Édition Belfond Noir. Traduit de l’anlais (royaume Uni) par Alexandre Prouvèze.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Lorsqu’un roman policier est proposé au club de lecture, je sais qu’il a une dimension autre que l’énigme. C’est le cas ici, la toile de fond de ce roman est l’enlèvement d’enfants aborigènes de 1910 à 1975, pour les élever dans un milieu plus » favorable » à leur éducation. C’est une horreur dont l’Australie a honte aujourd’hui mais qui a bouleversé à jamais la vie des enfants qui en ont été victimes. L’auteure britannique veut aussi en faire une charge contre le colonialisme anglais.

L’intérêt du roman vient aussi de l’emprise de l’alcool sur le principal suspect. C’est une originalité de ce roman, aucun personnage n’est vraiment sympathiques. J’explique rapidement l’intrigue, le roman se situe sur deux époques en 1967 et en 1997. Ces deux époques voient deux drames se passer.

En 1967, on suit un policier Steve qui est chargé d’enlever les enfants aborigènes pour les conduire dans un orphelinat. Il est torturé par sa mauvaise conscience, et de plus son couple bat de l’aile. Son épouse Mandy ne veut pas d’enfant et ne se sent plus amoureuse de Steve. Ils ont comme voisin Joe Green, sa femme Louisa et leur fille Isla, Joe est alcoolique et sa femme enceinte ne le supporte plus et décide de repartir dans son pays d’origine : l’Angleterre.

En 1997, Isla s’est installée en Angleterre mais elle revient en Australie car son père est accusé du meurtre de Mandy qui a disparu depuis vingt ans.

Les deux histoires vont évoluer en parallèle car la clé de l’énigme policière se passe en 1967. En attendant le roman se déroule avec des personnages auxquels on ne peut pas s’attacher : Joe l’alcoolique qui bat sa femme Louisa, qui reste finalement avec lui sans que l’on comprenne pourquoi, Mandy la voisine qui prend en cachette la pilule tout en ne le disant pas à Steve son mari qu’elle n’aime plus. Steve auteur des rapts d’enfants et qui sera directement responsable de la mort d’un bébé aborigène sans qu’aucune enquête ne soit diligentée. Et enfin Isla, alcoolique elle aussi, qui cherchera à innocenter son père, contrairement à sa mère qui essaiera de faire inculper son mari.

J’ai vraiment été gênée par le peu d’empathie avec laquelle l’auteure a décrit ses personnages, on a l’impression d’un exercice littéraire autour d’une histoire mais que les différents protagonistes n’ont pas de chair. Et les grands absents ce sont les Aborigènes, alors que c’est pour eux que cette écrivaine a voulu écrire cette histoire. Bizarre !

 

Citations

Une image qui ne marche pas en français.

Isla constate en effet que la clôture autour de la véranda vient d’être peinte. La haie à l’avant de la maison a été taillée en pointe et des corbeilles, accrochées de part et d’autre de la porte, débordent d’une forme rose et violette. Le bardage a l’air vétuste, à côté de la peinture fraîche et de ces suspensions ridicules . Du mouton servi comme de l’agneau.

 

Souvenir d’un homme qui boit trop.

 Il y avait trop bu le vendredi précédent Louisa avait vu Mandy. Le lendemain, il avait retrouvé la bouteille de whisky vide, dans la poubelle, mais il ne se souvenait pas de l’y avoir mise. Il s’était penché sur Louisa dans son lit puis ils s’étaient battus. Ça, oui il s’en souvenait. La proximité de son visage dans l’obscurité. Puis plus rien ensuite. Elle n’en avait pas parlé le lendemain. Il s’était réveillé sur le canapé -ce qui, en soi, n’avait rien d’exceptionnel- en se demandant s’il avait rêvé. Mais un terrible sentiment de culpabilité le rongeait, comme s’il avait disjoncté. En même temps. Les comas éthyliques lui donnaient toujours l’impression d’être un monstre.

En 1997.

 La radio diffuse une interview d’un membre du gouvernement. C’est la même rengaine qui passe en boucle depuis son arrivée : le Premier ministre John Howard, refuse de s’excuser auprès des Aborigènes pour les enlèvements de leurs enfants. À l’époque, les gens pensaient agir comme il le fallait, assure le ministre. C’étaient d’autres mœurs.

Une jeune femme alcoolique.

