Édition Liana Levi traduit du russe par Nathalie Amargier

 

J’ai découvert ce roman chez Krol, son billet m’a donné envie de mieux connaître la vie de Victor Zolotarev et de son pingouin Micha. J’ai eu le tort de le lire pendant le confinement qui a été pour moi une période de fragilité et de moindre envie de me plonger dans des univers absurdes. Et pour être absurde ça l’est ! Victor a hérité de ce pingouin neurasthénique car le zoo de Kiev n’a plus les moyens de nourrir les animaux. Nous sommes en pleine crise sociale en Ukraine et en plus de la misère, il y règne de sordides histoires de corruption. On imagine les dégâts matériels pour la population mais en plus les acteurs de ce pays ont une forte tendance à disparaître violemment. Victor est embauché pour un travail qui semble assez facile : écrire des nécrologies de personnalités assez en vue. Cela permet au journal d’être prêt à publier les éloges des « futurs » disparus. Un travail de tout repos qui lui permet d’acheter le poisson nécessaire à la survie de Micha. Mais nous sommes en Ukraine, et évidemment écrire des nécrologies peut s’avérer dangereux. D’abord les personnalités se mettent à disparaître de mort brutale et peu à peu Victor se trouve lui-même en grand danger. L’auteur écrit avec cet humour russe si caractéristique et n’hésite pas à plonger son lecteur dans un monde absurde. Trop pour moi , et je dois avouer que petit à petit je lisais la vie de Victor et Micha sans m’impliquer totalement. Je comprends le succès de ce livre car même dans ses aspects excessifs et déjantés, il permet de se rendre compte de la réalité d’un pays en proie à la corruption et à la misère sociale mais il faut accepter les aspects déjantés qui ont fini par me lasser.

Citations

L’humour russe

Il regardait Sergueï et avait envie de sourire. L’amitié ? En fait, il ne l’avait jamais connue, pas plus que les costumes trois-pièces ni la passion véritable. Sa vie était terne et douloureuse, elle ne lui apportait pas de joie. Micha son pingouin, était triste, comme si lui aussi n’avait connu que la fadeur d’une existence dénuée de couleur et d’émotion, d’élan joyeux, d’enthousiasme.

Un pingouin malade

Ben voyons ! se moqua Pidpaly. Même les humains, on ne les soigne plus, maintenant, et vous voudriez qu’on soigne un manchot. Vous comprenez bien que pour un animal de l’Antarctique, notre climat est une catastrophe. Le mieux pour lui serait de retrouver sa banquise. Ne soyez pas vexé, j’ai l’air de délirer, mais si j’étais lui et que je me retrouve sous nos latitudes, je me prendrais ! Vous ne pouvez pas imaginer le martyre que ça représente d’avoir deux couches de graisse et des centaines de vaisseaux sanguins destinés à se protéger des températures les plus extrêmes, alors qu’on vit dans un pays où il fait parfois quarante l’été, et moins dix l’hiver, au mieux, et c’est rare ? Hein ? Vous comprenez ? Son organisme chauffe, il se consume de l’intérieur. La plupart des manchots en captivité sont dépressifs. On m’a toujours répété qu’il n’avait pas de psychisme, mais moi, j’ai démontré le contraire. Et à vous je vais le démontrer ! Et leur cœur ! Quel cœur serait capable, dans ces conditions de supporter une pareille surchauffe ?

Philosophie des buveurs phrase à la Audiard

Buvons pour que ça ne soit pas pire. Mieux, ça a déjà été.

L’horreur

J’ai discuté avec le professeur de cardiologie de l’hôpital des scientifiques… Nous en avons conclu qu’on pouvait lui greffer le cœur d’un enfant de trois ou quatre ans…
 Victor s’étrangla avec son café et reposa la tasse sur la table. Il en avait renversé.
En tout cas, si l’opération réussi, cela pourra lui permettre de vivre encore plusieurs années. Sinon. Le vétérinaire fit un geste d’impuissance.
 Oui, aussi, pour répondre tout de suite à vos interrogations éventuelles, l’intervention elle-même ne ne vous reviendra qu’à quinze mille dollars. En fait c’est assez peu. Quant au nouveau cœur. Vous pouvez chercher un donneur par vos propres réseau, mais si vous nous faites confiance, nous pouvons nous en charger. Pour l’instant j’aurai du mal à vous dire un prix. Il arrive que nous recevions des organes sans même avoir à les payer.
Que je cherche par mes réseaux reprit Victor, ahuti qu’est-ce que vous entendez par là ? J’entends que Kiev compte plusieurs hôpitaux pour enfants, et que chacun a son service de réanimation. Expliqua-t-il calmement. Vous pouvez vous présenter au médecin, mais ne leur parler pas du pingouin. Dites simplement que vous avez besoin du cœur d’un enfant de trois ou quatre ans pour une transplantation. Promettez- leur une bonne récompense. Ils vous tiendront au courant.

