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Traduit de l’anglais américain par Pierre GIRARD.

4
Encore un livre desservi par son titre français : du sobre « The Help », on arrive à « la couleur des sentiments » titre cucul au possible et en plus très ambiguë. C’est d’autant plus dommage que l’auteure essaie de ne pas sombrer dans un travers sentimental. Or, comment ne pas faire dans l’émotion quand on a été soi-même élevée par une bonne noire qu’on a aimée plus que sa propre mère ?

L’Héroïne du roman vit à Jackson dans le Mississipi et les lois ségrégationnistes sont encore en vigueur, la domesticité noire n’a pas le droit d’utiliser les mêmes toilettes que la famille blanche. Pour expliquer les raisons d’une telle mesure, on fait appel aux règles d’hygiènes et de transmission des maladies, les noires étant évidemment porteurs de maladies graves et dangereuses pour les blancs !

C’est un roman a plusieurs voix : l’héroïne blanche qui veut écrire un livre sur les bonnes, différentes bonnes et certaine patronnes blanches. Cela permet de faire le tour de la vie à Jackson dans les années 60. Le côté rétrograde et étroit de la petite ville de province qui s’arcboute sur des modes de vie complètement dépassés est très bien rendu. L’idéal de la femme américaine qui sait ou qui ne sait pas tenir une maison, la mode des blondes platines aux cheveux laqués, le fond teint et le maquillage et surtout le terrible ennuie de ces femmes qui ont pour distraction les commérages et le bridge, tout cela m’a fait penser à « Mad-Men », ma série préférée du moment.

Un des intérêts du roman, c’est le récit de l’écriture du livre par les bonnes elles-mêmes, c’est passionnant et cela soutient l’effet de suspens jusqu’à la fin : les bonnes noires arriveront-elles à faire comprendre ce qu’elles vivent sans avoir d’ennuis trop graves ? L’une d’entre elles, celle qui ne peut jamais se taire, a imaginé une solution que je ne peux pas vous dévoiler mais qui est franchement bien vue. L’écriture d’un livre dans un livre , c’est toujours quelque chose qui m’intéresse. Dans ce cas on sent que cette auteure est passée par les ateliers d’écriture, cela lui a été reproché, j’ai trouvé que c’était intéressant (mais je fréquente également ce genre d’endroit). L’analyse des rapports entre les domestiques et les patrons est très fine et si ici, elle est particulière à cause du racisme ambiant, elle permet de réfléchir sur la nature des liens entre employeur et employé dans une même maison.

Dans la foule des détails sur la vie de province, j’ai bien aimé les ventes de charité organisées par les dames patronnesses de Jackson, pour récolter de l’argent pour les pauvres petits… Africains ! J’ai lu une critique qui parlait de « bons sentiments » à propos de ce livre, je ne suis pas d’accord, la violence est là, le plus souvent comme une menace qui fait peur à tout le monde, elle rôde dans le quartier noir. Ce livre permet de comprendre les émeutes violentes qui sont venues dix ans après. Un seul conseil : lisez le vite et ne vous arrêtez pas au titre français.

Citations

C’est un projet qui vise à rendre obligatoire la présence de toilettes séparées à l’usage des domestiques de couleur dans toutes les maisons occupées par des blancs.
Règle numéro un pour travailler chez une blanche, Minny : ce n’est pas ton affaire. Rappelle toi une chose : ces blancs sont pas tes amis.
Règle numéro 6 : tu frappes pas ses enfants. Les Blancs aiment faire ça eux-mêmes.

C’est depuis la nuit des temps que les Blancs empêchent les Noirs de dire ce qu’ils pensent..

 

Je n’ai encore rien avalé de la journée hormis la tisane de maman contre les sexualités déviantes.

 

Mais c’est la dichotomie affection-mépris qui m’étonne toujours. La plupart de ces femmes sont invitées au mariage des enfants, mais seulement dans leur uniforme blanc. Je savais déjà tout cela mais l’entendre de la bouche de ces Noires est comme l’entendre pour la première fois .

