Édition Stock

J’ai trouvé cette tentation de lecture chez Athalie , je lui avais dit que je lirai ce livre car j’ai des amis libanais, leur histoire me rend si triste et pourtant ils ne se plaignent jamais. Je ne regrette absolument pas cette lecture, je les retrouve dans tellement de détails et surtout dans l’humour dont ils font preuve en beaucoup d’occasions. Mais là où le récit est le plus proche d’eux c’est dans la façon dont ils reçoivent tous les gens qu’ils aiment avec un repas digne des plus grandes tables avec des plats préparés pour 10 même si nous sommes 4 autour de la table.

Je n’ai mis que quatre coquillages alors que j’ai beaucoup aimé ce livre car je le trouve un peu désordre, l’auteur part dans tous les sens, j’ai bien aimé le suivre même si parfois, je me suis un peu perdue. Visiblement les lycéens de 2002 ont été plus enthousiastes que moi, bravo à eux !

Sabyl Ghoussoub veut comprendre la vie de ses parents et en même temps comprendre les conflits qui ont bouleversés le Liban et cela depuis si longtemps, c’est peut-être pour ça que son récit est compliqué car franchement comprendre pourquoi des chrétiens se sont assassinés entre eux, sont allés tuer des palestiniens pour ensuite se faire assassiner par le Hezbollah, c’est incompréhensible. À la fin du livre, l’auteur fait la liste des gens connus assassinés et c’est une liste qui semble sans fin.

En partant à la recherche des membres de sa famille, l’auteur est d’une honnêteté implacable, il nous parles de ses cousins qui ont été des assassins et ce doux pays qu’il a tant aimé en particulier le village de sa mère qui se teinte alors d’une cruauté sans nom.

Ce n’est pas les moment que je préfère même s’ils sont indispensables à la compréhension du Liban, ce que j’ai adoré c’est le portait de ses parents, son père qui a besoin d’aller boire son café tous les jours en faisant son tiercé et qui a fait tant de métiers car il ne pouvait plus vivre de sa plume ni devenir le poète qu’il aurait aimé être. Sa mère qui passe sa vie au téléphone ou sur Whatsapp et qui veut absolument que son fils réponde au téléphone à toute la famille quand il vient la voir. J’adore aussi quand il raconte son agacement vis à vis des gens qui parlent du Liban, soit des Libanais qui n’y vivent plus depuis très longtemps soit des Français qui y ont passés quelques jours de vacances.

L’auteur explique très bien tous les problèmes auxquels sont confrontés le Liban, pays que l’auteur adore autant qu’il en déteste certains aspects . On peut dire qu’aujourd’hui ce pays qui est dirigé par une mafia criminelle aux mains pleines de sang . En revanche, il exprime bien toute sa tendresse pour ses parents qui habitent donc Beyrouth sur Seine, comme toute sa famille, sauf un frère et une soeur qui essaient de vivre au Liban. Si ce récit n’est pas totalement autobiographique, il suit de très près la destinée familiale de l’auteur. Un superbe hommage à des gens courageux et qui ont gardé leur plaisir de vivre et leur humour quelles que soient les difficultés auxquelles ils ont dû faire face.

 

Citations

Portrait de sa mère (humour).

 Je me lève pour accrocher le micro à la chemise de nuit de ma mère. J’essaie de l’attraper entre deux activités. Ma mère est petite, très petite et, comme souvent avec les gens de petite taille, elle est hyper active. Elle me rappelle Nicolas Sarkozy. Là, elle cherche son iPhone qui résonne dans tout l’appartement  » Je t’aime ô mon Liban. Ô ma patrie, je t’aime. Par le nord,. par le sud vers les plaines je t’aime. » Sa sonnerie n’est rien d’autre que « Bhebbak ya Lebnan, je t’aime ô mon Liban » de la diva libanaise Fairouz, Longue plainte nostalgique qui nous agace au plus haut point mon père et moi.

