Un roman magique, soutenu par une écriture entre poésie et fantaisie, on se laisse bercer par la déambulation des chats à travers le quartier de Montmartre et on suit la personnalité de cette superbe africaine Masseïda et du peintre Théophile Alexandre Steinlen. Dont tout le monde connaît, au moins, les affiches.
mais peut être, moins ses lithographies sur le peuple de Paris
Époque terrible, où la pauvreté pouvait conduire à la misère et à la mort. Mais une époque, aussi, où le bouillonnement de vie permettait à toute une faune de vivre surtout à Montmartre qui est alors une zone entre ville et campagne. Le lecteur reconnaît au passage des figures célèbres et des lieux qui maintenant sont tellement policés : on ne s’encanaille plus à Montmartre et on ne cultive plus beaucoup non plus, c’est devenu un haut lieu touristique et Masseïda se sentirait moins seule, les couleurs de peaux se mélangent certainement plus qu’à cette époque, et la misère est plus cachée et plus éloignée de la butte. Cet auteur a réussi son pari : faire revivre un lieu et une époque à travers les œuvres des artiste du temps. Une petite déception : les derniers chapitres, le roman ne se termine pas ; mais cela ne m’empêche pas d’être un très beau roman dont le style m’a enchantée.
Citations
Joli début
La Butte en ce temps là, paraissait une montagne. La poésie et la tuberculose y régnaient à parts égales.
Une soirée, au Lapin Agile
C’est Anatole Deibler, le bourreau de Paris, que la complainte de Masseïda avait replongé dans les affres du deuil. Lorsque les pupilles du bourreau balayèrent la salle et accrochèrent le regard du maquereau, ce dernier, instinctivement, se gratta la nuque. Près de l’âtre deux filles outrageusement maquillées, attifées de rubans et de bijoux en toc, se tenaient par l’épaule, un verre de cidre à la main, et lui adressaient des œillades de connivence.
Le public du lapin agile on reconnaît Apollinaire et Picasso
Un préfet mélomane, un poète au coup de buffle, un peintre aux prunelles félines, un anarchiste violoneux, un maquereau patibulaire et deux catins en goguette, tel était le public de choix que Masseïda avait conquis le temps d’une chanson.
La peinture
Les plus beaux nus sont désespérés.
Qui déjà, disait ce genre de chose… Forcément un peintre, quelqu’un qui avait souffert mille morts devant le chevalet.
Lui apparut alors une figure aux traits disgracieux, qui semblait lui adresser un sourire goguenard, par-delà le temps. Toulouse. Ce vilain nabot de Lautrec. Son meilleur ami. L’artiste qu’il avait le plus admiré et auprès duquel il avait le plus appris. C’était bien Lautrec qui avait dit, avec son accent impayable des bords de la Garonne, le désespoir qu’il fallait entretenir en soi pour peindre la chair nue. Il savait de quoi il causait, le bougre, lui qui passait des sanglots aux éclats de rire, le temps d’un vermouth :
Traduit du galicien par Ramon Chao et Serge Mestre. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Pour commencer une réflexion à méditer :
Les vraies frontière, ce sont celles qui parquent les pauvres loin du gâteau.
Un roman des années 2000 dont je ne connaissais pas du tout l’auteur. Manuel Rivas écrit en galicien, est traduit parfois en breton, solidarité des langues celtiques, se traduit lui-même en castillan et, est, plus rarement, traduit en français. Original, non ?
Ce roman raconte la guerre civile espagnole, cette guerre qui a laissé tant de traces et qui s’estompe dans les mémoires car les combattants des deux côtés disparaissent. Mes premières lectures « engagés » parlaient de cette guerre et un de mes chanteurs préférés étaient Paco Ibanez, cette chanson résume bien l’esprit de ce roman.
