Édition Gaïa

 

Tome 7 Les épreuves du citoyen

Toujours le même plaisir à continuer cette saga moins l’effet de surprise des premiers tomes . La famille de Karl est maintenant à l’abri du besoin, on peut même dire que la famille est riche. Mais elle ne le doit qu’à son labeur incessant : le travail de la mise en culture de Karl et celui de fermière de sa femme. Ils vivent pratiquement en autarcie, tout en retirant de leurs ventes de produits de la ferme un peu d’argent ce qui leur permet d’accéder à un certain confort.. Mais la santé de Kristina est fragilisée par ses grossesses. Elle sent qu’il ne faudrait plus qu’elle soit enceinte. Cette constatation la plonge dans un abime de dilemmes religieux. Peut-elle demander à Dieu de ne plus porter de bébés ? Peut-elle se soustraire au « devoir conjugal » ? Un médecin (un peu plus moderne que le vieux forgeron qui faisait office de médecin auparavant) lui donnera une parole simple : si elle est de nouveau enceinte, elle en mourra !

Mais ce tome est aussi celui où on voit la guerre civile américaine se développer et où le sort des Indiens réduits à la famine, annonce des violences inévitables. Karl veut absolument s’enrôler dans l’armée nordiste mais malheureusement pour lui, il boîte depuis un épisode où des malfrats ont essayé de s’en prendre à sa vie (dans le tome 3) . Il sera donc réformé pour sa plus grande honte. Le Minnesota devient un état de la confédération et Karl et Kristina sont donc citoyens américains. Karl a toute confiance en Abraham Lincoln qui comme lui a connu le statut de pionnier et a vécu dans une maison en rondins comme celle qu’il a d’abord construite pour sa famille.

Le pays se développe et avec ce développement toute une armée d’escrocs les plus divers prospèrent. Le paysan Karl n’a que mépris pour ces gens qui ne travaillent pas de leurs mains et quand ils sont victimes de faillites, ce n’est pour lui que justice. Il continue à défricher les terres autour de chez lui , il ne reste qu’un bois de chênes centenaire qu’il aimerait abattre pour le mettre en culture.

 

Extraits

Début le modernisme : la cuisinière.

Karl Oscar la vit pour la première fois en passant devant la devanture de la quincaillerie Newell, dans Third Street, entre Jackson Street et Robert Street, où elle était très en évidence. Elle portait fièrement, gravé dans son métal bien astiqué, le nom de « Queen of thé Prairie » et se voyait de loin.

Les spéculateurs.

Ceux qui avaient pour outil -assez léger- le papier s’enrichirent aux dépens de ceux qui en maniaient de beaucoup plus lourds et pénibles. Le spéculateur prit le dessus sur le cultivateur, les hommes d’argent devinrent riches tandis que ceux qui travaillaient restaient aussi pauvres qu’avant.
De tout temps, il y a eu des exploiteurs et des exploités. Mais rarement le temps et le lieu furent plus propices aux malins ayant plus de culot que de scrupules et s’y connaissant en paperasse.

 

Abraham Lincoln

L’homme au nez presque aussi gros que celui de Karl Oskar voulait libérer les trois millions d’esclaves des États du Sud qui, tels des bêtes, figuraient à l’inventaire des biens de leurs propriétaires pour un montant estimé à trois milliards de dollars. Kristina connaissait le sort cruel qui était le leur grâce au feuilleton « Cinquante ans dans les fers » qui avait paru, pendant plus d’un an, dans les colonnes de « La Patrie ». Fallait-il que ces hommes souffrent de la sorte simplement parce que Dieu leur avait donné une peau noire et non blanche ? (…)

Karl Oskar, lui, découpa le portrait de cet homme qui ne voulait plus qu’il y ait des maîtres et des esclaves.

Les arguments de Kristina contre la guerre.

C’était ainsi qu’il en allait en de pareille occasion : les hommes partaient , les femmes restaient à la maison avec les enfants, qu’elles devaient se charger de nourrir et d’éduquer. Les hommes partaient pour ôter la vie, les femmes restaient chez elle pour en prendre soi.. les hommes devaient être seuls de leur côté, privés de leur femme, les femmes devaient être seules du leur, privées de leur mari. Pourtant Dieu n’avait-Il pas créé l’homme et la femme pour qu’ils se prêtent mutuellement aide et réconfort ?

Spoliation des Indiens.

Il poursuivit en demandant à quel prix les Indiens avaient été contraints de céder leur terre aux Suédois et aux autres Blancs ? Combien le gouvernement leur avait-il donné pour toute la vallée du Mississipi ? Un dollar pour vingt mille acres ! Ou un deux centième de dollar, si on préférait ! C’était un prix ça ? Pour la terre la plus fertile du monde ? C’était du vol, voilà ce que c’était ! C’était pour ça qu’il avait pu l’avoir si bon marché, lui, Nelson ! Et les indiens n’avaient même pas vu la couleur de ce qu’il avait payé ! Tout ce qu’on leur concédait, c’était le droit de mourir de faim.

