Cadeau des éditions Seuil

J’avais déjà bien aimé Ciel d’acier, je ne savais pas grand chose avant cette lecture sur la construction des buildings de New York. Je n’ai donc pas hésité à accepter de lire et commenter ce nouveau roman de Michel Moutot car je savais que l’auteur saurait me faire partager ses connaissances techniques sur les grands chantiers qui ont transformé les paysages aux États Unis.

Ce n’est pas un roman linéaire chaque chapitre commence par une date et un lieu, je me suis habituée petit à petit à cette lecture éclatée en comprenant assez vite qu’un moment tout allait converger en un seul point : la fin de la construction de la route qui relie San Francisco à Los Angeles traversant des contrées splendides mais si peu accessibles.

 

Les personnages tournent tous autour de cette route pour laquelle il a fallu arraser des montagnes, creuser dans la roche construire des ponts en employant une main d’œuvre si peu considérée. Il faut dire que ce grand pays était en crise et que le chômage était tel que personne n’était très regardant ni les employeurs ni les ouvriers qui étaient réduits à la mendicité. Nous allons suivre le destin de Will Tremblay un enfant choyé par ses parents adoptifs et qui deviendra ingénieur de travaux publics. Il commencera sa carrière par la construction d’un barrage à Boulder. Cette construction causa la mort de nombreux ouvriers en particulier ceux qui creusaient des tunnels de dérivation car la compagnie ne voulait pas perdre de temps pour faire des aérations dans les tunnels.

Will préfèrera démissionner plutôt que couvrir ces crimes au nom du profit. Son père qui avait été totalement ruiné par la crise de 29 l’a suivi en Californie mais hélas, il gagnera sa vie comme croupier et refusera de faire des combines malhonnêtes, il le paiera de sa vie. Will se retrouvera donc sur la construction de la « Route ONE ». Tous ces grands chantiers nous permettent de voir l’envers du décor de ses superbes réalisations techniques. La misère qui a jeté sur les routes des milliers d’Américains ruinés est très bien décrite et c’est parfois à peine supportable.

Nous suivrons aussi une famille de Mormons qui fuit les lois qui empêchent la polygamie et qui a créé un ranch dans cet endroit qu’elle croyait inaccessible. Nous allons partager leur vie et connaître aussi des Indiens qui eux ont vraiment tout perdu : leur pays et surtout ne peuvent plus vivre comme ils le faisaient avant en harmonie avec la nature. Lorsque la route avance nous sommes avec le descendant du Mormon qui a créé ce ranch et celui-ci met toute son énergie à empêcher la construction de la route. Au début nous pensons qu’il veut simplement protéger les siens du regard des autres mais très vite nous comprenons qu’il s’agit aussi de protéger sa fortune. Nous découvrons alors les mœurs des Mormons et c’est loin d’être la vie paradisiaque présentée dans une des séries américaines, les femmes sont malheureuses et soumises et les enfants sont endoctrinés dès leur plus jeune âge .

Le roman permet aussi de voir à quel point la société de cette époque était corrompue, comment de la prison les chefs de la mafia pouvaient se faire de l’argent en volant les fournitures des gros chantiers des travaux publics, nous passons même un petit moment avec Al Capone dans la prison d’Alcatraz.

Un roman foisonnant et je devais sans cesse me reporter à la tête de chapitre pour m’y retrouver mais c’est aussi un roman fort bien documenté qui permet de connaître un peu mieux les États-Unis sous un regard critique mais objectif.

 

Citations

Paysage de Californie en 1848.

Arrivé au sommet d’un petit mont, il embrasse du regard une côte découpée, des rocher sombre où s’accrochent des cyprès torturés par les vents du large, des successions d’îlots et de récifs sur lesquels se brisent, dans des gerbes d’écume, les vagues du Pacifique. Les rayons du soleil, à travers les milliards de particules dorées, nimbe le paysage d’une lumière irréelle. Plus loin, ils devine des alignements de falaises, succession de montagnes couvertes de forêts de pins et de séquoias. Par endroits, là où s’engouffre la furie des tempêtes océane, des prairies sont piquetées d’arbustes nains, comme plaqués au sol par la main d’un géant.

1848 les rares Indiens survivants.

Wild Bear -« Ours sauvage »- comprend l’anglais, le parle mal mais assez pour raconter que ses ancêtres ont, pendant la colonisation espagnole, échapper à l’enrôlement et au travail forcé dans la mission san Carlos de Carmel en se cachant dans les montagnes. Des générations de fugitifs ont survécu dans les replis de la sierra en été, au creux de criques secrètes sur la côte en hiver, refusant le contact avec ces prêtres et ces colons espagnols, puis mexicains, qui avaient l’amour de leur Dieu a la bouche et l’épée à la main. Pauvres, affamés, craintifs, misérables mais libres, heureux parfois, à l’abri de ces démons et de leurs grandes croix, gibets, prêches, interdits, fouets et maladies étranges qui ont qui ont presque rayé les indiens Esselen du monde des vivants.

Une adoption réussie .

 « Rien de trop beau pour mon Willy. Diplômé, mon fils. Et avec avec les honneurs. En route pour l’université, des études d’ingénieur. Mon dieu, si sa mère pouvait le voir, si Helen était encore parmi nous… Comme elle serait fière de son petit orphelin… Ce garçonnet au regard de chiot inquiet que nous avons découvert dans le bureau du directeur de St Cloud’s, que nous avons adopté, nourri, protégé, aimé, à nous en faire exploser le cœur. Pourquoi n’est-elle pas à mes côtés pour le voir, grand adolescent musclé, presque un jeune homme, sourire de miel, jambes d’athlète et bras de statues grecque ? Quelle injustice ! »
Will n’évoque pas souvent son souvenir. Son père s’en étonnait un peu, au début. Mais quatre ans ont passé, c’est ainsi qu’il calme sa peine. Il apprend à vivre sans elle, de tourne vers l’avenir, et c’est bien. Tous deux regardent parfois, au moment du dîner, la photo encadrée sur le mur de la cuisine, où ils sont tous les trois sur la plage, en tenue de bains. Son père pose la main sur son épaule. Il sourit, ne trouve pas les mots. Lui non plus. Elle est là, entre. Pas besoin de parler.

Les Indiens en 1850.

 Ils n’ont aucun document d’identité, aucune existence légale, descendants des premiers habitants de ces montagnes Transformée par l’arrivée des conquistadors en clandestins, fuyards perpétuels, proscrits sur les terres de leurs ancêtres. S’ils connaissent chaque sentier, chaque ruisseau et chaque séquoia géant, qu’ils traitent et honorent comme des divinités, s’ils prédisent l’arrivée d’une tempête ou quand se lèvera le brouillard de mer, ils n’ont aucun droit face à l’administration naissante de l’État de Californie. 

