirait bientôt, quand elle saurait où elle aimerait vivre et ceux qu’elle aimerait faire de sa vie. Elle avait vingt-deux ans.

 


Édition Flammarion, 252 pages, août 2024. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un roman qui a failli être un coup de cœur, et puis à la réflexion certaines critiques m’empêchent d’être totalement enthousiaste.

Voici le sujet du roman : une jeune femme, Agnès, élevée dans une famille catholique traditionnelle après des études, d’abord au Lycée à La Légion d’Honneur, puis de lettres à l’université, trouve son mari au bal du Triomphe à Saint Cyr. Un beau mariage qui doit donc se concrétiser par une famille nombreuse. Catastrophe ! la naissance ne vient pas, et cette jeune femme engagée dans le mouvement anti-IVG, souffre de sa stérilité. Elle suivra son mari dans ses différentes affectations militaires , le roman prend une tournure particulière au Sénégal, où elle rencontre un certain Pierre dont elle tombera amoureuse sans pour autant tromper son beau militaire. On a vraiment toutes les images de ces familles, les naissances qui se succèdent, la mort d’un enfant vécu comme un cadeau de Dieu, les mariages dans les demeures de famille, les vacances en tribu à Saint Lunaire …
De militante anti- IVG elle va radicalement évoluer, et elle va peu à peu détester son mari et ira vers des péchés qui seront bien difficiles à avouer pour une catholique convaincue. D’où cette confession puisque c’est la forme qu’a choisie l’écrivaine pour nous raconter cette histoire.

Ce qui est vraiment très bien raconté et qui est un vrai scandale, c’est ce que font les catholiques anti IVG : ils s’arrangent pour que des jeunes femmes qui veulent avorter tombent sur leur site et grâce à leur technique de persuasion , ils réussissent au moins à mettre ses femmes très mal à l’aise. Cette pratique était tellement répandue qu’il a fallu faire une loi pour l’interdire. Agnès est particulièrement douée et elle décrit comment elle est à peu près certaine d’avoir réussi à changer les décisions de certaines femmes.

Mais voici ce qui m’empêche de me sentir très bien dans ce roman, la critique de ce milieu est si facile, on a l’impression de si bien les connaître. Tous les étés, je les vois occuper les villas de leurs famille autour de chez moi, et remplir l’église de Saint Énogat le dimanche midi, je m’amuse de toutes les petites filles avec un cerceau sur la tête, les garçons en bermuda et pull marin … (Dans le roman, la famille se retrouve dans une villa à saint Lunaire à 5 kilomètres de Dinard, cela m’a fait sourire !) . Je sais aussi qu’elles ont défilé en famille à la manif contre le mariage pour tous, qu’elles se sont retrouvé derrière Zemmour et son mouvement reconquête. Mais je sais aussi que derrière cette belle façade d’unanimité se cache bien des fêlures et aussi parfois de richesses humaines. Mais surtout ce qui me gène c’est l’évolution brutale du personnage principal, j’ai beaucoup de mal à croire à son premier revirement quand à la fin, elle est tellement évidente ! Alors à ce moment là, il me manque une dimension : que va devenir la foi catholique d’Agnès dans sa vie actuelle. C’est vraiment le sujet qui m’aurait intéressée comment garder sa foi chrétienne ou autre dans tous les drames de la vie moderne . Le personnage principal pourrait perdre ou garder sa foi, mais pour moi elle devait expliquer à ses lecteurs que va-t-elle faire aujourd’hui avec son Dieu.

 

Extrait.

 

Début.

 Vous avez l’air étonné que je sois revenue. Moi aussi. Après tout, je n’ai pas besoin de vous pour recevoir ma pénitence. Jusqu’au bout, j’ai hésité à faire demi tour. Il y avait un homme effrayant en bas des marches. Il n’était pas là, la première fois ou bien étais-je trop bouleversée pour le remarquer. Entortillé dans son sac de couchage, affalé sur un carton, il avait l’air de dormir – et puis il s’est redressé d’un coup en m’entendant approcher. J’ai vu ses yeux luisants au fond de ses orbites, ses traits émaciés sous la capuche qui enserrait comme un linceul son visage mangé par la barbe. J’ai eu peur. Le temps que j’arrive à sa hauteur, il a sorti son bras pour me tendre une main calleuse aux longs ongles noircis.
 On m’a appris à donner aux pauvres, on m’a appris qu’il le fallait, du moins – le nécessiteux, le mendiant en haillons, figurait souvent parmi les personnages que convoquait maman dans les saynètes de la vie quotidienne avec lesquelles elle essayait de nous édifier dans les salles d’attente où sur les bouchons de l’autoroute des vacances. Elle appelait ça le jeu de l’ange et du démon.

 Le Triomphe .

« Le Triomphe ». Le mot courait sur toutes les lèvres et il désignait autant un lieu qu’une tradition, une date, immuable figée, Aussi indiscutable que l’évènement historique qu’elle commémorait, à la fois point de départ et destination, origine et avènement, le « Triomphe », une sorte de métonymie, ou bien de synecdoque, je ne sais plus, j’ai beau avoir une licence de lettres modernes, je m’y perds, dans les figures de style – le Triomphe nous attendait à la fin du lycée, plus solennel encore que le bac ou le premier bulletin dans l’urne, et sa simple évocation suffisait à nous donner des envies de robe, de bustier, de taille de guêpe, de virginales perles aux oreilles.

Mort d’un enfant.

 Il n’est pas bien vu de s’apitoyer sur son sort chez nous. Au contraire, la mort de Pilou a toujours été présentée comme un jalon sur le chemin spirituel de mes parents une chance -un cadeau. Quand mon père est invité à témoigner pendant les cessions d’été de la communauté de l’Emmanuel à Paray-le-Monial, qu’il monte sur la scène en faisant « allô allô » dans le micro et que son image agrandie, ses épaules voûtées, son coup de vautour, se retrouvent à occuper les quatre mètres carré de l’écran géant derrière lui, il finit toujours par dire que la perte de son seul fils l’a replongé dans l’eau vive, que c’est quand Pilou a été rappelé auprès de son créateur qu’il a décidé que sa foi devait orienter sa vie professionnelle, et non l’inverse. 

Regard des autres sur son ventre stérile .