Une mère inquiète de savoir son fils au Liban.

 Mes parents sont à Paris, inquiets. Mon père ne veut pas m’appeler pour partager avec moi son inquiétude mais ma mère le fait très bien pour deux.  » T’es où ? » écrit-elle toutes les heures comme si dans sa tête elle détenait la cartographie des explosions à venir. Comme si me savoir dans cette rue ou une autre la rassurait.

Humour libanais.

 Une idée saugrenue m’est venu en tête : demander à mes parents le top 3 des évènements qui les avaient le plus affecté pendant la guerre. Bien après, je me suis rendu compte qu’il fallait vraiment ne pas l’avoir vécue pour poser une question aussi sotte. 
Le top 3 de ma mère :
– les massacres de Sabra et Chatila.
– Le massacre de Damour.
– Le blocus de Beyrouth.
 Le top trois de mon père :
-Ma naissance.
– La naissance de Yala.
– Son mariage avec ma mère qui, selon lui, a eu les mêmes effets néfastes sur le Liban que les accords du Caire.

Jugement de Frida Khalo sur le milieu de l’art contemporain à Paris.

Tu n’as pas idée comme ces gens sont des putes. Ils me font vomir. Ils sont si foutrement intellectuels et si pourris que je ne les supporte plus. C’est vraiment trop pour mon caractère. J’aimerais mieux rester assise par terre à vendre des tortillas sur le marché de Toluca qu’avoir affaire à ces salopes artistiques de Paris.

J’adore cet humour.

 Tandis que mes parents attendent pour obtenir leurs papiers, Antenne 2 réalisait un reportage.
 -Madame, monsieur est-ce possible de vous poser une question ? 
– Oui, bien sûr. 
– Est-ce que vous vous sentez français ? 
-Vous nous donnez quand même les papiers si je vous réponds ? dit mon père. 
Le journaliste rit. 
-Oui, bien sûr monsieur. où vous floutera ne vous inquiétez pas. 
– Vous savez comment je m’appelle ? Kaïssar Ghoussoub ! Comment voulez-vous que je me sens français ? Même libanais je ne me suis jamais senti. Je suis né au Ghana 
– Au Ghana ? vous ? 
-Oui ! Et même si je n’ai presque pas vécu, mon père m’a transmis le passeport anglais. Je suis anglais voyez-vous ! Comme beaucoup de libanais, mon père est parti en Afrique pour s’enrichir et je dois vous avouer que c’est le seul à avoir raté son coup ! Complètement raté. Mais pour en revenir à votre sujet, peut-être au cimetière du Père-Lachaise je me sentirai enfin chez moi

Édition Flammarion, collection Étonnants Classiques

Il m’arrive d’aider mes petits fils à formuler leurs idées à propos de la lecture d’œuvres au programme de leur classe de français. J’ai rarement été aussi touchée par une lecture des programmes scolaires. Je connaissais la poétesse Andrée Chédid, mais je ne lui connaissais pas ce talent de romancière. Je trouve extraordinaire qu’on le fasse découvrir à des élèves de troisième, car il raconte de façon juste ce que sont les guerres aujourd’hui. Andrée Chédid dit qu’elle avait été marquée par une photo prise à Sarajevo lors de la guerre civile dans l’ex-Yougoslavie. Mais cela pourrait être dans le Liban des années 70 ou en Syrie aujourd’hui. Ici, nous assistons à l’agonie de Marie qui a été touchée par une balle d’un sniper alors qu’elle rejoignait Steph, le grand et seul amour de sa courte vie. Un couple âgé, Anton ancien médecin et Anya essaieront de lui venir en aide mais c’est trop tard, le roman se consacre sur « Le Message » que Marie veut faire parvenir à Steph pour lui dire combien elle l’aime. La guerre se moque bien de l’amour et des amoureux . Nous vivons avec une grande intensité la fin inexorable de Marie et le destin de ce « Message » qui doit absolument parvenir à Steph. C’est très poignant et le style de cette auteure est superbe. J’espère que les jeunes qui liront ce texte comprendront que pour s’opposer à la folie des hommes nous sommes si faibles. Face à la barbarie qui se déchaîne si facilement nos armes sont dérisoires et pourtant essentielles : la culture, la poésie des mots et l’amour.

