Édition Stock, 317 pages, février 2023

 

Un roman conseillé par ma soeur que je ne suis pas prête d’oublier. Le titre et le sous titre parlent de deux moments de l’histoire des ancêtres de l’écrivain. Pour écrire les deux moments de ce passé, l’auteur se sert de deux narrateurs différents : son père qui lui transmet la tradition familiale autour de l’ancêtre de 1744, le médecin juif, Isaïe Cerf Oulman, et sa grand mère qui lui racontera de façon parcellaire ce qui s’est passé en juillet 1944 qui verra l’arrestation et l’assassinat de 13 personnes de sa famille arrêtées par la police française et tuées par les allemands à Auschwitz ou ailleurs.

Le fait historique, de 1744, occupe les deux tiers du roman, et est très intéressant. Le roi Louis XV est à Metz pour surveiller et motiver ses troupes dans une guerre contre l’Autriche. Après une journée consacrée à la chasse et à l’amour physique, le roi s’empiffre d’un repas très riche, trop sans doute. La nuit, il est pris de douleurs atroces et doit appeler ses médecins qui ne connaissent que deux façons de soigner de l’époque : la purge et la saignée. Et plus la personne est importante, plus on le purge, plus on le saigne .. (heureux les pauvres qui avaient le droit de mourir sans ces horribles pratiques ! !)

La ville de Metz accueille à l’époque une forte de communauté juive, constituée en particuliers des Juifs chassés du royaume de France par le roi Lois XIV. La place forte est dirigée par le descendant de Fouquet, le Maréchal de Belle-Isle qui a pris l’habitude de connaître et apprécier la communauté juive. il avait donc, fait appel à ce grand médecin Isaïe Cerf Oulman qui avait sauvé un de ses lieutenant.

Le roi est très malade et même mourant, le parti des dévots mené par l’évêque de Metz, reprend pouvoir sur ce roi moribond. Cela commence par le renvoi des deux maîtresses du roi, puis par la promesse du roi de construire une cathédrale à Paris plus haute que Notre-Dame, consacrée à Saint Geneviève. Vous savez qu’est devenue cette église Sainte-Geneviève ?

Le Maréchal de Belle-Isle veut absolument sauver le roi en déguisant le médecin juif, pour que personne ne sache que le Roi, a été sauvé par un Juif .

Nous nous retrouvons ensuite en France en 1994, et nous écoutons la grand-mère de l’auteur qui parle de l’horreur absolue : l’arrestation de son père un homme décoré de la légion d’honneur, héros de la guerre 14/18 , qui en 1944 ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant, il est arrêté par la milice en juillet 1944 et ce sera le début des treize arrestations des membres de sa famille. Cette partie est plus difficile à lire, car chargée d’une émotion palpable, d’abord parce que les membres de sa faille ont été arrêtés alors que le mois d’après Paris était libéré ! et puis la façon dont a été traité cet arrière grand-père, battu, alors qu’il était infirme et abandonné sans soin sur une paillasse dans un sous sol est insoutenable. L’auteur cherche pourquoi après 12 autres membres de sa familles ont été arrêtés ce n’est sans aucun doute pas le fruit du hasard, dénonciation ? Carnet retrouvé chez le grand-père ? aveux sous la torture ?

On n’aura pas de réponse, mais peu importe, la famille peut maintenant se recueillir sur le murs du mémorial de la Shoah, celui-là même qui a été tagué récemment. Et aussi au Panthéon où le nom d’Émile Hayem figure comme héros de la guerre 14/18.

La boucle est bouclée : si le Panthéon existe c’est un peu grâce à Isaïe Cerf Oulman, qui a sauvé la vie du Roi Louis XV, vous souvenez que le Roi avait promis de construire une église plus haute que Notre-Dame, le Roi a bien tenu sa promesse, mais celle-ci n’a été terminée qu’après la Révolution de 1789, les Révolutionnaires n’ont pas voulu en faire une église même si le monument est bien sur la Montagne Saint Geneviève, ils en ont fait un Panthéon à la gloire des grands-hommes de France dont le descendant d’Isaïe Cerf Oulman : Émile Hayem .

Si je mets 5 coquillages à ce roman, ce n’est pas pour ses qualité littéraires (il est très bien écrit mais sans effet littéraire particulier), mais parce que je pense qu’à notre époque qui voit l’antisémitisme remonter avec son lot de violence, il faut absolument lire ce genre de livres.