Puis ma belle-famille m’a rejointe et j’ai dû encaisser leurs coups d’œil inquisiteur. Après plusieurs années à porter en public des vêtements près du corps, j’ai appris en grossissant au Sénégal à fermer le regard de mes interlocuteurs afin de les empêcher de s’aventurer sur ma taille incertaine et d’en tirer des conclusions erronées. Me suis entraînée à enfouir mes yeux dans les leurs et à ne pas les lâcher. 

Son portrait.

 On m’a toujours répété que la beauté de de la femme est intérieure, que c’est Dieu en nous qui est beau. Qu’est-ce que qui reste, alors une fois qu’il est parti ? Une bonne femme ingrate en uniforme marine et beige, qui affiche dix ans de plus que son âge et implore gauchement l’asile en poussant la porte carillonnante d’un institut de beauté ?

 


Édition Albin Michel, 328 pages, mai 2024.

 

 

Les fils sont là pour continuer les pères.

Le père de Thibault de Montaigu va mourir et son fils lui offre ce roman, l’écrivain va le faire revivre pour ses lecteurs. Son père est un personnage odieux, brillant mais odieux. Il aurait pu gagner correctement sa vie mais il s’est lancé dans des affaires qui ont toujours fait faillite, et il n’a vécu que grâce aux femmes. C’est un séducteur hors pair et même à la fin de sa vie il séduira une femme remarquable qui l’accompagnera tout au long de la fin de sa vie. Son père demande à son fils aîné écrivain, notre narrateur, de raconter l’histoire de Louis l’aïeul qui est mort à la guerre 14/18, suite à une charge sabre au clair.

La recherche de la vérité sur ce glorieux soldat va permettre à l’écrivain de mieux comprendre l’ensemble de sa famille . Il mettra du temps à comprendre le passé de Louis, qui a raté l’entrée de Saint Cyr , un peu comme son père a raté les grandes écoles. Brillant mais méprisant le travail des laborieux. Louis réussira à revenir dans les cadres de l’armée mais par la petite porte et grâce à ses talents de cavalier. Mais il partira de l’armée pour en revenir juste avant la guerre. On découvrira que lui aussi a fait de mauvaises affaires, et sa charge sabre au clair n’est peut être pas une simple preuve de bravoure. Le courage des femmes dans cette famille est incroyable, elles sont souvent riches mais leur richesse est engloutie dans la volonté de gloire des Montaigu .

Notre narrateur est fragile, il est à la recherche de la reconnaissance de son père, et même s’il est capable de voir tous les défauts de son père il ne peut pas s’empêcher de l’aimer et d’admirer son courage face à la maladie et la mort.

Le livre se lit facilement , on y retrouve l’analyse des aristocrates pauvres mais « glorieux » . J’ai souri de ce descendant de de la famille de sa mère : Hubert Parent du Châtelet, qui vit dans un lotissement à côté de Châteaubriant dans une petite maison, dans laquelle une énorme cheminée occupe trop de place dans un petit salon. La raison  : ce Hubert a fait construire cette maison autour d’une plaque de fonte avec les armes de la famille Choiseul dont il descend …

J’ai souvent souri, j’ai détesté son père, j’ai souvent trouvé que son fils n’avait pas la dent assez dure pour ce personnage, mais j’ai bien aimé cet amour filial. J’ai été sensible par l’authenticité de la démarche de cet écrivain, je le crois sincère. Le jour où j’écris ce billet je vois que ce roman a obtenu le prix « interallié » , il trouvera donc son public et cela ne m’étonne pas.

 

Extraits

Début.

 À chaque fois, que je pousse la porte je me demande si mon père n’est pas mort. Il est toujours assis au même endroit, sur son fauteuil au ressort effondré dont le faux cuir, déchiré çà et là laisse s’échapper des étoupes de coton . Tête baissée, le visage atone, ses beaux yeux bleus perdus dans le vague, il n’esquisse pas un geste. Pas même un clignement. Dans la pièce en désordre, un vieux poste gris à molette résonne à tue-tête et je dois répéter à plusieurs reprises « salut Papa, c’est moi. Papa ? » Pour qu’enfin un frisson parcoure ce masque aux minces cheveux blancs peignés en arrière. Ses lèvres se tordent, sa pupille s’affole tandis que d’une main il tâtonne en direction de la radio pour l’éteindre.
 » Il y a quelqu’un ? demande il d’une voix incertaine.
– Oui, Papa. C’est moi Thibault.
– C’est Thibault ?
– Oui ton fils aîné.
– Ah Thibault. C’est sympa de venir voir ton vieux père. Tu m’oublies, tu sais ? »

Mort de Péguy.

 Pour éviter un massacre, Péguy commande à ses hommes de se coucher et de faire feu à volonté tandis qu’il reste debout, jumelle aux yeux à diriger le tir et à haranguer ses troupes, arpentant la ligne de ses tirailleurs dans une attitude de défi. Rien ne semble pouvoir calmer sa ferveur, sauf la mort qui vient se loger soudain dans son crâne sous la forme une balle de Mauser. « Ah mon Dieu … mes enfants… » lâche-t-il avant de s’écrouler. Il tombe en héros. « Mais n’est-ce pas ce qu’il désirait secrètement ? » se demanderont certains après coup. Une manière de quitter en beauté ce monde dont il désespérait ? De retrouver dans la mort la grandeur est le sacré dont la vie moderne soumise à la technique et l’argent était privée ? Ou encore de se consoler de son amour impossible pour cette jeune agrégée d’anglais, Blanche Raphaël, alors que lui-même est marié, et demeure fidèle à une femme qu’il n’aime pas ?

Père et fils de 10 ans a reçu la croix de guerre à la place de son père mort.

 De toute évidence, cette histoire n’est pas seulement celle de Louis et de Hubert, mais aussi celle de mon père et de moi-même et de bien d’autres peut-être. C’est la même histoire depuis la nuit des temps et elle tient en une seule phrase que l’auteur de la leçon de français a placé en exergue : « Les fils sont là pour continuer les pères. »
Tâche écrasante. Tâche impossible évidemment. Car les pères sont des mythes auxquels les fils un jour ou l’hôte cesseront de croire. Les pères n’existent pas. Et Hubert, du haut de ses dix ans le pressent déjà. Il reçoit la croix de guerre à la place d’un disparu, mais comment prendre la place d’un être qui réside hors hors de ce monde, au royaume du souvenir et de la légende ? Comment mettre ses pas dans ceux d’un mort ?