 

Édition Albin Michel . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Traduit du suédois par Anne Karila

 

Un roman qui décrit des relations très lourdes entre des parents et leurs trois garçons, toujours à la limite de l’explosion. On comprend très vite qu’un drame a eu lieu mais on n’aura toutes les clés qu’à la fin du roman, donc promis je ne vous révèlerai rien. Nous sommes avec Benjamin le cadet de l’aîné Niels, et Pierre le plus jeune, ils ont passé leur enfance à se battre, du moins c’est comme ça que nous le raconte Benjamin. Les parents sont le plus souvent sous l’influence de l’alcool et le père éclate de colères imprévisibles et violentes et la mère totalement dépassée semble absente. Je me demande si cette façon de vivre « à la sauvage » chez des gens cultivés représente quelque chose en Suède, ce qui ferait que les Suédois ont une autre lecture de ce roman que nous pour la représentation de cette famille.
Le roman commence à la mort de la mère, le père est décédé depuis quelques années, elle n’exprime qu’un seul souhait que ses trois fils dispersent ses cendres autour du petit lac près duquel ils passaient toutes leurs vacances et où ils ne sont plus retournés depuis le fameux jour, qui a totalement détruit la famille.

Le roman est entièrement sous-tendu par cette révélation, et c’est pour moi un bémol, vraiment je n’aime pas le suspens mais ici il n’est pas gratuit, car effectivement Benjamin doit repartir dans les souvenirs embrouillés de tout ce qui a constitué son enfance pour avoir une chance de pouvoir se reconcilier avec lui-même.

J’ai été un peu gênée par le mélange des temps du récit, c’est très compliqué de savoir à partir de quand la famille a dysfonctionné et pourquoi exactement et j’ai aussi été étonnée par la violence des bagarres entre les frères. On est bien loin de l’image de calme et de self contrôle attachée à la Suède. C’est un roman étouffant qui manque de lumière à mon goût mais qui raconte très bien l’enfance dans une famille détruite.

PS je suis gênée pour rédiger mon billet sans parler de la fin, lisez le vite pour que je puisse discuter avec vous sans cette contrainte. Par exemple que pensez vous du silence de Niels et Pierre adulte lorsque Benjamin évoque la scène où son père a percuté un jeune faon ? (Et réfléchissez au titre vous saurez une intuition sur le drame qui sous-tend ce roman.)

 

Citations

La fatigue dans l’eau froide.

 La fatigue arriva sans crier gare. L’excès d’acide lactique lui engourdit les bras. Sous le choc il en oublia les mouvements des jambes, il ne savait plus comment on faisait. Une sensation de froid partie de la nuque irradia l’arrière de son crâne. Il entendait sa propre respiration, son souffle plus cours et pressé, un pressentiment glaçant lui serra la poitrine : il n’aurait pas la force de retourner jusqu’au rivage. 

Bagarre de frères adultes.

 Pierre lui envoie un coup de pied dans les jambes, Niels s’affaisse sur les cailloux. Alors Pierre se jette sur lui, ils roulent, se bourrent de coups de poing, se frappent au visage, sur le thorax, les épaules. Sans cesser de se parler. Benjamin croit assister à une scène irréelle, quasiment sortie de son imagination : ils se parlent tout en essayant de se tuer.

Les disputes en voiture.

 Ils montèrent dans la voiture. À l’intérieur du véhicule, Benjamin était toujours sur ses gardes, car c’était toujours là, semblait-il, que se déroulait les scènes les plus terribles, lorsque la famille était enfermée dans un si petit espace. C’est là qu’avait lieu les plus violentes disputes entre papa et maman, quand papa faisait tanguer la voiture en essayant de régler la radio, ou quand maman ratait une bifurcation sur l’autoroute et que papa poussé des cris désespérés en voyant s’éloigner la sortie derrière eux.

La perception du laissé aller de sa maison .

 Peu à peu, il réunissait les indices, apprenait à se connaître lui-même en regardant autour de lui. La saleté à la maison, les taches d’urine par terre autour de la cuvette des WC, ça crissait sous les pantoufles de papa, les moutons sous les lits, qui tournoyaient doucement dans le courant d’air quand les fenêtres étaient ouvertes. Les draps qui jaunissaient dans les lits des enfants avant d’être changés. Les pile de vaisselle sale dans l’évier et les petites mouches qui sortaient affolées de leurs cachettes entre les assiettes, quand on ouvrait le robinet. Les cernes de crasse sur l’émail de la baignoire, telles des lignes de marée dans un port, les sacs d’ordures qui s’emploient à côté de l’étagère à chaussures dans l’entrée. Benjamin s’était rendu compte qu’il n’y avait pas que la maison qui était sales ses habitants l’étaient aussi.

 

Édition Quai Voltaire , Traduit de l’anglais par Jeannette Short-Payen

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Une petite plongée dans le monde abbayes du début du XVII° siècle, après la mort du roi Henry IV, dans un couvent de nonnes où l’accusation de sorcellerie n’est jamais bien loin et permet tous les abus. C’est un récit assez compliqué, une histoire de vengeance imaginée par un cerveau supérieur et féroce, un certain Guy Le Merle qui a été humilié dans sa jeunesse par un évêque tout puissant. Pour mener à bien sa vengeance, il doit utiliser les capacités de celle qu’il appelle mon Ailée parce que (du temps où elle était saltimbanque) elle se promenait sur des fils tendus dans les airs. Celle-ci a trouvé refuge dans un couvent pour élever sa fille Fleur et pendant quatre ans, elles mèneront toutes les deux une vie paisible sous l’autorité d’une mère supérieure dont l’esprit de charité faisait régner un certain bonheur dans cette abbaye de l’île de Noirmoutier, c’est amusant de voir une région que l’on connaît bien vivre sous la plume d’une auteure étrangère et situer ces descriptions au XVII° siècle , le passage du « Goa » aura évidemment son importance ! Il faut dire que l’auteure à une mère française elle a peut-être passé des vacances dans cette région.

