Édition Le Serpent à Plumes

Merci Lyvres sans toi je n’aurais pas repéré ce roman qui est pour moi un vrai coup de cœur. J’espère à mon tour entraîner quelqu’un à lire ce livre triste et merveilleux à la fois. Cet auteur Kurdo-Syrien sait de façon unique – à mon avis- nous faire toucher du doigt ce que représente l’exil quand le pays d’origine est saccagé par la folie des hommes. Même la façon dont le roman est construit rend bien compte de ce que vit Fawas Hussain, il mêle la vie de tous les jours, donc les habitants de son HLM dans le 20° arrondissement de Paris, aux actualités télévisées qui racontent en détail l’effondrement et toutes les horreurs qui ont ravagé son pays . Avec, parfois, des souvenirs heureux du temps de son enfance. Deux rencontres avec des Kurdes, comme lui feront le lien avec ce qu’il vit aujourd’hui et son pays. J’ai souri, car c’est aussi un roman plein d’humour à la façon dont les Kurdes se saluent quand ils ne se sont pas vus depuis longtemps :

« Alors, kurde syrien, tu arrives encore à bander ou tu t’en sers uniquement pour pisser ? »

 Fawas Hussain, présente tous ses personnages par leur origine ethnique, la femme qu’il a aimé est toujours nommée comme Japonaise ou Nippone et elle est partie avec « son » Breton. Il faut dire que ces appartenances ont eu tellement d’importance dans les haines réciproques entre les Chiites et les Sunnites qui détestent les Kurdes et tous veulent chasser les Chrétiens… Pour ne pas parler des Yazidis ! Dans son HLM, on sent que les difficultés de la vie, l’argent, l’alcool les infidélités prennent le pas sur ces différences d’origines. Mais il y a une entité qui rassemble tout le monde : « la Société des HLM parisiens ». Les travaux dans sa tour HLM sont des hauts moment d’humour et d’absurdité. 

Sur le sol français et dans ce HLM les différents communautés arrivent à cohabiter et parfois à s’entre-aider. Je lisais dans un des commentaires laissé chez Lyvres que c’était peut-être une vision trop idyllique. Je ne le crois pas, car ces HLM sont dans Paris et ne constituent pas des zones de non-droit. C’est parfois violent mais rien à voir avec les phénomènes des quartiers de banlieues péri-urbaines.

Ce roman permet de se plonger dans la réalité des quartiers populaires de Paris et les souffrances crées par la destruction du Moyen-Orient. Et tout cela avec une belle dose d’humour !

 

 

 

Citations

La voisine désespérée 

Le sourire de connivence de la mère cède la place à une tristesse dévastatrice et l’inquiétude déforme ses traits. Elle m’avoue hésiter avant de monter car elle ne sait pas si on lui ouvrira la porte. Elle se débat comme une mouche prise dans la toile de quelques grosses araignées nommé Angoisse.

J’aime le style de cet écrivain 

Malgré un ciel Parisien constamment squatté par des nuages ténébreux et menaçants, je décide de quitter l’écran de la télévision pour prendre quelques vacances. Depuis le début des catastrophes à répétition en Syrie, je vis la violence qui s’exerce sur mon pays à distance, ce qui la rend encore plus cruelle que si j’y étais en chair et en os.
 

Une si grande tragédie !

L‘autocar climatisé faisait un premier arrêt dans l’oasis de Palmyre. Les passagers pouvaient acheter de quoi se restaurer tandis que le chauffeur et son aide mangeaient à l’œil en tant qu’ apporteurs de clients. Moi, par peur de tomber malade, je n’avalais rien et je me dirigeais chaque fois vers la grande colonnade, principale voie de circulation de la ville antique qui s’étire sur plus d’un kilomètre. Je passais sous l’arc monumentale où des gamins Bédoins proposaient aux touristes des promenades sur la bosse unique de leurs dromadaires. Je me pressais vers le temple de Bêl, le dieu du soleil, et me recueillais devant le sanctuaire de Baalshamin, le dieu du ciel, sans imaginer alors qu’ils seraient bientôt plastiqués par le groupe État islamique et complètement rayé du patrimoine archéologique de l’humanité.

Des destins tragiques 

Mon compatriote me ramène à notre première rencontre devant le restaurant universitaire Albert Châtelet. C’était dans les années 80, et il avait fui Saddam Hussein comme moi Assad, le père, son homologue et ennemi juré. …. Mais avec Saddam Hussein au pouvoir, il n’osait pas, à la fois comme kurde n’ayant pas fait son service militaire, et comme ressortissant d’une petite communauté comme les yézidis qu’on appelait les fayliz.. Musulmans chiites, ils avaient été déportés par le parti Baas est condamné à vivre aux alentours de Bassora. 
 

Faire venir sa mère discussion avec son ami Kurde titulaire d’une thèse sur la place de l’adjectif épithète. 

 
Si les jeunes peuvent s’adapter à leur nouvel environnement et apprendre plusieurs langues étrangères, ma mère ne supportera pas la vie en Europe. Elle vit en Syrie depuis quatre-vingts ans et elle n’a toujours pas appris l’arabe, pourtant la langue de la nation. Alors comment se mettra-t-elle au français et pourra-t-elle maîtriser le comportement de l’épithète ? Elle mourra d’ennui loin de ses filles puisqu’elle continue de les diriger d’une main de fer. Elle impose sa volonté à tout le monde autour d’elle car elle a toujours vécu comme ça et ce n’est pas Daech et un quart de million de morts en Syrie qui lui feront changer de caractère. 
Mon ami constate que je n’ai pas oublié le sujet de sa thèse et en sourit. Il passe sa main devant son visage comme pour effacer un souvenir écrit sur un tableau invisible :
« Nos deux pays sont devenus ce qu’on appelle des zones de guerre dans le jargon militaire. Comment laisser la famille à quelques kilomètres des fous d’Allah qui ne pensent qu’à une chose, égorger ? Ces hystériques s’entraînent sur des moutons et des chèvres pour mieux décapiter les hommes, tu te rends compte ?
 
 

Les passages qui m’enchantent 

Ce soir, je ne vais pas me mettre devant le vieux poste de télévision, non, je ne têterai pas le lait noir des deux mamelles déversant le malheur que sont France 24 et Al Jazeera. Oui, dimanche prochain, j’irai faire le marché, non pas pour les deux Suédoises, mais pour voir le vendeur des quatre saisons et le couvrir d’éloges à propos de la qualité de ses clémentines. Je lui demanderai comment il s’appelle pour de vrai et me présenterai à mon tour, le Syrien du 7e étage. J’espère de tout cœur que d’ici-là l’ascenseur sera réparé, non pas pour moi, mais pour tous les gens de l’immeuble. Je pense en particulier à la Kabyle nourri au miel et au couscous, avec ses pleurs de tragédie grecque et au français du quatrième, celui qui doit vérifier toutes les deux heures s’il a du courrier.

