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Traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné revu par Caroline Sers.

4
Trois pour traduire ce roman… L’anglais devient une langue bougrement compliquée ! Cela m’amuse de voir qu’il existe maintenant un anglais du Canada, il arrivera un jour où, pour les habitants de la planète, la référence à l’anglais d’Oxford ressemblera au latin pour les Européens des siècles passés, avant d’accepter que le français, l’espagnol, l’italien le roumain.. deviennent des langues à part entière. Sans mon club et ma bibliothécaire je n’aurais pas lu ce roman. Tous les lecteurs connaissent cette sensation agréable, d’être surpris par un livre qu’on n’imaginait pas aussi intéressant.

Les déboires d’une femme de 135 kilos, je trouvais ça triste, un peu dégoûtant surtout dans un monde où tant de gens luttent pour leur survie. Je ne connaissais pas cette écrivaine et je lirai, à l’occasion, « les filles » le roman qui l’a fait connaître. Keisha, la blogueuses que j’ai mise en lien à la fin de mon article, a préféré « les filles » à ce roman et cela l’a un peu empêchée d’apprécier celui-ci.

Il est vrai que le début m’a un peu ennuyée, car ça démarre trop doucement et je n’arrive pas à comprendre le « pourquoi » de son obésité. Et puis peu à peu, Mary nous devient extrêmement proche. On connaît tous, je pense, des moments où l’envie de ne rien faire nous paralyse, où l’on remet à demain ce qui devrait de toute urgence être fait le jour même.

On comprend alors son calvaire, car elle souffre à peu près tout le temps : elle est dominée par « L’obête » qui est en elle qui l’oblige à se goinfrer, elle est blessée par le regard des autres, elle souffre de douleurs insupportables à chaque geste ou presque. Une image aura son importance dans le récit : elle est si lourde qu’elle a creusé des ornières dans la moquette entre son lit et sa cuisine. Elle parle à son sujet, d’obésité morbide et c’est tellement vrai !

Et puis, elle devra enfin bouger un peu : son mari l’a quittée. Le roman prend un tout autre intérêt, elle s’ouvre un peu aux autres et nous fait découvrir les habitants de Los-Angeles. Pas les stars, mais les gens de tous les jours et les Mexicains. Elle va reprendre sa vie en main peu à peu.

Cette écrivaine a vraiment un don pour nous faire partager les sensations physiques de son personnage. Ce n’est sans doute pas un chef d’œuvre, mais c’est un excellent roman d’aujourd’hui. Je suis partie dans le monde l’obésité, j’ai découvert une Amérique que je ne connaissais pas, celle qui est rarement dans les films hollywoodiens. Je pense que le fait que ce soit écrit par une Canadienne n’y est pas pour rien.Ce sont deux pays voisins certes, mais avec un brin d’étrangeté dans le regard. Cela permet une acuité des observations de cette auteure, bienfaisante pour le lecteur européen.

Citations

Début du roman, elle se retrouve nue sur sa pelouse et n’arrive pas à se relever

Elle était elle-même tout entière et elle n’était rien, sauf la brise qui la soulevait, jusqu’ au moment ou elle aperçut son énorme silhouette poupine, paisible et jolie, déshabillée par le vent. Dans la situation présente elle était trop illuminée pour éprouver des regrets et elle considérait le corps dont elle avait hérité, mais qu’elle n’avait pas mérité, sans inquiétude, sans envie et sans honte.

Les sentiments de honte

Elle se rendit compte qu’elle ne s’était jamais sentie aussi lourde réflexion aussitôt chassée par la certitude que, de fait, elle n’avait jamais été aussi lourde. Elle en était là. Elle était devenue si grosse qu’elle avait littéralement repoussé son mari. Comme l’eau qui déborde de la baignoire

Un moment d’humour

Mary se souvint d’avoir lu quelque part que les Françaises croyaient que toutes les femmes d’un certain âge devaient choisir entre leur visage et leur derrière. Le raisonnement apparaissait sensé : la graisse effaçait les rides et gardait au visage une apparence juvénile, mais elle alourdissait le postérieur et lui donnait l’aspect d’un sac de billes. À voir les yeux enfoncés et la peau plissée de Sylvie Lafleur, les rides verticales de sa bouche et horizontales de ses yeux, on comprenait qu’elle avait choisi de sauver son cul.

