3
J’ai plus d’une fois été agacée par la lecture de ce gros (trop gros ?) roman parce que l’auteur ne nous épargne vraiment rien : on apprendra tout sur sa sexualité, ses impuissances à vivre, les petits côtés de ses amis célèbres ou pas. Mais je ne l’ai pas lâché et à chaque fois que je reprenais ma lecture, j’y trouvais de l’intérêt. Dans le quartier latin des années de l’après guerre, on suit le narrateur, il y arrive à 16 ans « quand il est né » nous dit-il, il raconte son adolescence. (Aujourd’hui l’adolescence commence à 13 ans, à 18 ans on est « jeune-adulte » !)

Il a connu ou croisé tous ceux qu’il fallait connaître et le titre de son livre de souvenirs est un hommage au roman de Boris Vian L’écume des jours. On suit, pas à pas, son initiation à la sexualité, à la littérature, son passage au monde adulte, le rejet de la province, surtout de la banlieue et de sa famille.
L’auteur sait recréer l’ambiance des années de l’existentialisme et on est pris dans un véritable tourbillon. Il a souvent un humour très corrosif qui est à l’image de cette époque. IL y a dans ce roman beaucoup de petits textes merveilleux. La description de la gare Montparnasse et ses différences avec la gare de Lyon est un bon moment de lecture.

Je pense que, pour tous ceux qui se souviennent de ces années-là, ce livre doit faire du bien. Vu de la province, ces gens célèbres : Gréco, Sartre, Vian devaient faire rêver, de près ils sont beaucoup moins séduisants et pourtant ils ont apporté un souffle de liberté parmi les intellectuels. Il y a un personnage que je trouve intrigant et intéressant : Honoré, le narrateur et lui se rencontrent dans le train du retour vers la banlieue et sa famille, il lui donne de bons conseils de lecture, j’aurais aimé en savoir plus sur celui qui lui dit : « La provocation n’est pas forcément créatrice, murmure Honoré. Je crains que nous n’entrions dans l’ère de l’imposture ».

Citations

Je ne retrouve rien de mon violon, ni de son âme de bois, ni de son corps pas si verni que ça.

 

Se tenir comme Ilfo ?

Qui était donc ce type mystérieux qui s’appelait Ilfo et qu’il fallait prendre en exemple ? C’était comment se tenir, se tenir comme Ilfo ? Qui se tenait comme Ilfo ? Les adultes forcément. Quand je comprends enfin qu’il faut se tenir comme il faut, la question reste pendante. C’est quoi comme il faut, c’était pour ma mère se tenir à l’épicentre de tout ce qu’il ne fallait pas faire. À l’épicentre de toutes ses peurs.

 

Parmi les lectures édifiantes auxquelles j’avais accès, on trouvait des histoires comme celle du pauvre garçon contraint pas son père, un horrible communiste, de rapporter une hostie à la maison où ledit père la poignarde avec un couteau de cuisine. Et l’hostie de se mettre à saigner !

 

Être ami avec Vian, ce n’est pas être l’ami de Vian.

la nuance est d’importance.
Qui est le vrai Vian ? Je n’ai toujours pas la réponse.

Avec des parrains aussi prestigieux qu’Aragon et Eluard, les idées communistes sont plutôt en vogue à Saint-Germain mais qui pourraient dire qu’elles sont celles de Vian qui affiche une méfiance notoire à l’encode tous les dogmes, qu’ils soient religieux ou politique ? Ça me plait, ça rejoint ce rejet de cette religion et de ce Dieu qu’on a vainement tenté de me refiler.

3
Au programme du club de lecture, ce livre se lit facilement. Un père a voulu se donner une stature de héros aux yeux de sa fille. L’écrivain chargé de raconter sa vie, n’a pas su faire parler son propre père qui était lui, un véritable héros de la résistance. L’intérêt du roman, vient de cette rencontre et du tête à tête entre ce vieil homme digne mais qui a construit sa vie sur un énorme mensonge et le journaliste écrivain qui sent ce mensonge.

Je n’ai vraiment pas été passionnée.

4
Superbe livre, j’ai, bien sûr, pensé que j’aurais préféré que comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer soit choisi par la bibliothécaire pour nous faire découvrir Dany Laferrière.(Je me promets de le lire prochainement !)