Traduit du Roumain par Philippe Loubière . Édition des Syrtes C’est Inngamic qui m’a donné envie de lire ce roman, mais je crains que le but de Goran, Eva , Patrice pour le mois Europe de l’Est soit un peu raté, car je ne vais pas vous faire découvrir un nouvel auteur, mais simplement confirmer les avis très positifs de l’an dernier, peut-être que, malgré cela, vous ne l’aviez pas encore découvert ? Si vous le lisez je parie que l’an prochain, il sera de nouveau dans le mois de l’Europe de l’Est ! Ce roman est tout à fait à part, tout est dans le style de cette auteure. Chaque phrase est percutante et permet, peu à peu, de reconstruire la vie tragique d’Alesky et de sa mère. L’auteure manie avec une telle dextérité, l’ellipse, que je ne veux pas vous redonner le fil du récit car vous perdriez un des charmes du roman. Comme de petits éclairs dans une vie si sombre, les clé de compréhension viennent éclairer ce récit. On peut, sans rien déflorer, dire que Tatiana Tibuléac, nous met dans la tête d’un adolescent qui a le cerveau dérangé et qui hait sa mère. C’est peu de le dire, il rêve de la tuer dès qu’il pense à elle, il faut dire qu’il n’a reçu que des rejets de sa part depuis la mort de sa petite sœur. Mais ensemble, à la demande express de sa mère, , ils partent en vacances, en France. C’est là le coeur du roman, non seulement cet été là , il découvrira les yeux verts de sa mère, mais, plus encore, il va essayer de la comprendre. Le sujet du roman, c’est donc la progression vers un amour bancal car ni l’un ni l’autre ne vont bien, lui a le cerceau un peu dérangé et sa mère est atteinte d’un cancer « enragé ». Tout est dans la façon de raconter cette énorme souffrance d’un enfant fragile qui non seulement doit se remettre de la mort de sa petite sœur adorée mais qui est ignoré par son père alcoolique et rejeté par sa mère murée dans sa propre souffrance. Il devient violent et s’enferme derrière un mur de haine qu’il croit indestructible. Les phrases sont percutantes et font mal, à l’image du début que l’on ne peut pas oublier :

Ce matin-là, alors que je la haïssais plus que jamais maman venait d’avoir trente neuf ans. Elle était petite et grosse, bête et laide. C’était la maman la plus inutile de toutes celles qui ont jamais existé.
J’ai souvent eu envie de recopier des phrases de ce roman (il y a donc beaucoup d’extraits) , j’espère que vous les lirez car mieux que ce que je peux en dire, il vous expliqueront pourquoi j’ai aimé ce petit livre malgré la dureté du propos.

 

Citations

L’arrivée dans le village

Il y avait trois jours que je me trouvais dans ce village, sans avoir encore vu personne. Je dormais toute la journée, ou bien je fumais, ou bien je mangeais du pop-corn, ou bien je haïssais maman. Entre-temps, Jim et Kalo étaient partis pour Amsterdam, passer ces fameuses vacances que j’attendais depuis trois ans et pour lesquels j’avais mis de côté les sous que je recevais à l’occasion de chaque fête, plus ceux que j’avais piqués à Grand-Mère.

Sa petite sœur

Il aurait mieux valu que ce fût papa qui mourût, plutôt que Mika. Si la mort tenait compte de notre avis, il mourrait beaucoup de gens bien choisis.
 Notre psychiatre disait que, jusqu’à cinq ans, les enfants ne se souvenaient de rien. Moi, je crois qu’elle déconne et que Mika est morte avec beaucoup de souvenirs, les souvenirs les plus beaux et les plus vrais qui aient jamais existé dans notre maudite famille.
 Je suis sûr que si Dieu avait eu une fille, elle se serait appelée Mika. J’ai tellement le mal d’elle que je m’en arracherais les yeux.

Le monde de l’art

Du monde bigarré et avide qui m’entoure -intermédiaires qui gagnent plus que les artistes, directeurs de galeries prestigieuses ou douteuses, critiques d’art plus fous que moi, oligarques russes et mécènes japonais, milliardaires juifs qui ne reconnaîtraient pour rien au monde qui ne sont ni l’un ni l’autre -, il n’y a que Sacha qui est intérêt à me voir en vie. Si je n’avais pas été là, il aurait continué à travailler comme assistant d’un médecin, avec un salaire d’étudiant. Pour le reste, tout ce ramassis de hyènes serait bien content si je mourais – d’un cancer, de préférence, comme maman, ou de démence-, pour doubler ainsi tant la cote de mes œuvre que leurs profits, déjà gras et immérités.

La transformation de sa mère

Bien qu’elle soit devenue plus belle et plus intelligente, maman s’évanouissait de plus en plus souvent et devenait de plus en plus maigre. Quand elle marchait, ses mains se balançait le long du corps comme celle d’une poupée de chiffon et les commissures de ses lèvres tombaient, la faisant ressembler à un enfant boudeur.
Mais c’était la meilleure maman que j’avais eu jusqu’à présent. Même si je connaissais l’effet de cette maladie sur un humain, j’allais demander pour Noël un cancer pour maman, et non de faire l’amour avec Jude. Quant à papa, je crois qu’aucune maladie ne l’aurait fait changer.

La psychiatrie

Je me suis posé ces questions, dans ma solitude et ma folie, en ramassant mes os éparpillés dans tous les recoins de la chambre avec des mots flottants, allongé sur le divan des dizaines de psychiatres qui ont défilé dans mon cerveau comme dans le couloir d’un hôtel de passe, au cours de dizaines d’interviews et d’émissions sur moi et ma vision si original de la vie.

Les villages français

Aujourd’hui, que j’en suis à aimer les villages français plus que tout autre endroit au monde, tous ces festivals et toutes ces foires sont une partie de moi-même. Je n’en manque aucun, que je rentre à la maison avec une poignée de tomates ou avec un sac plein de laine de mouton. Mais je comprenais mal alors comment des gens sains d’esprit pouvaient avec pouvaient avec tout leur sérieux, organiser « la fête du panais », « la folie des produits à base de pois cassés » ou « le concours régional du meilleur poivron ».

Le voyage de noce de sa mère

Une longue histoire, partiellement inventée, je suppose, sur sa lune de miel avec papa a suivi. Bref, maman voulait voir Venise et papa l’a emmenée à Klaïpeda, un port de Lituanie, où il avait un cousin docker, et pendant quatre semaines ils ont déchargé les sacs d’un bateau.

 

Édition Liana Levi traduit du russe par Nathalie Amargier   J’ai découvert ce roman chez Krol, son billet m’a donné envie de mieux connaître la vie de Victor Zolotarev et de son pingouin Micha. J’ai eu le tort de le lire pendant le confinement qui a été pour moi une période de fragilité et de moindre envie de me plonger dans des univers absurdes. Et pour être absurde ça l’est ! Victor a hérité de ce pingouin neurasthénique car le zoo de Kiev n’a plus les moyens de nourrir les animaux. Nous sommes en pleine crise sociale en Ukraine et en plus de la misère, il y règne de sordides histoires de corruption. On imagine les dégâts matériels pour la population mais en plus les acteurs de ce pays ont une forte tendance à disparaître violemment. Victor est embauché pour un travail qui semble assez facile : écrire des nécrologies de personnalités assez en vue. Cela permet au journal d’être prêt à publier les éloges des « futurs » disparus. Un travail de tout repos qui lui permet d’acheter le poisson nécessaire à la survie de Micha. Mais nous sommes en Ukraine, et évidemment écrire des nécrologies peut s’avérer dangereux. D’abord les personnalités se mettent à disparaître de mort brutale et peu à peu Victor se trouve lui-même en grand danger. L’auteur écrit avec cet humour russe si caractéristique et n’hésite pas à plonger son lecteur dans un monde absurde. Trop pour moi , et je dois avouer que petit à petit je lisais la vie de Victor et Micha sans m’impliquer totalement. Je comprends le succès de ce livre car même dans ses aspects excessifs et déjantés, il permet de se rendre compte de la réalité d’un pays en proie à la corruption et à la misère sociale mais il faut accepter les aspects déjantés qui ont fini par me lasser.