– Donc tu dis qu’il y a pas de limites, non plus entre une bonne et sa patronne ?
– C’est des positions, rien de plus comme sur un échiquier. Qui travaille pour qui, c’est sans importance.

– Les seins sont faits pour la chambre et pour l’allaitement. Et la dignité ça existe aussi.
-mais enfin, Eleanor, que veux-tu qu’elle fasse ? Qu’elle les laisse à la maison ?
– Je-veux-qu’elle-les-couvre.

On en parle

Les lecture d’Anna. Une lectrice qui a eu la chance de le lire en anglais : Nymphette.

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Traduit de l’anglais par Michèle VALENCIA

4
J’ai été passionnée par ce roman, je l’ai lu deux fois, la première fois pour fixer l’intrigue et la deuxième pour en savourer les moments clés. (Il faut dire que j’étais beaucoup dans les transports parisiens ces derniers temps et Marie O’Farrel sait embarquer son lecteur dans son univers romanesque). Le récit est très bien construit, avec sans doute quelques invraisemblances, du moins je l’espère (pouvait-on garder 60 ans dans un asile quelqu’un qui avait bien énervé ses parents ?).

Iris, une jeune femme d’aujourd’hui, a de grandes difficultés à construire sa vie amoureuse, elle est entourée par deux voix de femmes très âgées, qui reconstruisent leur passé, l’une a la maladie d’Alzheimer, l’autre a été internée pendant plus de soixante ans. Ces trois destins sont liés et jusqu’à la dernière ligne, le lecteur est tenu en haleine par une intrigue très bien menée. On est plongé dans la haute société Ecossaise du milieu du siècle dernier. Une jeune fille, un peu originale, qui aurait préféré faire des études plutôt que de se marier va être victime de sa propre famille.

Un des intérêts du livre, c’est la réflexion sur la condition féminine et l’horreur de l’internement abusif. Jamais le roman ne tombe dans la démonstration car tout est raconté de façon parcellaire par deux vieilles femmes qui peuvent se tromper, s’il est certain qu’Esme n’aurait jamais dû être traitée de cette façon, on ne saura pas si elle n’était pas un peu déséquilibrée. J’aime bien que les choses ne soient pas présentées de façon simpliste, ce n’est pas un roman à thèse, cela reste avant tout un bon roman qui permet, aussi, de réfléchir sur les graves dysfonctionnement de l’internement en psychiatrie au siècle dernier.

Citations

Il suffisait à un homme d’avoir un papier signé par un généraliste pour faire interner sa femme ou sa fille dans un asile d’aliénés (…) Un bonhomme pouvait se débarrasser d’une fille indocile.

 

leur grand-mère les oblige à revêtir leurs plus beaux habits et à arpenter le front de mer en saluant les passants. Surtout les familles qui ont des fils.

 

Nous ne sommes que des vaisseaux par lesquels circulent des identités… Nous venons au monde en tant qu’anagrammes de nos ancêtres

 

Nous parlons d’une gamine de seize ans qu’on a enfermée pour avoir essayé des vêtements.

 

Vêtues de chemises pâles, elles se déplacent comme des nuages. Difficile de dire s’il s’agit d’hommes ou de femmes car leurs chemises sont lâches et leurs cheveux coupés si courts. Certaines regardent droit devant elles, sans bouger. L’une sanglote dans ses mains. Une autre pousse un cri rauque qui se termine en marmonnement.

 On en parle

Delphine’s Book, je partage son avis sur le personnage d’Iris. Le goût des livres et à sauts et à gambades, mon blog fétiche, avec une photo remarquablement choisie et qui m’a fait remonter bien des souvenirs.

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5
Je ne suis qu’à la fin de la saison 2, mais dès le premier épisode de la saison un (« le pilote ») comme tout le monde, je suis complètement tombée sous le charme de cette série. Don Draper (joué par John Hamm) est un publicitaire des années 50/60 à New-York, autant dire, que s’il n’est pas le roi du monde, il les côtoie tous les jours. Il est hanté par un lourd secret qui se dévoile au cours des épisodes.

