Édition de l’Olivier, 357 pages, septembre 2004

 

Fin du roman :

Je songeais à tous les miens. En cet instant de doute, au moment où tant de choses dépendaient de moi, ils ne m’étaient d’aucune aide, d’aucun réconfort. Cela ne m’étonnait pas : la vie n’était rien d’autre que ce filament illusoire qui nous reliait aux autres et nous donnait à croire que, le temps d’une existence que nous pensions essentielle, nous étions simplement quelque chose plutôt que rien.

Pour plusieurs lectrices du Club de lecture, Jean-Paul Dubois, fait partie des incontournables. Et je pense qu’elles organiseront une séance thématique autour des romans de cet auteur. Il est déjà présent sur Luocine avec « Les accommodements raisonnables » que j’avais apprécié mais sans plus.
Il y a chez cet auteur un effet série qui peut plaire mais que j’ai du mal à apprécier, dans tous ses romans il y a un dentiste tortionnaire, une femme (souvent la femme du narrateur) toujours appelée Anna qui meurt de façon violente, le personnage principal toujours appelé Paul qui fait du jardinage, et bien d’autres détails qui je suis certaine ravissent ses fans. Cela ne me passionne pas de jouer aux ressemblances et aux différences. Mais ce roman a un autre intérêt : celui de décrire la société française depuis les années 1950 jusqu’en 2012. Toutes les périodes sont marquées politiquement par des présidents qui ont tous les défauts possibles quand ils sont de droite, seul Mitterand trouve grâce à ses yeux, à son deuxième mandat il est surtout défendu par sa mère. Le narrateur est marqué par la mort de son frère d’une appendicite mal soignée. Sa famille s’écroule à ce moment là, son père devient silencieux et sa mère l’ombre d’elle-même , se réfugie dans son travail de correctrice. Mai 68 sera l’occasion pour Paul de mettre le bordel partout, ce sont ses mots, il est très désabusé et très amer, il ne rencontre que des gens médiocres pour lesquels in n’a aucun respect, que ce soient ses profs de lycée ou les enseignants de l’Université de Toulouse le Mirail. La section de sociologie se résumait à des prises de position politiques toutes plus fumeuses les unes que les autres. La vie professionnelles sera du même acabit un supérieur sadique dans une administration et un proviseur pervers et qui ne cherchera qu’à lui nuire dans un lycée. Il épousera une femme riche et belle , ils auront deux enfants et lui gagnera beaucoup d’argent en faisant deux livres à grand succès, « les plus beaux arbres de France » et « les plus beaux arbres du monde » . Sa femme Anna meurt dans un accident d’avion, et il découvrira la faillite de son affaire de Jacuzzi, et son infidélité. Sa fille devient schizophrène et lui jardinier parce qu’il a perdu tout son argent dans la faillite des affaires de sa femme.
J’ai été surprise du nombre de personnes négatives que ce pauvre Paul rencontre dans sa vie, bien sûr il y a un dentiste sadique mais pas que. Les scènes de fêtes avec alcool, drogues, et sexe m’ont fait penser que nous n’avions pas eu la même jeunesse.
Malgré toutes ses réserves , c’est un roman qui se lit bien et cette plongée dans le passé que j’ai vécu moi aussi m’a permis de revivre ma jeunesse. Sauf que, comme beaucoup d’entre nous, je n’ai pas eu comme le narrateur la chance de faire un mariage qui m’aurait permis de ne pas travailler, ni de produire un livre qui m’aurait rendue riche pour le reste de ma vie. Cet écrivain journaliste qui s’épanouit dans l’entretien des jardins on n’y croit pas beaucoup mais ça fait un contrepoint à toutes les turpitudes des soi-disant intellectuels.

Extraits

Début.

 Et ma mère tomba à genoux. Je n’avais jamais vu quelqu’un s’affaisser avec autant de soudaineté. Elle n’avait même pas eu le temps de raccrocher le téléphone. J’étais à l’autre bout du couloir, mais je pouvais percevoir chacun de ses sanglots et les tremblements qui parcouraient son corps. Ses mains sur son visage ressemblaient à un pansement dérisoire. Mon père s’approcha d’elle, raccrocha le combiné et s’effondra à son tour dans le fauteuil de l’entrée. Il baissa la tête et se mus à pleurer. Silencieux, terrifié, je demeurai immobile à l’extrémité du corridor.