Pour parvenir à ses fins, Le Merle dissimulé sous les traits d’un prêtre va utiliser une toute jeune nonne qu’il va mettre à la tête de cette abbaye, celle-ci voit le diable partout et les pauvres sœurs iront de châtiment en châtiment. Cette nonne est en réalité la soeur de l’évêque dont il veut se venger. Je m’arrête là pour ne pas trop en dire sur le suspens qui sous-tend ce récit. Tout le charme de ce roman vient de ce qu’on ne sait pas jusqu’à la dernière page si le personnage du « Merle » est uniquement cruel et s’il est capable d’amour pour son « Ailée ». J’ai trouvé cette histoire de vengeance bien compliquée et si j’ai retenu ce roman c’est plutôt pour la description de la vie des nonnes dans les abbayes, mais je reproche aussi à l’auteure de voir tout cela avec des yeux de femmes du XXI° siècle pour qui faire la différence entre la foi et la crédulité est si facile à faire. C’est un roman historique qui éclaire d’un œil sans complaisance la religion du XVII° siècle et la condition des femmes dans les couvents, et rien que pour cela il peut vous plaire.

 

Citations

La fondation des abbayes.

 Fondée il y a quelques deux cent ans par une communauté de frères prêcheurs, l’abbaye est très vieille. Elle a été payée grace à l’unique devise qui a court pour l’église : la crainte d’être damné. En ces temps d’indulgence et de corruption, une famille noble ne pouvaient assurer sa position dans le royaume qu’en attachant son nom à une abbaye.

Des propos qui sentent le XXI° siècle plus que le XVII° mais c’est très bien dit.

 Je n’ai jamais cru en Dieu.En tout cas, pas à celui auquel nous avons l’habitude de nous adresser, ce grands joueur d’échecs qui, de temps en temps, baisse le regard vers son échiquier, déplace les pièces selon les règles connues de lui seul et daigne regarder son adversaire bien en face et avec le sourire du grand maître qui sait d’avance qu’il va gagner la partie. Il doit y avoir, me semble-t-il une horrible paille dans l’esprit de ce créateur qui s’obstine à mettre ses créatures à l’épreuve jusqu’à ce qu’il les détruise, qui ne leur accorde un monde regorgeant de plaisir que pour l’heure annoncer que tout plaisir est péché, qui se complaît à créer une humanité imparfaite mais s’attend à ce qu’elle aspire à l’infini perfection ! Le Démon, au moins, joue franc-jeu, lui. Nous savons exactement ce qu’il veut de nous. Et pourtant, lui-même, le Malin, le Génie du mal travaille secrètement pour l’Autre, le Tout Puissant. À tel maître, tel valet.

Toujours l’effet des connaissance d’aujourd’hui sur une description du passé .

 Je leur ai recommandé d’éviter les jeûnes excessifs, de ne boire que l’eau du puits et de se laver au savon matin et soir. 
 » À quoi cela pourra-t-il bien servir ? » a demandé soeur Thomasine en entendant ce conseil. 
Je lui ai expliqué que parfois des ablutions régulières empêchaient les maladie de se propager. 
Elle a eu l’air un peu convaincue de cela. « Je ne vois pas comment ! a-t-elle dit. Pour éloigner le démon, ce n’est pas d’eau propre et de savon dont on a besoin, c’est de l’eau bénite ! »

 

 

Les Éditions de Minuit.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

J’ai lu d’excellentes critiques de ce roman qui enchante la sphère officielle médiatique, alors que c’est un « flop » pour moi contrairement à Dasola . Il faut dire que dans la vie courante, je ne m’intéresse jamais à la vie des stars ni à leur bonheur, ni à leur malheur. Or ici le « Monument National » est un ancien acteur très connu. Quelqu’un qui a beaucoup beaucoup d’argent qui le dépense sans compter et qui vit dans un château. Sa femme très belle, ancienne miss côte d’azur, a adopté une petite asiatique, elle raconte son intimité sur Instagram. Tout ce petit monde est entouré de serviteurs plus ou moins dévoués. Toute ressemblance avec des gens connus (Belmondo ? Johnny ? Depardieu ?) est voulue par l’auteur. On profite de la moindre de leurs photos sur les réseaux sociaux et lors du décès du vieil acteur tout le monde se déchire à belles dents pour l’héritage. Ce roman se veut une critique acerbe de notre société, les trop riches d’un côté et les pauvres de l’autre , les gilets jaunes au milieu. On y trouve aussi le confinement qui empêche certains d’aller chercher des fonds dans les pays « offshores », et pour couronner le tout une « party » officielle avec les Macron . Puis une montée dans la violence et une fin très étrange un peu dans le genre thriller. la morale est sauve : les riches deviennent pauvres mais … non les pauvres ne deviennent pas riches.

J’avais lu aussi que cette auteure (autrice pour Athalie) était très drôle, elle ne me fait pas rire du tout. J’ai du mal à expliquer, je crois que de passer du temps avec ces gens creux et manipulateurs m’a rendue triste  : je n’avais pas besoin d’elle pour détester la famille de Johnny, j’avoue ne pas connaître celle de Belmondo. Je suis souvent touchée par le jeu de Depardieu mais je ne veux rien savoir de sa vie ni de ses amitiés avec Poutine …

La richesse des stars m’est indifférente comme celle des joueurs de foot et c’est peut la raison pour laquelle je suis totalement passée à côté d’un roman qui a plu à ceux et celles qui côtoient ces stars et qui ont sans doute envie de dévoiler leurs plus mauvais aspects, et parler de leur richesse : on aime rarement ceux qui ont gagné trop d’argent surtout quand ceux-ci l’étalent sans aucune pudeur à travers les photos qu’ils laissent sur les réseaux sociaux. Je dois dire que je n’avais pas aimé un autre roman de cette auteure « Propriété privée« .

 

 

Citations

Exemple de la façon de raconter .

 Sans pouvoir se passer de Dominique Bernard, notre mère se défiait de lui. Elle craignait toujours, avec le nombre de ses relations, qu’il ménage des intérêts concurrents. Aussi, quand l’agent fit valoir des raisons protocolaires, et lui représenta qu’on ne pouvait s’inviter à l’Elysée, si célèbres soit-on, en posant tout un tas de conditions, elle demanda sèchement ce qu’il proposait pour satisfaire à la fois le peuple et le président.
 Dominique Bernard n’avait pour ambition que de satisfaire les artistes, plaida-t-il. Et si le bonheur d’Ambre et Serge passaient par une fête nationale, eh bien soit, on trouverait le moyen d’inviter le peuple à la party. Mais on ne pourrait pas instagramer toute la soirée en direct de la présidence. À la place, on filmerait une courte vidéo avec la première dame dans les jardins de l’Élysée. Brigitte serait enchantée de présenter ses petits enfants à la progéniture de Serge.

Évasion fiscale et l’argent .