Le retour vers la vie et les sensations

Elle ajouta la joie au répertoire de ses émotions récentes et songea : « je suis guérie.  » Elle n’était plus la victime d’un vague malaise .Aucun de ses sentiments n’était vague. Elle aurait pu nommer chacune de ses magnifiques sensations – espoir, excitation, panique, chagrin, peur et dessiner une carte de leurs dérivés. Voilà aussi ce qui arrivait aux personnes qui s’extirpaient des ornières de leur moquette, songea-t-elle. Elles se retrouvent dans des montagnes russes et prennent gout aux montées d’adrénaline.

Réflexion sur l’Amérique et l’obésité

Au moment de s’unir, un homme et une femme étaient parfaitement conscients du fait qu’ils avaient une chance sur deux de rester ensemble. Mary se demanda si. En Amérique du nord, l’obésité avait progresse au même rythme que le taux de divorce . La gloutonnerie comme réalisation de soi.

On en parle

En lisant, en voyageant : Keisha

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Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude.

4
Quel beau livre ! Et quelle belle traduction ! À aucun moment on ne se sent gêné par la langue. Ce livre raconte la mémoire douloureuse d’un petit village polonais. Les personnages sont variés et représentent bien les différentes mauvaises consciences de la Pologne après le communisme.

Il y a une intrigue policière qui permet de donner un fil à la narration : qui a assassiné Tomek,le fils de Powierza ? L’enquête du personnage principal, paysan et voisin de Tomek nous conduira à travers les trafics des anciens dirigeants du Parti. Les nouveaux redresseurs de torts ne sont pas forcément des personnages très sympathiques. Et si la mémoire allait un peu plus loin, est-ce qu’on retrouverait le souvenir des juifs qui ont entièrement disparu du village ?

L’ambiance de la Pologne rurale est très bien décrite, l’antisémitisme ambiant dans la Pologne d’aujourd’hui également. On sent que l’auteur connaît bien la région et qu’il a fréquenté de nombreux Polonais. On est saisi par les divers sentiments de culpabilité qui soudent ces gens entre eux et tissent comme un couvercle de plomb qui écrase tout le village.

Fuir cet endroit perdu, c’est la seule solution pour presque tous les jeunes de ce village, comme on les comprend ! Mais Leszek, le personnage principal, aime le travail de la ferme, il sait nous faire partager son attachement à la terre et on espère à la fin du roman qu’il sera heureux. Les temps ont changé en Pologne comme ailleurs et le lourd passé sera peut-être plus facile à regarder en face.

Citations

La douleur aux dates officielles

Nos femmes versent facilement des larmes, presque à la demande, sur les tombes froides de mars ou de novembre, mais le deuil privé demeure caché – c’est le cas de ma mère.

Les membres du parti sous le régime communiste

Par instinct, Jablonski s’habillait dans des couleurs pigeon de ville et arpentait les couloirs sombres du pouvoir avec des chaussures à semelle de crêpe qui ne faisaient aucun bruit….il pouvait se fondre dans n’importe quelle foule sans être remarqué, une qualité qui représentait à ses yeux, la condition de survie. Il y voyait un instrument de sélection naturelle face à la loi de la jungle.

Une belle description du travail d’un paysan traditionnel

La faux coupait et envoyait le foin d’une manière qui lui convenait beaucoup mieux – plus lentement, certes, mais si le travail était bien fait, le foin, projeté par vagues irrégulières, séchait plus uniformément, comme son père et son grand-père le lui avaient appris. Pour lui, les vieilles méthodes étaient en harmonie avec les saisons, le soleil, le climat. Il savait qu’elles étaient moins efficaces ; mais elles avaient un avantage : elles étaient solitaires.

les liens dans la famille

J’appréciais mon grand père, même si ce n’était pas de l’amour. On n’apprécie pas toujours les gens que l’on est censé aimer.