L’art équestre et l’écriture .

 Donner l’impression qu’on ne fournit aucun effort, comme si son cheval se mouvait de lui-même. Là est tout l’art. C’est peut-être la quintessence du style français, résumé par L’Hotte, et qui vaut aussi bien en équitation que dans les arts : gommer le travail, cultiver le naturel, faire paraître simple et aisé ce qui nous a coûté des jours et des jours de labeur forcené.
Ainsi aimerais-je écrire ce livre en tout cas.
Calme, en avant, et droit.

Toasts des cavaliers de Saumur .

« À nos chevaux, à nos femmes et à ceux qui les montent. « 

La quête des ancêtres .

 Mais n’est-ce pas le cas pour nous tous ? Quand on part sur les traces de ses ancêtres, on ne remonte pas le temps en réalité. On ne revient pas en arrière. On fait voile vers notre avenir. Vers le lieu où réside une part inexplorée de nous-même. L’histoire que nous écrivons a déjà été écrite sous une autre forme, et notre vie loin d’être une page blanche, ressemble à un palimpseste que chaque génération à tour de rôle efface et recommence. Ce qui va arriver existe déjà. Et ce qui a existé nous arrivera. On peut prédire aujourd’hui la survenue de maladie grâce à notre ADN, car nos corps ne sont que des recombinaisons génétique des corps qui nous ont précédés. De même pour nos âmes. Elles sont un amalgame – différent pour chacun- d’éléments qui ont déjà existé chez nos ancêtres. Nos âmes nous précèdent en quelque sorte. Et pourtant elle nous demeurent inconnues. Voilà le voyage auquel chacun dans une vie est appelé. 

 

 

 

 


Édition Albin Michel, 214 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Roman très original autant pour son écriture que son propos. Une famille française, d’origine juive marocaine, s’inquiète parce que leur mère et grand mère du narrateur qui est restée au Maroc, ne va pas très bien et, le croit-elle c’est à cause d’ un bruit qui l’empêche de dormir.

Elle habite à Marrakech, dans le quartier du Guéliz, et sa fille et son petit-fils viennent la voir pour essayer de trouver d’où vient ce bruit.

Voilà, je vous ai résumé le roman, on devinera assez vite que ce bruit mystérieux que ni sa fille ni son petit fils n’entendent est surtout la trace insupportable pour la vieille femme de son monde disparu. Ce roman raconte les traces d’une civilisation éteinte depuis le départ des Juifs du Maroc en 1967, après la guerre des six jours. Leur présence est très ancienne dès le V° siècle, communauté assez stable jusqu’à l’arrivée, en nombre, des juifs chassés d’Espagne par Isabelle la Catholique au XV° siècle. Tout l’intérêt du roman, c’est cette quête des traces de la présence juive au Maroc, et de la réflexion du narrateur sur l’exil. Sa grand-mère est fragile et ses souvenirs sont tous teintés de douleur. Nous visitons avec un chauffeur très attentif : Bourriel un berbère qui accepte de les conduire dans quelques lieux de pèlerinages juifs. Il n’y a plus personne dans ces lieux qui étaient très fréquentés autrefois, mais ils ne sont pas détruits. Le cas particulier du Maroc le doit aux rois marocains qui ont empêché que les juifs soient assassinés et, aujourd’hui, il a rendu au quartier juif de Marrakech les noms juifs et la synagogue, que les visiteurs découvriront fermées, est toujours là. Le quartier Mellah est aujourd’hui un haut lieu touristique derrière lequel le cimetière juif de Miâara permet à la grand-mère d’honorer ses morts.

Ce roman est aussi une promenade originale à travers un Maroc peut connu comme la vallée de l’Ourika , à la fin de ce voyage on comprend les phrases de la mère du narrateur qui y a retrouvé son enfance, elle s’adresse, ainsi, à leur adorable chauffeur au moment du départ à l’aéroport :

  • Dis. Tu montreras le chemin à tes enfants, a-t-elle dit. Promets-le-moi. Qu’ils y amènent les miens quand ils seront plus grands.

Extraits

Début.

 Il y avait à Marrakech, dans le quartier du Guéliz, un bruit. Un mystérieux bruit, qui s’était installé dans un appartement, au premier étage du 66 avenue Al-Mâ’ Az-Zahr. Qui sait ce qui l’avait attiré ici ? Le poids d’une solitude, le confort des vieux fauteuils en feutre, le grisant parfum du camphre brûlé, ou l’infaillible hospitalité de ma grand-mère ? Personne ne peut le dire.

Joli style.

Le vent devait avoir soufflé tout le sable de la médina pour bâtir à la force de ses bras le mirador de la Koutoubia. Il semblait comme cela, si vulnérable qu’un seul homme d’un geste imprécis aurait pu le rendre à la poussière comme un château de sable. Mais il était en vérité, inébranlable, Dieu même le sait, car il n’existe au sable de liant plus puissant que la foi, cette eau de tous les jours qui ruisselle dans les avenues du Guéliz et de partout ailleurs, se presse dans les rues, inondé toutes les venelles, se jette dans la vieille ville.

Un long passage que j’ai adoré.

