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Quelle traversée du 20° siècle et même du début du 21° ! Nous suivons les destinées des membres d’une famille bourgeoise parisienne bien ancrée dans les valeurs chrétiennes et du patriotisme. Les hommes se donnent corps et âmes à leur vocation militaire ou autres et font des enfants à leurs femmes qui élèvent la nombreuse tribu. Tout le talent d’Alice Ferney, c’est de ne pas juger avec nos yeux d’aujourd’hui les engagements d’hier. Elle rend cette famille très vivante et les personnalités des uns et des autres sont crédibles, on s’attache à ces hommes et ces femmes d’une autre époque et pour moi d’un autre monde. On comprend leur destinée, et son but est atteint, on ne peut plus les juger avec nos mentalités d’aujourd’hui. Je reste quand même un peu hésitante sur les guerres coloniales, certes ceux qui n’ont pas accepté la colonisation ont utilisé des façon de faire peu recommandables mais beaucoup en France n’acceptaient pas le colonialisme. Sans doute étaient-ils plus nombreux que ceux qui ont tout de suite compris que Pétain faisait fausse route. Mais peu importe ces détails, cette famille et tous ces membres ont captivé mon attention (comme le prouvent les nombreux passages que j’ai recopiés). Nous passons donc doucement d’une famille attachée aux valeurs royalistes parce que le roi était chrétien à une famille républicaine patriote. Les enfants se bousculent dans des familles nombreuses et pour Alice Ferney c’est de ce nombre que vient une de leur force. On sent qu’elle a un faible que son lecteur partage volontiers pour le cancre de la tribu, Claude, qui finalement avait des talents cachés que le système scolaire n’avait pas su mettre en valeur. Ce roman a été, pour moi, un excellent moment de lecture, sauf les 50 dernières pages, qui sont répétitives et qui ne rajoutent rien au roman. On sent qu’il y a à la fois trop de personnages et que l’auteur n’a plus grand chose à ajouter puisqu’elle n’a pas voulu faire entrer cette famille dans le 21° siècle. Cette époque où la réussite des femmes ne se mesure plus au nombre de leurs enfants ni à la réussite de ces derniers, mais plutôt à leur épanouissement qui passe aujourd’hui par une carrière et un rôle social en dehors de la famille.

 

Citations

 

Le café du mort

Jérôme Bourgeois n’était plus. Sa tasse pleine fumait encore et il ne la boirai pas. Peut-on boire le café d’un mort, si on le fait pense-t-on ce qu’on pense habituellement d’un café ( il est froid, il est trop sucré, trop fort, il est bon) et si on ne le fait pas, que pense-t-on au moment de le jeter dans l’évier ? Je me le demanderais en songeant à ce détail, parce que je connais cette éducation qui interdit de gâcher et que la génération de Jérôme l’avait reçue. Mais non, penserais-je, dans l’instant où quelqu’un vient de mourir personne alors ne boit plus, le temps de la vie se suspend, le trépas accapare l’attention, l’aspire comme un trou noir la matière cosmique,et tout le café de ce jour funeste est jeté. 
 

Un beau portrait 

 
Jérôme fut résolument français et provincial. Il ne fut pas médecin du monde, il fut médecin de son monde : il soigna les gens du coin. C’était peut-être moins glorieux, personne d’ailleurs ne lui remit de décoration, mais ce fut bon pour ceux qui étaient là. Généraliste, Jérôme recevait tous ceux qui le demandait : les personnes âgées solitaires et les nourrissons avec leur mère, les enfants qui était à l’école avec « ceux du docteur » et venait se faire soigner en même temps que jouer chez lui, les ouvriers, les derniers agriculteurs, les commerçants, les notables. Il n’en n’avait jamais assez des gens, ils disaient oui je vous attends. Parfois on le payait en nature, un pain, une poule, un lapin. Clarisse embarquait l’animal à la cuisine. Jérôme avait accepté le suivi médical des détenus de la prison voisine. C’était le temps Michel Foucault militait. Jérôme ne lisait pas le théoricien des châtiments, il pénétrait dans la détention. Pas un appel d’autrui qu’il n’entendît . Quand on se donne à dévorer aux autres, on n’a jamais le temps de s’inquiéter pour soi. Jérôme était une énergie en mouvement.
 