 Un des thèmes de ce roman, la bonne conscience polonaise face à la shoa

Parce qu’ils (les Polonais) survivent et que le reste de la planète ne se montre pas assez compatissant avec eux. Parce qu’ils ne sont pas considérés comme des victimes. Ils ont l’impression qu’on leur a vole ça. Les Polonais sont toujours la. Pas les juifs. Dis-moi un peu, qu’est ce qui rend la Pologne célèbre dans le monde ? »
J’essayais de comprendre où il voulait en venir.
 » Copernic ? Répondit-il ? Lech Walesa ?
– le pape, fis-je
– ach ! dit-il avec une grimace. D’accord le pape. Et quoi d’autre ?
Je n’avais aucune réponse.
« Auschwitz : voilà. Auschwitz, Treblinka, Sobibor.6 millions de juifs sont morts et le monde entier pense qu’ils sont tous morts en Pologne.

 On en parle

Le goût des livres 

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Une soirée cinéma comme je les aime ! Un film que je ne serais pas allée voir sans la rumeur des blogs de cinéphiles, leurs critiques favorables sont largement méritées : on n’oublie pas facilement la petite Mina. Elle décide de partir seule à travers Téhéran retrouver sa maison, puisque sa mère n’est pas venue la chercher à l’école.

La première chose qui m’a immédiatement séduite c’est la façon dont la ville de Téhéran nous apparaît : aucun reportage ne saurait la rendre plus présente. La petite croise, ou s’adresse, à des gens qui semblent ne pas être des acteurs, ils parlent d’amour, des difficultés de la vie de tous les jours, de la solitude, de la vieillesse. Rien n’est démontré, tout est allusion mais c’est autrement plus vivant et efficace qu’un film militant qui voudrait prouver que la vie en Iran est soumise à une répression qu’il faut à tout prix dénoncer. La petite est étonnante de détermination, je ne sais pas si c’est réel ou non mais tout à coup, elle décide d’être de l’autre côté du « miroir » et ne veut plus être filmée, elle est alors criante de vérité.

Véridique ou non (est ce encore du cinéma ?), le film tire une grande force de cet effet de renversement, nous sommes brutalement tirés hors de notre position de spectateurs et notre regard est totalement différent, nous aussi nous traversons le miroir et nous avons alors l’impression de vivre avec l’équipe du tournage. Comme eux nous sommes saisis par la difficulté de terminer ce film. Un spectateur nous a dit que Jafar Pahani était actuellement en prison dans son pays, c’est terrible qu’un si grand pays ne fasse pas davantage confiance à son intelligentsia pour l’aider à évoluer.

Nous étions 9 dans la salle de Combourg ce soir là, j’espère que ce film attire plus de spectateurs dans de plus grandes ville car c’est une œuvre à part qu’il faut voir.

La bande annonce

Un site (un peu sérieux mais intéressant) : Une fameuse gorgée de poison

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 Traduit de l’anglais(Inde) par Sylvie Shneiter.

3
Quatre voyageurs bengalis retenus dans une gare à proximité d’Agra dans les années 50, vont raconter leur premier émoi amoureux. Ce livre nous est présenté comme un grand classique de la littérature Bengali, son principal intérêt à mes yeux, est de nous plonger dans une réalité indienne, éloignée de la nôtre .

Les histoires se passent dans les années 30 dans un pays où oser regarder une jeune fille dans les yeux relevait d’une grande impudeur ! Ces quatre hommes ont tous fait des mariages de raison, arrangés par leur famille, mais la première jeune fille qui les a émus, les parents n’y étaient pour rien. Les quatre hommes ont plaisir à raconter leur jeunesse, et l’ambiance de la salle d’attente m’a fait penser à certaines nouvelles de Maupassant où des hommes décident ainsi de raconter leur premier amour. Mais la Normandie du XIX° siècle n’a vraiment rien à voir avec le Bengale du début du 20e !