Tome 8 : La dernière lettre au Pays Natal

Voilà donc le dernier tome de cette Saga qui m’a occupée pendant plus d’un mois, évidemment l’effet de surprise est moins fort et je commençais à un peu m’ennuyée avec la famille de Karl. Il est temps que je vous parle aussi de l’auteur : Vilhem Moberg est aussi connu en Suède qu’au Minnesota, il a, d’ailleurs, sa statue dans le village où il a situé l’intrigue de sa Saga. Sur le lac de Chisago il existe même une autre statue représentant le couple du roman Karl et Kristina !
On y voit un Karl allant de l’avant et une Kristina regardant aussi vers la Suède pays qu’elle a eu tant de mal à quitter et dont elle parlera toujours la langue.
L’édition française que j’ai lue, explique dans un paragraphe final : « L’édition originale de la « Saga des émigrants » se termine par une bibliographie d’une cinquantaine de titres, reflet d’une douzaine d’années de recherches et d’écriture – commencé en 1947, le roman ne fut terminé en 1959. Comme il s’agit exclusivement d’ouvrages en suédois et en anglais (dont bon nombre d’inédits : journaux intimes, mémoires, correspondance privée …) il ne nous a pas paru indispensable de les faire figurer ici. Le chercheur et le lecteur intéressés sont invités à se reporter à l’édition suédoise. »
Je trouve ça un peu bizarre mais cela ne me fera pas lire l’édition suédoise !
Dans ce tome nous vivons une révolte des Indiens qui mouraient de faim et qui, en se révoltant, tueront plus de mille habitants, et brûleront toutes les fermes qu’ils trouveront sur leur passage. La répression sera sans pitié et ce sera la dernière révolte des Sioux dans cette région.
Kristina va mieux et elle retrouve sa confiance en Dieu et veut reprendre sa vie de femme avec Karl, elle mourra donc des suites d’une énième fausse couche. Karl se sent coupable et se referme dans un mutisme ravagé par la tristesse. Il entreprend quand même le dernier défrichage du bois de chêne et le dernier arbre s’abat sur lui. Il n’est pas mort mais il est fortement diminué .
Ses enfants sont totalement américains et le roman peut se terminer sur la dernière lettre à la famille suédoise qui annonce la mort de Karl.
J’ai eu plus de mal à finir ce dernier tome, et j’ai eu l’impression que l’auteur a eu aussi plus de mal à l’écrire.
La fin de Karl (qui meurt pendant une centaine de page) constitue une boucle par rapport à son point de départ. Il possède une carte qui décrit son pays natal et, alors qu’il souffre terriblement des conséquences de la chute de l’arbre sur son dos, il se remémore sa vie en suède et sa rencontre avec Kristina qu’il a tant aimé.
Il meurt avec ses souvenirs de Suède et satisfait de ce qu’il a construit dans le Minnesota dans le comté de Chisago.
Cette Saga est à lire pour tous ceux qui veulent mieux comprendre un des fondements des USA mais aussi pour se rendre compte de la misère qui régnait au XIX° siècle dans certains pays européens, misère qui a poussé des paysans à s’exiler de l’autre côté de l’océan pour y fonder une communauté réunie autour de la religion, l’égalité entre les citoyens et le travail de la terre. À travers cette Saga on voit que la religion ne restera pas un facteur d’unité car d’intolérance en anathèmes, les différentes obédiences se diviseront plus qu’elles ne s’uniront. On verra aussi que l’égalité ne concerne pas tous les habitants et que les Indiens sont totalement exclus de cette communauté enfin si le travail de la terre est bien une dynamique qui a permis aux premiers pionniers de s’enrichir, un pays très jeune et dont les lois ne sont pas encore bien établies fait naître aussi des possibilités trop faciles d’enrichissement et donc d’escroqueries.

Extraits

Début.

Les Suédois de la vallée de la rivière St. Croix étaient divisés sur le plan religieux. Au cours des dernières années, des communautés baptistes et méthodistes avaient vu le jour et plusieurs autres sectes tentaient de faire des prosélyte parmi les luthériens. Les plus nombreux étaient les baptistes.

Cause de la guerre indienne.

Par le traité de Mendota, le gouvernement s’était engagé à verser au cours de l’année 1861 la somme de soixante-dix mille dollars en or aux Sioux du Minnesota occidental. Mais cette dette ne fut pas honorée à échéance. Pendant ce temps, les tribus indiennes furent victimes d’une grave disette et leur situation encore aggravée par la rigueur de l’hiver. Leurs délégués tentèrent à plusieurs reprises d’obtenir des agents du gouvernement le paiement de ces soixante-dix mille dollars, mais revinrent les mains vides.

La religion au service du racisme.

Petrus Olausson ne manqua pas de souligner que les événements lui donnaient raison : il avait toujours dit qu’il fallait chasser cette racaille païenne du Minnesota. Car les Indiens n’étaient et ne seraient jamais que des bêtes sauvages impossibles à christianiser. Les paroisses luthériennes leur avaient pourtant envoyé de jeunes missionnaires et avaient fait procéder à des quêtes pour leur procurer des catéchisme, afin qu’ils puissent apprendre les dix commandements. Il avait lui-même donné de l’argent pour cela et savait que des chariots entiers chargés d’exemplaires reliés pleine peau du Catéchisme de Luther étaient partis vers l’ouest. À quoi cela avait-il servi ? À rien ! Et maintenant ces bandits remerciaient les généreux donateurs en les assassinant ! Les Blancs avaient apporté aux Peaux-Rouges l’ Évangile du Christ- et ces derniers répondaient à leur bienfaiteurs à coups de haches de guerre ! Ils écrasaient sous leurs tomahawks le crâne de nobles chrétiens qui n’avaient d’autre but que de les libérer de leur paganisme !