 

Citations

Les ruines

Autour, les arbres déracinés, la chaussée défoncée, les taches de sang rouillées sur le macadam, les rectangles béants et carbonisés des immeubles prouvaient clairement que les combats avaient été rudes ; et la trêve, une fois de plus précaire .

 

L’horreur

Dans chaque camp on arrachait les yeux, on coupait des mains, on violait, on faisait des seins, on tranchait des têtes, on achevait d’une balle dans la nuque. Un jeune mongolien, que les voisins chérissaient, fut retrouvé devant la boutique de primeurs de son père, empalé une énorme pomme dans la bouche. On avait forcé un violoniste à jouer, jour et nuit, sans dormir. On le cravachait dès que la musique s’arrêtait. Un poète, qui avait refusé de se battre, fut emmené jusqu’au fleuve et noyé sous les applaudissements.
« – Tu peux encore croire en Dieu ? Demanda Anya révoltée. 
-Et toi ? Tu peux encore croire en l’humain ?
-L’ humain est multiple. 
-Dieu aussi. »

L’auteure s’adresse à son lecteur

Sur cette parcelle du vaste monde, sur ce minuscule îlot de bitume, sur cette scène se joue, une fois de plus, une fois de trop, le théâtre barbare de nos haines et de nos combats. 
Massacres, cités détruites, villages martyrisés, meurtres, génocides, pogroms… Les siècles s’agglutinent en ce lieu dérisoire, exigu, ou la mort une fois de plus, joue, avant son heure, son implacable, sa fatale partition. 
Tandis que les planètes – suivant leurs règles, suivant leurs lois, dans une indifférence de métronome- continue de tourner. 
Comment mêler Dieu à cet ordre, à ce désordre ? Comment l’en exclure ?

Édition le Seuil

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Après « la villa des femmes » et « l’empereur à pied« , voici ma troisième lecture de ce grand écrivain libanais. Ce texte est très court et les chapitres qui le composent font parfois moins d’une demi-page. Le titre dit beaucoup sur cette biographie : Raphaël Arbensis aurait pu, en effet mener des vies bien différentes. L’auteur sent que sa destinée tient plus du hasard et de la chance que de sa propre volonté. Ce sont des idées bien banales aujourd’hui mais qui, au début du XVII° siècle, sentent l’hérésie pour une élite catholique toute puissante et peu éclairée. Elle vient de condamner Galilée et donc, regarder, comme le fait le personnage, le ciel à travers une lunette grossissante relève de l’audace. L’auteur ne connaît pas tout de la vie de cet aventurier du pays des cèdres comme lui, mais malgré ces périodes d’ombre qu’il s’empêche de remplir par trop de romanesque, il sait nous rendre vivant ce personnage . Le plus agréable pour moi, reste son talent d’écrivain : grâce à son écriture, on se promène dans le monde si foisonnant d’un siècle où celui qui voyage prend bien des risques, mais aussi, est tellement plus riche que l’homme lettré qui ne sort pas de sa zone de confort. Chaque chapitre fonctionne comme une fenêtre que le lecteur ouvrirait sur la société de l’époque, ses grands personnages, ses peintres, sa pauvreté, ses paysages. Un livre enchanteur dont les questionnements sont encore les nôtres : qu’est ce qui relève de notre décision ou de la chance que nous avons su plus ou moins bien saisir ?