La campagne normande est autrement plus vivante que ces Indiens qui se caressent du regard. On se demande pourquoi ces hommes sont transis d’amour pour des jeunes filles qu’ils n’osent à peine regarder. Bref, j’ai découvert ce livre sans être passionnée ni même émue mais intéressée par ce pays aux mœurs si éloignées du nôtre. La quatrième histoire, celle de l’écrivain qui se souvient du temps où lui et ses trois amis étaient amoureux de la même jeune fille est celle que j’ai préférée. On imagine bien les trois adolescents rendant tous les services possibles pour être proches de la jeune fille, en tout bien tout honneur, évidemment.

Citations

Certaines phrases qui m’ont agacée mais est ce un effet de la traduction ?

Les répliques monosyllabiques ne facilitent pas la poursuite d’une conversation mais les obèses sont des êtres sociables et grégaires.
(et vlan pour les obèses !)

Ses lèvres, ni trop pleines ni trop minces, au modelé ferme, avaient sans doute l’habitude de donner des ordres en quelques mots.
(ou comment juger quelqu’un un peu rapidement , non ?)

Exemple d’amour bengali, une jeune femme inconsciente et des jeunes garçons amoureux

Mona Lisa, tu ne sauras jamais à quel point nous avons exulté, le bonheur que nous avons éprouvé au fil des jours et des nuits, pendant la mousson de 1927, dans le vieux quartier de Paltan. Notre ferveur ne s’est jamais démentie dans l’obscurité peuplée d’ombres effrayantes…Si elle disait : « Oh », cela nous émouvait autant qu’un air de flûte ; si elle disait « eau », nous avions l’impression d’être submergée par les fleuves du monde entier.

On en parle

Pour l’instant je n’ai pas trouvé de blogs parlant de ce livre.

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Non mais, ce n’est pas possible !Toutes ces critiques qui disaient que c’était bien, comment j’aurais pu me douter ! C’est nul comme film, mais alors nul de chez nul ! Je me suis ennuyée et j’ai pesté contre toutes les critiques que j’avais lues.

Le metteur en scène force les acteurs à mal jouer : il y en a qui jouent mieux « mal » que d’autres. Par exemple Jean Pierre Léaud jouent vraiment très mal comme d’habitude, mais là c’est exprès ! Je sais on peut me répondre que je suis passée à côté du film, que c’est un conte ! Mon âme d’enfant n’a pas voulu se laisser prendre, pourtant c’est plein de bons sentiments. Les gens simples sont si gentils ! Je laisse à Télérama qui n’hésite pas à le classer dans les chefs d’œuvre le soin de donner la morale de ce film :

 « Avec une dignité qui mène à une morale simple comme bonjour : c’est en aidant les autres qu’il peut nous arriver des choses formidables. »

Voilà, vous avez bien lu, si tu es gentil avec ton prochain , il t’arrivera des choses bien ! De quoi crier au miracle, non ? Bref j’ai détesté et comme j’ai entraîné des amis avec moi, je suis furieuse.

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4
J’avais tellement apprécié « Cœur cousu » que je redoutais un peu de me lancer dans ce roman dont j’entendais tant de bien autour de moi. C’est un peu paradoxal, mais cette auteur arrive à m’entrainer dans un domaine qui souvent m’est complètement étranger : le mysticisme et les croyances aux forces de l’au-delà.

Et bien, j’avais tort, j’ai adoré « Du domaines des Murmures » et comme toutes les blogueuses avant moi, je ne peux que recommander chaudement la lecture. Cette femme emmurée qui deviendra finalement l’écho des hommes de son siècle, alors qu’elle désirait se donner à Dieu et à Lui seul, est vivante, sensible superbe dans la force de sa jeunesse. Le roman fait revivre le temps des croisades et les errements de la religion et d’une société fondée sur le seul pouvoir de la force masculine. Et surtout il offre une tribune à la parole des femmes de cette époque. Que savons-nous d’elles ?

J’ai eu la chance d’entendre Carole Martinez lors d’un café littéraire à Fontenay sous bois. Elle nous a dit, entre autre, qu’après la lecture de Georges Duby, elle avait pris conscience que les femmes du XIIe Siècle n’avaient pratiquement laissé aucun témoignage. Ce grand spécialiste du Moyen-âge parlait d’elles comme des « ombres ».