 Bien sûr, notre famille avait mis son capital à l’abri. Quelques années plutôt, nos parents avaient pris conseil auprès d’un fiscaliste. Celui ci leur avait aussitôt fait remarquer qu’il n’était pas raisonnable, et même tout à fait imprudent, de laisser croupir notre argent dans le même vieux pays quand des contrées plus neuves, plus modernes, offraient des conditions autrement intéressantes.
 Le fiscaliste, pour sa part, n’éprouvait aucune réticence à faire appel aux banques. Seuls les pauvres vivaient de leur argent, résuma-t-il au grand salon, les gilets jaunes qui s’échinaient à rembourser des agios quand la notoriété ouvrait partout d’infini lignes de crédit.

 

 

Édition l’âge d’homme ; Traduit du tchèque par Marcella Salivarova Bideau

 

J’ai trouvé cette lecture chez Patrice et j’avoue que je pensais y trouver plus de plaisir. C’est vraiment une fable et l’humour est très daté. On sent aussi que l’auteur a eu du mal à finir son histoire et le passage dans l’île avec des cannibales est un peu lourde. C’est donc une fable autour du football et de l’envie de grandeur d’un petit village de Dolni Bukvicky qui voit naître 11 garçons dans la famille du vieux Klapzuba . Ce père très malin fait de ses fils des champions de foot . Il va leur donner le sens de l’entrainement, et le plaisir du foot. Ils sont soudés entre eux comme des frères peuvent l’être. Ils vont devenir les meilleurs joueurs du monde , si célèbres que le roi d’Angleterre leur confiera son fils le prince de Galle pour en faire un champion. Leur ascension est très intéressante et se lit agréablement avec le sourire car rien n’est sérieux dans cette fable.

Mais un jour, les frères perdront leur envie de jouer car il rencontreront un petit garçon qui leur fait comprendre qu’ils sont devenus des professionnels.

Oui, vous êtes des professionnels, et c’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas jouer avec vous. Nous jouons pour l’honneur et vous jouez pour l’argent. Je ne veux avoir rien en commun avec vous.

Ils prennent conscience de tout l’argent qu’ils ont gagné et cela rend le football moins passionnant. On est loin du football contemporain. Avant de tout arrêter, il faudra une dernière et folle équipée vers l’Australie et les onze frères finiront dans un sursaut d’honneur par retrouver leur compétitivité.

La fin est vraiment moins intéressante, l’auteur envoie son équipe de foot sur une île de cannibales puis au milieu de l’océan .

Je pense que ce roman est plutôt un livre pour la jeunesse. Malgré l’humour, je suis restée en dehors de cette fable qui pourtant est très célèbre en Tchéquie.

 

 

 

Citation

Humour tchèque.

« C’est vous, monsieur Klapzuba ? »

Klapzuba rassembla en vitesse toutes ses réserves de vocabulaire anglais, prit son temps pour y faire son choix, hocha la tête et dit finalement :

« Yes »

 

L’apprentissage et la royauté.

 Leur Majesté d’Angleterre m’ont envoyé leur fils en apprentissage, et de ma vie je n’ai jamais vu un apprenti se faire servir. Il s’est engagé, faut qu’il porte lui-même son barda. Le meilleur des rois est celui qui a le moins de laquais autour de lui, si on oublie que pas de roi du tout, c’est encore mieux que le meilleur des rois.

Le sport et l’argent.

Il n’y a pas de quoi s’étonner, tout ce qui se répète à l’infini perd de son charme et se résume à la longue a un problème mécanique. On a vu le même phénomène avec les professionnels du Royaume-Uni. Seul un amateurisme total, celui qui exige de ses adeptes des sacrifices, apporte en récompense le plus beau cadeau que la culture physique puisse offrir : l’esprit sportif. Toutes les autres formes d’activités sportives mène à la mortification de l’esprit.

Scène avec un colonel anglais .

Le colonel ne faisait rien d’autre que de rester assis, tirer sur sa pipe et cracher alors Klapzuba faisait de même, rester assis, tirer sur sa pipe et cracher -et ainsi ils restèrent assis, tirèrent sur leurs pipes crachèrent à deux. Une heure plus tard, le colonel leva la main, montra un oiseau blanc qui passait par là et dit en anglais :
« Mouette »
Klapzuba approuva de la tête :
« Yes »
 Une heure plus tard Klapzuba aperçut un dauphin surgissant et disparaissant dans l’eau. Il observa un moment leva la main et dit posément :
 « The poisson » 
Là-dessus le colonel Ward hocha sérieusement la tête :
« Yes »
Et ils retournèrent à leurs occupations, rester assis, tirer sur leurs pipes et envoyer des crachats.

 


Éditions Fleuve

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Quelle lecture plaisir ! Ce roman apporte un excellent moment de détente et parfois c’est justement cela que l’on cherche. J’ai aimé le regard avisé et plein de tendresse de cette écrivaine sur les clients d’un restaurant parisien.

Le fils conducteur auquel on doit le titre, ce sont les efforts de Cyril, le serveur qui est amoureux de la serveuse Marion. Chaque chapitre est intitulé d’un plat que l’on peut commander au restaurant : « Hareng-pomme- de-terre à l’huile » « ris de veau sauce madère » … certains de ces chapitres sont consacrés aux pensées de Cyril et de Marion : compliqué d’être amoureux quand on est timide et qu’on a peur de blesser l’autre. Les autres chapitres sont consacrés à des couples qui sont à des moments différents de leur histoire. L’auteure nous donne toujours les deux versions : les pensées de la femme et celle de l’homme. Nous suivront par exemple un couple qui devrait commencer, mais ils se sont rencontrés grâce à un site de rencontre, ils se sont écrit de longs mails et cela ne les aide pas à trouver des façon de se parler. Nous suivrons aussi le couple bien installé dans la vie, lui il est médecin et se réfugie dans le travail car il fuit son épouse qu’il ne reconnait plus trop sûre de son rôle de femme de médecin. Nous aurons aussi le couple de l’éternel dragueur qui ne cherche qu’à coucher avec de belles femmes qu’il soumet trop facilement. Entre ses découvertes Cyril essaie d’avancer dans sa conquête de Marion. Tous ont vécu une scène initiale : une femme est debout, ne s’assoit pas à la table de son conjoint. Celui-ci lui parle d’un ton très dur et méprisant, elle hésitera longtemps, si longtemps qu’elle attire les yeux de tous les clients du restaurant. Elle finira au grand soulagement du lecteur qui a entendu tout ce qu’elle a dû supporter de son goujat de mari, par partir. Tous ces personnages sont émouvants, et nous les fréquentons dans notre quotidien mais tout le talent de Claire Renaud c’est de savoir nous les présenter de façon très vivante grâce à une écriture très moderne.