Édition Gaïa

Tome 5 Les pionniers du lac Ki-Chi-Saga

 

Les voici donc la famille de Karl Oskar et Kristina de mieux en mieux installée et d’autres Suédois les rejoignent , mais avec eux l’intolérance religieuse pointe son nez. Kristina reste proche d’Ulrika qui est mariée à un pasteur baptiste, les luthériens l’auraient bien vouée aux gémonies s’ils avaient eu le moindre pouvoir. Kristina aimerait ne plus avoir d’enfant mais elle est de nouveau enceinte et la marraine de la petite fille sera justement Ulrika : comme il est loin le passé de prostituée de la digne femme du pasteur si fière d’avoir une petite filleule qui porte son prénom ! Robert ne donne plus de nouvelles, la famille pense qu’il est sans doute mort quelque part. Nous assistons à la création d’une petite société suédoise avec la construction d’une école et le projet d’une église. Et … toujours plus de terrains qui deviennent des terres privées aux dépens des pauvres Indiens bien incapables de se défendre contre l’exploitation forestière et les terrains que les émigrants privatisent . Le tome se termine par une terrible tempête de neige qui a failli couter la vie au fils aîné de Karl , la puissance de l’évocation du danger est vraiment extraordinaire . C’est tout le talent de cet écrivain.

Extraits

Début tome 5

 Un grand arbre fut déraciné par la tempête et vint s’abattre en travers d’un sentier longeant la berge du lac Ki-Chi-Saga, en pays Chippewyan. Il resta à l’endroit où il était tombé, obligeant ceux qui passaient par là à faire un détour. Il ne vint à l’idée de personne de le couper en morceaux et de l’enlever. Peu à peu apparut un nouveau sentier contournant l’obstacle. Au lieu de déplacer celui-ci les indiens déplacèrent le chemin.(…)
 Un jour un homme à la peau d’une autre couleur arriva le long de ce sentier. Il portait une hache sous le bras et foulait lourdement le sol de ses bottes fabriquées dans une autre partie du monde. En quelques coups de hache, il trancha ce tronc en voie de pourriture en deux endroits et écarta l’obstacle : le chemin avait retrouvé son tracé de jadis plus droit et plus court. Et cet homme qui ne voulait pas perdre son temps à faire un détour inutile s’étonna : pourquoi ce tronc était-il resté là longtemps, à barrer le chemin, au point de commencer à pourrir ?

La pudeur et la sexualité.

Anders Mânsson se mit à rire, mais Karl Oskar se contenta d’esquisser un sourire. Il commençait à se lasser un peu de ces éternelles histoires de femmes et de coucheries qu’il entendait Jonas Petter raconter depuis le départ. On pouvait comprendre que de jeunes puceaux connaissant les mots mais pas les actes correspondants s’en délectent mais entre hommes adultes, il y avait des sujets de conversation plus importants. Lui aussi avait de puissants besoin corporels et il souffrait des périodes de grossesses et des couches de sa femme, qui empêchaient tout rapport ; mais, le reste du temps, il était satisfait du plaisir qu’il prenait avec elle. Quoi qu’il en soit ce genre de choses faisait partie de ce qui se passait là nuit et en silence et il trouvait que c’était le souiller et le rendre tristement banal que d’en parler en plein jour, de façon aussi ouverte et crue. 

Toujours les pratiques religieuses.

 Aucun prêtre n’aurait célébré les relevailles d’une femme portant un enfant. Or elle était grosse sans avoir été purifiée et bénie, après son dernier accouchement. Voilà à quel point elle avait été négligente en matière de religion ! Que pourrait penser Dieu d’une pareille conduite ? Pourrait-Il avoir quelque indulgence envers une femme qui, non seulement recevait la communion mais également de nouveau enceinte sans avoir été purifiée de ses précédentes couches ?

La tempête de neige.

 Mais le vacarme se faisait de plus en plus fort, au-dessus de leurs têtes. La tempête approchait à grands pas, elle aussi. La cime des arbres était de plus en plus courbée et les troncs commençaient à s’agiter. Les vagues invisibles du vent balayaient maintenant la forêt, se brisant avec fracas sur la vallée. La tempête avançait de centaines de milles pendant qu’ils en couvraient couvraient un quart. Elle se jetait sur eux avec une violence et une brusquerie incompréhensibles et les touchait déjà de sa pointe : les premiers flocons de neige aveuglaient Karl Oscar s’abattant sur l’attelage tel un vol de faucon.
Ce fut l’affaire de quelques minutes. Cela débuta par quelques grains durs comme des cailloux qui vinrent le frapper au visage, puis la tempête se déchaîne. La neige se mit à tomber en abondance, poussée par un vent violent. En l’espace de quelques instants le monde, autour d’eux, ne fut plus qu’une masse blanche, tourbillonnant et indistincte : de la neige, de la neige et encore de la neige. Poussee6par le vent du nord-est qui balayait la vallée de son souffle impitoyable, elle s’amassait sur le sol en tas de plus en plus haut.

Tome 6 L’or et l’eau .

Ce tome est consacré à Robert qui revient avec des milliers de dollars pour son frère. Peu à peu on apprendra ce qui lui est arrivé ainsi qu’à son ami Arvid . Il revient malade mais heureux de pouvoir apporter la richesse à sa famille. Ce tome est l’occasion de décrire toujours avec la même minutie la ruée vers l’or avec tous ses dangers . Robert est un aventurier mais c’est aussi un jeune homme naïf qui parle mal l’anglais , avec Arvid, ils rencontrent un muletier qui les aide à avancer dans cette route si dangereuse. Mais hélas , un matin Robert et Arvid se rendent compte que deux mulets ne sont plus là. Ils partent à leur recherche et vont se perdre dans un désert sans pitié. C’est là qu’ils se rendra compte que le seul bien réel pour l’homme c’est l’eau. La souffrance des deux amis est très bien décrite, l’auteur a un réel talent pour décrire les situations extrêmes et la mort d’Arvid qui n’a pas pu se retenir de boire de l’eau empoisonnée est d’un réalisme incroyable. Robert sera sauvé in extrémis par le muletier mais il sera définitivement marqué par la mort de son ami et son combat contre l’absence d’eau. Le muletier lui n’a peur de rien si ce n’est que « Yellow Jack » . Robert ne comprend pas ce que représente ces mots mais hélas le muletier mourra de la fièvre jaune, la terrible maladie qui se cache derrière ces mots. Cet homme lèguera à Robert toute sa fortune car celui-ci le soignera jusqu’à son dernier souffle. Le voilà donc riche mais sans aucune envie de vivre, il finira par rencontrer le Suédois qui lui avait donné envie de partir à la recherche de l’or californien , celui-ci lui proposera de venir dans son hôtel . Je ne vais pas plus loin dans le récit car il y a un retournement de situation si douloureux pour tout le monde.