Loin de n’être qu’un roman historique, cette auteure nous entraîne à travers le personnage d’Esclarmonde , dans une réflexion sur la place de la femme dans les sociétés patriarcales religieuses. C’est aussi une réflexion sur l’engagement absolu de la jeunesse : il y a du Antigone dans cette recluse. L’intrigue est bien menée et passionnante jusqu’au bout le style est très agréable : C’est celui d’une conteuse qui séduit ses lecteurs car il crée une atmosphère.

Carole Martinez a beaucoup de talent et encore bien des histoires à raconter, le soir du café littéraire on la sentait habitée par ses personnages et prête à les faire revivre devant un auditoire complètement médusé.

Citations

Tandis que nous avancions, j’attendais que la pluie vînt balayer ma peur, mais l’orage restait sec et seuls les éclairs veinaient mon horizon d’ardoise.

 

 

L’enfantement n’est pas seulement une torture physique, mais une peur attachée comme une pierre à une joie intense. Les mères savaient la mort à l’œuvre dès le premier souffle de leur enfant, comme accrochée à leur chair délicate. 

 

 

Les croisades sont des saignées qui rééquilibrent les humeurs du pays. Qu’elles emportent au loin les jeunes cavaliers, les cadets sans terres et sans femmes, dont les tournois ne parviennent pas à calmer les ardeurs, qu’elles éloignent tous ceux qui sèment le trouble dans le comté et n’y respectent pas la Paix de Dieu ! Qu’elles le vident de ce sang jeune et impétueux qui n’y trouve pas sa place, du pus que sont les fous du Christ incapables de dégorger leur violence de la morve des désœuvrés et non des seigneurs vieillissants qui maintiennent l’ordre en leurs fiefs ou leur alleu et sont garants de quiétude 

 

Marie étant restée vierge après la naissance du Christ, corps intact, sans fissure, « vulve et utérus fermés ». Ces hommes, si éloignés des secrets de l’accouchement, se passionnaient pour les entrailles de la mère de Dieu.

 

Nous étions au début du printemps, en cette période de l’année où une heure de jour valait une heure de nuit. Les heures en mon siècle étaient des divisions aux durées élastiques. Les jours comme les nuits en comptaient toujours douze en décembre comme en juin. La durée d’une heure de jour était donc trois fois plus longue au début de juillet qu’aux alentours de Noël.
Comment pouvait-on-me mutiler ainsi ? J’avais choisi de me clôturer, non de me taire. Cette fois, la recluse volontaire se changeait bel et bien en prisonnière et je n’étais plus seulement la captive de quinze ans qui, n’imaginant son bonheur qu’en Dieu , avait fait ériger cette chapelle , de cette naïve damoiselle des Murmures persuadée de gagner la béatitude et la liberté en s’emmurant vivante , d’une innocente qui ne savait rien encore du monde et ignorait à quel point un être peut changer

 

Pourtant, mon esprit ne pouvait se résoudre à renier Dieu, nous vivions en un temps où Il animait chaque créature ou Il vibrait dans la moindre brindille , nous agissions sous Son œil. Je ne pouvais douter que des hommes, de ma foi et de moi-même, pas de Son existence.

 On en parle

Moi Clara et les mots

Écoutez Carole Martinez

 

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5
L’avantage de quitter le monde des blogs et les visites quotidiennes à son fidele ordinateur, c’est de devoir passer par des librairies pour se rassasier de lectures. La libraire de Fontenay sous Bois m’a recommandé ce court roman, et comme elle, j’espère qu’Olivier Bass va continuer à écrire des romans de cette qualité.