Citations

L’humour russe

Il regardait Sergueï et avait envie de sourire. L’amitié ? En fait, il ne l’avait jamais connue, pas plus que les costumes trois-pièces ni la passion véritable. Sa vie était terne et douloureuse, elle ne lui apportait pas de joie. Micha son pingouin, était triste, comme si lui aussi n’avait connu que la fadeur d’une existence dénuée de couleur et d’émotion, d’élan joyeux, d’enthousiasme.

Un pingouin malade

Ben voyons ! se moqua Pidpaly. Même les humains, on ne les soigne plus, maintenant, et vous voudriez qu’on soigne un manchot. Vous comprenez bien que pour un animal de l’Antarctique, notre climat est une catastrophe. Le mieux pour lui serait de retrouver sa banquise. Ne soyez pas vexé, j’ai l’air de délirer, mais si j’étais lui et que je me retrouve sous nos latitudes, je me prendrais ! Vous ne pouvez pas imaginer le martyre que ça représente d’avoir deux couches de graisse et des centaines de vaisseaux sanguins destinés à se protéger des températures les plus extrêmes, alors qu’on vit dans un pays où il fait parfois quarante l’été, et moins dix l’hiver, au mieux, et c’est rare ? Hein ? Vous comprenez ? Son organisme chauffe, il se consume de l’intérieur. La plupart des manchots en captivité sont dépressifs. On m’a toujours répété qu’il n’avait pas de psychisme, mais moi, j’ai démontré le contraire. Et à vous je vais le démontrer ! Et leur cœur ! Quel cœur serait capable, dans ces conditions de supporter une pareille surchauffe ?

Philosophie des buveurs phrase à la Audiard

Buvons pour que ça ne soit pas pire. Mieux, ça a déjà été.

L’horreur

J’ai discuté avec le professeur de cardiologie de l’hôpital des scientifiques… Nous en avons conclu qu’on pouvait lui greffer le cœur d’un enfant de trois ou quatre ans…
 Victor s’étrangla avec son café et reposa la tasse sur la table. Il en avait renversé.
En tout cas, si l’opération réussi, cela pourra lui permettre de vivre encore plusieurs années. Sinon. Le vétérinaire fit un geste d’impuissance.
 Oui, aussi, pour répondre tout de suite à vos interrogations éventuelles, l’intervention elle-même ne ne vous reviendra qu’à quinze mille dollars. En fait c’est assez peu. Quant au nouveau cœur. Vous pouvez chercher un donneur par vos propres réseau, mais si vous nous faites confiance, nous pouvons nous en charger. Pour l’instant j’aurai du mal à vous dire un prix. Il arrive que nous recevions des organes sans même avoir à les payer.
Que je cherche par mes réseaux reprit Victor, ahuti qu’est-ce que vous entendez par là ? J’entends que Kiev compte plusieurs hôpitaux pour enfants, et que chacun a son service de réanimation. Expliqua-t-il calmement. Vous pouvez vous présenter au médecin, mais ne leur parler pas du pingouin. Dites simplement que vous avez besoin du cœur d’un enfant de trois ou quatre ans pour une transplantation. Promettez- leur une bonne récompense. Ils vous tiendront au courant.

Édition Actes Sud . Traduit du Japonais par Jean-Louis de La Couronne   Merci Keisha pour ce doux moments et je partage ton avis : ce livre est beaucoup plus profond qu’il n’y parait de prime abord. Evidement la grande spécialiste des chats Géraldine avait déjà lu ce roman . Et comme dans tout bon roman, chacun peut y lire ce qui l’intéresse le plus , vous devinez que pour Géraldine ce roman est :

« Avant tout, « Les mémoires d’un chat » est un formidable étendard contre l’abandon des animaux de compagnie, pour le respect de l’engagement autant quotidien que temporel que nous prenons lorsque nous adoptons une petite boule de poils quelle que soit sa taille à l’âge adulte. »

Et pour Kesiha :

C’est l’occasion pour lui de renouer avec des amis d’enfance puis d’adolescence, mais -on le comprend vite- aucun de ses trois amis ne pourra garder Nana, avec à chaque fois une belle histoire du passé et du présent, délicate et fine. 

Et pour moi ? Je suis avec d’accord aves ces deux blogueuses mais j’ai été beaucoup plus sensible à la description de l’enfance et de l’adolescence au Japon aujourd’hui. Je rappelle le sujet, Satoru a adopté un chat errant, il le nomme « Nana » qui rappelle le chiffre 7 en japonais comme le dessin des tâches sur son corps. Mais il doit pour des raisons qui ne seront expliquées que dans le dernier chapitre le confier à un ami . Il part donc à la recherche des personnes qui ont enrichi son enfance pour confier son chat. Se déroulent ainsi dans ce roman une enfance et une adolescence japonaise. On rit beaucoup avec son ami Kosuké avec qui il a adopté le premier chat, on sent l’adolescence se compliquer avec Yoshiminé qui est resté vivre à la ferme, cela devient encore plus tendu avec Sugi et Chikaro car les premiers émois amoureux ont fait apparaître la jalousie de son ami. Et puis vient cette tante Nakiro qui l’a recueilli lors du décès de ses parents. J’ai beaucoup aimé les destinées de ces jeunes, on devine que l’auteur a puisé ces récits parmi des exemples vécus . La tristesse de Yoshiminé qui comprend, lors du divorce de ses parents, que si ceux-ci se disputent tant, c’est pour NE PAS avoir la garde de leur unique enfant m’a serré le coeur. Les tourments de la jalousie sont aussi très bien décrits. Mais ma préférée sans doute, c’est la tante Noriko qui ne sait pas dire les choses avec tact. Elle se rend compte immédiatement qu’elle n’aurait pas dû prononcer les phrases qui sont sorties de sa bouche malgré elle, mais c’est toujours après qu’elle s’en rend compte. Mon seul bémol, c’est le truchement par lequel passe l’auteur qui fait aussi le charme du roman , la narration par le chat . J’y suis beaucoup moins sensible que Géraldine évidemment, je pense que cela permet de mettre ce roman à la portée des adolescents, mais cela ne m’a pas empêchée de beaucoup aimé cette lecture « beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît » (comme je le disais au début) , souvent très drôle et toujours très émouvante.  

Citations

La fugue des petits garçons

Pendant qu’il était en train de jouer avec le chat, histoire de tuer le temps, plusieurs dames du quartier qui sortaient leur chien ou chiens ou faisaient leur marche quotidienne leur avaient demandé ce qu’il fabriquait là.
– Il est tard. Vos parents doivent s’inquiéter. Tout le monde se connaissait dans le quartier, Kôsuké se doutait bien que l’endroit était mal choisi. Mais Satoru, lui, n’avait pas l’air d’y voir de problème. 
– Ne vous inquiétez pas, on est juste en train de faire une fugue.
– Ah bon ? Mais ne rentrez pas trop tard quand même. 
Kôsuké n’avait pas l’impression que c’était comme ça qu’on faisait une pub. Non pas qu’il eût la moindre idée de comment on faisait, d’ailleurs…

La solitude d un enfant

« Daigo est sage et pas compliqué, ça m’aide beaucoup. » Il aurait dû être idiot et pénible, c’est ça ?
Depuis qu’il était tout petit, il savait que ses parents aimaient trop leur métier. Tout comme il savait qu’ils ne s’intéressaient pas beaucoup à lui. C’est pour ça qu’il s’était toujours efforcé de leur compliquer la vie le moins possible. D’abord, il n’était pas assez immature pour croire qu’en piquant sa crise : « Bou hou…Mes parents ne m’aiment pas ». Il allait les obliger à s’intéresser à lui. Et puis surtout, ça ne lui disait absolument rien de jouer à ce jeu. Parce que s’il avait rendu l’air de la maison irrespirable, qui en aurait le plus souffert ? Qui passait le plus de temps à la maison déjà ? Au moins en restant un enfant sage, ses parents ne lui faisaient pas la gueule et l’atmosphère de la maison restait supportable. Il n’étouffait pas tout le temps qu’il passait à attendre à la maison, et les rares moments où il se trouvait ensemble se déroulait sans que personne soit de mauvaise humeur(…..) Il y avait des gens plus à plaindre que lui dans le monde, c’est sûr. Mais avec ses parents qui n’attendaient qu’une chose de lui : qu’il ne les choisisse surtout pas dans le genre à plaindre, c’était déjà pas mal.

  Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition Grasset Je sais que cette écrivaine ravit Dominique et qu’elle a bien aimé ce roman ; pour ma part, j’ai beaucoup de réserves. Je le dis en avant propos, j’ai du mal avec les romans ayant pour objet le retour à la nature sauvage et sans doute encore plus aujourd’hui où il est de bon ton de ne parler que de ça. Je suis gênée, aussi, par le style et le propos du livre. Claudie Hunziger aime l’accumulation des phrases courtes, sans verbe, parfois réduite à un seul mot. Moi, moins. J’aime bien les phrases où je sens la pensée se construire avec des hésitations et des retours sur soi. Pour cela il faut douter, et l’auteure ne doute pas, elle sait qu’elle est du bon côté celui des animaux et tous les autres sont des assassins de la pire espèce. (On est bien loin du roman, d’Olag Tokarczuk qui pourtant défend la même cause). Elle construit son roman comme une œuvre de la nature, il faut du temps pour construire une harde de Cerfs il en faut aussi pour écrire son roman. La narratrice se fond dans sa forêt au service d’une cause. Celle de défendre ces superbes animaux :   Dans les Vosges, le cerf n’a plus de prédateur naturel, les forestiers estiment qu’ils sont en surnombre et abîment les arbres. L’ONF prend donc la décision d’en appeler aux chasseurs pour diviser par quatre la population de cervidés. C’est là que se situe ce roman : est-ce que cette décision ne fait pas trop la part belle aux seuls exploitants forestiers ? Est-ce que l’on tient compte du bien être animal et de la beauté de la nature ? Vous devinez les réponses de l’auteure qui voit même une collusion de l’ONF avec la boucherie qui vend la viande de cerf. Il y a de très beaux passages dans ce roman auxquels, j’en suis certaine, toutes celles et tous ceux qui aiment les évocations de la nature seront sensibles. Et depuis que j’ai écrit ce billet j’ai lu le billet de Keisha beaucoup plus séduite que moi.  

Citations

Genre de passage qui m’agace

Il était temps de passer à mon premier affût. Chacun une aventure. 
Les phrases aussi, chacune une aventure.

De combien de morts est responsable l’homme qui fait tant pleurer son ami ?

C‘était l’été de la première sécheresse, et celle-ci s’était conclue par la mort de Mao. À son annonce, je le vois encore s’écrouler sous un arbre du verger, gisant face contre terre, et je crois bien qu’il pleurait, soudain orphelin, tandis que les petites mirabelles des Hautes-Huttes précocement mûres, le bombardaient d’une pluie d’or.

Mélange évolution de la nature et création d’un livre

La repousse peut atteindre un centimètre par nuit. 
La tige d’une ronce peut, elle, bondir de cinq centimètres la même nuit.
Une ruche, pesée le matin, repesée le soir, peut avoir pris un kilo de miel. 
Tôt le matin, quand on surprend les aubépiniers sortant en fleur de la nuit, gonflés d’humidité, on ne sait pas tout de suite si on voit des cumulo-nimbus d’orage ou des amas de vaches aux mufles blancs. 
En une semaine, les cerfs ont allongé de dix centimètres. Mon livre, de quelques pages.

Je ne savais pas ça

(Remarquez les phrases réduites aux mots que je n’aime pas beaucoup.)

C’est à la mi-juillet exactement que les cerfs se mettent à « frayer », c’est-à-dire à fracturer l’enveloppe de velours qui enrobe leurs bois solidifiés. Quand elle sèche , on dirait qu’elle les brûle comme une tunique de Nessus, et que fou de douleur ils cognent leur bois contre les arbres, allant au même arbre chaque année. Et cette peau velue , brisée, ensuite, il la mange. Oui, il mange les lambeaux de ce velours sanguinolent qu’ils se sont fendus et qui pend devant leurs yeux. Impossible d’en trouver des débris, ils les font disparaître. J’ai beaucoup cherché sur les troncs blessés, dégoulinant de résine.. Pas un petit bout resté collé. Pas un indice traînant sous un buisson. On dirait que c’est hautement réservé. Animal. Interdit. Pour initié. Un moment de métamorphose sanglante. Nocturne et bref.
(PS je ne comprends pas ce « qu’ils se sont fendus » est ce qu’il faut lire « qu’ils ont fendu » )

Après « le ciel par dessus les toits » , et « Les rochers de poudre d’or » , voici ma troisième lecture d’Anna Appanah . Un véritable plaisir au début qui se termine par une déception. Ce roman raconte comment une femme écrivain a élevé seule sa fille Anna. Elle est le fruit d’un amour très fort, si fort que cette jeune femme n’a pas voulu entraver la liberté de son amant en lui annonçant qu’elle était enceinte. Sa fille ne sait rien de cet homme et imagine une rencontre rapide entre sa mère et un géniteur un peu au hasard. Elle a besoin de stabilité et fait un mariage très conventionnel. Pendant ces quelques jours de préparatifs, on sent toutes les tensions entre la mère et la fille. C’est très finement analysé , l’on comprend aussi que cette maman mauricienne mère d’une enfant au visage britannique a été parfois regardée avec curiosité, mais surtout il lui a fallu faire face et être là pour cette petite fille qu’elle aime tant. Elle vit souvent dans ses propres histoires : celles qu’elle a su si bien inventer pour ses lecteurs. Anna sa fille n’a qu’une crainte, que sa mère ne respecte pas les codes de bienséance pour son mariage. Et évidemment, Sonia, sa mère va transgresser : elle éprouvera une attirance irrésistible pour le père de son gendre (qui est divorcé, ce n’est pas totalement glauque !) et sa fille les surprendra dans le même lit ! Et c’est le reproche que j’ai fait à ce roman je n’ai pas réussi à croire qu’une mère aimante soit capable de faire ça sans penser à sa fille, pas ce jour là ! Je vous l’avez dit, cette fin a gâché ma lecture, dommage car jusque là j’étais vraiment bien dans cette fiction avec encore une fois sous la plume de cette écrivaine une grand finesse dans l’analyse des rapports humains.  

Citations

Rapports mère fille

Anna m’appelle maman. J’aurais aimé qu’elle me donne un petit nom, quelque chose qu’elle aurait inventé pour moi, qui ne serait qu’à moi et si, par hasard, un jour, elle m’appelle alors que j’ai le dos tourné dans une grosse foule, si ce jour-là elle m’appelle à tue-tête de ce nom qu’elle m’aurait donné, je me retournerai, forcément, je saurai. Mais dans une foule, si quelqu’un crie maman, des centaines de femmes se retournent. Anna m’appelle maman, solennellement, gravement. Elle y met de la force, elle articule, elle fait des angles droits à ce mot-là, des falaises abruptes et des rochers affûtés en dessous, elle y met de la distance parfois, de la réprobation souvent. Elle me somme aussi, ai-je quelquefois l’impression, puisque je me raidis à ce mot-là. Une ou deux fois, au lieu de maman j’ai entendu madame et ça m’a rempli le cœur de larmes.