Extraits

Fin de l’introduction .

Seul un rêve pouvait rassembler une telle foule, seul un rêve pouvait la pousser vers l’avant pendant deux mille miles, à travers les régions les plus sauvages et les plus désertiques de la planète. 
Pour indiquer le chemin à ces milliers de gens se déplaçait jour et nuit devant eux un mirage doré, une colonne de feu : « L’OR ! C’était leur but commun, leur quête à tous :  » L’or ! Le pays de l’Or ».

Le monde change.

On entendait parler de tant d’escroqueries et de poudre aux yeux, en Amérique. Ces derniers temps, le Territoire avait vu arriver une foule de paresseux refusant de cultiver la terre et se contentant d’en faire commerce. Ils voulaient être riches sans travailler, tout comme Robert. C’étaient des parasites qui tentaient de vivre aux dépens des pionniers travailleur, de même que les poux suçaient le sang des êtres humains. Il était toujours fâché d’entendre parler de ces paresseux de marchand de terre, installés çà et là, dont on ne pouvait se débarrasser. Le Territoire n’était pas encore organisé de façon satisfaisante : le pays était trop grand, les cultivateurs trop peux nombreux, les paresseux et les filous en trop grande quantité, au contraire.

L’histoire du Grand Hôtel de grand City.

La salle à manger sentait le renfermé et le moisi et il ne put s’empêcher de dire à son ami qu’il avait un peu le sentiment de se trouver dans une cave.
– C’est exact. Le Grand Hôtel était une cave à pomme de terre, originellement, répondit fièrement Fred.
Il poursuivit en racontant l’étrange et noble histoire de l’établissement : la maison était un monument historique, car c’était le plus ancien édifice encore en existence dans la ville. Elle datait déjà de quatre ans. Il avait d’ailleurs l’intention de mettre un écriteau pour le proclamer à la face du monde.

La monnaie dans un trop vaste pays encore en construction.

L’Indiana State Bank de Bloomfield, qui avait émis ces billets, avait disparu depuis plusieurs années déjà. C’était sans doute la raison pour laquelle elle ne figurait pas sur la liste des établissements malhonnêtes publiées dans le journal : elle n’existait plus. On ne trouvait plus les billets qu’elle avait mis en circulation dans cette partie de l’Amérique, uniquement dans les régions de l’ouest les plus éloignées, avait dit le directeur, avant d’ajouter que seuls des immigrants suédois et autres étrangers pouvaient se laisser abuser de la sorte.

Édition Gaïa, 1999, traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Tome 3 « Le nouveau monde » 246 pages

 

Enfin nos paysans arrivent à New York dans le tome trois. Et là, contrairement à ce que pensait le pasteur, l’Esprit Saint n’est pas tombé sur le tête des gens même très pieux, et ils se trouvent confrontés à la langue anglaise. New York est déjà une ville très importante et qui affole, les voyageurs : trop grande, trop de bruit, trop de monde. Le seul qui osera un peu s’aventurer c’est Robert avec son acolyte Arvid. Mais cette grande ville est dangereuse, le petit groupe sera très content de repartir toujours en bateau mais sur le fleuve Mississipi , pour se rapprocher du Minnesota. Karl Oskar voit ses économies fondre mais il est heureux aussi de voir toute sa famille bien vivante autour de lui. Ils découvrent le progrès technique, en particulier le chemin de fer qui les effraie. La difficulté de la langue entraînera Karl Oskar dans une aventure qui a bien failli mal tourner.

Extraits

Début du tome 3

Sur l’île oblongue de Manhattan avait été édifiée la plus grande cité de l’Amérique du Nord, déjà forte d’un demi-million d’habitants. Elle s’étendait comme un énorme hippopotame reposant paisiblement dans son élément, partageant en deux bras le cours de l’Hudson. La tête de l’animal état tourné vers l’Atlantique et, derrière son énorme mufle, se trouvait l’East River et ses pontons, auxquels accostaient les navires transportant les émigrants venus de l’Ancien Monde.
 C’est là que le 23 juin 1850 se présenta le brick « la charlotta », capitaine Lorentz, port d’attache Karlshamm, et ses soixante-dix passagers venus de Suède presque tous des paysans accompagnés de leur famille.