J’ai été très émue par ce récit et le destin tragique de ce musicien russe m’a bouleversée. La Russie a produit un nombre d’horreurs qui semblent ne jamais finir. La guerre de Tchétchénie évoquée ici, en un parfait exemple. J’ai lu le livre en quelques heures et je l’ai relu pour m’en imprégner et pour me laisser bercer par certains passages. Olivier Bass a été officier de marine marchande et il a le talent de nous décrire sans romantisme la vie a bord de ces grands cargos. Sur la mer aussi, les tragédies de notre siècle bouleversent les consciences. Je me suis précipitée sur le premier concerto de violon de Chostakovitch et je l’ai écouté en lisant les dernières pages, c’est extraordinaire.
Lisez vite ce livre et dites moi vite ce que vous en pensez, je ne peux pas dévoiler l’histoire car une partie du charme de ce livre tient au suspens. Je crois que ce livre pourrait faire un superbe film, tout y est : la musique (et quelle musique !), l’amour, la vie en mer les étoiles, la mauvaise conscience des nantis face à ceux qui ont tout perdu avec la Russie en toile de fond.

Citations

On se perdait beaucoup dans ces navigations transocéaniques où l’on oubliait pour quelles raisons nous étions là, en pleine mer, sans voir ni espérer aucune terre des jours durant. Pourtant quand je repense à mes quarts de veille à scruter le vide de la mer, je me souviens que parfois j’étais heureux.

Mais il fallait une vie complète de mer pour que le temps, qui nous rongeait l’âme comme la pluie érode la montagne, en fasse apparaître le cœur inaltérable : la vraie nature de l’homme. Et si par dessus ca. On revêtait la couverture toute puissante du commandement, le compromis alors n’existait plus, le compromis alors n’existait plus : on avait affaire soit aux bons soit au mauvais.

Depuis l’avènement de la messagerie électronique, cette attente traditionnelle du sac de courrier n’était peut-être plus aussi forte qu’auparavant, mais, l’écriture physique , la trace d’encre laissée par l’être aime, la feuille qu’il a touchée , restait malgré tout un lien fort qu’Internet n’était toujours pas parvenu à détrôner

La guerre c’est un enfant qui meurt de faim en essayant de téter le sein de sa mère morte deux jours auparavant, et qu’on achève d’un coup de crosse bien place parce qu’on ne peut rien faire de mieux. C’est cela la guerre. Ni plus ni moins. On ne devient pas un homme en la faisant : on devient un monstre

Les cartes … J’ai un mal fou à les ranger. Non par manque d’organisation, mais plutôt à cause d’un problème de distraction. J’aimais les parcourir comme on feuillette un livre d’images, et me promener sur le monde, libre de toute contrainte. Il me suffisait de tenir une carte dans les mains pour être irrésistiblement tenté d’en sortir une autre, et une autre encore. Je laissais mon imagination remonter les estuaires et se perdre dans les villes ou des forets isolées , parcourir les mers a la recherche d’un port au nom familier pour avoir rêvé un jour d’y faire escale, traverser les océans a pas de géants ou a sauts de puce, en n’importe quelle saison , a n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Et je me sentais chez moi partout dans le monde. J’adorais déballer les cartes. Je détestais les ranger.

On en parle

Encore un nouveau Blog :  Lecture et impression

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 Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin.

Grande première, je ne peux pas mettre de coquillages à ce roman je n’y arrive pas…. J’explique : j’ai commencé ce roman avec gourmandise et le début m’a ravie : l’humour la façon de camper les personnages, les travers de notre société, tout cela allait bon train dans un décor qui me ravissait. Ce grand restaurant où tout coûte 10 fois plus cher et va 10 fois moins vite que dans un lieu habituel est parfaitement caricaturé.

Je savais, puisque la 4e de couverture l’annonce que cette famille allait être confrontée à la violence de leurs enfants. Pour ce genre de roman je ne peux pas en dire plus car ça enlèverai la force du suspens. C’est totalement horrible, mais le pire n’est pas là, ces deux frères ont deux fils meurtriers, et les adultes ne savent absolument pas se positionner face à l’horreur et soudain le lecteur est pris dans un dégoût absolu en tout cas moi je l’ai été et je n’ai plus du tout aimé ce roman.

L’écrivain avec un talent rare de la destruction a sciemment coupé toutes les issues qui pourraient donner de l’espoir. Et je crois que je lui en veux (je ne sais pas si on a le droit d’en vouloir à un écrivain qui a réussi son livre !) de faire porter aux deux femmes le poids de la vilenie absolue.