Haïti semble toujours concentrer tous les malheurs de la planète. Cet écrivain n’explique rien, mais raconte si bien et dans une si belle langue qu’on est complètement envouté par son récit. La galerie de portrait des Haïtiennes et Haïtiens est inoubliable mon préféré est cet homme dont les sbires du régime de « Baby-doc » ont détruit la bibliothèque qui ne contenait que des livres de poésies :

 Et Alcool est le seul livre qui n’a pas été détruit ce jour-là puisqu’il l’avait, comme toujours avec lui – il ne s’est jamais dégrisé d’Apollinaire.

Durant tout le chapitre, l’auteur prend des accents d’Apollinaire pour nous parler de l’ancien ami de son père.

La démarche indolente
d’une vache
à sa promenade du soir.
La nuit devient
chagallienne.

Citations

la lecture

J’ai toujours pensé
que c’était le livre qui franchissait
les siècles pour parvenir jusqu’à nous.
Jusqu’à ce que je comprenne
en voyant cet homme
que c’est le lecteur qui fait le déplacement.
Je n’achetais un livre que
si l’envie de le lire était plus forte
que la faim qui me tenaillait.

 L’exil

Pour les trois quarts des gens de cette planète
il n’y a qu’une forme de voyage possible
c’est de se retrouver sans papiers
dans un pays dont on ignore
la langue et les mœurs.

L’humour

Ce type à côté de moi me dit qu’il a fait déjà deux solides tentatives de suicide, mais qu’il ne pourrait supporter une seule journée d’exil. Moi, c’est le contraire, je ne crois pas pouvoir survivre à un suicide.

Haïti

Si on meurt plus vite qu’ailleurs,
la vie est ici plus intense.
Chacun porte en soi la même somme d’énergie à dépenser
sauf que la flamme est plus vive quand son temps pour la brûler
est plus bref.

La pauvreté

Nous sommes dans la voiture de son ami Chico. On doit garder ses pieds sous ses jambes, car il n’y a pas de plancher. On voit l’asphalte défiler et les trous d’eau verte. On dirait une décapotable à l’envers.

3
Comme le titre l’indique l’historienne spécialiste de la révolution française, Mona Ozouf raconte son enfance bretonne, sa double appartenance :

  • à la lutte pour la reconnaissance à l’identité bretonne à travers le combat de son père.
  • à l’école publique et républicaine par sa mère et son propre plaisir d’être une bonne élève.

Ces deux premières parties sont très intéressantes et agréables à lire. Ensuite elle explique son engagement intellectuel, ses lectures et sa compréhension des idées politiques qui ont construit la France. La lecture devient alors beaucoup plus difficile, les idées sont intéressantes mais ce n’est plus du tout le même livre, on quitte le récit pour un débat d’idées un peu long et froid.

Citations

Les hommesselon lui (Jules Ferry) , doivent être laissés libres d’errer, car la liberté, fût-elle payée par l’erreur, est plus désirable que le bien.

 

Jamais sans sa coiffe. L’attacher est son premier geste du matin, bien avant l’éveil de la maisonnée.

 

Son souci constant est la dignité .. sa règle morale essentielle est de ne jamais se mettre dans une situation telle qu’on puisse en avoir honte. « Gand var vez » , « avec la honte » est l’expression qui, pour elle englobe tout ce qu’il est inconvenant de faire et même de penser.

 

Trois pélerinages, donc, qui résumaient assez bien les trois lots de croyances avec lesquelles il me fallait vivre : la foi chrétienne de nos ancêtres, la foi bretonne de la maison, la foi de l’école dans la raison républicaine.

5
Petit roman plein d’humour qui se lit très vite. Peinture inoubliable d’une mère abusive, odieuse et du petit monde des exilés russes. Dimitri Radzanov excellent pianiste rivalise au piano avec un certain Horowitz. Pour la mère de Dimitri il n’y a aucun doute, son fils est le meilleur, même s’il joue dans un poulailler dans le fond de son jardin de Chatou et Horowitz (Face de Chou) à Carnegie Hall. Beaucoup des tragédies du 20e siècle : les guerres l’exil l’extermination des juifs traversent rapidement ce petit roman. Mais son charme vient surtout de tout ce qui est dit sur la musique, la solitude et la souffrance du concertiste virtuose.

