Édition Belfond
Traduit de l’anglais Sarah Tardy
Repéré, d’abord, chez Céline et vu ensuite chez Moka, puis sur d’autres blogs dont j’ai oublié de noter le nom, je me demandais si j’allais apprécier cette auteure dont j’avais lu et aimé « L’étrange disparition d’Esme Lennox« . Je partage les avis que j’ai lus, je lui trouve un grand talent, la suite de ces récits où elle creuse son rapport à la maladie est aussi poignant que triste. Les réflexions qu’elle déteste entendre, je me les suis faites plusieurs fois : comment peut on avoir si peu de chance. Et elle me répondrait que non elle aurait dû tant de fois mourir qu’elle trouve avoir, finalement, beaucoup de chance d’être en vie. Si vous ouvrez ce livre, sachez que vous partez pour dix huit récits où la mort a souvent le premier rôle, elle la frôle, la menace ou cherche à atteindre les siens. Chaque récit porte le nom d’une partie du corps qui est alors l’objet du danger mortel. Si vous ne lâchez pas ce livre c’est que tout vient de son style et de de sa façon de raconter ce qui lui arrive, par exemple son accouchement : elle doit s’opposer au grand ponte de l’hôpital londonien qui méprise les mises en garde de son confrère du pays de Galle, cela sonne tellement vrai. Savoir le raconter comme cela doit faire du bien à tous ceux et toutes celles qui ont un jour senti ce regard méprisant sur leur corps souffrant. Elle a failli y rester mais elle a survécu et nous le raconte avec talent. Toutes les nouvelles sont intéressantes, et pour celles ou ceux qui comme moi n’aime pas trop que les auteurs se racontent sachez que le talent littéraire vous fera, encore une fois, passer au-delà de tous vos a priori
Citations
C’est tellement vrai mais comment faire ?
Quand vous serez plus grands et que vous sortirez, je leur dis, il y aura des fois où quelqu’un proposera quelque chose que l’on ne doit pas faire, et ce sera à vous de prendre la décision de le suivre ou pas. De faire comme le groupe ou de vous opposer à lui. De parler, d’élever la voix, te dire non, je ne pense pas que ce soit bien. Non je ne veux pas faire ça. Non non, je préfère rentrer chez moi.
Je n’aime pas l’avion mais cette expérience me tente :
Passer ainsi de fuseau horaire en fuseau horaire peut vous faire percevoir le monde avec une lucidité troublante distordue. Que faut-il blâmer ? L’altitude, l’inactivité prolongée, le confinement physique, le manque de sommeil, où les quatre à la fois ? Se déplacer à cette vitesse, à des milliers de pieds au-dessus du sol, dans une cabine d’avion modifie votre état d’esprit. Des choses que vous ne parvenez pas à expliquer se résolvent, comme si la bague d’un objectif avait été tournée. Dans vos pensées s’insinue soudain la réponse à des questions qui, depuis longtemps vous tourmentaient. Tandis que votre regard se pose sur les montagnes d’altostratus , étendues irréelles, vous vous surprenez à penser : Ah, mais bien sûr, et dire que je ne m’en étais jamais aperçu.
Pour moi l’avion c’est ça :
Personne ne voit rien venir, il y a juste un bruit de choc puis le froid qui envahit la cabine. Tout à coup, l’avion pique, décroche, tombe comme une pierre d’une falaise. L’accélération est inouïe, l’attraction la vitesse donnent la sensation de se retrouver sur le pire manège du monde, de plonger dans le néant, de se faire attraper par les chevilles et tirer vers les abîmes de l’enfer. La douleur éclôt dans mes oreilles, sur mon visage, tandis que ma ceinture me lacère les cuisses au moment où nous sommes projetés en l’air.La cabine est secouée comme une boule à neige : des sacs à main, des canettes de jus de fruits, des pommes, des chaussures, des sweat-shirt s’élèvent du sol des masques à oxygène se balancent du plafond comme des lianes et des êtres humains sont projetés en l’air. Je vois l’enfant qui était assis de l’autre côté du couloir percuter le plafond, pieds en avant, pendant que sa mère voltige dans l’autre direction, cheveux noirs défaits, l’air plus outré qu’apeuré. Le prêtre assis à côté de moi est lui aussi projeté vers le plafond, hors de son siège, vers son chapelet de perles. Deux nonnes qui ont perdu leurs cornettes volent comme des poupées de chiffon vers les lumières de l’appareil.
La scène avec le grand chef de service de l hôpital est criante de vérité
Les yeux plissés, monsieur C. s’est mis à taper sur son bureau avec le bout de son stylo. Puis il a décidé qu’il en avait assez. Il s’est levé et m’a adressé un petit signe de la main avant de lâcher sa réplique de fin :« Si vous étiez venue me voir en fauteuil roulant, j’aurais peut-être accepté de vous faire accoucher par césarienne. »Dire une chose pareille à quelqu’un était extraordinaire -surtout à quelqu’un qui avait réellement passé une partie de sa vie en fauteuil roulant. Ce qui m’horrifiait, ce n’était pas tant son refus de discuter -sans même parler du refus de m’accorder une césarienne programmée- , mais plutôt le fait qu’il sous-entende que j’étais une sorte de lâche perfide, qui me mentait pour tenter d’obtenir un accouchement facile. Ça, et sa tentative d’intimidation odieuse, et ça effarante. Me rendais-je compte que la césarienne était un acte chirurgical lourd ? Pas du tout, je pensais que c’était une promenade de santé.
Si je marche aujourd’hui, je le dois à l’unité de kinésithérapie ambulatoire, et son équipe et aux patient que j’ai rencontrés là-bas. Le fait qu’il ne m’aient jamais laissé tomber, qu’ils aient cru, contrairement aux médecins, que j’étais capable de bouger, de me déplacer, de guérir , a permis que cet espoir devienne réalité. Quand une personne vous affirme que vous êtes capable de faire quelque chose, quand vous voyez qu’elle croit vraiment en ce qu’elle dit, la possibilité que cela se réalise devient tangible.
Les bons conseils, sa fille est gravement allergique et fait des chocs anaphylactique
J’ai appris à hocher la tête avec calme quand les gens me disent qu’ils savent exactement ce que je ressens parce qu’eux’mêmes souffrent d’une allergie au gluten et se retrouvent avec le ventre gonflé dès qu’ils mangent du pain blanc. J’ai appris à être patiente et diplomate quand il me faut expliquer que, Non, on ne peut pas apporter de houmous à la maison. Non, ce n’est pas une bonne idée de lui en donner un tout petit peu juste pour l’habituer. Oui, il faut vous éloigner d’elle pour ouvrir si ou ça. Oui, le déjeuner que vous avez préparé pourrait lui être fatal.J’ai appris à son frère, à l’âge de 6 ans, comment composer le 999 et dire dans le combiné, c’est pour une urgence, un choc anaphylactique. Ana-phy-lac-tique. Mon fils est entraîné à le prononcer. Ma vie avec ma fille comporte un grand nombre de courses effrénées dans les couloirs des hôpitaux. Aux urgences, les infirmières l’appelle par son prénom. Son allergologue nous a répété plusieurs fois qu’elle ne devait être soignée que dans de très bons hôpitaux.