Chagrin d’une mère

Anna, ma fille, s’est éloignée de moi très jeune. Où est-ce moi qui ai fait le premier pas de côté à force d’être penchée sur des livres, de nourrir des familles entières dans la tête, de les aimer, de les faire grandir, de les tuer, de les triturer et à ma guise, peut-être dans ces moments-là, j’étais une mère distante, absente, faite de cendres et de fumée ?

(….)Je me suis dit que peut-être, elle ne m’aimait pas. C’est possible, cela arrive beaucoup plus souvent qu’on le pense, les enfants ne sont pas obligés d’aimer leurs parents.

Le bouquet du futur gendre

Les lys étaient droits comme des I, équilibre magique, plus rien de la fragilité de la douceur des fleurs, un boa en plumes blanches recouvrait le cou du vase- instrument et dans l’eau flottaient des paillettes blanches. Des jours plus tard, quand les lys se sont fanés et que j’ai essayé de les libérer de cette composition indescriptible , j’ai été saisie d’horreur en découvrant qu’ils étaient traversés par un fil de fer les maintenant jusqu’au pourrissement ultime, droit comme des militaires.

Que de remarques exactes dans ce court extrait

J’ai appris que l’expérience des autres n’a jamais servi à rien. D’ailleurs, on se demande bien si on apprend de sa propre expérience. 
On entend les gens dire des banalités, avoir de l’espoir ridicule, on sait qu’ils vont se casser la gueule sur la routine, que la vie à deux ce n’est pas cela, que les preuves d’amour c’est dans le quotidien, pas dans un nom qu’on porte, que l’amour c’est continuer à pardonner.

Édition Grasset, lu sur Kindle Le confinement a cela de bon qu’il me permet de lire des livres qui sont depuis longtemps à mon programme. Je sais que vous l’avez déjà toutes et tous lu depuis longtemps. Je le découvre aujourd’hui, dans cette période de haine où on peut assassiner un professeur qui essayait d’expliquer comment accepter « L’Autre » avec ses différences, ses croyances qu’il faut laisser dans la sphère privée afin que nous puissions tous vivre ensemble. C’est encore une fois, mon petit fils dont ce livre est au programme de seconde qui m’a entraînée à lire ce roman. Quelle belle réponse au fanatisme que des jeunes peuvent rencontrer autour d’eux ! Entre les Tutsi et les Hutus , il n’y a pas de différences de langue, ni de religion ni de nationalité mais une différence d’origine ethnique qui fait que les Tutsi sont en général plus grands et ont le nez moins gros que les Hutus. Si bien que, le jour où le professeur leur montre le film « Cyrano de Bergerac », les enfants se demandent si Depardieu n’est pas Hutu avec ce gros nez ! J’ai beaucoup aimé la première partie du roman, lorsque l’auteur retrouve son enfance insouciante au Burundi. Il raconte bien cette enfance libre pour qui l’amitié est au-dessus de tout. Pourtant, dès le début un sentiment de peur distillé par des paroles d’adultes qui parviennent jusqu’au monde de leur enfance trouble leur bonheur . Puis la peur prend corps, jusqu’aux évènements tragiques du génocide des Hutus au Rwanda en 1994. Au Burundi voisin où vivent l’enfant et sa famille, cela aura de graves répercussions. L’enfant perdra à jamais son innocence. Gaël Faye a écrit un roman, puisé dans ce qu’il a pu connaître autour de lui et je trouve très important que la jeunesse française puisse se retrouver dans ce roman. D’autant plus que c’est un bel hommage à la lecture, car dans cette période très sombre ce sont les livres et les portes qui lui ont été ouvertes qui lui ont permis de ne pas sombrer dans le fanatisme. Le moment du génocide est à peine supportable, et pourtant pour pouvoir en parler, l’auteur a mis une distance physique puisque ses parents sont avec lui au Burundi, mais hélas toute sa famille rwandaise disparaitra sous les coups des machettes des Hutus. L’horreur donc, racontée par sa mère qui en perdra la raison. C’est la partie la plus difficile à lire mais indispensable évidement car personne ne doit oublier. Il faut espérer que cela ne recommencera pas ni au Rwanda ni ailleurs et pour cela il faut former la jeunesse : que ce livre soit au programme des lycées participe à cet espoir.

Citations

Beauté de sa mère

Et c’était quelque chose, les chevilles de Maman ! Ça inaugurait de longues jambes effilées qui mettaient des fusils dans le regard des femmes et des persiennes entrouvertes devant celui des hommes.

L’amour à l’épreuve de la réalité

La nonchalance des débuts s’est muée en cadence tyrannique comme le tic-tac implacable d’une pendule. Le naturel s’est pris pour un boomerang et mes parents l’ont reçu en plein visage, comprenant qu’ils avaient confondu le désir et l’amour, et que chacun avait fabriqué les qualités de l’autre. Ils n’avaient pas partagé leurs rêves, simplement leurs illusions. Un rêve, ils en avaient eu un chacun, à soi, égoïste, et ils n’étaient pas prêts à combler les attentes de l’autre.

Humour

Sur la devanture des bouis-bouis étaient accrochés toutes sortes d’écriteaux fantasques : « Au Fouquet’s des Champs-Élysées », « Snack-bar Giscard d’Estaing », « Restaurant fête comme chez vous ». Quand Papa a sorti son Polaroid pour immortaliser ces enseignes et célébrer l’inventivité locale, Maman a tchipé et lui a reproché de s’émerveiller d’un exotisme pour blancs.

Le début de la peur

J’ai beau chercher, je ne me souviens pas du moment où l’on s’est mis à penser différemment. À considérer que, dorénavant, il y aurait nous d’un côté et, de l’autre, des ennemis, comme Francis. J’ai beau retourner mes souvenirs dans tous les sens, je ne parviens pas à me rappeler clairement l’instant où nous avons décidé de ne plus nous contenter de partager le peu que nous avions et de cesser d’avoir confiance, de voir l’autre comme un danger, de créer cette frontière invisible avec le monde extérieur en faisant de notre quartier une forteresse et de notre impasse un enclos. Je me demande encore quand, les copains et moi, nous avons commencé à avoir peur.

Paroles dans un bar

Balivernes ! Ne remuons pas le passé, l’avenir est une marche en avant. À mort l’ethnisme, le tribalisme, le régionalisme, les antagonismes ! – Et l’alcoolisme ! – J’ai soif, j’ai soif, j’ai soif, j’ai soif, j’ai soif, j’ai soif…

Portrait du nouveau Président par l’enfant

Je trouve que le nouveau président a l’air sérieux, il se tient bien, ne met pas les coudes sur la table, ne coupe pas la parole. Il porte une cravate unie, une chemise bien repassée et il a des formules de politesse dans ses phrases. Il est présentable et propre. C’est important ! Car ensuite on devra accrocher son portrait dans tout le pays pour ne pas oublier qu’il existe. Ce serait enquiquinant d’avoir un président négligé sur lui ou qui louche sur la photo dans les ministères, les aéroports, les ambassades, les compagnies d’assurances, les commissariats, les hôtels, les hôpitaux, les cabarets, les maternités, les casernes, les restaurants, les salons de coiffure et les orphelinats.