Les familles nombreuses 

 
 
Être dix, c’était avancer dans la vie comme une étrave avec derrière soi le tonnage d’une énorme famille. C’était une force inouïe, la force du nombre. C’était se présenter devant le père avec l’encouragement des autres, et s’agglutiner autour de la mère dans la chair des autres, et goûter à la table des autres. C’était ne se sentir jamais seul mais aussi être heureux quand par miracle on l’était, séparé soudain de l’essaim, dans un silence éblouissant auprès d’une mère disponible. C’était exister dans dix au lieu de n’être qu’en soi. C’était avoir grandi à la source de la vie, dans sa division cellulaire, spectateur de l’apparition d’autrui. Je n’ai connu maman enceinte, remarque souvent Claude.
 

Tellement vrai

 
 
Ils seraient les représentants d’une époque et d’un milieu typiquement bourgeois, parisien,catholique,très « Action française  » comme on le dit maintenant, avec la sévérité de ceux qui viennent après et n’ont guère de mérite, puisqu’ils savent où mènent certaine idées et que l’Histoire a jugé. 
 

Henry Bourgeois né en 1895

À l’âge adulte, Henri fut toujours du côté de l’église plutôt que de celui de l’état. Il répétait ces préventions à qui voulait l’entendre :  » En affaires il y a une personne à qui il ne faut pas faire confiance, c’est l’état ». Entrepreneur, chef de famille qui avait l’ élan d’un chef de bande, Henri avait la haine de cette puissance changeante. Sa préférence allait à un guide spirituel plutôt que politique. En En somme, laïcisé, le monstre froid ne l’intéressait plus.
 

Collaborer résister 

Le sens exacerber de la discipline et une chose concrète et la condition sine qua none du métier militaire. Aucun Bourgeois ne l’ignorait. On ne transige pas avec l’obéissance sauf si elle réclamait des actes contraires à l’honneur. L’honneur était une grande valeur. Or à cette aune qu’est-ce que c’était qu’émigrer ? S’enfuir comme un malpropre ? Abandonner le pays et le peuple dans un désastre ? Ainsi pensait Jean à l’âge de 19 ans. Mers-el-Kébir ne fit qu’aviver son amour pour la France, sa défiance de l’Angleterre, sa confiance dans la légitimité de Vichy. Il est possible de le comprendre si l’on parvient à ne pas lire juillet 1940 à la lumière d’août 1945.
 

Le sport

 
Le sport n’était pas encore une pratique répandue chez les Bourgeois. On appréciait pas tout ce qui allait avec : les tenues décontractées, la sueur, les vestiaires collectifs et la promiscuité. La préférence était donnée aux rites sacrés ou anciens, comme la messe, le déjeuner dominical et les partie de campagne à Saint-Martin. On y restait entre soi, dans une société choisie et connue, alors que les associations sportives mêlaient des populations hétérogène. En un mot, le sport c’était populaire. C’était le Tour de France. C’était plouc ! C’était rustre. Cette opinion effarouchée c’était évidemment formée en vase clos et à distance .
 

Portrait et révélation d’une personnalité 

 
Claude accompagnait le président partout. Il était ses yeux. Il lui décrivait tout ce qu’il voyait, ce qui est aussi une manière d’accroître sa propre attention. 
– Dites-moi un peu plus sur ses déchets, demandait le président. 
Et Claude décrivait les déchets. Au fond et sans le savoir, il pratique et le difficile exercice qu’on appelle en grec « ekphrasis ». Quoi de plus formateur pour apprendre à regarder, à connaître et à exprimer ? Claude trouva en lui quelque chose qu’il ignorait, le talent.
Chez le président, il trouva l’expérience. Un jour, dans l’avion pour Casablanca, Claude lui lisait le journal. Quels sont les titres aujourd’hui ? demandait Jean Émile Gugenheim. Puis informé de tout : lisez moi tel et tel l’article. Un entrefilet ce jour-là raconter comment un fonctionnaire soudoyé pour l’obtention d’un contrat avait rendu l’argent. Le journaliste vantait l’honnêteté et se réjouissait de sa persistance. Claude fit de même. Jean Émile Guggenheim s’amusa de ses naïvetés.
– Pourquoi riez-vous ? demanda Claude
– Il n’y avait pas assez dans l’enveloppe !
. Le président connaissait la nature humaine. Il n’en concevait ni désolation, ni épouvante, mais composait , et parfois il se divertissait de ce qu’elle fût si immuable et prévisible.
 