Un roman que je vous conseille pour vous détendre et aimer vos contemporains.

 

Citations

Un portrait réussi .

 Lui, ça fait quatre ans qu’il est ici. Au départ, c’était provisoire, un job étudiant. Puis c’est devenu un job tout court quand il n’a plus été étudiant. Il a arrêté d’aller à la fac de cinéma. il ne va plus au cinéma. Comme si Paris lui avait fait revoir toutes ses ambitions à la baisse. Il ne se reconnaissait pas dans ces cinéphiles prétentieux qui citaient toujours le seul film qui n’avait pas vu du réalisateur qu’il aimait biens. Il se sentait toujours en défaut, de culture, de niveau social, d’argent. Il n’osait ramener aucun pote de la fac chez lui, encore moins les filles, il avait honte.

Les avancées amoureuses.

 – Moi j’aime bien être seule. Ça ne me dérange pas, déclare-t-elle.
 Une autre info. Une touche supplémentaire de peinture sur la toile. Une autre pièce du puzzle.
 Et quelle pièce ! Elle est seule ! Pas de petit ami dans le paysage. Célibataire. Libre. Ils sent pourtant d’autres chaînes. 
Et une solitude pleinement assumée et consentie n’est-elle pas plus terrible que tous les bellâtres du monde en embuscade ? Il saurait mieux attaquer un rivale que franchir des barrières invisibles. Mais il n’a pas le choix.

Scène tellement vraie.

 – Alors, ma chérie ? Qu’est- ce qui te ferait plaisir ? Une salade pour toi, une entrecôte pour moi, c’est ça ?
Oui, c’est ça. Ou autre chose. Qu’importe.
 Je vais manger légèrement, pour conserver la ligne, pour te garder, la concurrence est rude, elle me maintient à un haut niveau de fruits et légumes, tandis que tu prendra de la viande, carnassier, prédateur, et toute la mythologie qui va avec. Ta signalétique est peu subtile.

Je déteste ces mots là moi aussi. Surtout « mon coeur »

 « Tu prendras un dessert, ma chérie ? »
Chez les autres, je trouve cela ridicule voire odieux. Accoler les remarques les plus triviales à des mots doux me révolte. Les « passe-moi le sel mon cœur » et autres « descends la poubelle mon trésor » me donnent la nausée quand ils ne me font pas éclater de rire.


Édition Taillandier

 

 

Jai été tentée par ce roman, car j’ai souvent une tendresse pour les auteurs qui se penchent sur leur enfance, et qui savent nous faire partager « le vert paradis des amours enfantines », cette citation de Baudelaire n’est pas gratuite, car dans presque tous les moments de ses souvenirs, l’auteur fait des parallèles entre sa vie et des personnages de la littérature il convoque Proust (évidemment !) Nabokov, André Chénier et tant d’autres. Certains sont de sa famille car comme tout membre de la noblesse il parle de sa généalogie, sans en être fier car ce serait de « mauvais goût », voire vulgaire. J’ai déjà dans ma bibliothèque le livre de mémoire d’une de ses tantes, Pauline de Pange : « Comment j’ai vu 1900 » qui m’avait beaucoup plus intéressée.

L’auteur est né en 1957, et a vécu son enfance à côté de Laval dans une demeure qui devait ressembler à cela :

 

C’est là encore qu’il écrit ses livres, en particulier celui-ci.

On sent que l’auteur veut nous faire ressentir la douceur avec laquelle il a été élevée, et combien ses parents ont été mêlés de près à la vie de la France. En bon catholique, ils étaient antisémites, en amoureux de la France ils étaient résistants. Mais lui est né en 1957, donc tout cela ne lui revient que par bribes et ne doit donner lieu à aucune gloriole : toujours la peur d’en faire trop en se ventant. Alors il reste la vie de ce petit garçon qui n’a vraiment rien de passionnant. Sa tante (éloignée) nous avait fait découvrir le monde de la noblesse avant 1914, lui ne nous fait pas découvrir grand chose , sinon la vie d’un petit garçon tendrement aimé de ses parents, je suis ravie pour lui qu’il ait reçu autant d’affection. Je me demande s’il a pensé qu’en rendant publique son enfance dans ce qui doit être le château du village, il fait le même effort que la famille Crawley dans Downtown Abbey qui ouvre leur demeure aux visiteurs.

Tout est en retenu dans ce livre, en discrétion et en allusions littéraires. Ce sont peut-être ces qualités qui dans la vie sont agréables qui ont rendu ce livre si fade à mes yeux, je dois, cependant, rendre hommage aux qualités du style d’Emmanuel de Waresquiel (ce qui fait que de deux coquillages je suis passée à trois).

 

Citations

Portrait d’un oncle (avec un trait de caractère que j’ai déjà rencontré)

 Il parlait avec une légère pointe d’accent anglais qui lui venait sans doute de ses anciennes « nannies », n’écoutait pas, vous interrompait, n’entendait pas ce qu’on lui disait et pouvait reprendre très naturellement une conversation qui n’avait pas commencé ou qui avait été interrompue depuis des jours. Il m’enchantait , plus tard, par sa facilité à manier le quiproquo, les propos décalés, les réponses « ex abruto » qui laissaient pantois tous ceux qui ne le connaissaient pas. Il fallait pour l’aimer l’approcher de loin, accepter d’entrer dans son monde, l’apprivoiser, comme Le petit Prince son renard.

Fin du livre.

 Nous restons seuls avec nos souvenirs. C’est peut-être pour cela qu’on écrit. On veut en finir avec le temps, passer l’ardoise à l’éponge. Elle était devenue indéchiffrable à force de repentir et de ratures. On espère résoudre le rébus, retrouver les mots cachés comme Alice la clef de la porte au pays du lapin Blanc

 

 

 

 

 

Éditions Grasset

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Après le Secret et la Mauvaise Rencontre, je renoue avec cet auteur grâce au club de lecture. Le narrateur doit faire face au deuil de sa compagne tendrement aimé. Cela lui devrait être chose plus aisée qu’à d’autres puisqu’une de ses spécialités en tant que psychanalyste c’est justement « Le deuil ». Seulement comme chacun le sait, c’est tellement plus simple d’expliquer et d’aider les autres que de se comprendre soi-même et de ne pas faire les erreurs que l’on a vu les autres commettre. Le narrateur plonge donc dans le deuil sans que rien ne puisse le retenir : ni l’affection de sa fille, ni son ami violoncelliste, ni son médecin qui surveille la pile qui doit empêcher son coeur de s’arrêter. La nouveauté qui nous vaut ce roman, c’est le « service » que propose des « start-up » : créer un avatar de la personne récemment disparue et dialoguer avec elle . Oui, ce service existe, et non, je ne connais personne qui l’a essayé. On devine comment cela marche, et l’auteur le raconte très bien, vous laissez des créateurs de logiciel entrer dans votre vie virtuelle, vous leur confiez photos et document sonores, grâce à des entretiens, ils découvrent votre vie et celle du défunt, et moyennant un budget conséquent, ils créent l’avatar de la personne disparue qui pourra dialoguer avec vous.