 « Yak ». Ce petit mot, ma grand’mère l’employait aussi souvent que possible. Si facilement, « yak » se faisait une place dans chaque conversation. Il signifie « n’est-ce pas ». Il est le petit dernier d’une fratrie de mots qui ne grandit jamais, qui de justesse parvient toujours à s’insinuer avant que les grandes portes de la parole ne se referment seules Il se montre sous les airs d’un début de question et tinte comme le bruit de l’âme qui somme qui sème le doute partout. Il dit « rien n’est jamais certain tout est seulement possible ». Il est le son du doute que ma grand’mère, sans peine se plaît à employer à chacune de ses phrases. Ainsi « yak » , les choses peuvent être ou ne pas être. Tout devient révocable. De ses trois lettres, il fait vaciller toute vérité, et vibrer le fil sur lequel tous ceux qui l’ont précédé se tiennent en équilibre. Qui eût cru qu’une si petite chose, de sa timide empreinte, rende tout si vulnérable ? Il cherche l’approbation, quand sa maîtresse, elle, doute. Ma grand’mère s’est attachée à lui. Lui s’est offert à elle. Et pour le remercier d’être tout le temps présent elle lui a cousu une laine. C’est une laine de joie qui lui donne fière allure et qu’il ne quitte plus. Car « yak » se présente, depuis que je le connais toujours sous les traits d’un sourire. « Yak » ? demande ma grand-mère en souriant. Grâce à lui, les fins de phrases sont joyeuses. Et toutes les fins d’ailleurs. Puisque « yak » est partout. Elle a fini par le croire. Nous sommes ici au Guéliz, pour mettre un terme au bruit. Désormais portés par l’espoir que ce terme sera joyeux, « yak » ? Le seul problème c’est quand ma grand-mère parle du bruit étrangement « yak » s’absente. Il ne se risque pas à contester le bruit devenu certitude. « Yak » est un petit être que je souhaite courageux.

L’exil du Maroc. C’est si bien dit !

 Il ne reste personne. Personne à qui parler. Il ne reste plus qu’elle. Depuis longtemps maintenant. Les vivants sont parti Ils ont quitté le port de leur propre récit. Ma grand-mère a vu les derniers bateaux s’unir à l’horizon. Sur les docks de l’oubli, elle est restée. Ils ont tout emporté. Tout ce qu’ils pouvaient prendre. Ils ont laissé les morts. Ils ont laissé les murs et de morceaux de pierre. Et l’immense solitude. Elle seule est restée. Elle seule foule cette terre brûlée, sans faillir, immortelle gardienne du passé elle-même oubliée. Après son passage, les tombes que les vivants ont laissé, redeviennent des bancs de pierre dont l’ordinaire s’empare. Elle seule leur donne un sens. Elle seule leur donne un nom.

L’exil de sa mère.

– Je me souviens, dit-elle, c’était en 67. Pendant la guerre des Six Jours. J’avais six ans. J’étais avec ma grand-mère, ton arrière-grand-mère. Nous allions au Mellah, en taxi. Les informations passaient à la radio et disaient que les avions israéliens bombarder l’Égypte. Le chauffeur en roulant jusqu’à Mellah, se tournait vers nous pour nous cracher dessus. Il criait : « Sales juifs ! ». Il nous crachait dessus et il criait. Nous étions morts de peur à l’arrière.
 Je l’ai regardée essuyer de sa main une larme précipitée sur sa joue. Il n’y a pas de haine. Il n’y a que la tristesse d’une enfant de six ans, résignée au regret et à l’évidence que rien ne renaîtra jamais. Que la peur a laissé dans les coeurs l’irréparable. Ce matin là de mars, c’est un recueillement sur la petite stèle blanche d’un amour disparu. Je l’ai serrée dans mes bras. Ma grand’mère elle, ne peut y prendre part. Il y a trop de douleur. 


Édition l’arbalète Gallimard , 201 pages, septembre 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Vivre est assez bouleversant entre le début et la fin, on ne sait jamais ce qui va se passer.

Un très beau livre de Clémentine Mélois, écrivaine, fille de Bernard Mélois sculpteur . Il a toujours travaillé avec des objets émaillés et ses sculptures sont célèbres et très connues. Voici un de ses oiseaux :

 

Avec une sensibilité touchante sa fille, Clémentine Mélois raconte son père Bernard Mélois, son amour pour sa femme Michelle. C’est aussi le récit d’une enfance heureuse, mais nous suivons aussi pas à pas, le déclin et la fin de la vie de cet artiste original, respectueux des autres et aimant sa famille et la vie. La disparition d’un être aussi sensible qui a beaucoup aimé et été aimé aussi fort, donne toujours des témoignages qui me touchent beaucoup. Cet artiste était (comment en être étonné ?) très fantaisiste, son épouse et ses enfants ont voulu lui garder sa force de vie jusqu’à ses derniers instants. Et son enterrement sera à son image, un moment musical, coloré et où certainement tous ceux qui l’ont connu l’ont retrouvé. Bien sûr, je ne le connaissais pas, mais j’ai l’impression qu’il fait partie maintenant de mes morts, de ceux qui me manquent tant aujourd’hui. J’ai retrouvé dans ses remarques, dans sa façon d’être présent aux autres, mon frère qui nous faisant tant sourire lors des fêtes familiales.

Cette fille, a surmonté son chagrin pour écrire ce livre et elle réussit à nous rendre son père très vivant. J’aimerais aller voir une exposition de ses œuvres que je les trouve superbes en images. Mais elle réussit aussi à nous aider à respecter ceux qui autour de nous disparaissent,(elle préfèrerait que j’écrive « meurent ») . Je crois effectivement qu’il faut tout faire pour que leur fin de vie soit comme leur vie, entourée de ce qu’ils aiment et surtout que la cérémonie leur ressemble. Je sais que j’ai beaucoup utiliser le verve aimer dans ce billet, mais c’est ce que j’ai ressenti tout au long de cette lecture, un grand amour respectueux des autres. C’est si rare !

Un beau livre et pour moi la découverte d’un grand artiste.

Extraits

Début .

 Il faut que je raconte cette histoire tant qu’il me reste de la peinture bleue sur les mains. Elle finira par disparaître, et j’ai peur que les souvenirs s’en aillent avec elle, comme un rêve qui s’échappe au réveil et qu’on ne peut retenir.
 Avec ce bleu, j’ai peint le cercueil de Papa. Un bleu RAL 5002 fabriqué à la demande chez un marchand de peinture absurde, dans un hangar à moitié vide derrière le Leclerc de Villers-Cotterêts. C’est très pratique : on donne la référence, une machine mélange et on repart avec son peau fait sur mesure.
 J’étais soulagé que le vendeur ne me demande pas à quel usage je le destinais. C’est pour l’intérieur ou l’extérieur ? Pour une cuisine ou une salle de bains ? Non, c’est pour le cercueil de mon père, il est mort hier et on va lui faire un enterrement de pharaon.

Remarque exacte.