Les femmes que je connais aiment leurs enfants avec assez de force pour les obliger à se confronter à la justice de leur pays plutôt que d’en faire de lâches assassins, les pères aussi d’ailleurs.

Vous comprenez pourquoi je n’ai pas mis de coquillage, on est complètement pris par le livre au point de réagir affectivement comme dans la vie, ça se lit d’une traite car c’est écrit dans un style très facile, on commence par être amusé mais la déception est énorme quand on sent les solutions que l’auteur a choisies pour sa fin et du coup le dégoût l’emporte.

Citations

Les boucles d’oreilles sont à peu près aux femmes ce que le rasage est aux hommes : plus les boucles d’oreilles sont grosses, plus la soirée est importante et festive.

 

Dans ces restaurants prétendument haut de gamme, on perd totalement le fil de la conversation à force d’être confronté à ces innombrables interruptions comme les explications bien trop détaillées sur le moindre pignon de pin dans son assiette, le débouchage interminables des bouteilles de vin et le remplissage opportun ou non de nos verres sans que personne n’ait rien demandé.

 

Entendre qualifier un film, même quand on l’a beaucoup apprécié de chef-d’œuvre par son propre frère aîné, c’est comme porter ses vieux vêtements : les vieux vêtements qui sont devenus trop petits pour lui, mais qui sont de votre point de vue surtout usés.

 

C’était le genre de jet très imbue de lui-même, un jet qui cherche avant tout à témoigner d’une santé de fer et qui, autrefois déjà, à l’école primaire, appartenait sans doute à un garçon capable de pisser plus loin que tout l monde , jusque de l’autre côté du fossé.

On en parle

Quelqu’un encore plus sévère que moi : Libros y palabritas. Quelqu’un qui a aimé : Lilatrouva

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4
J’ai été complètement séduite par ce livre étonnant et je sais que je ne serai pas toute seule à l’apprécier. Je l’ai absolument dévoré sans jamais me lasser. Le roman est particulièrement bien construit, et permet de revisiter la société du 3° empire. Il est vrai que, comme nous sommes dans la société rurale normande, on pense souvent, ainsi que le dit la 4° de couverture, à Maupassant.

Dans la première partie nous suivons les troupes impériales en Italie avec toutes les horreurs de la guerre et l’injustice de la conscription. Se mettre dans la peau d’un médecin, cela permet un tour d’horizon assez complet sur la société du temps : la médecine militaire plonge le lecteur dans la réalité historique, puis on voit le début du modernisme avec la science médicale qui commence à s’installer, on rentre dans toutes les maisons et on voit de près la misère et la mesquinerie des uns et des autres.

Comme ce qui se passe dans la vie, les histoires sont touchantes, révoltantes, émouvantes. Il y a une foule de personnages, mais le roman est bien fait et on s’y retrouve assez vite. Ce qui m’a le plus intéressé ce sont les réflexions sur le sens de la vie. Une profonde humanité se dégage de ce livre qui correspond certainement plus à nos valeurs d’aujourd’hui qu’à celle d’un médecin de 1859 mais peu importe ou au contraire c’est la raison pour laquelle ce llivre m’a tant plu..

Les conversations entre le guérisseur sorcier, les deux prêtres, et le médecin athées permettent de faire revivre l’ensemble des opinions du temps. Victor Cohen Hadria raconte bien l’amour : les sentiments et la réalité physique. Le docteur Le Cœur veuf qui a aimé sa femme a encore besoin de présence féminine à ses côté, il y a de beaux passages à ce propos, jamais choquants mais très humains : du Maupassant !

Citations

Cette fantaisie de carabin qu’ont les chirurgiens de porter la blouse le plus sanglant possible est une pose inutile, mais de là à faire de cette manie la principale responsable d’un fléau qui ravage les hôpitaux depuis qu’il en existe, c’est pousser le bouchon un peu loin.