 
 
 
 
 
 
 

 

  Une plongée dans l’horreur et aucune pitié pour les lecteurs trop sensibles (dont je fais partie). Je ne sais pas si cela a un sens de mettre des petits coquillages pour un tel livre, il en mérite 10 si vous voulez vous renseigner sur la guerre civile algérienne et beaucoup moins si vous préférez vivre loin de ces horreurs Malgré les récits plus horribles les uns que les autres je n’ai pas lâché ce roman « noir » (très noir) avant la dernière page qui n’apporte, d’ailleurs, aucun réconfort. Ce livre m’a rappelé un reportage diffusé par « France 2 » sur la lutte contre le terrorisme en France. Et comme en janvier le thème du club de lecture c’est : l’Algérie, j’ai pris ce livre à la médiathèque . Cette guerre a fait environ 100 000 morts, des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d’exilés et plus de vingt milliards de dollars de dégâts et a duré une dizaine d’années. Elle commence en 1991 quand un parti islamiste le FIS est en passe de remporter les élections. Le gouvernement avec l’appui de l’armée annule les élections et l’armée prend le pouvoir. Ce livre raconte les manipulations de l’armée algérienne pour plonger dans l’horreur l’Algérie d’abord, puis, la France pour que celle-ci soutienne sans aucun remord la répression contre les partis islamistes. Quand les islamistes ne sont pas assez violents, l’armée les pousse à l’être davantage. La France a mis beaucoup de temps à réagir, mais j’ai entendu dans l’émission que peu à peu les services secrets de la France ont pris conscience que les terroristes du GIA se sentaient soutenus par le gouvernement algérien. Au milieu de personnages réels, le récit suit l’enquête du personnage principal Tedj Benlazar, un homme mi-breton mi-algérien, agent de la DGSE et qui comprendra plus vite que d’autres tous les dessous d’une très, très sale guerre. Si aujourd’hui ce pays est plus calme, il n’empêche que le gouvernement n’a toujours pas osé faire un retour vers la démocratie et que si l’étau militaire se desserrait, on peut se demander combien de scorpions sortiront de cette fournaise. Or, on sait aussi aujourd’hui que la méditerranée ne suffit pas à protéger la France du fanatisme qui s’exporte tellement mieux que les valeurs humanistes.  

Citations

L’armée algérienne et ses liens avec les islamistes.

Le lien contre nature entre militaire et islamiste engendrera inévitablement le grand bordel. Le grand bordel, comprendre l’importation des problèmes algériens en France.

 

Un soldat algérien pris dans la tourmente

Lorsqu’il s’est engagé dans l’armée, il voulait rester honnête, droit, propre, se souvient-il. Sauf que la guerre ne rend pas les hommes meilleure, elle les transforme en bête féroce

Les luttes dans l’armée algérienne

Car derrière l’unité de façade de l’armée face à la barbarie des islamistes, les guerres fratricides font rage entre les officiers de haut rang. Il n’y a pas de fraternité militaire qui tiennent longtemps face à la convoitise. Et la convoitise anime tout ce qui approche de près ou de loin le pouvoir, civils comme militaires.
L’Algérie est riche. Nonobstant la terrible crise économique qui sévit et la quasi-tutelle du FMI, l’Algérie est très, très riche. Dans le Sahara se trouve les troisièmes réserves de pétrole d’Afrique et le tiers de son gaz. L’Algérie et un coffre-fort ouvert dans lequel puisent les généraux et les ministres depuis longtemps.

Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Avant les camps, nous ne savions pas discerner l’éphémère de l’immuable. À présent nous avons eu notre compréhension des choses.