Cette série est aussi passionnante pour ses intrigues que pour la reconstruction de l’époque. Le moindre détail nous fait sourire et encore, nous ne sommes pas américains ! Je ne suis pas prête d’oublier la petite fille qui arrive auprès de sa maman avec un sac transparent sur la tête : les enfants jouaient aux cosmonautes, elle se fait gronder, sa mère suppose qu’elle a dû, en utilisant la housse du pressing, ne pas faire attention aux vêtements. Je me souviens très bien que la peur qu’un enfant ne s’étouffe avec des sacs en plastique est venue petit à petit. Je raconte ce court passage car il est significatif de ce qu’on éprouve en regardant la série, soit « Ah ! Oui, je me souviens bien » ou «  Ah ! Ce n’est pas possible ».

Les rapports des hommes et des femmes dans la société sont surprenants finement analysés et très américains. Il y a des points communs avec la société française mais pas complètement. Par contre, l’analyse du couple est universelle et atemporelle. Les rapports dans le monde du travail, l’arrivée de Kennedy au pouvoir, le début de la contestation étudiante, les ressorts de la publicité, tout est là, et je garde le meilleur pour la fin : les costumes et les décors, je peux me repasser en boucle certains épisodes uniquement pour regarder dans les détails les objets et les vêtements.

Je ne suis pas très originale en vous disant que cette série est excellente, voici son palmarès : treize Emmy et quatre  Golden Globes. C’est la première série télévisée câblée à remporter trois années consécutives l’Emmy pour les trois premières saisons en 2008, 2009, 2010. Évidemment, il faut la regarder en anglais avec pour moi les sous-titres en français. Je vais avoir du mal à attendre pour m’offrir la saison trois !

On en parle

Les deux blogs que je consulte régulièrement au sujet des séries : Tête de série et Le Monde des séries.

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 Traduit de l’espagnol par François Maspero.

4
Le mois de septembre, c’est le mois de mon anniversaire donc le mois où je reçois des livres souvent merveilleux. L’an dernier, ma sœur m’a offert « l’ombre du vent ». Étant donné ce que j’en avais lu sur les blogs, je me suis précipitée mais voilà, parfois je lis mal et trop vite et je me suis perdue dans les méandres de cette histoire. Cette année, j’avais plus de temps et j’ai absolument été captivée du début jusqu’à la dernière page. J’aurais voulu que le plaisir dure encore… Je me demandais pourquoi il ne m’avait pas séduit tout de suite. C’est simple on ne peut pas le lire trop vite. L’intrigue est complexe les histoires très imbriquées les unes dans les autres. En prenant mon temps tout s’est éclairé, en plus c’est un tel hymne à la lecture au plaisir des livres que tous les lecteurs se retrouvent à un moment ou à un autre dans les personnages. Ma sœur avait raison ce livre ne pouvait que me plaire.

En toile de fond, les violences de la guerre civile espagnole avec toutes ses horreurs ! Si le livre est souvent sombre et tragique, il est aussi plein d’humour, le personnage de Firmin et de son immense amour pour toutes les femmes est à la fois tendre et drôle. Les histoires d’amour sont très belles et passionnées (nous sommes en Espagne !) La tendresse des pères pour leur enfant est émouvante.

Bref un très beau roman qui suit les méandres complexes de la littérature, on y retrouve beaucoup de clins d’œil littéraires, ce qui ne rend pas le roman pédant pour autant.

Citations

L’un des pièges de l’enfance est qu’il n’est pas nécessaire de comprendre quelque chose pour le sentir. Et quand la raison devient incapable de saisir ce qui se passe autour d’elle, les blessures du cœur sont déjà trop profondes.

 

Ces gens qui voient le péché partout ont l’âme malade, et si tu veux vraiment savoir, les intestins aussi. La condition de base du bigot ibérique est la constipation chronique.