On a bien raison de dire que la guerre est une affaire où s’entre-tuent des hommes pauvres qui ne se connaissent pas du tout pour que vivent des hommes riches qui se connaissent fort bien et ne s’entre-tuent pas.

Malheureusement, une trop grande hâte dans l’introduction de nouvelles habitudes entraîne souvent un retrait de l’instruction.
En un instant, par pure maladresse, ce qui avait demandé des années d’efforts et de persuasion se trouve rejeté à un état pire que le précédent. Et l’on voit les sorciers, les thaumaturges et les prêtres rattraper en un seul moment tout le terrain que nous leur avions arraché

Je ne crois pas aux fadaises des curés sur la vertu et la fornication, je suis assez imperméable á leur conception du monde et de la divinité à ce terrible démiurge qui instaure la jouissance pour la proscrire, plante des arbres défendus au fond des jardins et condamne le plus fidele de ses serviteurs a pourrir sur le fumier.

 

Dans nos campagnes, le labeur prime sur l’enfance. Il n’est pas rare d’apercevoir des bambins suivant leurs parents aux champs. Personne ne désire leur mort, mais leur vie n’a aucune importance. Seuls les plus forts peuvent espérer dans l’avenir.

 

Voilà le résultat de siècles d’un intense travail religieux, qui sanctifie la souffrance et dénie toute probité a la jouissance. Dans l’esprit de quel fou peut bien naître un tel mépris pour les œuvres humaines, qui seraient aussi celles de Dieu, s’il existait ? Je serai en mesure de concevoir qu’un athée stupide bannisse une activité qui appartient si pleinement a la nature de l’homme, qu’un philosophe haineux des êtres vivants leur reproche ce qui est leur substance, mais qu’un croyant, qui regarde l’univers comme l’expression divine ,rejette ce qu’elle a dispensé de plus évidemment commun a toutes ses créatures est une sorte d’antinomie que je ne puis admettre. On devrait révérer le sexe dans les églises.

 

Un homme un vrai, se doit de rester sale, ne raconte-t-on pas que l’odeur du bouc attire les femelles ? La crasse, l’huile comme ils disent, favorise la pousse des cheveux, soutient l’intégrité du corps et des organes, les puces assainissent le sang…

On en parle

Chez Ysun blog que je regarde souvent.

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J’ai beaucoup hésité à mettre ce livre sur mon blog car je trouve qu’en ce moment on n’a pas besoin de livre « baisse-de-moral » assuré. Tout est en mi-teinte, gris ou carrément moche, dans cette histoire. Un couple qui ne va pas vraiment bien, Le Mans une ville de province triste à en crever d’ennui, des voisins redresseurs de torts de la pire espèce, une vie de travail sans grand intérêt. Voilà c’est le sujet du roman du gris et du sordide ordinaire, une peinture assez exacte de notre époque et comme en plus c’est, parfois, bien raconté vous êtes certain d’attraper le mourron.

Heureusement il y a la chambre à remonter le temps ! Pourquoi heureusement parce que je déteste la science fiction, donc au moins je vais pouvoir carrément partir dans une critique… Même pas ! C’est aussi en grisaille, cela ne donne au narrateur que la possibilité d’éviter les disputes avec sa compagne. Un seul conseil, lisez ce livre avant de vous installer au Mans même si c’est beaucoup moins cher qu’à Paris !

Citations

Le mobilier était discret, contemporain dans le style bobikéa qui plaisait aux gens de notre génération.

 

La Sarthe était le département le plus inhospitalier que j’avais connu jusqu’à lors. L’air était en permanence humide, comme chargé de brouillard. Il faisait assez froid l’hiver, étouffant l’été. Le ciel était bas et nous trouvions le climat malsain.

 

Je trouvais ça plutôt a musant au début de vivre avec quelqu’un et puis ça m’est passé. Je ne me rendais pas compte mais maintenant que c’est terminé, j’ai l’impression qu’elle m’a presque rendu service. Je remets des slips et n’en change que tous les trois jours.

 

J’étais un type du Mans, la ville la plus déprimante et sinistre de la planète.

On en parle

Gwordia qui n’a pas plus aimé que moi.