La place du deuil de son frère (de 10 ans le narrateur en a 8).

 La mort de Vincent nous a amputé d’une partie de nos vies et d’un certain nombre de sentiments essentiels. Elle a profondément modifié le visage de ma mère au point de lui donner en quelques mois les traits d’une inconnue. Dans le même temps, son corps s’est décharné, creusé, comme aspiré par un grand vide intérieur. La disparition de Vincent a aussi paralysé tous ses gestes de tendresse. Jusque-là si affectueuse, ma mère s’est transformée en une sorte de marâtre indifférente et distante. Mon père autrefois si disert, si enjoué s’est muré dans la tristesse, le silence, et nos repas jadis exubérants, ont ressemblé à des dîners de gisants. Oui, après 1958, le bonheur nous quitta, ensemble et séparément, et à table nous laissâmes au speaker de la télévision le soin de meubler notre deuil.

L’horrible grand mère.

 Je pense que ma grand-mère est la seule personne dont j’ai réellement souhaité et espéré la mort. J’en ai aussi longtemps voulu à mes parents de ne pas remettre ce personnage à sa place, mais il est vrai qu’à l’époque il était normal d’endurer stoïquement la torture des ascendants fussent-ils de francs salopards.

La jeunesse du narrateur.

Drôle d’époque. La plupart d’entre nous traversaient cette période dans cette état d’hébétude caresse caractéristique des explorateurs qui découvrent un monde nouveau. Ce continent là était celui de toutes les libertés, de terre aussi inconnues qu’immenses, où l’air du temps nous encourageait à vivre sans temps morts, à jouir sans entraves. Ce que l’on nous proposait, ce qui s’offrait à nous c’était une aventure sans précédent, un bouleversement en profondeur des relations entre les hommes et les femmes, débarrassées de la gangue religieuse et des contrats sociaux. Cela impliquait la remise en cause de l’exclusivité amoureuse, la fin de la propriété des corps, la culture du plaisir, l’éradication de la jalousie, et aussi, pourquoi pas, « la fin de la paupérisation le soir après cinq heures ».

Dieu.

 

 L’idée de Dieu était la pire des choses que l’homme eût jamais inventé. Je la jugeais inutile, déplacée, vaine et indigne d’une espèce que l’instinct et l’évolution avaient fait se dresser sur ses pattes arrières mais qui, face à l’effroi du trou, n’avait pas longtemps résisté à la tentation de se remettre à genoux. De s’inventer un maître, un dresseur, un gourou, un comptable. Pour lui confier les intérêts de sa vie et la gestion de son trépas, son âme et son au-delà.

L’amour.

 Je tenais l’amour pour une sorte de croyance, une forme de religion à visage humain. Au lieu de croire en Dieu, on avait foi en l’autre, mais l’autre justement n’existait pas davantage que Dieu. L’autre n’était que le reflet trompeur de soi-même, le miroir chargé d’apaiser la terreur d’une insondable solitude. Nous avons tous la faiblesse de croire que chaque histoire d’amour est unique, exceptionnelle. Rien n’est plus faux. Tous nos élans de cœur sont identiques, reproductibles, prévisibles. Passer le foudroiement initial, viennent les longues journées de l’habitude qui précèdent le couloir infini de l’ennui.

Les Éditions minuit 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Voilà un auteur qui écrit à la perfection, dans un style remarquable, une histoire triste à donner le bourdon à quelqu’un qui aurait un moral à toute épreuve ( ce qui n’est pas mon cas en ce moment !). Mais lisez aussi le point de vue de Krol qui a beaucoup aimé cet auteur et qui met bien en valeur les qualités de son écriture.