 

Elle a même appris à broder et on m’a dit qu’elle ne s’habille plus en Simone de Beauvoir

 

Le problème, c’est que l’homme, pour en revenir à Freud et utiliser une métaphore, fonctionne comme une ampoule électrique : il s’allume d’un coup et refroidit aussi vite. La femme, elle, s’est scientifiquement prouvé, s’échauffe comme une casserole. Peu à peu, à feu lent, comme la bonne fricassée. Mais quand elle est chaude, personne ne peut plus l’arrêter.

 

La femme, c’est Babel et Labyrinthe. Si vous la lissez réfléchir, vous êtes perdu. Souvenez-vous-en : cœur chaud, tête froide. L’a b c du séducteur.

 

La vie dans la rue est brève. Les gens vous regardent avec dégoût, même ceux qui vous font l’aumône, mais ce n’est rien comparé à la répugnance qu’on s’inspire à soi-même. C’est comme vivre attaché à un cadavre qui marche, qui a faim, qui pue et qui refuse de mourir.

On en parle

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 Traduit du finnois par Sébastien CAGNOLI.

4
Livre terrible et éprouvant, mais livre à lire certainement. On comprend pourquoi des jeunes filles de l’est se font prendre aux pièges terribles de la prostitution. Le destin de la vieille Aliide et de la jeune Sara se réunissent dans l’horreur, jusqu’au bout on se demande si celle qui a connu les purges staliniennes (mais qui a collaboré) va aider celle qui est tombée dans les griffes d’un souteneur. Sara ne sait pas comment expliquer sa situation à la vieille femme et elle a tellement peur que les mafieux tortionnaires la retrouvent. Sara comprend l’Estonien mais le parle mal ce qui rajoute à son angoisse : la vieille femme va-t-elle la comprendre ?

Aliide la peur ça la connaît, cela fait plus de 60 ans qu’elle vit avec  : est-il possible qu’un membre de sa famille qu’elle a contribué à envoyer en Sibérie vienne lui demander des comptes… c’est si loin tout ça ! Sara et Aliide sont liées par l’angoisse et la peur qui rôde à la porte même de la maison : rien dans ce livre n’est léger ! La construction du roman est étonnante, comme des cercles qui se resserrent, comme un serpent qui entoure sa proie en l’étouffant peu à peu, la vérité se fera jour. Sara pourra-t-elle revivre et éloigner d’elle l’horreur. À lire donc (si on est en forme et si on a le moral !)

Citations

Pour le studio de tatouage, Pacha se faisait la main sur des filles hors d’usage. Comme avec Katia… Il avait piqué sur les seins de Katia : une femme à forte poitrine qui taillait une pipe à un diable… il avait orné le bras de Katia d’une deuxième image du diable. Ce dernier avait une grosse bite velue.
« Aussi grosse que la mienne ! » avait rigolé Pacha.

Après cela, Katia disparu.

 

Zara ouvrit un flacon de poppers et renifla. Quand Pacha la prendrait pour se faire la main, elle saurait que son heure était venue.

 

Mais la terreur de la fille était tellement vive qu’Aliide la ressentit soudain en elle-même…Mais maintenant qu’il y avait dans sa cuisine une fille qui dégoulinait de peur par tous les pores sur sa toile cirée … . La peur s’installait là, en faisant comme chez soi. Comme si elle ne s’était jamais absentée. Comme si elle était juste allée se promener quelque part et que, le soir venu, elle rentrait à la maison.

 

Alors que cette fille, avec sa jeune crasse, était ancrée dans le présent, ses phrases rigides sortaient d’un monde de papiers jaunis et d’albums mités remplis de photos.

 

On en parle

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 Traduit de l’anglais par Anne RANINOVITCH.