Chemin de fer et religion

 Pour sa part il s’était demandé si c’était vraiment la volonté de Dieu que Ses enfants et recours à la vapeur comme bête de trait. Si cette énergie avait été bonne et utile le Seigneur ne l’aurait certainement pas cachée aux hommes pendant si longtemps, depuis la Création de la terre, c’est-à-dire près de six mille ans. On pouvait penser que la vapeur était une invention des puissances du mal, là-haut dans les espaces célestes Mais jusque-là, le Seigneur leur était venu en aide, au cours de ce périple, et ils devaient également s’en remettre à lui dans cette voiture à vapeur.
 Kristina se souvenait que, lorsqu’il était venu les catéchiser à domicile le pasteur Brusander avait dit que les chemins de fer étaient une pernicieuse invention qui éloignait l’âme de son Créateur et n’attirait que malheur et misère sur pauvre et riche ainsi que tout ce qui était mécanique. La vapeur affaiblissait les âmes aussi bien que les corps et encourageaient la paresse, la luxure et la dépravation. Le pasteur avait alors exprimé le vœu que jamais la Suède ne connaisse cette malédiction, que jamais on ne voit de voiture à vapeur sur la terre de son pays.

Ne pas comprendre la langue

Karl Oskar souffrait de ne pas connaître un traître mot de cette langue étrangère et de ne rien comprendre de ce qui était marqué. Il avait l’impression de se retrouver lors de ce jour, à la communauté ou Rinaldo le maître de l’école, lui avait mis pour la première fois un ABC sous les yeux. Il avait maintenant vingt-sept ans et était père de trois enfants mais, ici, il était à nouveau un petit garçon commençant à apprendre. Il fallait épeler les mots, les reconstituer et essayer de les reconnaître. Et encore, ce n’était pas le pire : le plus grave c’était qu’il ne comprenait rien de ce qu’on disait autour de lui. Il était vexé d’entendre les gens parler et de ne rien pouvoir saisir de leurs propos, même s’il s’agissait de lui : c’était vexant et désagréable qu’on parle de vous en votre présence sans se soucier de vous. En Amérique, on pouvait se trouver face à face avec quelqu’un qui médisait de vous où vous calomniait, sans qu’on puisse rien y faire, sinon rester là comme un imbécile, à ouvrir de grands yeux et avoir l’air d’un empoté.

.Tome 4 « Dans les forêts du Minnesota » 378 pages

 

Ce tome est plus long et peut être un peu trop long ?

On voit Karl Oskar choisir avec attention l’endroit où il veut installer sa famille. Il cherche un endroit qui ressemble quelque peu à la Suède ; un lac, de la forêt et une terre facilement cultivable. On voit aussi dans ce tome que des Indiens habitent aussi ces régions mais ce sont deux populations qui s’ignorent complètement. Lorsque Karl Oskar a trouvé où il veut faire souche commence alors son installation.
Ce tome est intéressant pour se rendre compte combien il était facile aux émigrants de s’octroyer des terres. Ils marquent un arbre d’une lettre et deviennent propriétaire du terrain qui l’entoure, il sont d’abord squatters puis vont s’enregistrer au bout d’un ou de deux ans, ils seront propriétaires de tout le terrain qu’ils auront défriché.

Le premier hiver est terrible pour Kristina qui vit dans une simple cabane mal protégée du froid. Elle y accouche d’un garçon grâce à l’aide d’Ulrika qui est devenue sa plus chère amie.

L’été suivant Karl construit une cabane en rondins et on sent que, peu à peu, ils vont prendre en main leur destinée. Mais le jeune frère Robert les quittera pour aller chercher de l’or en Californie. Ulrika se mariera avec le pasteur baptiste, Jackson, qui les avait si généreusement accueillis lors de leur descente du bateau à Stillwater sur les rives du Mississippi.

 

 

Début tome 4 dans la forêt du Minnesota

 L’endroit sentait la forêt et les restes de son exploitation : le pin scié de frais, la résine, les copeaux et le bois séché. Le long de la rivière courait une artère assez large couverte d’aiguilles de conifères, d’écorce, de copeaux et de sable, bref une rue typique d’une zone forestière. On y voyait également des tas de planches et de rondins et, sur l’eau, le bois de flottaison formait une sorte de plancher légèrement ondulé. Tout – l’eau aussi bien que la terre – sentait le pin frais et la résine, et les immigrants n’avaient pas besoin d’avoir recours à leurs yeux pour savoir où ils étaient.

Karl Oscar trouve son endroit.

Tandis que le crépuscule tombait Karl Oskar observa cet endroit : au nord le mur de la forêt le protégeait des vents les plus froids au sud s’étendait le grand lac, à l’ouest le beau bouquet de pins, à l’est la pointe avec ses grands chênes. Lui-même se tenait au centre d’un espace plat et découvert sur lequel l’herbe lui montait jusqu’aux genoux : des centaines de charrettes de foin poussaient autour de lui dissimulant la terre nourricière, et il avait devant les yeux la plus belle, la plus verte, la plus fertile et la plus riche qu’il air jamais vies en Amérique du Nord.

Le sentiment de liberté

 Quelles que fussent les difficultés qu’il rencontrait ici, il se sentait beaucoup plus libre que dans son pays natal. Ici, personne ne prétendait lui dicter sa conduite, il n’avait aucun maître ou seigneur devant lequel s’incliner, personne n’exigeait qu’il file droit et obéisse humblement, personne ne se mêlait de ses affaires, personne ne se répendait en lamentations s’il n’obtempérait pas. Il n’avait pas rencontré une seule personne à qui il ait eu à faire des courbettes. Il pouvait être son propre pasteur et son propre régisseur si cela lui chantait.

Deux populations si différentes .