 Pour en revenir aux cercueils, j’ai trouvé qu’ils étaient chers – d’autant que c’est un achat ingrat. Encore pire que de devoir payer une police d’assurance, changer ses fenêtres où la courroie de distribution de sa Twingo.  » C’est bête, se dit-on, avec ça j’aurais pu m’offrir des vacances à Tahiti ». Enfin, c’est ainsi, on le sait bien : la vie est faite de beaucoup de courroies distribution à changer, et de très très peu de vacances à Tahiti.

Le bleu (est ce qu’un jour, il existera le bleu Luocine ?).

 Mais pour le bleu c’est une autre histoire. Il en existe une infinité de nuances, aux jolis noms de bleuroi, bleu de Prusse, outre-mer, turquoise Majorelle, indigo, égyptien ou marine.

Phrase d’une dame de Malestroit. (Ville d’où est originaire Bernard Mélois.).

 « Je me suis marié parce que je ne voulais plus m’ennuyer le dimanche. » 

Vivre.

 Vivre est assez bouleversant entre le début et la fin, on ne sait jamais ce qui va se passer. Il n’existe pas de résumé sur Internet et on ne peut pas se fier aux critiques des spectateurs. Face aux caprices de l’inconnu nous tentons à l’aveuglette de faire de notre existence le meilleur film possible. Pendant que nous sommes occupés à soigner le scénario le décor et les accessoires nous gagnons quelques instants de légèreté. Comment faire autrement ?

J’ai ri : son père et la télévision .

 C’est lui le maître des programmes, et il passe de chaîne en chaîne à toute vitesse, ne restant pas plus de trente secondes sur chacune à force les chiffres de la télécommande ont fini par disparaître. Je n’ai jamais vu un film ou une émission en entier, mais nous pouvons résumer tout ce qui s’est passé la veille à la télévision. Les seuls programmes sur lesquels papa s’éternise sont les spectacles de danse du genre du « Martyre de Saint Sebastien » de Maurice Béjart à la scala de Milan. Lorsqu’on lui demande pourquoi il ne zappe pas alors que ça nous semble terriblement ennuyeux, il répond : « J’essaie de comprendre comment ça peut intéresser quelqu’un. »

 

 


Édition Casterman, 161 pages, Juin 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Notre club de lecture propose assez régulièrement des BD , celle-ci a reçu tant de premier prix qu’elle devrait plaire à un large public. Petit inconvénient, elle est très volumineuse et donc très lourde, c’est compliqué de la lire au lit. Ceci dit, j’ai beaucoup aimé la lire. L’histoire n’est pas particulièrement originale et n’échappe pas à quelques poncifs au moins au début : un jeune héritier « des ciments Ducerf » , doit prendre la succession de son père et pour cela doit rentrer à Polytechnique, or malgré ses efforts, il reste un élève moyen et désespère son père. Nous sommes en 1952 et son père est inquiété par la justice pour avoir vendu du ciment aux Nazis pendant la guerre, pour épargner son fils et sa femme, le père les envoie en Bourgogne.

Là, il y rencontre un ancien cuisinier et il trouve sa voie : devenir Chef , mais doit évidemment lutter contre sa famille.
Le cuisinier en question est un homme bourru et qui a failli être meilleur cuisinier de France mais a été coiffé au poteau par une certain Lecoq .

Cette partie est très intéressante car on voit l’arrivée de la nouvelle cuisine et l’adaptation que cela demandait aux cuisiniers traditionnels.

J’apprécie cette BD, comme dans toutes le BD où j’ai trouvé que le dessin rajoutait quelque chose à l’histoire. Le personnage d’Ulysse qui est pris dans ses contradictions : ses envies qu’il n’ose pas imposer, et le respect de sa famille sont très bien vus , il s’oppose bien à celui de Cyrano, rempli de certitudes et dont la vie entière est guidé par la satisfaction des plaisirs de bouche, et des bons produits.

Les personnages sont complexes, et ne sont pas des caricatures. Par exemple le cuisinier Lecoq, celui qui a gagné contre Cyrano, le chef traditionnel, aurait pu être un parvenu qui ne reconnaît pas les valeurs de la tradition, on verra qu’il est beaucoup plus intéressant que ça. Les poncifs dont j’ai parlé au début viennent de l’attitude du père qui ne voit qu’une seule voie pour son fils , mais cela reste très crédible.

J’aimerais bien que ceux et celles qui aiment les BD me disent ce qu’ils pensent de celle-ci.

EXTRAITS

 


Édition Robert Laffont, 405 pages, mai 2024

Encore une déception, et pourtant j’avais tant aime « L’été des quatre Rois » et « L’air était tout en feu » , j’ai commencé ce roman avec tant d’attente, et j’étais certaine d’éprouver un plaisir comparable aux deux autres lectures. Seulement voilà, le talent de cet auteur n’y est sans doute pour pas grand chose, cette histoire ne m’intéresse pas beaucoup. J’ai eu l’impression de fouiller dans les poubelles de l’histoire. Et même les traits d’esprit dont Camille Pascal est passé maître m’ont lassée.
Pour une fois, je peux sans craindre la levée de bouclier des anti-divulgâcheuses raconter toute l’histoire car elle est connue de tout le monde. Une intrigante « la comtesse de la Motte Valois, pas plus comtesse, que n’importe quelle jolie femme de Paris vivant de ses charmes, décide de faire reconnaître son lignage « Valois » et pour cela tape à toutes les portes qui veulent bien s’ouvrir. Par chance, elle tombe sur une benêt de service : le cardinal de Rohan. Elle devient sa maîtresse et lui soutire de l’argent et même une petite rente. C’est une femme d’intrigues, menteuse et fort intelligente. Comprenant que le cardinal souffre de sa disgrâce auprès de Marie-Antoinette, elle lui fait croire qu’elle peut l’aider à communiquer avec la Reine. Pour cela, elle utilise les services d’un faussaire qui écrit de fausses lettres signée Marie-Antoinette au Cardinal. Mais celui-ci s’impatiente et veut concrétiser ses investissements financiers, car il donne beaucoup d’argent à la comtesse, soi-disant pour les œuvres de la Reine afin d’aider les familles nobles désargentées. Finalement, la comtesse organise un faux rendez-vous le soir, tard, dans le jardin du labyrinthe proche du Trianon (d’où le titre), avec une jeune prostituée qui ressemble un peu à Marie-Antoinette.