L’ennui des vacances

Les grandes vacances, c’est pire que le chômage. Nous sommes restés dans le quartier pendant deux mois à glandouiller, à chercher des trucs pour occuper nos mornes journées. Même si parfois on rigolait, il faut bien avouer que nous nous sommes ennuyés comme des varans crevés.

Les raisons du massacre

Les hommes de cette région étaient pareils à cette terre. Sous le calme apparent, derrière la façade des sourires et des grands discours d’optimisme, des forces souterraines, obscures, travaillaient en continu, fomentant des projets de violences et de destruction qui revenaient par périodes successives comme des vents mauvais : 1965, 1972, 1988. Un spectre lugubre s’invitait à intervalle régulier pour rappeler aux hommes que la paix n’est qu’un court intervalle entre deux guerres. Cette lave venimeuse, ce flot épais de sang était de nouveau prêt à remonter à la surface. Nous ne le savions pas encore, mais l’heure du brasier venait de sonner, la nuit allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons.

Tutsi et Hutus

Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J’ai
découvert l’antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou d’un autre. Ce camp, tel un prénom qu’on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais. Hutu ou tutsi. C’était soit l’un soit l’autre.
Pile ou face. Comme un aveugle qui recouvre la vue, j’ai alors commencé à comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les manières qui m’échappaient depuis toujours. La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire.
Elle coulait en moi. Je lui appartenais.

L’enfance

Je regrettais ce que j’avais pu penser de Francis. Il était comme nous, comme moi, un simple enfant qui faisait comme il pouvait dans un monde qui ne lui donnait pas le choix.

La souffrance dans la discussion

J’aurais voulu dire à Gino qu’il se trompait, qu’il généralisait, que si on se vengeait chaque fois, la guerre serait sans fin, mais j’étais perturbé par ce qu’il venait de révéler sur sa mère. Je me disais que son chagrin était plus fort que sa raison. La souffrance est un joker dans le jeu de la discussion, elle couche tous les autres arguments sur son passage. En un sens, elle est injuste.

Le pouvoir des livres

Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis.

 

Édition Robert Laffont Si, comme moi, vous avez gardé, grâce à vos cours sur l’antiquité grecque, une image assez positive de cette période de l’histoire, avec, peut-être une petite préférence pour Spartes qui semblait plus guerrière et plus héroïque qu’Athènes, lisez vite ce roman , cela vous redonnera des idées un peu moins romantiques de la réalité spartiate . Bien sûr, vous vous souvenez de cet enfant spartiate qui avait préféré se faire dévorer les entrailles par un petit renardeau plutôt que d’avouer qu’il le cachait sous sa tunique. Mais si c’est votre seul souvenir, je vous promets quelques découvertes bien au-delà de cette anecdote. Si les Spartiates étaient invincibles, ils le doivent à des pratiques très particulières. Dès la naissance, à la moindre « tare », on éliminait les bébés, mais cela ne suffisait pas, vers deux ans on présentait l’enfant à un conseil de sages qui jetait dans un précipice tout enfant un peu bossu, ou ayant des jambes tordues ou qui semblait ne pas bien voir, ne pas entendre correctement, ou déficient intellectuellement … À contrario, tous les ans on pratiquait la nuit de la Cryptie, c’est à dire que durant une nuit entière les citoyens de Spartes avaient le droit de tuer tous les Hilotes (c’est à dire leurs esclaves) qu’ils voulaient . Si j’ai dit « à contrario » c’est que cette fois les Spartiates choisissaient de préférence les hilotes les plus courageux et les plus intelligents de façon à tenir en respect une population beaucoup, beaucoup plus nombreuse qu’eux. Jean-François Kervéan sait nous faire revivre ces meurtres avec force détails, j’ai rapidement été submergée par une impression de dégoût . Comment cette antiquité grecque qui était pour moi un bon souvenir a pu générer autant d’horreurs ? La partie consacrée à la formation du jeune Spartiate (Agogée) est de loin ce qui m’a le plus intéressée, car pour ceux qui ont survécu à la naissance puis à la présentation, il reste une épreuve , celle de « L’Errance ». Avant de devenir adulte un jeune doit rester une année entière à survivre dans la nature sans l’aide de quiconque. Il doit chasser et se nourrir de ce que la nature peut lui offrir à moins qu’il soit lui-même la proie de prédateurs plus forts que lui. Ensuite, il sera citoyen de Spartes et fera partie de l’armée invincible. L’organisation de la vie de la cité est aussi originale et plus sympathique. Tous les Spartiates sont égaux et ont tous les mêmes droits. Bien sûr, il y a les esclaves pris dans les populations vaincues et asservies mais sinon l’égalité est parfaite. Il y a deux corps de dirigeants les « gérontes » des hommes âgés qui resteront jusqu’à leur mort dans une fonction de conseil et cinq « éphores » élu pour un an au sein de l’assemblée. Tous les Spartiates peuvent appartenir à l’assemblée et y prendre la parole. Le roi n’a pas plus d’importance qu’un autre citoyen. Le roman se situe lors des guerres Médiques contre le roi de Perse, Xerxès 1°. La description de l’opposition entre les deux civilisations et de la guerre m’a moins passionnée. Et puis, il est grand temps que je parle du style de cet auteur. Je ne comprends pas toujours le pourquoi de ses formules. Je sens bien qu’il a voulu désacraliser une certaine représentations de l’antiquité grecque mais parfois, je ne le suis pas dans ses descriptions de héros presque toujours ivres ou drogués qui pètent et « s’enculent  » à qui mieux mieux . Cette réserve ne m’a empêchée d’apprécier toutes les réflexions qui sous-tendent ce projet de livre :

  • Pourquoi finalement c’est la royauté qui a perduré pendant deux millénaires et pas la démocratie,
  • Pourquoi toutes les tyrannies ont-elles adulé Spartes ?
  • Est ce que ce système pouvait durer ?
  • Pourquoi les sentiments ne sont pas compatibles dans un tel système.

Mes réserves viennent du style de l’auteur mais je suis ravie d’avoir lu ce roman car j’ai vraiment beaucoup appris sur cette période et surtout corrigé beaucoup d’idées fausses .  

Citations

 

Les Spartiates

Cet hiver-là fut dur, mais les Spartiates ne craignent pas le froid, la fin, le deuil -ce peuple n’a peur de rien. Chez eux, lorsque le vent cingle depuis les crêtes du Mont Parnon, personne ne couvre ses épaules d’une fourrure, tu te pèles et au bout d’un moment, en vertu du stoïcisme, tu ne te pèles plus.

 

Le petit déjeuner spartiate

Son ventre criait famine, elle avala deux yaourts, un boudin avec une galette à la sarriette.

 

La Sélection

Les enfants avancent au centre, accrochés à la tunique de leur mère, les père ne sont jamais présents. De part et d’autre se postent gérontes, éphores et commandants, chacun scrutant le groupe selon ses critères : les militaires jugent des morphologies, les dignitaires des comportements tous à la recherche de la mauvaise graine qui poussera de travers. Le branle du boiteux, la bosse du bossu, le débile ou la naine, toutes les cécités, les anomalies ayant pu échapper à l’examen de la première heure. Retenus depuis des jours à l’intérieur, les enfants exultent en plein air, leurs ébats et la lumière à plomb de midi révèlent mieux les tares de quelques déficients. Arrivés face au ravin, les autorités rendent leur verdict et les soldats balancent les indésirables du haut du précipice, scène qui grave à jamais dans le regard des autres la grandeur d’une société ou la gloire coule du sacrifice comme la rosée des aurores.