Je suis certaine que c’est un pur hasard mais ce roman m’a fait penser au scandale qui atteint Nicolas Hulot. J’explique : une jeune fille essaie de se reconstruire dans la ville bretonne du bord de mer où son père un ancien boxeur est devenu chauffeur du maire. Tout se tient dans cette histoire. La trop belle Laura a, quand elle avait à 16 ans, posé nue pour un magazine. Elle veut oublier tout cela. Son père a été un grand champion de boxe mais l’argent trop facile l’a entraîné dans une quasi déchéance. Il a retrouvé l’emploi de chauffeur personnel du maire à qui, hélas, il demandera une faveur pour sa fille : que celui-ci lui trouve un logement.
Laura sera logée au casino dirigé par Franck toujours habillé de blanc, personnage qui a ses petits arrangements avec le maire et dont la sœur, Hélène a participé à la descente aux enfers de son père.
Détail absolument horrible : le chauffeur du maire, donc le père de Laura conduira le maire à ses rendez-vous au casino pour satisfaire ses besoins sexuels sans qu’il sache que c’est sa fille qui est dans le studio au-dessus du casino.
Le roman est parfaitement construit, on entend la plainte de Laura auprès des gendarmes et ceux-ci se montrent assez compréhensifs mais quand les photos seront découvertes et que le maire sera nommé ministre, le procureur préfère classer cette histoire sans suite. Cela n’empêchera pas un drame d’avoir lieu mais comme je vous en ai déjà sans doute trop dit je m’arrête là.
Ce roman fait beaucoup réfléchir sur la façon dont l’emprise se construit pour une jeune fille face à un homme politique. Et aussi comment lui même peut se persuader facilement qu’elle est consentante.
Le nœud dramatique de ce roman est très bien imaginé, trop sans doute pour moi car je l’ai trouvé profondément triste. Mais que cela ne vous empêche pas de le lire, ce n’est absolument pas glauque c’est seulement humainement triste et comme je l’ai dit au début parfaitement écrit.

Citations

Portrait d’un élu

 Et d’avoir été réélu quelques mois plutôt, d’avoir pour ainsi dire écrasé ses adversaires à l’entame de son second mandat, sûrement ça n’avait pas contribué au développement d’une humilité qu’il avait jamais eu à l’excès – à tout le moins n’en n’avait jamais fait une valeur cardinale, plus propre à voir dans sa réussite l’incarnation même de sa ténacité, celle-là sous laquelle sourdaient des mots comme « courage » ou « mérite » ou « travail » qu’il introduisait à l’envi dans mille discours prononcés partout ces six dernières années, sur les chantiers inaugurés ou les plateaux de télévision, sans qu’on puisse mesurer ce qui dedans relevait de la foi militante ou bien de l’autoportrait, mais à travers lesquels, en revanche, on le sentait lorgner depuis longtemps bien plus loin que ses seuls auditeurs, espérant que l’écho s’en fasse entendre jusqu’à Paris, ou déjà les rumeurs bruissaient qu’il pourrait être ministre.

Le style de Tanguy Viel

 À Max donc il arriva donc d’en être, de ce monde inversé ou certaines femmes butinantes se glissent volontiers dans la corolle des hommes et les délestent alors de toutes leurs étamine, à ceci près que les étamines ici on a forme de billets de cent euros que par dizaines ils sortent de leur poche et distribuent sans compter – elles, guêpes plutôt qu’abeilles, qui ne pollinisent rien du tout, plutôt disséminent les graines au gré des verres, Hélène plus acharnée que toutes, ayant fait admettre cette loi tacite et inaliénable que c’était son prix et sa liberté à elle, la plus onéreuse et la plus libre des hôtesses. 

 

Citation de Charles de Gaulle

 » Les possédants sont possédés par ce qu’ils possèdent « 

Je trouve que ce livre complète bien la lecture du précédent car il permet de découvrir le principal dirigeant qui a vu grandir ma génération et celle de Jean-Pierre Le Goff. On sent la très grande admiration de Gérad Badry pour « le » Général. Derrière l’homme de la résistance, celui qui a sorti la France des erreurs de la quatrième République et qui a permis la décolonisation, il y a donc un homme chrétien et respectueux des femmes. Il n’a rien d’un féministe et pourtant … il voulait depuis longtemps donner le droit de vote aux femmes, il a permis la contraception et a voulu que les femmes puissent travailler et élever leurs enfants. Sa vision de la femme est marquée par le rôle de mère qui lui semble sacré. C’est à ce titre, qu’il a systématiquement exercé son droit de grâce pour les femmes à la libération. Mais plus que ses idées politiques, ce qui m’a intéressée c’est son entière probité, son respect des femmes et ce qui m’a le plus touchée sa grande affection pour sa petite Anne enfant trisomique qu’il a tant aimée. C’est un homme étonnant, d’une autre époque et d’une autre culture, il vient à la fois de la chrétienté et de l’amour de la patrie et son caractère a été forgé par l’armée française. Je ne savais pas qu’il avait fait entrer au gouvernement une femme musulmane d’origine algérienne Nafissa Sid Cara qui a un parcours très intéressant. Le portrait de Geneviève de Gaulle-Anthonioz est passionnant et mériterait à lui seul un livre entier. C’est une plongée dans un autre monde, celui justement qui a vu naître et grandir Jean-Pierre Le Goff mais un monde ne pouvait pas comprendre que les adolescents de mai 1968 n’étaient pas uniquement porteurs de « chienlit ».