 

Extraits

Début.

En cet ensoleillé matin d’automne 1927, Julien Hayem, accompagné de son épouse Lucie, sortait d’un élégant immeuble haussmannien du 10, avenue de Messine.
Les platanes bordant la large voie s’embrasaient de couleur ocre et feu comme autant de buissons ardents. Ces teintes exubérantes contrastaient avec la mise de Julien en habit de deuil, il portait une redingote noire, un gilet noir, une chemise blanche à plastron, une cravate noire de chez Charvet, un haut-de- forme et une brassière noire. Il arborait son insigne d’officier de la légion d’honneur. En noir elle aussi, couverte d’un chapeau et d’une mantille, Lucie lui tenait le bras, par affection, par émotion, pour garder l’équilibre, également  ; elle approchait des quatre-vingts ans comme son époux.

Le sort du médecin juif en 1744.

 Si, comme Hélian l’avait dit, il s’agissait d’une dysenterie, et si le roi n’était pas trop faible, il saurait le guérir. Mais s’il souffrait d’autres infections malignes, il succomberait de l’assaut des purges et des saignées. En cas de succès, Louis serait officiellement sauvé par un docteur militaire à la retraite du nom de Montcharvaux. En cas d’échec, il devrait répondre, lui, le médecin juif de l’accusation courante pour les siens, d’empoisonnement. La populace se déchaînerait, les quatre cent familles juives de Metz et celles des environs seraient sûrement pourchassés, violentes, assassinées. Dans tout le royaume, les Juifs auraient de nouveau à choisir entre l’exil, la potence ou le bûcher, comme au temps des croisades, de la peste ou de la terrible expulsion du Royaume de France en 1394. Il se devait de réussir.

Je connais ce fait mais cela me fait mal à chaque fois que je le relis .

Brunner le responsable de l’assassinat de tous les miens finit sa vie en policier zélé et efficace de la dictature de Hafez El-Assad.

C’est tellement vrai et ça résonne très fort aujourd’hui.

Profondément patriote et démocrate je savais intimement que lorsqu’une vague antisémite déferlait elle ne s’arrêtait pas aux juifs. Elle irait aussi s’attaquer à notre socle de valeur et à notre démocratie. Dans la tourmente, nous sommes toujours des éclaireurs. Quand un peuple s’attaque à ses Juifs, cela ne s’arrête jamais là, comme en 1306 *, en 1898*, en 1936*. Nous étions bien seuls à la fin de l’année 2000 à tirer la sonnette d’alarme. Nos avertissements ne furent pas entendus ou si peu. Une décennie plus tard la France serait un des pays les plus touchés en Europe par la vague des massacres islamiques qui avaient débuté par les Français juifs pour ensuite meurtrir l’ensemble des Français .
1306 : En juin 1306 , le roi Philippe le Bel promulgue un édit d’expulsion imposant aux Juifs de quitter le royaume de France et annule toutes les créances qui leur sont dues, puis confisque tous leurs biens.
1898 : une vingtaine de députés, tous membres de courants nationalistes (boulangistes, royalistes, déroulédiens…), constituent en un « groupe antisémite » à la Chambre, sous la présidence de Drumont.
1936 : jeux Olympiques de Berlin, personne ne réagit qu’en 1935, sous l’impulsion de Goebbels et de Streicher, des « manifestations spontanées » sont organisées contre les Juifs. Elles aboutissent à la publication des lois de Nuremberg qui privent les juifs de leurs droits civiques et leur interdisent de se marier ou d’avoir des rapports sexuels avec des personnes de « sang allemand ou assimilé » La même année Hitler interdit que des noms juifs figurent sur les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. En 1936 jeux Olympiques de Berlin .
2012 : En trois expéditions, Mohammed Merah assassine sept personnes dont trois enfants juifs et fait six blessés.