J’ai déjà lu, et j’avais été très touchée par l’Histoire d’une Vie, le décès de Aharon Appenfeld en janvier 2018 a conduit notre bibliothécaire à mettre ce livre au programme de notre club. Cette lecture est un nouvel éclairage sur la Shoah. L’auteur y rassemble, en effet, ses souvenirs sur les quelques mois après la libération des camps de concentration. Nous suivons Théo Kornfeld qui veut retrouver sa maison familiale en Autriche. Dans des chapitres très courts, le jeune homme raconte son errance à travers une Europe ravagée par la guerre, et sa volonté de retrouver son père et surtout sa mère, il est peu à peu envahi par ses souvenirs d’enfance. Avant la guerre, sa mère, visiblement bipolaire, entraîne son fils dans tous les lieux où l’on peut écouter des concerts de Bach en particulier les monastère chrétiens et petites chapelles isolées même si elle en est parfois rejetée comme « salle juive ». Elle entraîne aussi son mari vers une faillite financière, lui qui travaille comme un fou pour satisfaire tous les besoins de sa trop belle et fantasque épouse. L’errance de Théo à peine sorti de son camp, lui fait croiser les « rescapés ». Chaque personne essaie de retrouver une once de dignité pour repartir vers d’autres horizons. C’est terrible et chaque vie révèle de nouvelles souffrances, je pense à cette femme qui s’installe sur le bord de la route pour apporter des soupes chaudes et réconfortantes aux personnes qui viennent d’être libérées et qui sont sur les routes. Elle ne peut pas se remettre d’avoir empêché sa sœur et ses deux nièces de s’exiler en Amérique avant l’arrivée des nazis, elles sont mortes maintenant et en nourrissant les pauvres ères échappés à la mort elle essaie d’oublier et de revivre. Entre rêve et hallucination, Théo livre un peu les horreurs dont il a été témoin, et surtout il redonne à chacune des personnes dont il se souvient une personnalité complexe qui ne se définit pas par le numéro gravé sur son bras, ni par sa résistance ou non aux coups reçus à longueur de journée. Tout ce que raconte Théo se passe dans une atmosphère entre rêve et réalité, il est trop faible pour avoir les idées très précises et les souvenirs de l’auteur viennent de si loin mais ils ne se sont jamais effacés c’est sans doute pour cela qu’il dit de ses journées qu’ils sont « d’une stupéfiante clarté ». Un livre qui vaut autant par la simplicité et la beauté du style de l’auteur que par l’émotion qu’il provoque sans avoir recours à un pathos inutile, ici les faits se suffisent à eux mêmes.    

Citations

 

L’enfance du narrateur avant la Shoah

Tandis que ses camarades de classes étaient rivés à leur banc dur, sa mère et lui voguaient sur des rails lisses, avalant de longues distances dans des trains luxueux. Le père était inquiet, mais il n’avait pas la force de stopper un désir si puissant. Il enfouissait sa tristesse dans la librairie, jusque tard dans la nuit.
Il essayait parfois d’arrêter la mère.  » Le petit n’est pas allé à l’école depuis une semaine. Ses notes sont catastrophiques. »
– Ce n’est pas grave, ce qu’il perçoit durant le voyage est plus important et l’armera pour la vie. »
-Je baisse les bras, concluait Martin en reconnaissant sa défaite

Passion ou folie de sa mère

La vieille Matilda dispensait bon sens et quiétude. Considérant d’un œil réprobateur la passion de la mère pour les églises les monastères, elle la sermonnait : »Tu dois aller prier à la synagogue. Les prières atteignent leur destinataire lorsqu’on suit le rite de ses ancêtres. »
Mais la mère rétorquait que dans les synagogues il n’y avait ni sérénité, ni musique, ni images bouleversantes, le plafond était nu et le cœur ne pouvait s’exalter.

L’après guerre

Le lendemain il s’engagea sur une route large et lisse, en direction du nord. Un camion était couché après un virage, moteur pointé vers le ciel, donnant à l’habitacle une expression de mort veines. Théo le contempla un instant avant de se dire qu’il trouverait sûrement de dans un briquet des cigarettes fines.
 Des accessoires militaires étaient éparpillés au milieu de boîte en carton et de bouteilles de bière qui avait été projeté de toutes parts.

 La langue des camps

Au camps, on parlait une autre langue, une langue réduite, on utilisait que les mots essentiels, voire plus de mots du tout. Les silences entre les mots était le vrai langage. Un jour, un compagnon de son âge, pour qui il avait de l’estime, lui avait confié : « J’ai peur que nous soyons muets lorsque nous serons libérés. Nous n’avons presque plus de mots dans nos bouches. »

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.   Voici la phrase qui résume le sens de ce roman

Les marchands n’ont pas d’ennemis, ils n’ont que des clients.