Édition Acte Sud, Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni

Merci, merci à Patrice et au mois de livres de langue allemande en novembre 2019. C’est un vrai cadeau ce livre et je vous le conseille à toutes et tous. Mais vous l’avez peut-être déjà lu, puisque Maxim Leo a reçu le prix du livre Européen en décembre 2011 pour cet essai. Prix tellement mérité, car rien ne peut plus contribuer à la construction européenne que ce genre d’essai qui décrit si minutieusement les malheurs d’une Europe en guerre puis divisée par un mur infranchissable pour les habitants de la RDA. Maxim va nous faire comprendre tous ces aspects de l’Europe grâce à sa famille qui est à la fois originale et tellement ordinaire. En tout cas pour sa famille paternelle, si son père n’est jamais totalement entré dans les cases des critères de la RDA, son grand-père a été un nazi ordinaire puis un habitant de la RDA tout aussi ordinaire. Mais cette phrase traduit trop pauvrement la compréhension que nous aurons de Werner ce grand père qui s’est si peu intéressé à son fils. En revanche, la famille de sa mère est beaucoup plus originale . Son grand père Gerhard Leo a été obligé de fuir avec son propre père l’Allemagne nazi parce qu’il était d’origine juive. En France, Gerhard rentrera dans la résistance et devient un véritable héros, il a raconté ses exploits dans un livre que je lirai peut-être. S’il est resté en RDA , c’est parce qu’il a trop vu en RFA d’anciens nazis ne pas être du tout inquiétés et même devenir des cadres de la nation. Ensuite, nous voyons la vie des parents de Maxim qui essaient de tout faire pour se plaire en RDA, sans pour autant adhérer complètement au système. Et enfin avec lui, Maxim ce petit garçon qui ne croit pas du tout aux valeurs communistes et qui ressemble tellement à tous les enfants du monde. Son parcours permet de toucher du doigt la vie de l’Allemagne de l’Est. C’est à la fois tragique et ridicule. Tragique, car il a failli ne pas pouvoir poursuivre ses études et qu’il craint toujours d’être repéré par la Stasi. Ridicule, quand on voit les efforts de la directrice pour convaincre les enfants qu’ils ont de la chance d’être des enfants choyés de la RDA alors qu’ils n’ont presque rien pour jouer ou pour se distraire. Et lorsque le dernier chapitre arrive avec les manifestations de Leipzig qui annonceront la fin de ce régime absurde on sent que cela s’est joué à très peu de choses. Mais les Allemands sont maintenant réunis dans un même pays, on se demande alors si Maxim Leo écrira la suite pour nous expliquer pourquoi le parti néo-Nazi se réclamant ouvertement des théories d’Hitler fait un si bon score dans son ancien pays. À ce propos vous pouvez écouter sur le podcast du Nouvel Esprit Public une émission qui compléterait bien cette lecture.

 

 

Citations

Le travail de journaliste en 1966 en RDA

On énumère aussi les mots devenus indésirables parce que l’ennemi s’en est emparés, le nom des produits que l’on n’a plus le droit de mentionner parce qu’ils sont en pénurie. Il y a des mois où personne ne peut écrire « machine à laver » ou « Pneu de voiture ». La »Social-démocratie » est proscrite pendant deux ans, le « Parlement » et le. »Front populaire angolais » pendant six semaines seulement.

Le journalisme en RDA

Anne note que la plupart des chefs de service ne sont pas de vrais journalistes, mais des soldats du parti en service commandé. Les bon journaliste n’en sont pas membres, ce qu’elle trouve étrange, puisque le parti est tout de même censé être l’élite. Comme il n’y a guère de place pour leur texte à eux, la plupart sont presque totalement désœuvrés. À midi, on commence à boire dans les bureaux. Ce sont les chefs de service qui boivent le plus. Les collègues tentent de se mettre mutuellement des bâtons dans les roues. Il y a des intrigues, des dénonciations, des campagnes. Accessoirement, on fait un journal.

Jeux des enfants dans le Berlin d’après guerre

Parfois ils sortent de la ville et se rendent à Marzahn, où l’on déverse dans une fosse des munitions trouvées. Ils font du feu, ils jettent des cartouchière de fusils-mitrailleurs et se mettent à couvert. Le bruit des balles qui partent en sifflant dans tous les sens est si épouvantable que certains en font dans leur pantalon. Les grands cassent les détonateurs des obus de DCA et versent la poudre noire dans des sacs. Ils entrent dans des ruines dont les cheminées tiennent encore debout. Ils placent l’explosif en bas, dans le bac du poêle ; des lacets plongés dans du désherbant leur servent de mèches. Et lorsque, derrière, la charge éclate , lorsque l’immense cheminée s’effondre comme un géant touché à mort, ils crient et dansent de joie. Les adultes ne demandent jamais où ils étaient passés. Ils mènent leur propre vie.

Fait peu connu, pourtant cela se passe en France

Werner, sous-officier de la Wehrmacht, a échappé à la mort sur le front et a été enfermé dans un camp où il a vu ses camarades mourir par centaines.