4
Problème de traduction : je ne trouve pas que le titre français traduise bien le titre anglais : Never Let Me Go. J’espère que cela ne reflète pas le travail de la traductrice ! Toutes les critiques autour de ce roman se trouvent confrontées à la même difficulté : comment partager le plaisir de la lecture sans dévoiler l’intrigue qui est étonnante et fait pour une grande part l’intérêt de ce roman. Donc je ne dévoilerai rien. Au-delà de l’aspect science fiction, qui je l’espère ne sera jamais réalité, l’analyse des souvenirs et des sentiments venus de l’enfance est d’une finesse absolument remarquable. N’oublions pas que Kazuo Ishiguro a écrit «  Les Vestiges du jour », on retrouve la même précision dans l’analyse des sentiments et de la société britannique.

Ce que je peux rajouter, c’est qu’une fois terminée la lecture, j’ai pris un très grand plaisir à relire ce livre avec toutes les clés de compréhension. J’ai été sidérée de voir à quel point j’avais négligé les indices très clairement donnés dès les premières pages, un peu comme les enfants réunis dans ce lieu de Hailsham , j’avais tous les éléments pour comprendre , mais le voulais-je vraiment ? C’est une prouesse d’écrivain que de nous mener au même rythme que ces héros et nous forcer peu à peu à accepter la réalité qui nous fait peur.

 

Citations

Madame avait peur de nous. Mais elle avait peur comme d’autres avaient peur des araignées. Nous n’avions pas été préparées à cela. Nous n’avions jamais eu l’idée de nous demander ce que nous éprouverions si on nous voyait ainsi, si les araignées, c’était nous.

 

En tant qu’élèves de Hailsham, nous étions tous très spéciaux, et notre mauvais comportement était d’autant plus décevant.

 

Je pense que j’avais perçu qu’au-delà de cette ligne il y avait quelque chose de plus dur et de plus sombre, et que je ne le voulais pas. Ni pour moi, ni pour aucun d’autres.

On en parle

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 Traduit de l’Anglais (Afrique du Sud) par Françoise ADELSTAIN.

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4
C’est la première fois que ma participation à « masse critique » de Babelio est un succès total. Je ne pense pas que j’aurais entendu parler de ce livre autrement et c’est injuste pour la qualité de ce récit. Ce roman est absolument passionnant surtout pour la peinture de l’Afrique du Sud dans les années 60. J’ai une petite réserve à propos du parcours initiatique du jeune Simon, je le trouve un peu trop naïf mais ça n’enlève rien à la force et donne un peu d’humour au roman.

Le récit démarre dans un lycée de la capitale de « l’état libre d’Orange », le héros se retrouve confronté à un élève avec qui il a partagé ses années de primaire, Fanie. Un tournoi de tennis est organisé entre leur lycée plutôt classique et un lycée professionnel fréquenté par des afrikaners que les lycéens anglais méprisent en les appelant « les Clefs-à-molette ». Chaque rappel de ce qui s’est passé entre Fanie et Simon, est l’occasion pour le héros de se replonger dans son enfance. Nous voyons alors se dérouler la vie dans une petite ville de province afrikaner, c’est à peu près l’horreur. Racisme, intolérance, stupidité et étroitesse d’esprit tout cela béni par une religion obscurantiste sont au rendez-vous. Les adultes sont d’une lâcheté et d’une bêtise incroyables. On a parfois du mal à croire que tout cela se passe dans les années 60, on se dirait au début du 20° siècle. Le racisme n’est pas tant envers les noirs qui sont à peu près absents du livre, c’est entre les afrikaners et les anglais et entre les différentes religions.

Une personnalité noire sera l’objet d’un souvenir : une femme, Mary qui, pendant 8 ans, a lavé les cheveux dans un salon de coiffure et est mariée avec le jardinier de la famille de Simon. Un blanc prend sa place et elle est chassée sans aucun état d’âme : c’est la loi ! Il faut dix ans dans le même emploi pour qu’un noir puisse rester dans une ville blanche. Mary retournera dans une tribu à des centaines de kilomètres qu’elle ne connaît pas, laissant derrière elle un mari totalement désemparé. L’humour vient de la personnalité de la mère de Simon qui est un peu moins conventionnelle que les autres habitants du bourg. Le récit de l’instituteur sadique est terrible, mais hélas plausible (et cela pas seulement en Afrique du Sud).