 

Citations

De courts chapitres comme autant de cartes postales du XVII° siècle

Chapitre 6
Il fréquente aussi les lavandières qui lavent le linge dans le Tibre . Il fait rire et les trousse à l’occasion. À cette époque , les rives bourbeuses du fleuve sont envahies par les bateliers , et les teinturiers y diluent leurs couleurs. Nous sommes dans les premières années du pontificat d’Urbain VIII. La colonnade du Vatican n’est même pas encore dans les projets du Bernin, Borromini n’a pas encore construit la Sapienza, le palais des Barberini s’appelle encore palais Sforza et la mode des villas vénitienne intra-muros commence à peine. Mais il y a des chantiers et l’on creuse des allées et des voies. Des peintres et des sculpteurs habitent en ville. Le Trastevere et un village séparé de la cité, cette dernière n’a pas la taille de Naples, mais depuis le bord du fleuve on voit les dômes de Saint-Pierre et le palais Saint-Ange. Les grands murs du temps de l’Empire sont toujours debout, roses et briques parmi les cyprès et les pins, et sous la terre dorment encore bien des merveilles. Un jour de 1625, sur la place du Panthéon, un larron interpelle Raphaël pour lui vendre quelque chose en l’appelant Monsignore. Ardentis s’arrête, méfiant, le larron rit en découvrant une horrible rangée de dents abîmées et lui indique sa brouette sur laquelle il soulève une petite bâche. Avensis se détourne du spectacle de l’affreuse grimace du mendiant pour regarder ce qu’il lui montre et là, au milieu d’un bric-à-brac fait de clous, de chiffons, de morceaux de plâtre et de divers outils abîmés, il voit une tête en marbre, une grande tête d’empereur ou de dieu, le front ceint d’un bandeau, les lèvres pulpeuses, le nez grec et le cou coupé, posé sur le côté, comme lorsqu’on dort sur un oreiller.
Chapitre 27 un des plus courts
Dans le ciel, il y a toujours ces grands nuages blancs qui se contorsionnent tels des monuments en apesanteur, qui prennent des postures fabuleuses et lentement changeantes comme les anges et les êtres séraphiques improbables de Véronèse.

Á travers une longue vue les personnages regardent Venise et le lecteur croit reconnaître des tableaux

Une autre fois, il voit un homme buvant du vin à une table sur laquelle, en face de lui, une femme nue est accoudée qui le regarde pensivement, le menton dans la main. Il voit un maître de musique près de sa jeune élève devant un clavecin, il voit une table un globe terrestre dans une bibliothèque déserte et un jour, dans ce qui semble une chambre à coucher, il voit une femme en bleu, peut-être enceinte, debout et absorbée dans la lecture d’une lettre.

Le hasard ou le destin

Nos vies, écrit-il, ne sont que la somme, totalisable et dotée de sens après coup, des petits incidents, des hasards minuscules, des accidents insignifiants, des divers tournants qui font dévier une trajectoire vers une autre, qui font aller une vie tout à fait ailleurs que là où elle s’apprêtait à aller, peut-être vers un bonheur plus grand si c’était possible, qui sait ?, mais sans doute souvent plutôt vers quelque chose de moins heureux, tant le bonheur est une probabilité toujours très faible en comparaison des possibilités du malheur ou simplement de l’insignifiance finale d’une vie ou de son échec.

 

 

 

 