Un nazi ordinaire

 Il semble que, comme beaucoup d’autres, Werner, à l’époque, était persuadé qu’une vie meilleure se préparait. Il voyait que les choses avançaient, que sa vie devenait plus belle, que tout d’un coup même les enfants d’ouvriers avait une chance. Dans sa famille, personne avant lui n’était jamais allé au sport d’hiver. Il était aussi le premier à avoir vu la mer. Même s’ils avaient eu l’argent pour le faire, ses parents n’auraient jamais eu l’idée de louer un fauteuil cabine au bord du Wannsee ou d’acheter une bouteille de vin au thé dansant. Werner se sent l’âme d’un gagnant, d’un homme qui a tiré le gros lot. « Tout d’un coup tout semble possible. » Écrit-il, et c’était sans doute très précisément le sentiment qu’avaient beaucoup de personnes à cette époque. Hitler a relevé les petits, rapetissé les grands.

Portrait d’un homme qui sait s’adapter à tous les systèmes

Werner était peut-être l’un de ces hommes qui fonctionnent correctement dans pratiquement tous les systèmes et pratiquement tous les rôles. Il aurait tiré le meilleur de n’importe quelle situation. Son bonheur de vivre n’aurait pas été menacé si Hitler avait gagné la guerre ou si lui-même s’était par hasard finalement retrouvé à l’Ouest il aurait certainement été un bon peintre de décor s’il n’était pas devenu un bon directeur d’établissement scolaire. Tout comme, auparavant, il avait été un bon mouleur, un bon soldat, un bon prisonnier. Et désormais un bon citoyen de la RDA.

Pourquoi son grand père résistant à préféré la RDA

Dans cette interview, pour la première fois, Gerhard parle de la culpabilité, il explique pourquoi des gens comme lui était à ce point enchaînés à ce pays. Il évoque l’espoir qui était le sien après la guerre : celui de construire une nouvelle société dans laquelle les nazis n’auraient plus jamais la moindre chance. Il a vu, explique-t-il, des criminels de guerre siéger au gouvernement et des génocidaire percevoir des pensions considérables, tout cela à l’Ouest. Ce genre de chose, affirme-t-il, n’existait pas en RDA. Et cela comptait plus que tout le reste.

Une anecdote amusante, Maxim a 11 ou 12 ans en RDA

Un jour du mois de novembre 1982, la directrice de notre école, Mme Reichenbach, arriva en trombe dans le vestiaire. Nous sortions tout juste du cours d’éducation physique. Madame Reichenbach nous annonça, les larmes aux yeux  » « Il s’est passé quelque chose de très grave. Leonid Brejnev, le secrétaire général soviétique, est mort ». Le silence régna un moment, ensuite, nous ne pûmes nous empêcher de rire, parce que Kai Petzold, tout nu derrière madame Reichenbach , cherchait désespérément son slip. Madame Reichenbach ne comprenait pas ce qui se passait, elle n’entendit que nos rires étouffés et quitta la salle furieuse. Nous avions en principe, l’heure suivante, un cours de mathématiques, mais la directrice entra dans notre classe et nous annonça qu’après cet incident, chacun d’entre nous devait écrire une rédaction sur Leonid Brejnev. Il s’avéra que certains d’entre nous ignorait totalement de qui il s’agissait. Madame Reichenbach se remit à pleurer et annonça en criant que cette histoire aurait des conséquences. Mais il ne se passera rien du tout, si ce n’est que quelques mois plus tard un nouveau secrétaire général du PCUS (Iouri Vladimirovitc Andropov) mourut et que personne ne nous en parla à l’école.

Comment une bonne idée peut ne servir à rien.

À partir de la sixième, nous avions une fois par semaine un cours de travail productif. Nous nous rendions dans une usine de métallurgie qui produisait des pièces pour les chauffages au gaz. Ils ne savaient vraisemblablement pas quoi faire de nous, raison pour laquelle nous passions des heures à trier des vis que l’on remettait en vrac après notre départ pour occuper la classe suivante.

Régis Debray et Gilles,Perrault et François Mitterand en 1987

Régis Debray nous parle aussi de Tamara Bunke, une femme originaire de la RDA qui se trouvait à l’époque à côté du Che. « Une femme hors du commun, une combattante », dit-il. mon français assez médiocre ne me permet pas de tout comprendre ; mais ce que je saisis, c’est que tout le monde, dans cette maison, trouve que la RDA est fantastique. Gilles Perrault dit que je devrais être fier de vivre dans un pays révolutionnaire comme celui-là, parce que seule la révolution libère vraiment les gens. Je n’ose pas le contredire, entre autres parce que je vois à quel point ces phrases rendent Gerhard heureux.
 Mais je ne discerne pas la logique de tout cela. Comment peut-on loger dans une villa pareille et chanter les louanges de la RDA ? Ou bien faut-il justement habiter dans ce type de demeure pour pouvoir le faire ? J’ignore quelle image ces gens ont de la RDA, et même s’il y ont déjà été. Régis Debray nous confie un secret. Il exerce des fonctions de conseiller politique auprès du président de la République française, François Mitterrand, et dit que celui-ci a lui aussi beaucoup d’estime pour la RDA.