Le jeune Simon se forme peu à peu à la sexualité des adultes dans un pays entièrement sous la domination de la religion, c’est vite de l’ordre du péché, même si c’est un prêtre qui l’initie à la masturbation « réciproque ». Steve, l’ami de Simon et Fanie, a le malheur de ne pas être de leur communauté, donc il sera jugé et condamné et mourra en prison parce que la femme du pasteur est sure qu’il est pédophile (ce qui n’est pas prouvé) alors que le prêtre lui semble très bien être accepté par la communauté et peut continuer à initier les jeunes garçons. Bref un monde étroit et pervers où l’originalité est considérée comme une offense aux « bonnes » mœurs.

J’ai été sensible à l’écriture de Michiel Heynes, (comment ne pas l’être ! et bravo à la traductrice), c’est un grand écrivain : il est nous entraîne dans un monde que je ne connaissais pas, nous fait sourire parfois et nous fait découvrir bien des ressorts cachés de l’âme humaine.

Citations

Le rugby étant le plus important, en réalité l’unique, dénominateur commun de la culture blanche en Afrique du Sud.

Nous en avions donc conclu que le père de Fanie était un homme sobre, et Louis van Niekerk avait déclaré d’un ton péremptoire : « C’est pour ça qu’il est fils unique. »

 

Son père l’avait retiré de l’école pendant un an parce qu’il avait découvert une référence à la théorie de l’évolution dans notre manuel de sciences naturelles.

 

Elle figurait comme dans notre livre d’histoire au titre de foyer d’une petite tribu indigène « amicale » -ce qui signifiait que les autochtones n’avaient opposé aucune résistance à l’occupation de leur terre par les Voortrekkers* (boers)

 

Je révérais tant l’autorité que je respectais même un de ses représentants aussi perverti que Mr De Wet ; je n’ai jamais perdu l’espoir absurde de plaire à cet homme dont le bonheur consistait à faire mail aux autres.

 

Klasie allait prouver que les Boers avaient en réalité gagné la guerre, en démontrant de façon décisive que les historiens anglais avaient falsifié tous les récits des combats, étant donné le fait bien connu que, ayant inventé l’écriture, les Anglais peuvent habiller la vérité à leur image.

On en parle

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Traduit de l’allemand alémanique par Olivier Mannoni

5
Je ne sais pas s’il mérite ces cinq coquillages, mais je n’hésite pas à les donner , je m’explique. Ce livre m’a remis dans le même état que mes lectures d’enfant et d’adolescente, je ne voulais pas le lâcher. Je l’ai lu jusqu’à trois heures du matin, et ce matin je me suis réveillée uniquement pour le finir. J’ai pratiquement pleuré à la description de la mort de l’enfant soldat, j’ai été écœurée par les marchands d’armes. Il m’est arrivé de ralentir la lecture pour savourer les odeurs et les émotions !

Sans doute, en tant qu’œuvre littéraire, il ne mérite pas autant d’éloges. Mais un livre ce n’est pas que le style, qui, par ailleurs, est bon si je peux en juger à travers la traduction, mais sans invention particulière. C’est le récit qui est parfait, j’avais déjà beaucoup aimé « Small World ». Dans « Le cuisinier » le monde actuel est mis en scène : les réfugiés en situation presque régulière, la situation des populations vaincues, ici les Tamouls, mais cela pourrait être des Kurdes ou tout autre peuple victime à la fois d’une nation qui ne veut plus d’eux et d’une guerre de libération sanglante, (Les tigres Tamouls ne sont pas épargnés !), la crise financière, les marchands d’armes , la restauration de luxe et l’ambiance dans les cuisines étoilées… rien de ce qui fait les choux gras des journaux n’est absent de ce roman. Et tout cela mêlé à une intrigue passionnante et une évolution dans les sentiments amoureux peu banales. J’ai trouvé très bien la façon dont martin Suter a décrit l’opposition entre tradition et mœurs occidentaux, rien n’est manichéen tout est traité avec beaucoup d’humanité.