Encore une coutume sympathique : la Cryptie

Tous les ilotes, les esclaves sans exception sont aussi la cryptie- du verbe « cacher, se cacher ».  la lumière du soir rase la campagne, tu es Spartiate. Quand l’aiguille du cadran solaire indique la dix-huitième heure ou que la trompe retentit du Temple, tu peux tuer tous les ilotes que tu vois de tes yeux, n’importe, en particulier ou au hasard, de tous âges, en déambulant ou en allant fouiller leur cabane, les fossés, les sous-bois, comme tu veux. La Cryptie n’est pas la guerre. Le nom de « Jour de guerre contre les ilotes » inventé plus tard par Plutarque n’est pas bon. À partir de la dix-huitième heure jusqu’à la dernière avant l’aube, beaucoup d’ilotes ne bougent pas de la place où ils sont, de l’arène de leur condition où vont surgir les fauves. D’autres emmènent leurs femmes leurs enfants se terrer le plus loin possible. Après avoir lâché ton outils, tu te sauves mais il n’y a pas d’abri. Les Spartiates ne hurlent pas, ne t’insultent pas en principe, les Spartiates donne la mort. Partout. En bande sanglante ou seul à seul.

Humour

Quand le Sénat l’envoie batailler au nord, il en profite pour aller soutenir son ami Isagoras, tyran d’Athènes, contre son peuple en rébellion. C’est un fou de guerre, un ivrogne – personne ne souligne jamais le rôle capital de l’alcoolisme dans l’Histoire de l’Humanité.

L’idéal de Sparte

L’espèce humaine est argileuse, malléable. Tout est mou chez l’homme, à part le squelette. Telle était la pensée de Sparte. À l’état de lui donner de la consistance, de forger, ciseler sa nature. Les plaisirs, les ou l’étude n’affirment pas un individu, seuls les gnons, l’endurance, l’adversité, toutes ces épreuves qui le menacent de n’être plus rien, le font entrer dans l’action d’où jaillit son destin.

Le style qui a fini par me lasser

La jeune princesse de Sparte se consola entre les bras solides de son époux, encore marqué par les stigmates de l’assassinat, on ne s’étonnera pas après ça que la reine Gorgô soit devenue parmi les premières féministes de l’humanité. Nul ne douta du récit de la mort héroïque de son père ni ne soupçonna le régicide perpétré par deux bourrins aussi bourrés que Cléomène. Plus étonnant encore, à la fin de cette journée où Sparte entra dans le simulacre officiel et renoua avec les Mythes, le conseiller Hypocoo fut élu au Directoire des éphores : le conseiller diplomatique passait ministre chargé des Affaires extérieures, acclamé de tous les Égaux sur l’agora, bien chauffés par les trente Gérontes. Quant aux jeunes frères du défunt automutilé, prince sans réputation, il fut désigné monarque à l’unanimité du Sénat lacédémonien sous le nom de Léonidas Ier. Seul Aphranax Cartas tirait la gueule. L’Histoire se détournait de lui. A dix pas, en revanche, sa mère participait à la liesse. L’éphore fraîchement élu était son ami, et le nouveau roi son amant. Son fils n’était pas prêt d’intégrer la garde royale des 300.
Le Destin de Léonidas vient de s’ébranler en même temps que l’Ère classique. Vers où ? Un gouffre, un triomphe, une marque de chocolat ? C’est ce qu’on appelle tout simplement : la suite.

La mort et la vieillesse

Quel retour des choses signifie la maladie sinon que souffrir et naturel et qu’on finit non seulement vaincu mais privé des joies de son existence ?

Le deuil et le veuvage

Ne pas être aller se recueillir depuis longtemps sur la tombe d’Artys lui manquait, le deuil génère une addiction au chagrin, bulle de souvenirs moelleux où le temps ne circule plus.

Réflexion

Pendant les cinq cents ans que durera la civilisation grecque, la terre, les ressources, les hivers ne furent pas plus facile ni cléments que durant les siècles suivants. Pourtant leurs annales évoquent rarement une famine. Chez les Grecs, si imparfaits, on pouvait manquer, avoir le ventre vide mais pas au point d’en mourir au porte de ceux qui mangent. Au temps modernes, famine et malnutrition furent la première cause de mortalité dans les royaumes d’Occident. Les victimes se chiffraient encore par millions dans l’Europe fertile du XVIIe siècle. L’espérance et la qualité de vie d’un forgeron sous Périclès était supérieure à celle d’un artisan du Val de Loire sous François 1er, deux mille ans plus tard. Pourquoi ? On ne sait pas.

Édition Actes Sud. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.   En ces temps de terrorisme et de confinement, ce livre peut se lire assez agréablement. Il s’agit pourtant de mort et de difficulté de vivre, seulement cela se passe au Japon donc assez loin de nos préoccupations actuelles. Je vais d’abord dire les trois choses qui m’ont agacées pour revenir à l’essentiel du roman : Les phrases en anglais ne sont pas traduites, il est vrai que ce sont des phrases simples mais je ne comprends pas l’intérêt du procédé. La mère du personnage principal se suicide comme Virginia Woolf, ce n’est vraiment pas la façon la plus courante de se suicider mais c’est tellement plus littéraire. (Elle se jette dans la rivière avec des cailloux dans ses poches). L’autre chose me dérange plus, l’héroïne va découvrir le Japon grâce à un père très très riche et je crois que j’ai des difficultés à m’intéresser aux malheurs des pauvres petites filles riches. De plus dans ma vie j’ai rarement sinon jamais rencontré des gens faisant des héritages miraculeux. Et pourtant j’ai aimé cette lecture qui essaie et réussit à nous faire comprendre cet étrange pays à travers les fleurs et les jardins. Il demande une lecture attentive car sinon on passe au-dessus de la beauté des temples de Kyoto, ce serait d’autant plus dommage que c’est là l’essentiel de l’intérêt du livre. Mais pour faire un roman, il fallait aussi une histoire d’amour qui m’a semblé assez artificielle. Beaucoup de critiques donc pour un roman dont je vous conseille la lecture cependant, ne serait-ce que pour vous promener dans de si beaux endroits et savourer par l’imagination les mets le plus délicieux de la gastronomie nippone.

Citations

Un passage émouvant

Il est né à Hiroshima en 1945. Sa famille a été décimée par l’atome. En 1975, il a perdu sa femme et sa fille dans un tremblement de terre. En 1985, son fils aîné s’est tué dans un accident de plongée. Le 11 mars 2011, son autre fils, un biologiste était en mission dans la préfecture de Miyagi, sur la côte à vi gt kilomètres de Sandai. Il n’a pas eu le temps de gagner les hauteurs….Lors du dépôt des cendres de Nobu au cimetière, il pleuvait et Keisuke s’est effondré dans la boue, devant la tombe. Haru l’a relevé et tenu serré contre lui jusqu’à la fin de la cérémonie. Quelqu’un s’est approché avec un parapluie mais il l’a renvoyé. Ils sont restés ensemble, immobiles, sous la pluie et, peu à peu, les uns après les autres, nous avons refermé nos parapluies. Je me souviens avoir senti le poids et la violence de l’eau puis les avoir oubliés. Nous étions entré dans un monde de fantôme. Nous n’avions plus de chair.