De cet auteur j’ai beaucoup aimé Villa des femmes . On retrouve dans ce roman le regard impitoyable et rempli de nostalgie de Charif Majdalani sur son pays : le Liban qui « fut » un si beau pays. Il analyse aussi avec une précision qui n’enlève rien à la poésie, les légendes qui ont constitué un clan familial dont le narrateur est un descendant du clan des Jbeili. Cette « dynastie » a été fondée par celui qui a donné son titre à ce roman « L’empereur ». Cet homme plus mythique que réel, a bâti sa richesse en débroussaillant des montagnes et en devenant collecteur d’impôts. Mais une terrible loi empoisonne ce clan, l’ancêtre avait décidé, pour que cet empire reste intact, que seul le fils aîné aurait le droit de se marier et avoir des enfants. Les cadets connaîtront des sorts tragiques ou seront attirés par des aventures dans le vaste monde. L’auteur sait parfaitement rendre compte des ambiances et des tourments dans lesquels vivent les différents membres du clan. Il fait toujours l’effort de distinguer la part de la légende familiale de ce que peut être la réalité, nous offrant par la même une analyse très vivante de la société libanaise et des différents destins de ceux qui choisissent l’exil.
Je dois avouer que ce roman m’a moins enthousiasmé que le précédent mais j’ai été absolument saisie par la fin : le Liban d’aujourd’hui, à l’image de notre planète, détruit tout son environnement de façon sans doute irrémédiable. Les rapports entre les hommes sont régis par l’argent et rien ne saurait arrêter le béton même quand les rivages d’un pays sont paradisiaques. Ils deviennent hideux à la vue de tous pourtant rien ne semble arrêter les projets les plus monstrueux les uns que les autres. Rien que pour ces dernières pages, il faut lire ce roman qui fait réfléchir au rôle de l’homme sur la planète.

Citations

Se rendre compte d’un ailleurs dès les premières pages

C’est très beau, pourtant, au-dessus de Ayn Safié c’est sauvage à souhait, ce sont plusieurs brefs plateaux, semés de chênes verts et d’arbousiers, avec des rochers aux formes animales, qui ensuite laissent la place à des dénivelés impressionnants, des rocs et des arbres sauvages qui s’accrochent à la montagne jusqu’au fond de la gorge où coule le ruisseau de Ayn Safié. On est si haut que les Éperviers qui passent semblent à portée de main, et l’on voit de là tout le pays, les maisons cachées sous leurs treilles, les plantations de mûriers, les chemins, les chapelles, les églises, les moulins, et c’est cette vue panoramique qui déclenche ce rictus satisfait sur le visage de l’empereur, quand il se dit qu’il a sous les yeux tout le pays et que, d’une certaine manière il le domine déjà.

Description dune région aux confins de l’Asie

Tout en progressant, Shebab mesurait l’espace du regard, comme depuis qu’il était parti il n’avait cessé de le faire. Ses yeux, dirait- il, étaient comme élimés et épuisés à détailler les confins immenses et sans borne. Il observait maintenant l’horizon plat du côté du lac et de ses marais alors que de l’autre côté, comme toujours, les montagnes gigantesque semblaient leur faire des signes, assises depuis l’aube des temps dans une indifférence hautaine et mystérieuse.

