Édition Christian Bourgeois traduit du croate par Chloé Billon
Roman très étrange où j’aurais bien mis cinq coquillages pour certains passages et deux dans d’autres. L’autrice se raconte elle même dans la première partie et la troisième. Dans la première partie elle raconte ses rapports très compliqués avec sa mère. Et dans la troisième elle explique le mythe de baba-yaga qui doit éclairer tout ce roman. J’avoue que je n’ai pas été intéressée par cette troisième partie, j’ai préféré la deuxième partie, celle où on voit trois femmes âgées venir dans le grand hôtel de Prague profiter des bienfaits d’une station thermale.
Le récit est très loufoque alors que la quatrième de couverture promettait « un roman érudit, hilarant et plein d’autodérision » .
J’ai des réserves sur l’humour croate mais parfois oui, c’est assez drôle, en revanche je trouve que la description de la vieillesse est sans pitié et je trouve même cela assez cruel. J’ai été plus intéressée par ce que ressentent les intellectuels des « ex » pays communistes. Ils ont été souvent des contestataires et le virage vers le capitalisme et la liberté les a rendus très amers. D’abord, plus personne ne s’intéresse à leur lutte, ils ont donc appris à se taire et en plus ils voient des médiocres réussir financièrement alors qu’eux-mêmes ont beaucoup de mal à vivre avec leur retraite. L’auteure souffre de voir que le nationalisme croate s’appuie sur des sentiments xénophobes, les mêmes qui pendant la guerre ont permis l’extermination des juifs.
Tous ces moments sont vraiment très intéressants : je ne savais pas qu’en Yougoslavie il y avait eu aussi un goulag. Je n’avais jamais entendu parler de l’île-prison de Goli Otok, Pas plus que du camp de concentration de Jacenovak créé par les croates en 1941 qui est considéré comme un des pires camps de concentration. J’ignorais que les Croates d’aujourd’hui étaient aussi intolérants vis à vis des autres nationalités qui composaient leur pays sous le régime communiste. Mais pour vraiment aimer ce roman, il faut aussi accepter le côté fable du récit que l’écrivaine explique dans sa troisième partie. Baba-yaga serait donc le symbole de toutes femmes qui ont été niées au cours des siècles et Dubravca Ugrešic termine son livre par un hymne à la gloire de toutes les révoltes féminines. Le récit prend parfois des allures d’épopée et est complètement fouilli : on s’y perd complètement, je pense que c’est voulu, mais c’était un peu trop fou pour moi.
Citations
Remarque à la première page qui m’a fait choisir ce roman à la médiathèque .
Il y en a aussi qui sont encore « en forme » en robe d’été décolletée, une coquette bordure de plumes autour du col, en vieux manteau de fourrure d’astrakan à moitié mangé aux mites, des coulées de maquillages sur le visage. (Qui , d’ailleurs, est capable de se maquiller convenablement avec des lunettes sur le nez ? !)
La pauvreté dans les ex pays communistes.
Sa retraite couvrait à peine les charges et la nourriture, et ses maigres économies avaient disparu avec la banque de Ljubljana une quinzaine d’années auparavant, quand le pays était tombé en morceaux et que tous s’étaient hâtés de se piller les uns les autres. Si elle avait voulu, elle aurait pu tirer de tout ça une amère satisfaction : ses pertes, comparées à celles de beaucoup d’autres, étaient négligeables, car elle n’avait tout simplement rien.
Le style particulier du récit sous forme de conte.
Voilà, c’est tout sur Mr Shake pour le moment. Quant à nous, nous poursuivons notre route. Tandis que le cuisinier fait chauffer son chaudron, l’histoire a hâte d’arriver à sa conclusion.
Comportement face à la vieillesse.
Alors que les hypocrites d’aujourd’hui, qui se scandalisent du caractère primitif des us et coutumes d’antan, terrorisent leurs vieux sans une once de remord. Ils ne sont capables ni de les tuer, ni de s’en occuper, ni de leur construire des institutions dignes de ce nom, ni de leur proposer un personnel spécialisé convenable. Ils les laissent dans des mouroirs, dans des maisons de retraite où, s’ils ont des relations, prolongent leur séjour dans les services de gériatrie, dans l’espoir que les vieux casseront leur pipe avant qu’on ne remarque que leur hospitalisation était superflue. Les Dalmate sont plus tendres avec leurs ânes qu’avec leurs vieux. Quand leurs ânes vieillissent, ils les emmènent en barque sur des îles inhabitées, où ils laissent mourir.
L’espérance de vie.
Oui, l’homme avait conçu un terrible appétit pour la vie. Depuis qu’il était devenu certain qu’aucune autre vie ne l’attendait dans les cieux, que les critères d’obtention d’un visa pour l’enfer ou le paradis était pour le moins fluctuant, et que se réincarné en sanglier ou en rat était pas précisément le gros lot, l’homme avait décidé de rester là où il était autant que faire se peut, ou, autrement dit, de mâcher le chewing-gum de sa vie le plus longtemps possible, en s’amusant à faire des bulles au passage. À en croire les statistiques, la différence était vraiment impressionnante au début du xxe siècle, la durée de vie moyenne tournait autour de quarante-cinq ans, à la moitié du siècle, elle avait grimpé à soixante-six ans, pour atteindre aujourd’hui, au tout début du vingt-et-unième siècle, le chiffre honorable de soixante-seize ans, en cent ans seulement, les êtres humains avaient prolongé leur durée de vie de presque cinquante pour cent.
La Croatie pendant la guerre 39/45
En avril 1941, la Croatie avait adopté une loi raciale, la dispositions législative sur la protection du sang aryen et de l’honneur du peuple croate.Le port de l’étoile jaune était devenu obligatoire et rapidement la persécution des juifs avait commencé. Les parents et le jeune frère de Pupa avaient été déportés dans le camp de Jasenovac, où ils avaient été assassinés aux alentours de 1943. Pupa et Aron avaient pris le maquis avec les partisans fin octobre 1941, après que la synagogue de Zagreb avait été détruite avec la bénédiction des nouvelles autorités oustachies.
De l’humour (enfin !)
Le D. Topalanek, en créant son nouveau soin relaxant, s’était souvenu de sa grand-mère, chez qui ils allaient déjeuner tous les dimanches. La grand-mère , de peur de manquer de temps, commençait à préparer le déjeuner dès le matin, et quand la famille Topalanek arrivait, tout avait déjà refroidi sur la table. Chaque dimanche, sa grand-mère était dans tous ses états, et chaque dimanche, son père la consolait…« Allons, Agneza, calme-toi, tu sais bien toi-même qu’il n’y a rien de meilleur que les boulettes froides et… la bière chaude ! »