 

Citations

Entrée en bourse des femmes

C’est aussi sous de Gaulle, en 1967, que les femmes seront autorisées à entrer à la Bourse de Paris pour y spéculer. Leur arrivée à la corbeille ou s’affairaient depuis toujours un aéropage exclusif de messieurs, en cravate et costumes sombres, fait d’abord sensation, avant que d’élégantes jeunes diplômées en finance n’occupent des poste de commis. Dans les milieux boursier, un authentique bastion masculin, la résistance avait été très forte pour refuser de partager les codes, les secrets et les moeurs avec la gente féminine. La seule femme ayant pu s’introduire à la corbeille l’avait fait, en 1925, habillée en homme et portant une barbe postiche. Condamnée à 3 ans de prison pour escroquerie et abus de confiance pour avoir vendu des titres appuyés sur des société fictives, Marthe Hanau avait fini par se donner la mort en prison, en 1935, renforçant l’opposition des hommes à l’entrée de toute femme dans l’univers de la Bourse. L’histoire romanesque de Marthe Hanau devait, en 1980, inspirer le film « la Banquière » de Francis Girod avec Romy Schneider.

Trente-deux ans plus tard, les portes du palais Brongniart s’ouvraient enfin aux femmes.

la loi Neuwirth

En Conseil des ministres, le général se montre résigné. Il déclare : « Les mœurs se modifient. C’est évolution est en cours depuis longtemps, nous n’y pouvons à peu près rien. En revanche, il faut accentuer notre politique nataliste. Puis il ajoute.

 : » Il ne faut pas faire payer les pilules par la sécurité sociale. Ce ne sont pas des remèdes. Les Français veulent une plus grande liberté des mœurs mais nous n’allons tout de même pas leur rembourser la bagatelle. »

Probité

Leur première tâche a été de remettre de l’ordre dans le fonctionnement de la présidence pour y introduire plus de rigueur. Il a été souvent raconté que, le jour même de leur arrivée, les de Gaulle avait exigé qu’un compteur individuel soit posé pour payer de leur poche l’électricité de leurs appartements. C’est exact. Mais on s’est moins qu’Yvonne a mis immédiatement fin à l’utilisation de la vaisselle d’État, en porcelaine de Sèvres, pour leurs repas quotidiens en tête à tête. Au volant de sa voiture, au premier jour de leur installation, elle s’est rendue au Bon Marché, son magasin préféré, pour y acheter -avec leur argent- un service de table ordinaire qui fut utilisé jusqu’à la démission du général en 1969. De même, Yvonne demandera à l’intendant de l’Élysée de lui présenter chaque fin de mois la note correspondant au repas pris par les membres de la famille venus déjeuner avec eux le dimanche.

 On trouve un autre exemple de cette honnêteté sans faille des de Gaulle dans leur décision de faire installer un oratoire à l’Élysée pour y assister à la messe dominicale à l’abri des regards. Créé dans l’ancien bureau des chauffeurs encore envahi par les odeurs de pastis, cette petite chapelle – une table servant d’autel, quatre chaises prie-Dieu et quelques ornements- a été totalement payé avec l’argent personnel du couple.

Portrait de la secrétaire de de Gaulle Elisabeth de Miribel

Les Miribel, comme les Mac-Mahon, ont le culte de l’honneur et de la discipline. Ils affichent leur dédain pour l’argent et pour la politique.  » Élevée dans ce milieu conservateur et catholique, je n’ai jamais entendu mes parents discuter de politique à la maison. Autant il leur paraît normal de mourir pour la patrie, si possible en gants blancs, autant il faut éviter de se salir les mains en se mêlant de politique » expliquera-t-elle dans son autobiographie.

Le patriotisme, le don de soi pour la France, la foi chrétienne, le dédain pour l’argent et pour la politique, c’est tout ce qu’elle retrouvera et qu’elle aimera chez de Gaulle.