Karl Oskar leur reprochait leur paresse et les qualifiait d’incapables. Kristina avait pitié d’eux à cause de leur maigreur et les trouvait fort à plaindre, dans leurs misérables tentes. Mais tous deux étaient heureux de ne pas être de leur race . Quant à ce que ces êtres à la peau cuivrée pensaient de leurs voisins blancs, nul ne le savait, car personne ne comprenait rien aux grognements qui leur servaient de langue. Pourtant, Robert les soupçonnait de considérer ces visages pâles comme des imbéciles parce qu’il passait leur temps à travailler. Pour sa part, commençait à se demander lequel de ces deux peuples était le plus avisé : les Blancs ou les Rouges, les chrétiens ou les païens ? Les indiens étaient paresseux, ils ne cultivaient pas la terre et ne travaillaient pas. Il avait vu la façon dont ils abattaient un arbre : ils ne le coupaient pas à la hache, ils allumaient un feu à sa base et le brûlaient à sa racine. Le chrétien suait comme un bœuf à manier son outil alors que le païen attendait simplement que le temps passe, en fumant sa pipe jusqu’à ce que le feu ait fait son œuvre et que l’arbre s’effondre dans un grand craquement sans qu’il ait besoin de frapper le moindre coup.


Édition Gaïa, 1999, traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Tome 1, Au pays, 315 pages

Tome 2, La traversée, 267 pages

C’est Sacha qui m’a donné envie de lire cette Saga , et elle était à la Médiathèque de Dinard, mais surprise elle était dans les réserves, c’est à dire en passe de disparaître. C’est incroyable la vitesse à laquelle les livres ne sont plus lus dans une médiathèque qui ne peut évidemment pas tout garder sur ses rayons . Dommage pour cette Saga qui est vraiment formidable, depuis j’ai vu que Patrice avait, aussi, recommandé cette lecture.

J’ai finalement décidé de mettre les tomes au fur et à mesure de mes lectures, les deux premiers m’ont carrément enchantée. Dans le premier, on comprend pourquoi au milieu du XIX° siècle des paysans suédois se sont exilés vers les USA . L’auteur prend son temps pour nous faire comprendre les raisons de la misère de la paysannerie suédoise. La première famille que nous suivrons est celle de Karl Oskar et de Kristina dans la ferme de Korpamoen et leur jeune frère Robert valet maltraité dans une autre ferme. Robert y rencontrera Arvid, qui deviendra son meilleur ami .
Les familles sont nombreuses et les fermes sont loin d’être extensibles, elles permettent de survivre mais il suffit d’une mauvaise récolte pour que le fragile équilibre s’effondre. Oskar est un homme déterminé mais son courage ne suffit pas à conjurer tout ce qui se ligue contre lui, alors quand son jeune frère Robert revient le dos en sang car il a été fouetté par un propriétaire pervers et brutal, vient vers lui et lui dit qu’il veut s’exiler en Amérique, Karl Oskar lui avoue qu’il en a lui même le projet. Il lui reste à convaincre sa femme qui a très peur de partir vers un lieu dont on ne sait rien ou presque. La mort pratiquement de faim de leur fille aînée sera la goutte d’eau qui décidera le couple à partir. Robert et Arvid seront de la partie.

Une autre famille partira avec eux, c’est celle d’un pasteur qui s’oppose au clergé traditionnel, car Danjel Andreasson a vu Dieu et en plus il accueille chez lui tous les réprouvés du village ? On y retrouve Arvid qui a fui son maître violent et surtout la rumeur lancée par une la mère de la fermière qui fait croire qu’il a eu des rapports sexuels avec une génisse. Cette rumeur lui rend la vie impossible et il sera si heureux de mettre l’océan entre lui et ce surnom qui le fait tant souffrir « Arvid le taureau ». Le pasteur a aussi recueilli la prostituée du village et sa fille . Ce personnage nous permet de comprendre toute la rigueur de l’église officielle mais aussi la façon dont d’autres pouvaient facilement s’imposer comme ayant vu Dieu.
Il me reste à vous présenter l’homme qui ne s’entendait plus du tout avec sa femme , un couple terrible où la haine a remplacé l’amour, l’homme partira seul. Nous sommes au début de l’exode des Suédois et tout le tome expose en détail la difficulté de se lancer dans un voyage aussi aventureux : on comprend très bien qu’en réalité la misère fait parfois qu’on n’a pas le choix, et Robert est tellement persuadé que l’Amérique est un eldorado où tout est possible ! Evidemment, on pense à tous les malheureux qui meurent dans les flots de le Méditerranée ou de la Manche , il y a des points communs dans la nécessité absolue de partir et aussi beaucoup de différences.

Le tome se termine sur les quais du de Karlshamm. Et évidemment on veut connaître la suite.

La suite, le tome 2, c’est donc la traversée et j’ai tout autant adoré. 78 Suédois s’entassent sur un vieux navire « la Charlotta » un brick mené par un capitaine taiseux mais bon marin. Le voyage était prévu pour trois ou quatre semaine mais il va durer presque trois mois. Les voyageurs connaîtront une tempête terrible et surtout des vents contraires qui ralentiront l’avancée du bateau. L’auteur décrit très bien le choc pour des hommes et des femmes qui ont passé toutes leur vie à travailler à se voir confiner dans un espace si petit et surtout ne rien faire. On sent aussi toute l’incompréhension entre les marins navigateurs et les paysans si terriens .

La famille de Karl Oskar est éprouvée car Kristina a un mal de mer terrible amplifiée parce qu’elle est enceinte, elle est persuadée qu’elle va mourir sur ce bateau. Son mari est toujours aussi déterminé mais la santé de sa femme le fera douter.