En effet « Le crayon du charpentier », choisit une façon délicate et poétique de raconter l’horreur et la brutalité et ça fonctionne très bien. Un garde civil, Herbal, assassine un peintre dans sa cellule, celui-ci lui donne son crayon de charpentier, à partir de là cet homme va vivre avec une voix intérieure qui lui intime l’ordre de sauver le docteur Da Barca et de lui permettre de vivre une superbe histoire d’amour avec la belle Marisa Mallo. Grâce à cette histoire, nous allons rencontrer des hommes étonnants qui auraient pu dessiner une toute autre histoire à l’Espagne si seulement ils ne s’étaient pas détestés entre eux, et puis au milieu des plus grandes ordures au service du régime franquiste, cette superbe figure de la mère Izarne qui dirigeait le sanatorium réservé aux prisonniers tuberculeux. Tout le roman se situe entre réalité et le rêve, un peu à l’image de toute vie surtout quand la réalité se fracasse sur une dictature implacable et qui refuse à tout rêve de se réaliser. En suivant le cheminement d’Herbal, l’auteur veut donner une chance au pire des tueurs à la solde de Franco de prendre conscience de ce qu’il a fait et de se racheter.
L’art , la peinture, la poésie prendront une grande part aux déchirements intimes de ce garde civil qui réussira à sauver ce merveilleux docteur Da Barca qui a passé sa vie à faire le bien autour de lui, même si ce garde civil franquiste convaincu n’a pas pu sauver le peintre qui vient lui rendre visite si régulièrement depuis qu’il l’a certes assassiné mais pour lui éviter une mort sous la torture par ses amis plus franquistes ou tout simplement plus cruels que lui. Aujourd’hui, il termine sa vie dans un bordel, mais n’a pas perdu sa conscience (le crayon du charpentier), son message d’espoir, il le transmet à une jeune prostituée qui trouvera, peut-être, elle aussi sa voix intérieure qui la conduira vers un avenir où la beauté permet de combattre la laideur.
Citations
L’humour d’un mourant
Comment vous sentez-vous ? demanda Souza.. Il fallait bien trouver quelque chose pour commencer.
Comme vous le voyez, dit le docteur en écartant les bras, l’air jovial, je suis en train de mourir. Vous êtes sûr que c’est bien intéressant de m’interviewer ?
Un passage assez long qui fait comprendre ce que voit un peintre et le dur métier de lavandière
Regarde, les lavandières sont en train de peindre la montagne, lança soudain le défunt. En effet, les lavandière étendaient leur linge au soleil, entre les rochers, sur les buissons qui entouraient Le phare. Leur baluchon ressemblaient au ventre de chiffon d’un magicien. Elles en tiraient d’innombrables pièce de couleur qui repeignaient différemment la montagne. Les mains roses et boudinées suivaient les injonctions que lançaient les yeux du garde civile guidés à leur tour par le peintre : les lavandières ont les mains roses parce qu’à force de frotter et de frotter sur la pierre du lavoir, le temps qui passe se détache de leur peau. Leurs mains redeviennent leurs mains d’enfants, juste avant qu’elle ne soit lavandières. Leurs bras, ajouta le peintre, sont le manche du pinceau. Ils ont la couleur du bois des aulnes car eux aussi ont grandi au bord de la rivière. Lorsqu’ils sortent le linge mouillé, les bras des lavandières deviennent aussi dur que les racines plantées dans la berge. La montagne ressemble à une toile. Regarde bien. Elles peignent sur les ronces et les genêts. Les épines sont les plus efficaces pinces à linge des lavandières. Et vas-y. La longue touche de pinceau d’un draps tout blanc. Et encore deux touches de chaussettes rouges. La trace légère et tremblante d’une pièce de lingerie. Chaque bout de tissu étendu au soleil raconte une histoire.
Les mains des lavandières n’ont presque pas d’ongle. Cela aussi raconte une histoire, une histoire comme pourrait en raconter également, s’il nous disposions d’une radiographie, les cervicales de leur colonne vertébrale, déformées par le poids des baluchon de linge qu’elles transportent sur la tête depuis de nombreuses années. Les lavandières n’ont presque pas d’ongles . Elles racontent que leurs ongles ont été emportés par le souffle des salamandres. Mais, bien entendu, venant d’elles, ce n’est qu’une explication magique. Les ongles ont été tout simplement rongé par la soude.