Le duc est fou de joie et complètement à la merci de l’intrigante, mais notre comtesse a toujours besoin de plus d’argent, par hasard elle apprend que des joaillers parisiens ont sur les bras un collier valant une fortune et dont la Reine n’a jamais voulu, la machination est en place le duc se porte garant de cet achat pour la Reine , et les joaillers sont ravis. Ils déchantent assez vite car ils ne sont pas payés , en revanche le comte et la comtesse de la Motte deviennent très riches.

Commence alors l’intrigue de cour, le conseiller de la Reine le duc de Breteuil veut absolument que le Cardinal de Rohan soit jugé et coupable de vol, et au lieu de s’en prendre à la véritable coupable, avec la Reine qui déteste ce cardinal, ils font tout pour que la faute soit la responsabilité du Cardinal. Finalement, il sera acquitté et la fausse comtesse condamnée.

J’ai été intéressée, au début surtout, par cette course à l’argent de gens qui veulent appartenir au monde des nantis. Cette course sans fin aux dépenses somptuaires qui en entraînent d’autres, car il faut toujours tenir son rang est très bien décrite. On sent que cette femme ne peut que perdre, mais on ne peut, aussi, qu’admirer son talent. La description de l’état de la cour du Roi Louis XVI, permet de se rendre compte à quel point on s’ennuyait à Versailles, ce palais trop grand pour le manque d’ambition de ce roi. La vie vient de la cour de Marie-Antoinette, qui loin du décorum du grand château s’amuse et les courtisans autour d’elle aussi. Le jeu de pouvoir entre le mari et son épouse donne pour l’instant la femme gagnante, mais la façon dont elle s’acharne contre un des grands du Royaume, retourne une partie de la noblesse contre elle, le procès donne lieu à un déferlement de libelles et à l’époque le peuple pense qu’elle a vraiment commandé ce fameux collier, il faudra du temps pour se rendre compte que de cette dépense – au moment où les caisses de royaume sont vides -, on ne peut pas la rendre responsable. Quelques années plus tard , tout le peuple de Paris détestera cette femme qui aura bien du mal à comprendre ce déferlement de haine. J’ai souvent lu que cette affaire du collier a été le début du désamour des Français pour la Reine (autrichienne de surcroît) .

Un roman certainement proche de la vérité historique, qui se lit très bien, mais dans un monde qui ne m’intéresse pas beaucoup, et la distance avec la quelle je l’ai lu, a fait que j’ai été moins sensible aux procédés de style de l’auteur qui petit à petit m’ont lassée.

Extraits

Début .

 « Jeudi 30 mais 1782
Paris, rue de la Verrerie, à l’enseigne de la Ville de Reims, puis à hôtel de Rohan-Strasbourg, rue Vieille-du-Temple au Marais.
 Une jeune trotteuse comme il s’en voit beaucoup rejoindre les boulevards aux beaux jours essayait, tant bien que mal, de tenir le haut du pavé de la rue étroite dans l’espoir d’épargner la soie bleue de ses petits souliers, pourtant déjà bien délavée par de multiples dégraissages. C’est là, dans un garni modeste à l’enseigne de La Ville de Reims, que Jeanne de La Motte et son mari logeaient leur gêne depuis qu’ils avaient quitté Bar-sur-Aube dans l’espoir de trouver à Paris le rang et la fortune dispersés depuis longtemps par les vents de l’Histoire, mais auxquels ils pensaient toujours avoir droit.

Le style et le vocabulaire j’ai appris ce mot « paraphernaux » .

 Une semaine plus tard, la jeune femme arriva à la tombée du jour dans un trait beau cabriolet de louage, monta directement à l’étage par le grand escalier d’honneur. Le cardinal, en grand seigneur méchant homme, exigea tout et elle ne lui refusa rien. À la nuit, elle repartit avec une aumônière brodée aux armes des Rohan pleines de deux cents Louis d’or, ainsi que la caution de son amant pour la petite dette de cinq mille livres, contractée deux ans plus tôt, qu’il s’engageait à régler l’année suivante dans le cas où elle ne serait pas encore rentrée en possession de ses biens paraphernaux

Mot d’esprit, humour .

 À la suite de quoi elle marqua une petite pause, de façon à bien fixer son interlocutrice et à juger de l’effet que cette phrase prononcée avec la douceur de l’évidence provoquait sur cette malheureuse fille dont la bêtise lui avait sauté aux yeux dès qu’elle avait franchi le pas de sa porte. Ce détail avait échappé à son mari, qui cherchait chez ce genre de femme une autre agilité que celle de l’esprit, mais il était de la plus grande importance à ses yeux car il faciliterait grandement leur plan.

La course à l’argent du temps des rois .

 Il connaissait les difficultés financières de cette maison où l’on vivait grand train sans véritable revenus, et où il était plus courant de porter les meubles au Mont-de-Piété que chez le tapissier.

Le salon de la réussite ou presque .

 Salon de la rue Neuve-Saint- Gille non-seulement ne désemplissait plus, mais il avait il avait bien changé de physionomie. Un mobilier complet garnie de tapisseries de Beauvais aux fables de La Fontaine, posé sur un grand tapis d’Aubusson, permettait de recevoir aisément une quinzaine de convives, la pendule au cadran ébréché avait rejoint la chambre de Rosalie, qui s’en montrait satisfaite, pour être remplacée par une autre, au mécanisme complexe, orné d’une figure de la sensibilité en marbre blanc. Elle était encadrée de de jolies vases de Sèvres flambant neufs, dont Jeanne laissait entendre, en baissant la voix, qu’ils étaient un présent de l’auguste souveraine.
 Le soir venu le fidèle Deschamps, promu au titre ronflant de premier valet de chambre du comte et de la comtesse de La Motte, allumait lui-même les girandoles d’or moulu supportées par d’orgueilleuses figures de bronze aux ailes déployées. Les invités arrivaient ensuite les uns après les autres ou par joyeux petit groupe et l’on accueillait sans trop de cérémonie – superflue entre gens du meilleur monde – le marquis de Saisseval ayant table de jeu ouverte dans tous les tripots du Palais-Royal, l’abbé de Cabre, conseiller au parlement de Paris, le comte d’Estain ou encore le receveur général d’Orcy.