Dans notre médiathèque, et à notre club, les romans historiques ont toujours beaucoup de succès, je pense que la moyenne d’âge doit-y être pour quelque chose. Je ne suis pas une fan absolue du genre, non pas que je sois plus jeune que les autres, mais souvent je trouve que les romans historiques sont trop didactiques et ne m’embarquent pas toujours dans la petite histoire à force de vouloir servir la grande (Histoire). Pour ce roman, on doit d’abord remarquer que Patrick Rambaud est un excellent écrivain, on sent son plaisir à nous raconter cette épopée et je suis partie avec lui sur la terre de tous les dangers : brigands, barbares, comme sur la mer de l’Adriatique sur laquelle régnaient de terribles pirates . Les riches marchands de Venise, ne veulent plus dépendre de Rome et en 823, ils embarquent pour Alexandrie, voler la relique de Saint Marc afin d’asseoir leur autorité face aux papes. Parce que c’est à ce détail que se joue l’autorité d’un lieu , l’importance de la relique qui la protège. Le Vatican possède et vénère le corps de Saint Pierre, Venise aura celui de Saint Marc. On sent que l’auteur s’amuse beaucoup (et nous avec lui !) avec ces histoires de reliques, nous suivrons donc le coude de Werentrude qui a été remplacé par un fémur de cochon.., nous apprendrons qu’une église possède le nombril du Christ – il a dû l’oublier avant de monter au ciel ! Les marchands doivent d’abord se rendre à Mayence pour faire le plein d’esclaves, puis se confronter aux luttes de pouvoir à Venise et enfin partir à Alexandrie et revenir. Inutile que je vous raconte la fin, nous la connaissons tous puisque de Venise nous connaissons la place Saint Marc, nos marchands ont donc réussi leur mission : ils ont ramené le corps de l’évangéliste sur leur bateau. Venise pourra donc se développer sans autre tutelle que les doges vénitiens. Ce grand voyage nous permet de comprendre la société du XIXe siècle et toute l’originalité de la cité lacustre. L’humour de l’auteur est présente dans tout le roman, mais c’est là ce que je lui reproche, c’est écrit par un homme du XXIe siècle et évidemment ces histoires de reliques nous font surtout rire. Mais les personnages de ce roman n’y croient pas du tout, eux non plus, ils s’en servent juste pour manipuler les foules. Je me demande si c’était aussi simple que cela. Comment faire croire aux foules des histoires auxquelles on ne croit absolument pas soi-même ? Je pense que les positions des uns et des autres étaient plus nuancées. Mais peu importe, l’histoire est belle et bien racontée, vous aimerez le moine septique et jouisseur Thodoald, vous admirerez l’intelligence des deux marchands Marino Bon et surtout Rustico qui savent inventer les interventions divines qu’il faut pour permettre à Venise, la cité né des flots de faire du commerce librement.  

Citations

Présentation de Venise au IXe siècle en 828

Les Vénitiens étaient ce peuple de marchands réfugiés dans les lagunes, entre les Alpes et l’Adriatique, pour se garantir des barbares qui désolaient le continent européen. Ils vivaient sur l’eau à la façon des oiseaux de mer. Ils ne voulaient pas affronter des ennemis mais cherchaient des clients. Aux uns ils vendaient des esclaves, aux autres du poivre ou de la soie. Leur force, c’était leurs bateaux. L’Europe était aux mains des évêques et des Papes, qui avaient su profiter des invasions venues de l’Est pour supplanter partout le pouvoir pâlichon des empereurs de Rome. Ceux-là tentaient d’exercer leur tutelle sur cette Venise récalcitrante dont les richesses excitaient déjà les convoitises.