Pour le romancier ce sera salutaire puisque c’est grâce à cela qu’il retrouvera l’inspiration nous raconter son deuil enrichi de cette expérience  : et hop ! la boucle est bouclée.

On apprend au passage qu’avoir une pile dans le coeur, n’est pas anodin et que vous donnez à une compagnie le droit de ralentir ou d’accélérer votre rythme cardiaque. D’ailleurs, il y a quelqu’un qui a montré qu’un hacker pourrait ainsi neutraliser des personnes très âgées porteuses de ce genre de pile (si possible des dirigeants politiques).

C’est un roman très facile à lire et qui met en lumière une pratique funéraire qui risque de se développer : notre société veut tellement fuir la mort que je pense que ce genre d’entreprise va connaître un bel essor. Malgré une écriture très agréable, je n’ai pas été touchée par ce roman que j’ai trouvé vide. Il est rare que j’apprécie un livre où l’auteur raconte comment il a du mal à écrire tout en écrivant, c’est une impudeur qui me gêne.

PS c’est tout à fait par hasard que sur mon blog deux auteurs ayant le même nom se suivent !

Citations

Un père et sa fille.

 Quelques années auparavant, Agnès avait rencontré l’homme de sa vie qui allait devenir son mari, puis le père du petit miracle devant lequel Irène et moi sommes retombés en enfance. Seule ombre au tableau : la complicité qui me liait à ma fille s’était émoussée. Il m’était difficile de percevoir encore dans la femme épanouie celle qui, autrefois blottie dans mes bras, me confiait ses secrets. La grossesse puis la maternité d’Agnès avait naturellement installé une nouvelle distance : la fille aimée était maintenant avant tout une épouse et une mère. J’ai su faire bonne figure afin que personne n’aperçoive, sous les attentions et la tendresse d’un grand-père, la nostalgie d’un père.

L’Après.

 Dans le tiroir du meuble de la salle de bain, j’avais entrepris d’enfermer ses produits de beauté mais au moment de les ranger je n’ai pu résister au besoin de dévisser le bouchon de son parfum : tel le génie de la lampe, Irène avait jailli du flacon, remplissant la pièce de ces effluves autant que de son absence.

Joli passage :

 « C’est une curieuse expérience de constater que ma vie ne tient qu’à un fil, celui qui relie cette pile à mon cœur, un cœur qui ne bat plus pour personne »
Lui confiai-je, Peu après la mort d’Irène, un jour où l’absence de mon épouse me pesait plus encore que d’ordinaire et me rendait impossible cet exercice dans j’avais pourtant la maîtrise : faire bonne figure. Une autre fois où je retrouvais un peu de mon humour, je parvins à lui demander :
 « Docteur vous qui savez redonner du rythme à ceux qui défaillent, pouvez-vous faire quelque chose pour les cœurs brisés ? »
Il répondit en souriant :
« Et vous, qui savez si bien écrire sur le deuil, votre sagesse et votre plume ne peuvent-elles vous aider à traverser cette épreuve ? »


Éditions Le Dilettante . Couverture Camille Cazaubon.
 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

J’ai indiqué le nom de la personne qui a imaginé cette couverture car elle m’a bien plu. Dans le grand rond, le titre je vais l’expliquer dans mon billet, mais dans tous les petits ronds d’autres chiffres et peut-être vous amuserez vous comme moi, et la bibliothécaire du club de Dinard à en trouver la signification – pour 1515, ok nous sommes nombreux mais pour 8848 ?- . (Je me demande ce que Goran aurait pensé de cette couverture ?)

Mes coquillages parlent pour moi : ce roman a su me séduire et pourtant j’ai quelques réserves. Je trouve que les personnages manquent d’humanité , la compagne du « héros » montre l’étendue de ses sentiments, seulement au dernier chapitre.

Revenons à l’histoire : François est un haut cadre chez Google France, il gagne très bien sa vie, il est divorcé et père d’une adolescente peu sympathique, il va de conquête en conquête, bref tout va bien pour lui. Sauf que … il va avoir soixante ans et il est absolument terrifié par la vieillesse. Heureusement, il fait beaucoup plus jeune que son âge.

La fiction peut commencer, dans une société où on peut demander à changer de nom, de sexe pourquoi ne pas demander à changer de date de naissance et se rajeunir de quelques années. François fera calculer son âge par un algorithme mis au point par une toute nouvelle société : « Humanprog » et découvrira que son âge biologique est de trente neuf ans et quatre mois.- d’où le titre 39,4.

On le comprend bien ce roman est l’occasion pour cet auteur dont j’ai très envie de lire le premier roman (Panne de secteur), de se moquer de la peur du vieillissement. Il le fait avec un don incroyable, celui de saisir tous les travers de notre société. Je pense que son poste d’observation de professeur et chef de clinique dans un grand hôpital parisien lui donne accès aux grandeurs et aux petitesses de l’âme humaine. La scène chez le chroniqueur Ruquier est tellement vraie, le pauvre philosophe qui veut simplement dire que finalement nous mourrons tous et la façon dont une chroniqueuse le renvoie « à la niche » sans lui permettre de s’exprimer est d’une tristesse qui n’a d’égale que celle que nous éprouvons parfois quand nous regardons les intervenants sur les plateaux de télévision mettre en pièce un philosophe ou un scientifique qui ne parle pas le langage à la mode du petit monde parisien.

Le style de cet auteur est très particulier, il avait, semble-t-il rebuté des lecteurs par un goût prononcé pour des mots rares de la langue française, il le fait ici aussi mais ça ne gène pas la lecture. Je ne suis pas certaine que je me souviendrai de

 un quérulent processif 

Bien que l’auteur en donne l’explication dans la fin de sa phrase :

François se trouver présenté comme un quérulent processif, l’un de ces illuminés en proie à un délire de revendication destiné à redresser un dommages fictif.