Sagesse japonaise

À l’époque des samouraïs, sur l’île de Sado, en mer du Japon, vivait un ermite qui, du matin au soir, regarder l’horizon. Il avait fait vœu de consacrer sa vie à cette contemplation, et de s’y absorber tout entier, de connaître l’ivresse de n’être plus qu’une ligne entre la mer et le ciel. Cependant, comme il se plaçait toujours derrière un pin qui empêchait qu’il eût une vue dégagée, on lui en demandait la raison et il répondait : Parce que je ne crains rien tant que de réussir.

La dépression

Maud, la mère de Rose, avait grandi dans la mélancolie et, quoi qu’elle fît ensuite de sa vie, s’y était tenue avec une persévérance admirable.

Malheur japonais

Nous autres Japonais avons appris de notre archipel tourmenté l’implacabilité du malheur. C’est par cet accablement natif que nous avons su transformer notre contrée de cataclysmes en éden, en quoi les jardins de nos temples sont l’âme de ce pays de désastres et de sacrifices. Par mon sang, tu connais la beauté et la tragédie du monde d’une manière que les Français, nourris de leurs terres clémentes, ne peuvent pas entendre.

   

Édition Albin Michel. Traduit de l’américain par Sara Gurcel   Sara Krasikov est d’origine ukrainienne, elle vit aux États-Unis et a adopté le format des romans américain : au moins de six cent pages. Il est vrai que la période que couvre ce roman, de 1934 à nos jours, avait besoin d’un certain nombre de pages pour se déployer. Nous allons suivre le destin de la jeune Florence qui a cette idée un peu étrange d’émigrer en URSS séduite par l’idéal communiste. Ils seront un petit nombre à le faire mais bien peu pourront échapper aux terribles purges staliniennes. Il faut dire que son engagement était aussi soutenu par un amour passionné pour un ingénieur soviétique rencontré aux USA et qu’elle fera tout pour le retrouver. Comme souvent, aujourd’hui, ce roman ne suit pas une progression linéaire et nous passons d’une époque à l’autre en suivant la vie de Florence ou celle de son fils, Julian, ou de son petit fils, Lenny. L’URSS et aujourd’hui la Russie semble attirer comme une puissance destructrice les membres de cette famille. Le petit fils de Florence est parti vivre en Russie pour y faire fortune, il devra aux maladresses de son père un passage en prison et il en sortira grâce à la connaissance de celui-ci des rouages de ce terrible pays. Cela ne veut pas dire que tout est toujours pareil dans ce terrible pays mais rien n’y est jamais très simple. On revit de l’intérieur le sort tragique des idéalistes occidentaux qui sont allés se jeter dans la gueule de l’ogre stalinien. Ils ont pour la plupart payé de leur vie leur naïveté, d’autant plus que l’Amérique n’a rien fait pour les aider : l’ambassadeur de l’époque ne voulant surtout pas fâcher son futur allié pour la guerre qui se préparait. Pour survivre quand l’étau se resserre sur la communauté juive cosmopolite de Moscou, Florence sera conduite à espionner et trahir ses amis. Cela ne lui servira pas à grand chose car elle ira quand même au goulag où elle aurait dû mourir, je ne peux sans divulgâcher le roman expliquer pourquoi elle n’y mourra pas. Son fils a émigré aux USA avec elle et toute sa famille, il revient en Russie pour faire des affaires avec l’énorme consortium du pétrole. On voit alors tout le rôle de la mafia russe dans les affaires. Il cherche aussi à mieux comprendre sa mère et obtient son dossier de police, il peut, alors, y lire ses différentes trahisons. Elle a survécu grâce à ses capacités d’adaptation mais qui ne lui ont pas permis de rester digne et irréprochable. Des gens dignes et irréprochables, il doit y en avoir plein les fosses communes en Russie comme le père de Julian, Léon Brink assassiné comme tant d’autres dans les sous-sols de la Loubianka. Il y a donc trois histoires, celle de Florence qui est la plus complète, celle de Julian, élevé en partie dans un orphelinat soviétique qui s’est vu refuser sa thèse parce qu’il était juif et ses déboires avec la mafia russe, puis celle de Lenny qui aimerait faire fortune dans un pays qui l’attire. La romancière parle d’un pays dont sa tradition familiale a dû savoir lui parler. Et comme elle vit aux USA aujourd’hui elle rend parfaitement compte de ce qui a pu se passer pour Florence : sa soif d’idéal et sa descente progressive dans l’enfer communiste, ce personnage est crédible et son entêtement aussi. Je comprends bien les intentions de l’auteur de construire un destin sur plusieurs générations, mais une seule histoire m’aurait largement suffit. J’ai vraiment du mal avec ces énormes pavés et pourtant celui-ci est bien construit et fort instructif et a beaucoup plu à Dominiqueet à Kathel.      

Citations

Les appartements communautaires

Les universitaires occidentaux aiment décrire nos « kommunalki » soviétiques comme des endroits dénués d’espace personnel. Ils se trompent. Quel plus bel hommage à la propriété privée pouvait-il y avoir que le dense enchevêtrement de sept sonnettes différentes sur la porte d’entrée ? Sept réchauds à kérosène dans la cuisine ? Sept lunettes en bois distinctes , que chaque locataire se coinçait scrupuleusement sous le bras en marchant d’un pas ferme jusqu’à l’unique WC de la communauté ?

Les stupidités du régime soviétique

Nous suivions tous les deux un cours intitulé « Fondamentaux de la cybernétique », dispensé par un vieux rouquin asthmatique qui s’était fait virer dans les années cinquante pour avoir mené des recherches en informatique, une discipline proscrite par Staline au titre de « putain mercantile de l’impérialisme ». Dix ans plus tard, un gros bonnet avait toutefois pris conscience que le pays était fort à la traîne dans la course contre les Américains, on était donc aller chercher le professeur disgracié ( il mélangeait des résines dans une usine de peinture industrielle) et on l’avait réintégrer pour qu’il enseigne la matière même qui avait causé son renvoi.

Toast russe emprunté à Balzac

Buvons aux femmes. Quand elles nous aiment, elles pardonnent tout, même nos crimes ! Quand elles ne nous aiment pas, elles ne nous pardonnent rien, pas même nos vertus !

Les Américains à Moscou en 1934

C’était du reste un talent assez partagé chez les marginaux qui se retrouvaient à Moscou dans les années trente, Des esprits libres affichant fièrement le rejet de leur patrie capitaliste. Jeunes, le plus souvent juifs, ils venaient du Bronx ou de Manchester, en Angleterre, comme d’endroits aussi dépaysant que Missoula, dans le Montana. Observez- les : au café Moscou, place Pouchkine, …. Leurs discussions tournent essentiellement autour des États-Unis, comme si profaner leur lieu de naissance était une sorte de rituel destiné à soulager leur mal du pays.

Personnalité de Roosevelt

Roosevelt était-il un communiste refoulé ? Bon dieu, non. L’homme qui avait distribué de l’argent public par millions aux plus grosses sociétés privées du pays en était loin. Ce n’était qu’un banal utopiste. Or si l’on gratte un peu, on trouve toujours, derrière un utopiste, un machiavel dissimulé -quelqu’un qui, pour réaliser sa vision magnifique, finira par souscrire au principe selon lequel la fin justifie les moyens 

Après un enterrement où chacun a essayé d’exprimer ce qu’ils n’osent jamais dire

Les enterrements sont aux Russes ce que les carnavals sont aux Portugais.
Les règles sont suspendues le temps du carnaval pour que tout le monde puisse temporairement faire comme si les choses étaient le contraire de ce qu’elles sont.