Robert a décidé d’apprendre l’anglais , et s’oppose pour cela au clan du pasteur : Danjel (l’homme qui a vu Dieu) a persuadé ses ouailles que Dieu leur permettra de parle l’anglais dès leur arrivée car le miracle de la Pentecôte se reproduira pour tous ceux qui ont la foi …

La promiscuité sur le bateau donne des tensions entre les exilés, en particulier entre Kristina et Ulrika l’ancienne prostituée. Et lorsque les gens découvriront qu’ils ont des poux tout le monde accusera « la catin » , c’est pourtant la seule qui n’en a pas ! Le récit du passé d’Ulrika est d’une tristesse incroyable et mérite si peu l’opprobre des gens dits « honnêtes » qui n’ont jamais aidé la pauvre petite orpheline qui a été violée par son patron !

Nous connaissons bien maintenant ce petit monde d’exilés et la description de ce voyage terrible a été si bien raconté, j’ai vraiment hâte de lire la suite et de voir comment ils vont réussir à s’adapter à la vie américaine, j’espère que le pire est enfin derrière eux !

 

Extraits

Début tome 1

 Voici l’histoire d’un certain nombre de gens qui ont quitté leur foyer de Ljuder, dans le Smâland, pour émigrer en Amérique du Nord.
 Ils étaient les premiers à partir. Leurs chaumière étaient petites sauf quand au nombre d’enfants. C’était des gens de la terre, héritiers d’une lignée cultivant depuis des millénaires la région qui laissait derrière eux.

Instruction.

 La plupart des habitants, tant de sexe mâle que féminin, savaient à peu près lire les caractères imprimés. Mais on rencontrait également, parmi les gens du commun, des personnes sachant écrire leur nom ; ceux dont les capacités allaient au-delà n’était pas légion. Parmi les femmes, seul un petit nombre savait écrire : nul ne pouvait imaginer à quoi cela pourrait servir pour des personnes de leur sexe.

Les malheurs des paysans.

 En juillet, sitôt la fenaison, il se mit à pleuvoir en abondance et une partie du foin fut emportée par les eaux. Une fois ce déluge terminé, le reste s’avéra entièrement pourri et inutilisable. Il sentait si mauvais que nulle bête ne voulait le consommer et, de toute façon il n’avait plus aucune valeur nutritive. Karl Oscar et Kristina durent donc vendre une de leurs vaches. Mais ce ne fut pas la fin de leur malheurs : une autre vache mit bas un veau mort-né et un de leurs moutons s’égara dans la forêt et fut la proie des bêtes sauvages. À l’automne, on constata, dans toute la région, que les pommes de terre avaient la maladie : quand on les sortait de terre près d’un tubercule sur deux étaient gâtés et pour chaque panier de fruits sains que l’on rapportait à la ferme on en avait un de pourris au point qu’on pouvait à peine les donner à manger au bétail. Au cours de l’hiver qui suivit, ils n’eurent donc pas de pommes de terre à mettre dans la marmite tous les jours.

Une idée des prix.

 Avec le lait de leur vache, Nils se Märta faisaient du beurre et le vendaient afin de rassembler l’argent nécessaire pour acheter une Bible alors fils, lors de sa communion. Celle qu’ils lui offrirent était reliée en cuir et n’avait pas coûté moins d’un rixdale et trente-deux skillings, soit le prix d’un veau nouveau-né. Mais elle était solide et on pouvait en tourner les pages. Il fallait bien qu’une Bible soit reliée pleine peau, si on voulait qu’elle vous accompagne toute votre existence.

Portrait des maîtres.

 Aron était coléreux et, quand il s’emportait, il lui arrivait d’assener à ses valets des gifles ou des coups de pied ; mais autrement c’était un brave homme assez bonnasse qui ne faisait de mal à personne. La maîtresse était plus difficile : elle battait tant son mari que les servantes, Aron avait peur d’elle et n’osait pas lui répliquer. Mais tous deux, à leur tour, redoutaient la vieille, l’ancienne fermière vivant dans une mansarde. Elle était si vieille qu’elle aurait dû être dans la tombe depuis longtemps, si le diable avait bien fait son travail. Mais sans doute avaient-ils peur d’elle, lui aussi.

Les premiers émigrants.

 Pour ces gens le pays dont il est question n’est encore qu’une rumeur, une image dans leur esprit personne sur place ne le connaît, nul ne l’a vu de ses propres yeux. Et la mère qui les sépare les effraie. Tout ce qui est lointain est dangereux, alors que le pays natal offre la sécurité de ce qui est familier. On conseille et on met en garde, on hésite et on ose, les téméraires s’opposent aux hésitants, les hommes aux femmes, les jeunes au vieux. Et ceux qui sont méfiants et prudents ont une objection toute prête : on ne sait pas « avec certitude » …
 Seuls les audacieux et entreprenants en savent assez long. Ce sont eux qui réveillent les villages endormis, c’est à cause d’eux que quelque chose se met à vibrer sous l’ordre immuable des siècles.

Je ne connaissais pas le mot marguillier ni leur fonction …

 Il demanda conseil à Per Persson, qui était celui de ses marguilliers en qui il avait le plus confiance. Il n’avait pas eu beaucoup de chance avec les autres : l’un s’introduisait dans la sacristie pendant les jours de la semaine et buvait le vin de messe au point qu’un dimanche le pasteur avait été obligé de renoncer à célébrer l’office. Un autre arrivait ivre à l’église et affichait le numéro des psaumes la tête en bas, sur le tableau prévu à cet effet . Un troisième s’était, un matin du jour sacré de Noël, rendu dans un coin de la tribune et avait uriné au vu de plusieurs femmes assises non loin de là.

Conception de la religion.