Et le collier arrive .

 Son beau-père connaissait bien vos Boehmer et Bassenge, joaillier de la Couronne pour avoir aidé à quelques négociations délicates entre eux et le comte de Provence au sujet de l’écrin de la princesse, sa femme. Or il savait, pour en avoir souvent discuté avec les deux associés, qu’ils avaient en leur possession une parure de diamants unique au monde dont l’assemblage puis le précieux montage leur avait demandé plus de dix ans, mobilisant des capitaux immenses. D’abord destinée à la comtesse Du Barry, cette parure cherchait un acquéreur depuis la mort du feu roi, car Louis XVI avait bien pensé l’offrir à Marie-Antoinette à l’occasion de ses premières relevailles, mais elle l’avait repoussé par un caprice que personne ne parvenait encore à s’expliquer. À ce petit récit qui n’était pas uniquement de diversion après son faux pas de salon, l’avocat ajouta simplement :
 » Vous qui êtes en si grande faveur auprès de sa Majesté, peut-être pourriez-vous faciliter à ces pauvres bijoutiers la vente de leur collier avant qu’ils ne se le passent autour du cou pour se pendre avec. »

Une apparence de vérité dans cette scène .

 Si les conditions ainsi mises par écrit paraissaient plus favorables que celle évoquées par le cardinal quelques jours plus tôt, le contrat devait être impérativement signé par la reine en personne. On ne lâchait pas ainsi une pluie de diamants dans la nature sans une garantie solide. Rohan, qui ne s’attendait pas à une telle résistance en fut tout décontenancé. Il n’avait aucune habitude de la chicane, Dieu et sa naissance l’appelaient à diriger les âmes et à gouverner les hommes, pas à discutailler avec les marchands – il disposait pour cela d’intendants, de commis et d’un vicaire général. Pris au dépourvu car il n’avait pas prévu que la discussion irait plus loin, le cardinal cherchait des arguments et n’en trouvait aucun. Il offrait en garantie l’un des noms les plus illustres de France, une fortune certes ébranlée par les imprudences de son neveu Guémené mais immense et il couvrait leur accord de la pourpre cardinalice. Que voulait-on de plus ?

Style qui a fini par me lasser .

 Ce soudain tutoiement d’alcôve joint à la transparence d’un déshabillé et à ces regards mi-clos commença à faire vaciller le colosse de bordel au cœur d’argile. Jeanne, usant de séduction ne manqua pas d’ajouter l’intérêt à la concupiscence, en lui promettant de faire établir à son nom un contrat de six mille livres de rente viagère, puis après avoir déposé le petit encrier portatif posé sur la table à en-cas, elle intima :
« Prends cette plume et écrit au bas de ce marché le nom de la reine. »
Villette s’en empara sans discuter davantage et inscrivit la mention « Approuvée » là où le doigt de Jeanne le lui indiquait, puis avec toute l’application dont il était encore capable, il parapha l’ensemble d’un large « Marie-Antoinette de France … » Soulagé, le beau calligraphe se tourna vers Jeanne dans l’espoir d’obtenir sa récompense, car Priape palpitait à nouveau et réclamait maintenant son sacrifice. Cette fois-ci, le pont tomba, le verrou fut tiré et Jeanne renversée.

 


Édition Grasset, 492 pages, août 2015

Voilà donc mon deuxième essai avec cet auteur, ce sera le dernier ! Après « Perpective(s) » voici une autre déception plus forte encore. J’espère bientôt arrêter cette série négatives sur Luocine, la seule chose qui me fait du bien c’est de savoir que comme moi vous avez trop de sollicitations et que, comme moi vous n’avez pas le temps de tout lire. Je pensais vraiment adorer ce roman qui se passe dans le milieu universitaire -non pas celui qui m’a formée car je suis provinciale – mais de gens dont j’entendais tout le temps parler : Saussure le maître de tous les linguistes, Jakobson, Derrida, Foucault, Chomsky et puis le gotha parisien, Sollers, Kristeva, BHL, et par dessus tout ça l’élection de Mitterrand .

Ce roman se veut une farce, une parodie, un blague, enfin un OLNI : un objet littéraire non identifié, où chaque chapitre cache une référence à un moment culturel, ce qui m’a complètement lassée autant d’érudition pour un livre si peu intéressant ! (Évidemment, ce n’est que mon avis !) .
Tout commence par la mort de Roland Barthes, qui, heurté de plein fouet par une camionnette, meurt quelques jours plus tard, non sans avoir fait comprendre qu’on lui avait dérobé un document important. Commence alors pour le policier Bayard et son acolyte Simon professeur de Sémiologie une course sans fin pour récupérer ce fameux document. On ira donc dans tous les endroits branchés dans Paris, ceux où on peut avoir des relations sexuels entre hommes, entre femmes et parfois hétérosexuels, mais toujours sous alcool et drogue. On entend parler d’une maladie qui attaque les homosexuels, mais on y croit à peine . On ira aussi à New York pour un colloque sur la langue, toujours pour comprendre ce qu’est la septième fonction du langage. Nous irons aussi à Venise à la rencontre de Umberto Ecco, référence évidemment au « Nom de la Rose », (mais on est tellement loin de la réussite de ce roman !). Tout cela avec le débat politique entre Giscard qui parle en chuintant et Mitterrand dont il faut limer les canines !

J’ai lu sans plaisir mais avec attention plus de la moitié de ce roman, et puis je l’ai terminé en diagonale car vraiment rien ne m’intéressait, cette destruction du monde intellectuel parisien et des penseurs de cette époque était vraiment pénible. J’ai retrouvé ce qui m’avait déplu dans « Perpectives », un récit touffu qui passe d’un monde à l’autre, tout cela avec une intrigue qui visiblement est le cadet des soucis de l’auteur et donc du nôtre. Je pense que l’auteur s’est bien amusé à mettre tous ces personnages en scènes, BHL et sa chemise blanche ouverte, Sollers et ses propos tournant toujours autour de la sexualité, Althusser qui étrangle sa femme, Chomsky qui crache sa haine contre Derrida … Malheureusement, son amusement de l’entre-soi parisienne m’a vraiment ennuyée !