 

Ce n’est pas un roman que l’on lit facilement car souvent on doit rester concentrer pour savourer ce qu’il va nous décrire et comme hélas ce qu’il nous raconte sont les côtés les plus superficiels et les plus tristes de notre société, le lecteur (en tout cas moi) est un peu sonné par sa lecture. On rejoint mon bémol du début, je suis certaine que même chez les bobos parisiens il y a plus d’humanité que ce qui est décrit par Philipe B Grimbert. (à ne pas confondre avec un autre Philippe Grimbert !)

(PS : lors de notre réunion du club de lecture 7 avril, une lectrice a exprimé son dégoût de ce roman, car elle trouvait le personnage absolument « machiste », ce qui est vrai, mais à aucun moment l’auteur n’a de la sympathie pour son personnage . Et pour moi j’y ai vu surtout une condamnation du machisme de ces hommes qui ont tout réussi en même temps qu’ils gardent une apparence physique digne de la jeunesse. Et finalement la seule personnage sympathique sera la femme qui clôt l’histoire. Mais si vous lisez ce livre j’ai hâte de savoir comment vous interprétez les intentions de l’auteur )

 

Citations

Portrait de la chroniqueuse chez Ruquier.

Elle était à cet instant semblable à ces chiens de combat musculeux de petite taille qui paraissent trouver dans l’obturation déterminée de leur mâchoire sur leur proie, le point d’équilibre et de justification de l’ensemble de leur personnalité. elle s’était saisie du vieux philosophe, lui agrippait un morceau de chair pendante avec une telle puissance qu’il paraissait improbable, même en la soulevant dans les airs, de lui faire lâcher prise.

Et fin de l’émission

 François et Jehan regagnèrent les coulisses, laissant sur le plateau Jacques Hofstein et son regard aussi expressif qu’une feuille de papier journal froissée. L’assistante leur assura qu’ils avaient été « top » avec une pointe d’audimat enregistrées pendant près d’une minute quarante. On entendit une voix lointaine l’animateur introduire les invités suivant pour un débat consacré à « l’insémination des vaches laitières et ses relations avec notre culture du viol ».

Quel art de la formule.

À part quelques épidémies virales gérontophages on continuait à s’enliser dans la comptabilité marécageuse des régimes de retraites et les dernières réformes, illustrées du slogan tout droit sorti du cerveau d’un énarque facétieux « travailler plus longtemps pour vieillir moins lentement  » laissant craindre une nouvelle secousse tellurique. 

La description des urgences de Cochin sent le vécu.

 Il s’était bêtement tordu une cheville un dimanche matin en plein footing et, craignant une entorse grave, s’était rendu aux urgences de l’hôpital Cochin. Arrivé vers 11heure , il avait quitté les lieux à 19 heures armé d’une ordonnance pour du Doliprane rédigé par un interne moldave qui l’avait examiné d’un air flapi. Bien avant cela, il avait patienté dans une salle d’attente surpeuplée, à côté d’un vieillard couché sur un brancard, qui répandait autour de lui une forte odeur d’urine ne semblant même plus incommoder la femme usée qui lui tenait la main. Le sol était maculée de taches diverses et, tous les quarts d’heure, une voix de femme annonçait en hurlant le nom de la personne invitée à s’approcher de l’office où trois infirmières s’affairaient. Tout autour se tenait une foule composite d’adultes seuls ou de familles. Un peu à l’écart s’agglutinaient en grappes près d’une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants autour d’un homme d’une soixantaine d’années coiffé d’un feutre vert élimé. Le voisin de François l’informa, avec le ton résigné d’un homme rompu à la fréquentation des lieux, qu’il s’agissait du patriarche d’une famille de gitans donc les avatars culturels l’incitaient à ne jamais se déplacer à l’hôpital sans la totalité de son « cheptel ».

Quel regard acerbe ! Paris était envahi par les manifestants « gilets jaunes ».

 Par le plus grand des hasards et pour le plus grand bonheur de François, Jehan Lamarc et Tigrane Fanfard s’étaient vu empêcher l’accès au théâtre du Rond-Point pour l’un et à la fondation de Louis Vuitton pour l’autre. C’est ainsi qu’un miracle se produisit. Unis par la frustration dominicale, tels deux naufragés d’une croisière de luxe échoués sur une plage de Sicile parmi les clandestins, la glace se brisa.

« Baiser » avec une grand mère.

 Il venait de baiser avec une grand-mère. Une vision d’effroi le parcourut comme un frisson. Celle du loup dans « le petit chaperon rouge » après qu’il eut ingurgité la mère-grand. François avait toujours redouté que la vieille, ses os décalcifiés est sa chair avariée, intoxique gravement l’animal. Il se sentit fiévreux. Moins d’une minute plus tard il traversait au pas de course la cour de l’amphithéâtre, les lacets défaits, la chemise hors du pantalon, la conscience souillée comme s’il venait de s’adonner à un acte de haute perversité, et sitôt rentré chez lui, se nettoya avec frénésie pour effacer les traces de cet acte odieux.

Le tourisme écologique.

 Bien que presque tout, jusqu’à l’eau, fût importé de Casablanca ou d’autres villes du Maroc par avion, hélicoptère et puissant 4×4, l’ensemble du village affichait son esprit « éco-friendly ». Cela se traduisait par une absence de papier hygiénique et de télévision, l’utilisation exclusive de serviettes recyclables, une politique zéro plastique et un club enfant écopédagogique même si, élément appréciable, il n’y avait aucun enfant en ce milieu.

La vieillesse et la dépendance.

 En écoutant les récits de certains de ses amis sur les fin de vie pathétiques de leurs propres parents, François réalisait la chance qu’il avait eue. Il avait échappé au dimanche en EHPAD, aux vacances bouleversés par les aléas médicaux, sans parler des conséquences financières, les sommes exorbitantes avalées pour maintenir des vieillards grabataires et énurétiques « dans le confort et la dignité », qui entamaient parfois de façon drastique le montant des héritages futurs.

Le vieillissement.

 Outre le fait que la majorité de ses fréquentations, passé le demi-siècle, se trouvaient engagées dans une relation exclusive avec une hypertrophie de la prostate, un carcinome mammaire ou les prodromes d’une ischémie coronarienne, beaucoup exhibait un intérêt nauséabond, qui suintait comme un exsudat dans leurs conversations quotidiennes, pour la fréquence de leur coloscopie, la grandeur d’âme de leur urologue, ou le talent démiurgique de leur nutritionniste.