J’aime bien ces images et ce portrait
Il faut dire que la vieillesse guettait tout particulièrement ce patelin. Tout à coup, elle montrait ses dents au détour du chemin et endeuillait les femmes au beau milieu d’un champ de brouillard, elle transformait les voix après une seule gorgée d’eau de vie et ne mettait pas plus d’un hiver à rider complètement la peau de quelqu’un. Cependant la vieillesse n’avait pas réussi à pénétrer à l’intérieur de Nan. Elle s’était contentée de lui tomber dessus, de le recouvrir de cheveux blancs et d’une toison blanche et frisée sur sa poitrine. Ses bras étaient enveloppés d’une mousse blanche semblable à celle des branches du pommier, mais sa peau était restée comme le cœur des sapins qui poussent dans cette région. Sa bonne humeur soulignait ses dents brillantes, et puis il avait toujours cette fameuse crête rouge sur l’oreille. Son crayon de charpentier.
Traduit de l’italien par Elise GRUAU. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Roman qui se lit agréablement mais je pense que je l’oublierai assez vite. Il raconte cependant un point de vue intéressant, une jeune femme, fille d’un artiste reconnu et célèbre, part avec celui qui n’a pas su être un père dans un voyage à travers l’Italie alpine . On sent tout de suite que c’est leur dernière chance de se comprendre : tant de choses les ont séparés. Elle est la fille d’un couple qui n’a pas su s’aimer et d’un père célèbre trop souvent absent. Elle est la femme d’un mari qui ne la fait plus rêver et la mère d’une petite fille qu’elle aime de toutes ses forces. Il faudra du temps pour que ce père mutique et fuyant arrive à lui faire comprendre qui il est : au-delà de l’artiste célèbre et consacré se cache un enfant blessé et un homme meurtri. Acceptera-t-elle de quitter sa position de victime (qu’elle est) pour lui tendre la main ? Ce qui est certain c’est qu’elle ne sortira pas indemne de ce voyage vers une Italie des origines où se mêlent aux drames d’une enfance tragique des forces mystérieuses et magiques.
Pour que cette histoire soit plausible, c’est à dire pour comprendre pourquoi le père et la fille se connaissent si peu, il faut que les secrets qui les séparent soient à la fois énormes et crédibles. Sinon ils se résument en une phrase trop banale et quelque peu sordide. Son père a épousé sa mère par intérêt mais était amoureux d’une autre femme. Je ne trahis en rien le roman car tout le travail de l’écrivain c’est d’habiller cette triste réalité par des sentiments très forts, des pouvoirs magiques venant de femmes puissantes, des mystères de la création artistique. Malgré cela, je ne peux pas dire que j’ai été très convaincue par ce roman qui m’a semblé tellement » italien », dans la description du sentiment amoureux.
Citations
Personnalité masculine
–Et puis que veux-tu que je te dises Viola ? Que je suis un ingrat ?
Il avait tout à coup pris ce visage que je détestais, celui qui disait : « Saute moi dessus si tu penses que cela peut te faire du bien, ou pardonne-moi. Mais ensuite, oublie et mets un point final. Tu n’arriveras pas à me faire changer, de même que personne n’a jamais réussi à le faire. »
L’artiste et les femmes
–Oliviero place dans toutes ses sculptures quelque chose qui m’appartient et qu’il me dérobe en permanence, continua-t-elle, en s’efforçant de masquer ces mots avec la stupeur d’une flatterie. Il finira par m’avoir tout prix, ajouta-t-elle en souriant.
Ma mère ne perdit pas de temps, et à la première occasion elle raconta à mon père ce qui lui avait été confié. Et si Oliviero pouvait supporter la jalousie de Pauline, il était en revanche trop jaloux de son art pour accepter qu’elle s’en serve pour se vanter face à une inconnue.
– Comment as-tu pu dire à cette femme une chose pareille, tellement à nous ?
– Tu as fait bien pire : pour elle, tu détruis la seule chose qui soit vraiment à nous. L’amour.