Extraits

Début.

 La vie n’est pas un roman. C’est du moins ce que vous voudriez croire. Roland Barthes remonte la rue de Bièvres. Le plus grand critique littéraire du XX° siècle à toutes les raisons d’être angoissé au dernier degré. Sa mère est morte avec qui il entretenait des rapports très proustien. Et sont cours au Collège de France intitulé « la préparation du roman » s’est soldé par un échec qu’il peut difficilement se dissimuler : toute l’année il aura parlé à ses étudiants de haikus japonais, de photographie, de signifiant et de signifié, de divertissement pascalien, de garçons de café, de robes de chambre ou de place dans l’amphi – de tout sauf du roman.

Les intellectuels à l’hôpital.

 Les trois anges de la vengeance reviennent déchaînés du royaume des morts : « c’est un mouroir ! C’est un scandale ! De qui se moque-t-on ? Pourquoi personne ne nous a prévenus ? Si nous avions été là ! » Dommage qu’il n’y ait pas eu de photographe dans la salle pour immortaliser ce grand moment de l’histoire des intellectuels français : Kristeva, Sollers, BHL. en train de houspiller le personnel hospitalier pour dénoncer les conditions indignes dans lesquelles on traite un patient aussi prestigieux que leur grand ami Roland Barthes.

Gentillesse entre intellectuels.

 Officiellement, les deux hommes sont ici parce que Deleuze a été mis en cause par BHL. L’interrogatoire commence donc pas A comme accusation.
 « Monsieur Deleuze, on nous a fait part d’un contentieux entre vous et Roland Barthes. Quelle en était la teneur ? » Deleuze porte à sa bouche une cigarette à demi consumée mais éteinte. Bayard remarque les ongles anormalement longs. « Ah bon ? ah non. J’ai aucun contentieux avec Roland, en dehors du fait qu’il a soutenu cette nullité, là, le grand con avec sa chemise blanche. »

Typologie des joueurs de billard.

 Simon entend le jeûne mieux habillé contester un point de règle.  » Non, les deux coups en cas de faute de l’adversaire ne sont pas cumulables si tu rentres une boule à toi sur ton premier coup. » Étudiant en droit deuxième année ( a probablement redoublé sa première année). Vu les fringues, veste, chemise, Simon dirait Assas. L’autre lui répond en insistant sur les mots :  » OK, pas de problème, cool, comme tu préfères. Moi je m’en fous. Ça m’est égal.  » Psycho, deuxième année (ou redouble sa première) . Censier ou Jussieu (il joue à domicile, ça se voit). La jeune fille émet un petit sourire faussement discret mais qui se veut entendu. Elle a des kickers bicolores aux pieds indignes a un revers bleu électrique, une queue de cheval attachée par un chouchou et elle fume des Dunhill Light : lettres modernes première année Sorbonne ou Sorbonne Nouvelle, probablement un an d’avance.

Genre de propos qui ne me font même pas sourire.

Sollers écarte les bras comme s’il battait des aile, et déclare avec enthousiasme :  » Ce pape est tout à fait à mon goût ! ( Il croque dans une asperge.) N’est-il pas sublime quand il descend de son avion pour baiser le sol qui l’accueille ?… Quel que soit le pays, le pape se met à genoux comme une prostituée magnifique qui s’apprête à vous prendre dans sa bouche et il baise le sol… ( Il brandit son asperge à demi croquée) Ce pape est un baiseur, que voulez-vous … Comment pourrais-je ne pas l’aimer ?.. »
 Le couple de New-Yorkais glousse de concert.
 Lacan aimait un petit cri d’oiseau en levant la main mais renonce à prendre la parole. Hélène, qui a de la suite dans les idées comme tout bon communiste demande :  » Et lui vous croyez qu’il aime les libertins ? Aux dernières nouvelles, il n’est pas très ouvert sur la sexualité. ( Jette un regard à Kristeve.) Politiquement, je veux dire »
 Sollers émet t un rire bruyant qui annonce une stratégie dont il est coutumier et qui consiste à embrayer, à partir du sujet de départ sur à peu près n’importe quoi sans transition : « C’est parce qu’il est mal conseillé … Du reste, je suis sûr qu’il est entouré d’homosexuels … Les homosexuels sont les nouveaux jésuites … mais sur ces choses-là ils ne sont pas forcément d’aussi bons conseils … Quoique … il paraît qu’il y a une nouvelle maladie qui les décime … Dieu a dit croissez et multiplier … La capote … Quelle abomination ! … Le sexe aseptisé …Les corps calleux qui ne se touche plus … Pouah … Je n’ai jamais utilisé une capote anglaise de ma vie … Pourtant, vous connaissez mon anglophilie … Envelopper ma bite comme un bifteck… Jamais ! …

 

 

Édition le livre du futur, 136 pages, octobre 2024

Je lis vraiment peu de BD, mais j’aime beaucoup cet auteur, et je sais que je lirai toute sa série sur ce frère que son père a enlevé à sa mère, et à toute sa famille maternelle, alors qu’il avait à peine 6 ans.

Tout est dit ! son père syrien que nous avons bien connu dans la série « L’arabe du futur » , ne supporte pas que sa femme ne revienne pas vivre avec lui dans son village en Syrie. (J’avais beaucoup aimé la première série et je croyais l’avoir mis sur Luocine, car j’ai tous les tomes dans ma bibliothèques. Et non ! ). Pour la contraindre à revenir, il enlève leur plus jeune fils Fadi, le petit dernier des trois frères, un enfant adoré par sa grand-mère bretonne et évidemment sa maman. La manœuvre ne marche pas : sa femme veut encore moins remettre un pied en Syrie , mais Fadi est bien obligé de s’adapter à sa vie sans sa maman dans un pays dont il adopte peu à peu la langue et les coutumes.

Ce que j’aime chez cet auteur, c’est qu’il garde une lucidité étonnante sur tous les personnages de son enfance . Son père est vraiment manipulateur et lui Riad, est trop grand pour se laisser avoir mais il comprend bien comment le petit Fadi a dû se faire berner par les belles paroles de son père. Sa famille bretonne est aimante mais impuissante face à cet enlèvement , et les autorités françaises complètement dépassées.
J’ai hâte de lire la suite