Citations

« Nous faire ça à nous ! » La voix de ma grand-mère me fendait les tympans, aussi tranchante que le scalpel en train d’inciser les cadavres d’école. Par ce « nous » outragé, elle désignait les Radzanov uniquement, transformant une défaite historique en offense personnelle.

 

Maman n’avait pas d’instruction, ce qui constituait aux yeux de sa belle-mère un défaut rédhibitoire, aggravé par ce crime de lèse-Anastasie : « Elle m’a pris mon fils ! »

 

 – Vous connaissez Horowitz ? s’étonna ma mère.
– Non, mademoiselle, Horowitz NOUS connaît !

 

Mon père s’étant fait virer de sa fabrique de colle ( un boulot auquel il n’avait jamais adhéré)…

 

Car il faut savoir à qui cela ressemble, une vie de concertiste. C’est comme si tu grimpes l’Alpe-d’Huez tous les jours sans ta selle.

 

Depuis l’âge de25 ans, il est persuadé qu’il est atteint d’un mal incurable, mais sa seule maladie est la frousse de perdre sa virtuosité et d’être envoyé dans un camp comme son père et des millions d’autres juifs.

Traduit de l’anglais (États Unis) par Jeannine Hérisson.
5
J’ai tout simplement adoré ce livre, pourtant je ne suis pas une passionnée de la nature, et l’auteur y raconte avec minutie ses observations sur les plantes, les insectes et les animaux. Elle raconte très bien et au-delà de on sent tout les efforts qu’elle a dû faire pour vivre seule. Je la comprends trop bien : il a fallu qu’elle prenne racine. Au milieu des observations animales on trouve des petites notes sur les humains et les humaines qui m’ont beaucoup touchée. En particulier sur la solitude des femmes « d’un certain âge ».

Citations

Pendant ces douze années, j’ai appris qu’un arbre a besoin d’espace pour pousser, que les coyotes chantent près du ruisseau en janvier, que je peux enfoncer un clou dans du chêne seulement quand le bois est vert, que les abeilles en savent plus long que moi sur la fabrication du miel, que l’amour peut devenir souffrance, et qu’il y a davantage de questions que de réponses.

On en parle

http://www.ratsdebiblio.net/hubbellsue.html

4
Dominique Fernandez nous entraîne dans une quête : la compréhension d’un père qui a été un mauvais mari, un mauvais père, s’est fourvoyé dans le parti de Doriot, et dans la collaboration, mais a toujours été un critique littéraire de qualité. C’est un livre remarquable et passionnant. On sent toute la douleur de l’écrivain Dominique Fernandez (que personnellement j’apprécie beaucoup). Il a été l’enfant d’un couple qui s’est fait la guerre, et a dû supporter l’infamie d’un père. Il est très honnête dans sa recherche ne charge ni n’excuse son père, cela donne toute la valeur au livre.

Les débats des intellectuels d’avant-guerre sont passionnants, et je n’ai jamais lu une analyse aussi fine du PPF de Jacques Doriot. Le rôle de sa mère, dans l’échec du couple m’a, à la fois, intéressée et troublée. Intéressée : car D. Fernandez est d’une rigueur et d’une intelligence humaine rare. Troublée : car je suis gênée qu’un fils en sache et en dévoile tant sur l’intimité du couple de ses parents. Je préfèrerais alors une œuvre romanesque à un témoignage.

Citations

Tout le problème est là : un enfant a le droit de regarder « sans honte » le visage de son père mort si celui-ci s’est fourvoyé seulement en pensée. Mon père s’est-il borné à écrire dans une presse collaborationniste, ce qui serait blâmable, mais non coupable d’infamie ? Ou peut-on mettre à sa charge des actes indignes de pardon ?

 

L’homme moderne croit offrir ses idées à la société : il n’a que les idées que la société lui offre

 

Mais attendez un peu, je n’arrive pas à le dire, c’est trop dur, trop pénible pour un fils de révéler une action franchement abjecte de son père.