Et je n’ai pas encore parlé du thème central : la cuisine… je pense que tout le monde aura envie d’essayer les recettes de la fin du livre, bien qu’elles semblent horriblement compliquées à réussir, exemple dans le menu promotion :

  • Chappatis au caviar de cannelle et de caloupilé
  • Tandoori de poussins fumés au bois de hêtre sur sa gelée de beurre de tomate
  • Kuffi à l’air de mangue
  • Les recettes du Love-menu, c’est encore plus compliqué et surtout, il faut bien choisir le partenaire avec lequel on les dégustera ….

Ce roman est traduit par Olivier Mannoni et il est si bien traduit qu’on oublie qu’il n’a pas été écrit en français !

Citations

Pour le reste, on trouvait là un importateur de voitures, le propriétaire d’une agence de publicité et un président de banque dont la démission récente n’avait pas été tout à fait volontaire, tous avec leurs grandes, minces, blondes deuxième épouse.

 

– Je croyais que les castes avaient été abolies ?
– Exact. Tu dois faire partie de la bonne caste abolie.

 

– Mes parents ils sont morts en 1983,on a mis le feu à leur voiture.
– Pourquoi ?
– Parce qu’ils étaient Tamouls

Oui. Mais pas du Sri Lanka que j’ai quitté. Juste celui du pays où j’aimerais revenir. Pacifique et juste.

Et réunifié ?

..

Les trois à la fois ? Pacifique, juste et réunifié ? Ce serait bien.

 Et c’est ainsi que pour Maravan, le Tamoul, prépara sans se douter de rien pour Razzaq, le Pakistanais, un repas au cours duquel se nouerait une affaire qui, par quelques détour, permettraient à l’armée sri-lankaise de se procurer des chars suisses d’occasion.

 

– Ce sont des gens comme Dalman qui ont ces enfants sur la conscience.
Maravan balança la tête.
– Non. Ce sont ceux qui déclenchent ces guerres.

Eux, ce sont des idéologues. Bien sûr, ils sont épouvantables, eux aussi ; Mais pas autant que les fournisseurs. Ceux qui permettent les guerres en livrant les armes. Ceux qui gagnent de l’argent avec les guerres et qui les prolongent. des gens comme Dalman.

C’était un silence qui dévorait tout. Un silence plus puissant à chaque seconde qui s’écoulait. …. Et tout à coup, ce silence. Comme un bijou. Un article auquel des gens comme lui ne pouvaient pas prétendre.

Les journalistes n’enquêtent pas sur les révélations de leurs collègues. Ils les recopient.

 

L’amour passe pour une marieuse peu fiable

Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti.

Pourquoi aucun coquillage ? Cela me semble tellement puéril à côté du contenu du livre ! Aharon Appelfeld est né dans une région du monde qui a changé de nationalité très souvent. Originaire de Bucovine, il a surtout le malheur d’être juif, toute sa famille disparaîtra pendant la deuxième guerre mondiale. Il doit sa survie, à son courage, il a fui le camp de concentration. Pendant deux ans, il a erré dans les forêts de l’Ukraine en essayant, jour après jour, de ne pas mourir, il n’avait que dix ans !

C’est la première partie du livre. Le livre commence par le bonheur d’une enfance heureuse dans un monde qui a complètement disparu aujourd’hui. Comme toujours, dans ces témoignages, certains passages sont très difficiles à lire. Le chapitre sept, par exemple. Il se souvient d’une femme qui fait tout ce qu’elle peut pour obliger un enfant à fuir la douceur relative de ses bras pour qu’il se cache et essaye de se sauver, l’enfant tel un petit animal s’accroche à elle avec l’énergie du désespoir, ensemble ils monteront dans le train de la mort.