Édition Zulma . Traduit de l’islandais par Éric Boury.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Appelés en 2013 à élire le plus beau mot de leur langue, les Islandais ont choisi un substantif de neuf lettres désignant une profession médicale : Ijósmóðirin, sage femme. Dans son argumentaire, le jury souligne qu’il unit deux mots magnifiques : móðir qui signifie mère et Ijós, lumière.

Ce roman m’a fait du bien dans des moments où le monde devenait fou . Partir dans les réflexions d’une sage-femme elle même petite fille et arrière petite fille de sage-femme et découvrir l’Islande ancienne et actuelle m’a permis d’oublier la guerre et toutes ses conséquences. J’ai eu envie de noter beaucoup de phrases qui me plaisaient, ma préférée est sans doute celle que prononçait sa grand-tante à chaque naissance

Bonjour petit être. Tu es le premier et le dernier toi en ce monde.

Le reste du livre est constitué par une recherche pour comprendre ce que la grand-tante a voulu léguer à sa petite nièce. Dans son appartement que l’héroïne devra rénover, elle trouve une correspondance avec une amie Galloise et surtout des textes qui pourraient être publiés. Mais que voulait vraiment dire Frida ? Tout ce que l’on comprend c’est que sa recherche associait la naissance à la lumière. Ce n’est pas très facile de comprendre ce que sa tante voulait dire, d’ailleurs sa petite nièce renoncera à vouloir le faire publier.
Les moments que nous passons dans l’Islande actuelle, nous vivons des accouchements, une tempête d’hiver et une belle ballade vers les aurores boréales . Ce n’est sans doute pas un grand roman car il est trop décousu à l’image de la tentative de sa grand-tante de comprendre l’humanité mais on y est bien, je l’ai lu avec grand plaisir et j’espère retenir ma phrase préférée.

 

 

Citations

Naissance

Le thermomètre sur le rebord extérieur de la fenêtre affiche moins quatre degrés et l’animal le plus vulnérable de la terre repose sur la balance, nu et démuni, il n’a ni plume ni fourrure pour se protéger, ni carapace, ni poils, rien qu’un fin duvet sur le sommet de la tête, un duvet que la clarté bleu du néon traverse. 
Il ouvre les yeux pour la première fois. 
Et voit la lumière. 
Il ignore qu’il vient de naître.
 Je lui dis, bienvenue, mon petit.
 Je lui essuie la tête, je l’enveloppe dans une serviette puis je le donne à son père qui porte un t-shirt avec l’inscription « le meilleur papa du monde ».
Bouleversé, l’homme pleure. c’est terminé. La mère épuisée sanglote aussi.
 Le père se penche avec son bébé dans les bras et l’allonge prudemment sur le lit à côté de la femme. L’enfant tourne la tête vers la mère, il la regarde, les yeux encore emplis de ténèbres venus des profondeurs de la terre.
 Il ne sait pas encore qu’elle est sa mère.
Elle le regarde et lui caressé la joue d’un doigt. Il ouvre la bouche. Il ignore pourquoi il est ici plutôt qu’ailleurs. 
– Il a du roux dans les cheveux comme maman, remarque la parturiente. 
C’est leur troisièmes fils. 
– Ils sont tous nés en décembre, commente le père. 
J’accueille l’enfant à sa naissance, je le soulève de terre et le présente au monde. je suis la mère de la lumière. de tous les mots de notre langue, je suis le plus beau- « Ljómodir » (mère de lumière)

Des phrases que j’aimerais retenir.

 L’homme doit d’abord naître pour pouvoir mourir.
 Il n’y a pas grand chose sous le Soleil 
qui puisse surprendre une femme ayant une si longue expérience du métier. 
Si ce n’est de l’être humain lui-même.
En réalité, l’animal le plus précaire de la terre ne se remet jamais d’être né.

 Présentation de ses parents (je me demande ce que sont des cercueils qui ne sont pas à usage unique ? ? ?.)

 Nos parents dirigeaient et dirigent encore aujourd’hui une modeste entreprise de pompes funèbres avec mon beau-frère, le mari de ma sœur. Comme le dit ma mère, les affaires sont « florissantes » puisque tout le monde doit mourir un jour. C’est mon grand-père paternel qui a fondé cette entreprise, il fabriquait lui-même les cercueils, solides et soignés, avec du bois de qualité. Mais c’est une épopée révolue, désormais les cercueils sont « à usage unique et importés », comme le regrette mon père. C’est donc une longue tradition familiale que de s’occuper de l’être humain aussi bien au tout début de sa vie que lorsqu’il arrive à sa destination finale, ce que souligne très justement ma mère.

Repas en famille.

 Au dernier repas de familles, ma mère a passé toute la soirée à parler de la mort. Papa hochait régulièrement la tête et mon beau-frère l’écoutait avec attention. Après, il est allé dans la cuisine pour remplir le lave-vaisselle et mes parents ont continué à discuter du prix des cercueils, de leur qualité et des commandes en cours.

Les journées d’hiver en Islande.

 Je tente de lui expliquer que le jour se lève et prend fin très vite après, finalement j’exprime les choses d’une autre manière : le Soleil apparaît à l’horizon peu avant midi et disparait vers trois heures. L’aube s’étire en longueur toute la matinée et trois heures après la parution de la lumière, l’air s’assombrit à nouveau et le soleil s’enfonce dans la mer.

La philosophie de sa grand-tante sage femme comme elle.

 Même si elle ne croyait pas en l’homme, ma grand-tante avait foi en l’enfant. Ou disons plutôt : elle ne croyait en l’homme qu’en deçà de 50 cm. Cela correspond également aux récits de ses collègues de la maternité. selon elle, il y avait d’une part l’être humain et d’autre part, l’enfant. tout ce qui était petit, et de préférence plus petit que petit, vulnérable et faible, suscitait son intérêt et éveillait sa tendresse, que ce soit dans le monde des hommes, dans le règne animal ou végétal.

Point final.

 Là où les manuscrits se contredisaient, c’est que même si ma grand-tante prévoyait la disparition de l’être humain, elle supposait qu’il y aurait dans le monde du futur une place non seulement pour les animaux et les plantes, mais aussi pour les enfants. Et pas uniquement eux puisque deux autres catégories y seraient également représentées . D’une part les gens qui avaient conservé leur âme d’enfant, « qui s’amusaient à souffler sur les graines de pissenlits et savaient s’étonner », et d’autre part – ce qui n’a rien de surprenant, a souligné ma sœur- les poètes.
Voici les listes des mots qui veulent dire brouillard et neige en islandais je les ai pris en photo car c’est trop compliqué à écrire.