Édition Points, 254 pages, décembre 2019 (2012 première édition)

 

Roman trois fois récompensés : Prix Fémina, Prix du roman Fnac, Prix des prix Littéraires , et qui pourtant ne m’a pas complètement séduite. Le style est un peu étrange, que j’ai compris un peu mieux à la fin du livre. L’auteur dit que Yersin n’aurait sans doute pas apprécié ce roman biographique pour décrire sa vie et son oeuvre . Cet homme est particulièrement pudique sur sa vie personnelle , et très atypique sur sa vie de chercheur. Quand on lit l’article Wikipédia on en apprend pratiquement autant sur sa vie de chercheur. Yersin a découvert le bacille de la peste et avant celui de la toxine diphtérique, mais c’était aussi un explorateur qui est tombé en « amour » avec le Vietnam où il a été plus honoré qu’en France. La volonté de l’écrivain c’est de nous faire comprendre cette personnalité à travers en particulier ses lettres à sa mère, et à sa soeur . Il nous parle aussi de tous les gens qui ont croisé ou qui auraient pu croiser Yersin, pour nous faire revivre l’époque dans laquelle vivait ce savant-explorateur, tout en respectant la pudeur de cet homme. On apprend donc ses découvertes scientifiques, sa volonté de découvrir le Vietnam, et de maîtriser la culture de l’hévéa, et de la quinine. Comme chercheur pasteurien, il produit des vaccins pour protéger les populations, mais tout cela vous le saurez dans l’article Wikipédia.

C’est un livre que j’ai eu beaucoup de mal à lire alors que l’homme est passionnant, le mélange des chronologies, le mélange des personnalités qui lui font penser à Yersin : Rimbaud, Céline, et les politiques de l’époque, et un style très haché expliquent mes réserves.

 

Extraits

Début style particulier.

 La vieille main tavelée au pouce fendu écarte un voilage de pongé. Après la nuit d’insomnie, le vermeil de l’aube, la glorieuse cymbale. La chambre d’hôtel blanc neige et or pâle. Au loin la lumière à croisillons de la grande tour en fer derrière un peu de brume. En bas les arbres très verts du square Boucicault. La ville est calme dans le printemps guerrier. Envahie par les réfugiés. Tout ceux-là qui pensait que leur vie était de ne pas bouger. La vieille main lâche la crémone et saisit la poignée de la valise. Six étages plus bas, Yersin franchit le tambour de bois verni et de cuivre jaune. Un voiture en habit referme sur lui la portière du taxi. Yersin ne fuit pas. Il n’a jamais fui. Ce vol il l’a réservé des mois plus tôt dans une agence de Saigon. 

Paris en 1889.

 Paris devient la capitale mondiale de la médecine, et en son centre le tout nouvel Institut Pasteur en brique rouge est le phare du progrès. Tout est neuf, les parquets cirés et la faïence étincelante des paillasses. Pierres meulières et façade Louis XIII. L’idée germe déjà de créer des Instituts Pasteurs à l’étranger et de lancer des campagnes de vaccination préventives et curatives. Devant Yersin, dans la grande salle éclairée par les hautes fenêtres à petits carreaux, se rassemblent des médecins hospitaliers français mais aussi un Belge, un Suédois, un Cubain, trois Russes, trois Mexicains, un Hollandais, trois Italiens, un Anglais, un Roumain, un Égyptien et un Américain. Si l’on compte bien : douze nationalités et pas un Allemand. Voilà qui ne présage rien de bon. 

Une vision réaliste du commerce.

 Chaque mois à l’aller, depuis Saigon, des négociants habitués de la ligne convoient les produits de l’Europe à destination des Philippins riches, vêtements de Paris et porcelaines de Limoges, carafes de cristal et vins fins. Au retour, ils rapportent en échange à fond de cale les produits de la sueur des Philippins pauvres, pains de sucre, cigares manilles et cabosses de cacao.

Médecine vue par Yersin.

J’ai beaucoup de plaisir à soigner ceux qui viennent me demander conseil, mais je ne voudrais pas faire de la médecine un métier, c’est-à-dire que je ne pourrais jamais demander à malade de me payer pour les soins que j’aurais pu lui donner. Je considère la médecine comme un sacerdoce, ainsi que le pastoral. Demander de l’argent pour soigner malade, c’est un peu lui dire la bourse ou la vie.

Avancée de la science .

 On déroule souvent l’histoire des sciences comme un boulevard qui mènerait droit de l’ignorance à la vérité mais c’est faux. C’est un lacis de voies sans issue où la pensée se fourvoie et s’empêtre. Une compilation d’échecs lamentables et parfois rigolos.

Début du communisme et mélange des personnages .

Yersin ne croit pas une seconde à la ritournelle révolutionnaire. Tuer des hommes pour faire vivre des rêves. Pas comme le jeune Rimbaud , l’auteur d’un « projet de constitution communiste » cinquante avant le Congrès de Tour. Ce qui aurait dû lui valoir à titre posthume la carte numéro zéro du Parti.