La deuxième partie du livre raconte ses difficultés à s’adapter en Israël et à trouver sa langue d’écriture. C’est une très belle réflexion sur la culture et la langue. Je m’attendais à trouver des remarques sur le conflit palestinien mais ce n’est pas son propos. Pour moi, c’est un livre à lire absolument, un de plus diront certains sur ce sujet. Mais en le lisant on comprend qu’il ne pouvait pas faire autrement que de nous le raconter. Ses souvenirs sont si lourds qu’il doit pouvoir les partager avec ses lecteurs

Citations

 Chaque fois qu’il pleut, qu’il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m’ont abrité longtemps.

 

Ma mère fut assassinée au début de la guerre. Je n’ai pas vus sa mort, mais j’ai entendu son seul et unique cri. Sa mort est profondément ancrée en moi -, et plus que sa mort, sa résurrection. Chaque fois que je suis heureux ou attristé son visage m’apparaît, et elle, appuyée à l’embrasure de la fenêtre, semble sur le point de venir vers moi.

À cette époque, j’appris qu’un homme ne voit jamais que ce qu’on lui a déjà montré.

 

Chaque être qui a été sauvé pendant la guerre l’a été grâce à un homme qui, à l’heure d’un grand danger, lui a tendu la main.

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Merci Dominique pour ce délicieux conseil. J’avais demandé un conseil de lecture : j’étais en train de lire une série de livres plutôt éprouvants . Et, j’ai reçu ce cadeau de lecture !

Il y a parfois des coïncidences agréables :

  • J’ai visité Bruges très récemment
  • Cet été, mes quatre petits fils ont su, à leur manière, me dire qu’ils étaient heureux que je sois leur « grand-mère »
  • Ma mère s’appelait Thérèse et ma grand-mère Augustine

La grand-mère du livre, celle que l’écrivain sait si bien faire revivre : Thérèse-Augustine ! L’amour du petit fils pour sa grand-mère est très bien raconté et ne peut que vous émouvoir. Il sait donner vie à cette femme qu’une trop rude enfance paysanne, voulait laisser dans l’ignorance de la culture.

Thérèse-Augustine découvrira les plaisirs de la lecture avec son petit fils, c’est une belle leçon d’optimisme pour ceux à qui l’âge fait peur. L’auteur sait aussi, (sa biographie nous dit que Charles Bertin est poète) décrire les plaisirs des jardins et dela mer. Certaines pages sont de petits poèmes en prose. Un court mais réel plaisir de lecture, un livre que je recommanderai à mon tour.

Citations

Elle ne pardonna jamais à son père la violence qui lui avait été faite en la retirant de l’école à douze ans. Ce fut le vrai drame de son existence : un demi-siècle plus tard ; l’amertume d’avoir été flouée la tenaillait toujours.

 

Au fil des mois, la pratique des livres dans laquelle elle n’avait vu à l’origine que le symbole de sa libération et l’instrument d’une revanche sur le destin, finit par se muer en passion toute pure.

 

O Thérèse-Augustine, ma grand-mère des groseilles de juin qui tricotiez en me racontant votre vie sur le perron aux capucines, bien des poètes, c’est vrai, firent moins bien que vous.

Pour le style

Mais la véritable fête, c’est la lumière qui me la donnait : les jeux conjugués de la pluie et du soleil transformaient mon repaire de verdure en une manière de grotte océanique où tous les tons du vert, du jade au céladon, de l’émeraude à l’aigue-marine, rivalisaient dans cette pénombre élyséenne criblée de rayons. La plus mince ramure baignait dans une mousse de lumière dorée qui paraissait puiser son éclat à quelque fabuleuse source intérieure. Je ne me lassais pas de contempler à travers l’épaisseur du feuillage encore nappé de pluie, mais d’où montaient déjà les premières vapeurs, l’irisation des gouttes suspendues qui, durant un moment dont j’aurais souhaité prolonger les délices, continuaient l’une après l’autre à se détacher, comme à regret, de l’extrême pointe des feuilles vernissées. Je ne savais pas encore que je découvrirais dans cet avènement éphémère d’une œuvre de la nature une préfiguration du plaisir que je trouverais un jour dans les accomplissements de l’art des hommes.