Un passage qui décrit bien le Liban comme on le connaît aujourd’hui

Lorsque, en ce temps-là, on suivait la situation du Liban depuis l’étranger, comme je le faisais, on pouvait avoir l’impression que le pays était en ruine. Le monde entier – je le voyais lors de mes voyages – assistait à la dévastation du centre de Beyrouth et des quartiers limitrophes des lignes de front, et pensait que c’étaient la ville dans son ensemble et le pays qui étaient ravagé. Or l’activité économique était frénétique et le commerce florissant, ce que les récits de ma mère ne cessait de me confirmer. Il y avait un autre secteur qui explosait littéralement, c’était celui de l’immobilier. Je ne pense pas qu’il existe au monde un pays où la guerre a entraîné autant non de destructions mais de constructions. Les déplacements de population, les migrations internes et aussi l’accroissement démographique explique cette fièvre dans le bâtiment, la flambée des prix des terrains, notamment dans les environs de Beyrouth non touchés par la guerre. La déliquescence de l’État et de ses moyens de contrôle, la désorganisation générale des services urbains, la corruption et la mainmise des partis sur les rouages administratifs permirent ensuite le développement anarchique de l’urbanisme qui saccagea le paysage, détruisit les montagnes et les alentours des villes. Assez tôt, dès le début des années quatre vingt, ma mère dans ses lettres s’est mise à me décrire les premiers dommages qui aujourd’hui, étant donné tout ce qui a suivi, peuvent nous paraître bénins. Mais c’était le début d’un cycle calamiteux dont les bénéficiaires étaient aussi bien les propriétaires de modestes parcelles et les petits entrepreneurs qui bâtissaient n’importe comment que les consortiums qui naquirent à cette époque, regroupant des hommes d’affaires, des entrepreneurs et des intérêts partisans et miliciens. Ces derniers groupes lancèrent des chantiers qui contribuèrent comme le reste, mais de manière plus systématique, à détruire les paysages et à ruiner l’environnement. Vous vous souvenez, bien sûr, même si vous êtes plus jeune que moi, qu’en quelques années les orangeraies du littéral nord avaient disparu, et avec eux les bourgs et les villages submergés par le béton, un béton qui grimpa à l’assaut des premiers contreforts autour de Beyrouth, détruisant les pinèdes et brouillant les échelles par l’érection d’immeubles dont la hauteur contrevenait a des lois dont plus personne ne se souciait. Je n’étais pas là pour voir ses transformations, je les ai découvertes avec horreur à mon retour, bien plus tard. Et j’ai également découvert alors comment des groupes financiers et les entrepreneurs avaient mis la main sur les plages publiques et défiguré la côte, débordant de tous côtés sur les terres agricoles non constructibles, ce qui nous vaut ce continuum urbain hideux à la place des kilomètres de littoral et de versants montagneux arborés.

L’après guerre au Liban

Un modèle dominait à ce moment, vous vous en souvenez, celui qui avait imposé les milliardaires au pouvoir. Mais il était si difficilement accessible que nombreux étaient ceux qui, voulant jouer les richissimes nababs, dépensaient sans compter pour chaque repas, chaque célébration, chaque mariage, après quoi les dettes les mettaient sur la paille. Des personnes très en vue disparaissaient soudain, d’autres apparaissaient puis disparaissaient à leur tour, tels des papillons imprudents s’approchant trop près tantôt du pouvoir, tantôt des oligarchie financière, et y brûlant aussitôt leurs ailes trop fragiles. Tout cela se jouait tous les jours sous les yeux des gens modestes, comme mes employés par exemple, et tant d’autres, qui assistaient à cet opéra un peu obscène avec envie et parfois des airs dubitatifs.

Une fin bien triste

Quoi qu’il en soit, j’ai refusé jusqu’à l’idée de ce projet de parc naturel. Je ne peux imaginer ces montagnes et ces gorges balisées par des sentiers, aseptisées et protégées par des miradors de militants écologistes. C’est comme mettre des animaux fabuleux en cage pour en protéger l’espèce. C’est ce que j’ai dit aux jeunes gens venus ici me proposer de préserver les lieux. Cette région vivra le destin qu’il attend, leur ai-je dit l’entropie est partout, le monde se défait, la laideur gagne à toute allure. Je leur ai dit que, dès l’instant où l’homme avait coupé le premier arbre, le phénomène s’était enclenché. Ici, il va plus vite qu’ailleurs, parce que nos concitoyens sont plus avides et les paysages plus vulnérables. Ils finiront par disparaître, comme tout, comme la terre entière qui un jour ne sera plus qu’un souvenir, et je me demande d’ailleurs dans la mémoire de qui. C’est peut-être cela la pire angoisse humaine, le fait que, un jour, plus rien dans l’immensité du cosmos ne se souviendra de quoi que ce soit de ce que les humains auront fait, de leur rêve, de leur aventure, de leur folie poétique, ne me de ce qu’ils ont reconstruit, bâti, il, ni de ce qu’ils auront pour cela même simultanément détruit, dévasté, ravagé.

SONY DSCLu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. où il a obtenu un coup de cœur sans aucune hésitation.