 Les gens simples faisaient mauvais usage de leurs lectures. Les autorités devaient se montrer vigilantes et sévères sur ce point : si l’on accordait au peuple un savoir nouveau – qui était en soi un bien – il fallait veiller à ce qu’il n’en mésuse pas. C’était le devoir sacré des autorité. Le peuple avait besoin de se sentir guidé par une main paternelle et le premier devoir de tout maître spirituel était d’implanté dans l’esprit de chacun l’idée que l’ordre établi l’avait été selon la volonté de Dieu et ne pouvait être modifiée sans son consentement.

Début tome 2

Le navire
 La « Charlotta » brick de cent soixante lastes, commandé par le capitaine Lorentz, appareilla de Karlshaml le 14 avril 1850 à destination de New York. Il mesurait cent vingt-quatre pieds de long sur vingt de large. Son équipage était constitué de quinze hommes : deux officiers, un maître d’équipage, un charpentier, un voilier, un cuisinier, quatre matelots, deux matelots légers et trois novices. Il était chargé de diverses marchandises parmi lesquelles des gueuses de fonte.
 Il transportait soixante-dix-huit émigrants partant pour l’Amérique du Nord et avait donc quatre-vingt-quatorze personnes à son bord.
C’était sa septième traversée en tant que transport d’émigrants

Sur le bateau opposition paysan marin.

 On en a pour un bout de temps, sur ce bateau. Aujourd’hui, j’ai demandé à un des marins combien il restait. Il m’a répondu qu’il y avait encore aussi loin d’ici, en Amérique que d’Amérique ici ces quasiment tout pareil. J’ai réfléchi un petit moment, je trouvais ça long. Mais il rigolait ce salaud-là et ceux qu’étaient autour ils rigolaient aussi, eux autres, alors je me suis fâché et pendant un moment j’ai voulu lui taper sur la gueule pour lui faire sortir les harengs qu’il a dans le bidon. Mais je lui ai seulement dit que je me fichais pas mal de savoir si c’était encore loin. Un marin qu’a déjà fait le trajet plusieurs fois, il devrait être capable de vous le dire, sinon il a pas à venir faire le malin et se moquer des gens honnêtes. Va pas croire, je lui ai dit que nous autres de la campagne, on est plus bêtes que vous qu’êtes tout le temps sur la mer. On comprend bien quand on se fiche de notre poire.

Le pasteur illuminé.

 Ma chère épouse redoute la langue que l’on parle en Amérique. La peur d’être sourd et muet parmi les habitants de ce pays étranger. Mais je te répète Inga-Lena, ce que je t’ai dit de nombreuses fois : Dès que nous parviendrons dans ce pays le Saint-Esprit se répandra sur nous et nous permettra de parler cette langue étrangère comme si nous étions nés sur la terre d’Amérique.
 Nous avons la promesse de notre Seigneur et nous avons la parole de la Bible que ce miracle interviendra, comme lors de la première Pentecôte.

Les préoccupations de la femme au service du Pasteur illuminé.

 On dit que le Sauveur allait toujours pieds nus, quand il prêchait parmi les hommes. Mais je suppose qu’en terre Sainte le sol est plus chaud qu’ailleurs, puisqu’il y pousse des figues de la vigne et toutes sortes de fruits. On peut comprendre que le Seigneur et ses apôtres n’est pas eu besoin de chaussettes de laine. Mon cher époux attrape toujours mal à la gorge, quand il a froid aux pieds, et il ne se soucie pas de son ventre comme il le devrait : celui-ci ne s’ouvre pas tous les jours, dit-il. Il est pourtant un bon conseil qui fit : Vide boyaux et garde tes pieds au chaud.

Le passé de la prostituée.

 Je me rappelle à peu près de tout depuis que j’ai été placée, après enchères publiques, à l’âge de quatre ans. J’avais perdu mes parents et l’enfant que j’étais devait être confié à quelqu’un qui acceptait de la nourrir et de la vêtir. J’ai été attribuée au couple d’Ålarum, car c’était lui qui demandait le moins pour mon entretien : huit rixdales par an. Le mari a ensuite regretté d’avoir consenti à me prendre pour si peu : je mangeais trop et j’usais trop de vêtements pour huit rixdales par an. Et mon père a adoptif ma fait payer ses regrets. À l’âge de quatorze ans, il a exigé de moi des compensations en nature. Et une gamine de quatorze ans qui était à la charge de la commune avait un moyen très simple de s’acquitter : il suffisait d’écarter les jambes et de se tenir tranquille.

L’inactivité sur le bateau.

 Pendant près des trois quarts de ces interminables journées en mer, la plupart d’entre eux restaient inactifs livrés à eux-mêmes sans rien pour occuper leurs mains. Et ces gens du labeur n’avaient jamais appris comment se comporter lorsqu’on n’a rien à faire.
 Ils étaient désemparés pendant ces heures d’oisiveté et se demandaient, en regardant la mer : qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Cette eau et ces vagues éternellement recommencées ne leur fournissaient aucune réponse. Il ne leur restait qu’à regarder l’horizon. C’est ainsi que s’écoulaient les jours, qui devenaient des semaines qui devenait alors tour des mois.
 Mais il trouvait le temps long et la vie à bord de la « Charlotta » monotone.

La mer et les paysans

 Ils venaient de la terre et allaient vers la terre. La mer n’était pour eux qu’un moyen de transport dont ils se servaient, une étendue d’eau qu’ils devaient traverser pour retrouver la terre. Ils ne l’empruntaient que pour aller d’un pays à un autre et ne comprenaient pas les marins qui n’allaient nulle part, étaient toujours à bord de ce bateau et ne faisaient que sillonner cette mer. Les paysans partaient dans un but précis, les marins allaient et venaient sans but.