Le nord et le sud en 823

Au nord, les ténèbres d’un christianisme primaire, teinté de magie, des contrées où l’on manque de tout et où l’on ne sait plus rien ; Charlemagne n’a jamais réussi à lire. Le sel est un luxe. Et le piment, pour cacher l’odeur forte du gibier en décomposition, est aussi un luxe. Du côté d’Aix la chapelle on n’a plus de mémoire. Les mœurs civilisé de l’Antiquité n’ont pas pénétré ces cervelles durcies. On subsiste entre brutes, on élève la superstition en dogme. Au sud, en Méditerranée, les mahométans commencent à razzier les îles chrétiennes et sauvages, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, des terres riches que leurs habitants sont incapables de fertiliser. Les califes ont de l’or et du savoir. Ils ont conservé un lien avec la lointaine Asie dont ils reçoivent les caravanes interminables. Au Sud, on sait aussi bien caresser que tuer. Au nord, tout vous agresse.

Les abbayes

La cave d’une abbaye, il n’y a rien de plus précieux. Quand les barbares envahissaient le pays, les moines commençaient par cacher les tonneaux avant même les crucifix.

Humour

– » Silence ! commande Rustico. un peu de respect pour le coude de sainte Werentrude que les parents de cette enfant ont mise à la broche.
-Elle n’avait qu’à se convertir à l’islam, dit Thodoald. Elle serait morte de vieillesse.
– Sûrement, mais elle ne serait pas sainte.
– Je sais : il faut choisir …. :

Les dangers d’un roi pieux

La vertu produit l’hypocrisie. Il faut s’attendre aux pires malheurs, avec un roi qui pratique la sainteté...

La religion (Propos d’un personnage du 9° siècle, j’en doute !)

Les croyances, toutes les espèces de croyances génèrent le désordre. Si tu crois, tu veux persuader ceux qui ne croient pas au même chose que toi, tu t’imposes, tu légifères, tu ordonnes. Tous nos malheurs viennent de ces conflits lamentables et diaboliques. Les religions sont les manufactures où se fabriquent des monstres. Elles provoquent acharnement, délation, haine, meurtre, mépris, interdiction, rigidité, extermination, hécatombe, perversité, illusion, enfantillages…

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Roman historique qui permet de découvrir le monde des béguines, je ne savais pas qu’elles avaient existé en France. Pour moi le béguinage était lié aux pays du nord et au protestantisme. C’est complètement faux, il a perduré plus longtemps dans le nord de l’Europe mais en France grâce à la protection de Saint Louis (Louis IX) les béguines avaient pu créer des communautés vivantes et nombreuses. Cela permettait aux femmes de vivre en dehors du mariage en se consacrant à la religion et à des activités lucratives pour pouvoir subsister. Le statut des béguines étaient très varié, dans ce roman on voit des femmes soignantes, commerçantes, artisanes … toutes sont célibataires ou veuves. Nous sommes sous Philippe Le Bel, ce roi fanatique qui ,toujours à court d’argent, fera brûler les templiers sur la place publique et pas mal de juifs en ayant auparavant confisqué à son profit tous leurs biens. Sous son règne, les femmes seront vite appelées sorcières avant d’être aussi brûlées. C’est lui aussi qui fera tuer de façon atroce les amants présumés de ses filles avant de les faire tondre et de les incarcérer Alors, on imagine la fragilité du statut des béguines qui permettait à des femmes d’échapper au mariage et de de se mêler de religion ! De plus celles qui exerçaient de l’artisanat n’étaient pas soumises aux différentes contraintes des autres artisans . Alors bien sûr, quand elles ont perdu la protection royale que Louis IX, le grand père de Philippe Le Bel leur avait accordé, elles ont totalement disparu. La lecture de ce roman permet de vivre un moment avec des femmes sensibles et humaines et dans ce monde de violence, cela fait du bien. On mesure aussi, comment toutes les différents essais pour les femmes de sortir de leur condition : être des épouses fidèles et ignorantes , mariées trop jeunes pour des raisons financières ou pour satisfaire les besoins sexuels d’un homme, mourant très vite en couche, ont été durant des siècles systématiquement combattus.

Citation

Être femme et avoir des idées en 1310 (et donc, être brûlée vive)

Je n’ai pas entendu que du bien sur elle chez les Cordeliers. À force de mépriser l’enseignement des clercs, elle a fini par en offenser beaucoup. Et ce rejet des pénitences, du jeune ou même des préceptes moraux, elle n’est pas loin des errances des adeptes du libre-esprit.