5
Quel roman ! On est pris par le récit parfois palpitant, par les descriptions de si beaux paysages, par l’évocation de personnalités romanesques, et puis par cette guerre qui a failli tout détruire. Le Liban c’est le pays de mes amis, et cette photo le raconte : entre les gâteaux qu’ils m’offrent et cette nappe qu’ils ont fait broder pour moi, j’ai placé ce livre qui m’a fait revivre les histoires qu’ils m’ont maintes fois racontées. Ces grandes familles libanaises qui, au delà de leur confession, s’entendaient parce qu’ils aimaient leur pays et savaient trouver les alliances pour le tenir en équilibre. Les grandes familles étaient, chrétiennes, chiites, druzes ou sunnites. Elles étaient avant tout libanaise, et ce doux pays aux vergers incomparables vivaient en se respectant. Certes les classes sociales étaient très marquées, et les amours devaient servir à conforter des alliances financières, mais au-delà de ces contraintes la vie était belle. Les réfugiés palestiniens, chassés de leurs pays ont apporté les premiers troubles, et puis, on connaît les enchaînements tragiques.

Cette grande famille des Hayek* alliée aux Ghosn*, est mise à mal par la mort du patriarche et la guerre qui se passe à leur porte. À l’intérieur de leur superbe villa, Marie la femme, et Mado la belle sœur, qui cultive sa haine pour la femme de son frère se livrent une guerre sans merci. C’est également une des réussites du roman : cette guerre fratricide qui suit les aléas de l’autre guerre.

Sans trop dévoiler le roman, le titre « la Villa des femmes » permet de se dire qu’elles arriveront peut-être à s’unir pour lutter contre la destruction ambiante. L’avant-guerre, ce Liban des grandes familles nous entraîne dans un monde merveilleux, celui des princes et des princesses, mais au  XX°siècle. J’ai adoré la scène où toute la maisonnée galope sur de beaux pur-sang pour récupérer les chevaux qui se sont échappés. On sent le vent, les odeurs , la mer .. on rêve. J’ai adoré aussi la scène ou Mado crache son venin sur sa belle-sœur : c’est de la tragédie grecque et Médée n’est pas loin. Bref, je suis enthousiaste et la petite note qui me fait du bien, c’est écrit dans un français superbe parce que dans ce Liban là, la langue de la civilisation des idées et de la littérature c’était la mienne, la nôtre le français.

* La famille Hayek d’origine libanais existe vraiment, et inutile de présenter aux Français la famille Ghosn

Citations

Des histoires de cimetières et de mesquineries

Dans la voiture, elle se mettait en colère et marmonnait dans mon dos contre son frère qui laissait faire, qui donnait son accord pour que fussent inhumés là une vieille femme ou un vieillard trépassés simplement parce qu’ils s’appelaient Hayek . « On n’est plus entre nous, ni sur nos terres ni en dessous » grommelait-elle.

L’amour romantique

Badi’ les accompagne souvent, et voilà la messe est dite, regards équivoques, rougeur sur les joues de Marie qui petit à petit est gagnée par l’audace, qui s’isole avec Badi’, encouragée par ses cousines, et tout le monde évidemment joue avec le feu parce que l’on sait très bien que le mariage de Badi’ et Marie est impossible. Mais on s’amuse, on élabore des scénarios, on essaie de les faire exister, la vie pour un moment est comme un roman.

La guerre et les milices

De jeunes guerriers oisifs, en chemise de corps et qui paraissaient au courant de nos ennuis, si nous avions bien affaire à Salloum dit le Vicieux. J’opinai et je les vis échanger une moue qui semblait signifier que nous n’étions pas au bout de nos peines… Le domaine recommença à être envahi. les miliciens reprirent leurs aises de tous côtés.

À ne pas lire par les anti-divulgâcheuse : la dernière phrase du roman

Et, dans le formidable mais déraisonnable espoir que tout cela recommencerait, il ramena son regard vers les choses qu’il avait sous les yeux et qui portaient les traces de l’usure, du temps, et me demanda : « Bon, alors, par quoi commence-t-on ? »