 Elle n’avait pas bu devant lui, les premiers mois. elle commandait un jus d’orange au pub, après le travail, tout en remplissant son frigo de cannettes de bière blonde et forte. C’est devenu plus difficile quand il a emménagé chez elle. Il lui avait passé un savon, la fois où il l’avait surprise à boire de la vodka pure à la bouteille, alors qu’elle le croyait au lit. Elle avait minimisé la portée de son geste, lui avais promis de changer. Il l’avait crue. Il s’était mis à lui parler mariage, tandis qu’elle songeait à la bouteille qu’elle avait gardé planquée dans la sacoche de son vélo. Et puis plus tard, des années plus tard, il était devenu l’adversaire, celui dont elle se cachait, celui qui la forçait 0à se regarder en face. Et sur lequel elle se défoulait quand elle détestait ce qu’elle voyait.

Scène clé du roman le rapt d’enfant aborigène.

 -On va s’occuper du petit », dit-il. Ses propres mots lui donnaient la nausée. « Ça lui fera un bon. de départ dans la vie.
– Mensonge ! Elle pointa son index vers le visage de Steve. « Ma tante a été enlevée quand elle était petite. Elle m’a racontée comment c’était. »
Les pleurs du bébé s’amplifièrent tandis qu’il fermait la porte derrière lui. elle prit l’enfant dans ses bras, le serra contre elle, sanglotant en silence, son visage appuyé contre celui du bébé.

Depuis « Bluff » je savais que je lirai d’autres livres de cet auteur. Celui-ci est comme une ébauche de « Bluff ». Nous sommes en Australie. Le personnage commence par faire de la pêche, cette fois sur un bateau digne des plus horribles cauchemars. Tout y est affreux, la façon de pêcher, le non respect des espèces protégées et surtout les rapports d’une violence extrême entre les pêcheurs. Puis, on part dans le nord de cet énorme continent, vers Nullarbor. La route qui traverse cet endroit est écrite dans les guides comme étant une des plus impressionnantes du monde.

Mais cette photo ne dit rien des routes secondaires qui mènent à la côte. Cela devient alors un vrai parcours du combattant. Notre personnage, dont on ne sait rien, est visiblement à la recherche de sensations fortes. Il va en avoir en suivant des Aborigènes qui lui font découvrir le plaisir de la chasse et de la pêche. Peu de personnages sympathiques : ils semblent tous vivre des subventions de l’état. Ils attendent le chèque du gouvernement pour se saouler à mort. Mais … Il y a une rencontre : Augustus qui est un personnage comme on en rêve et qui prendra sous sa coupe le narrateur qu’il surnomme « Napoléon ». Grâce à ce vieux sage de la tribu des Bardi, on a un aperçu de ce qu’aurait pu être la civilisation des aborigènes si les « Blancs » ne les avaient pas massacrés, ou s’ils n’avaient pas complètement nié leur culture. Mais on sent bien que c’est trop tard et que les « Blancs » ont gagné. Aujourd’hui, l’Australie brûle, les Aborigènes ne sont plus là pour expliquer comment vivre dans un pays qui peut être si hostile à la présence humaine.

Si vous avez envie de visiter ce pays, je vous conseille fortement de lire ce livre, et, ne pas craindre les requins, les crocodiles, les serpents, les araignées … et les alcooliques bien entraînés à la bagarre.

 

Citations

La tempête

Ma couchette gisait sous la proue, au plus fort du tangage. Chaque impact me soulevait à un mètre de mon matelas. Je me suis hissé dans la cabine en me cramponnant aux barreaux. Attablés en silence, les autres attendaient que ça passe. En mer quand les conditions deviennent à ce point mauvaises, pas un ne la ramène. Le capitaine moins que les autres. L’humilité du marin face aux éléments, si l’on veut. Plus certainement, la trouille.

Le mal de mer

Grelottant, nauséeux, j’étais terrorisé. Le mal de mer , le vrai, vous fait envisager la mort comme une délivrance. Moi, je n avais pas envie de crever, mais je me sentais trop épuisée pour croire en ma survie.

Histoires de chasse en Australie

J’connais des tas d’histoires comme ça. Trois types partent à la chasse après la fermeture du pub. À l’affût dans un arbre, ils poireautent des heures et des heures. Au petit matin, il fait froid, l’un des trois en a marre, descend de sa branche. Les autres lui crient de revenir, il leur faut un cochon. Mais leur pote ne veut rien entendre. Alors ils se bagarrent, le coup part. Là, ils l’enterrent au pied de l’arbre, ni vu ni connu. Bien sûr, on retrouve le corps. En général, l’autopsie montre qu’il s’est débattu dans son trou, car il n’était pas vraiment mort.

Plaisirs de la nature australienne

Comme je sautillais, maladroit, pour soulager la plante de mes pieds, Augustus s’est campé devant moi : « Napoléon, regarde où tu marches ». Un minuscule serpent gris, strié de noir, se tortillait, nerveux, au bout de sa gaffe.  » Serpent cinq minutes ». Il a lancé le reptile dans les profondeurs de la mangrove, sans épiloguer sur l’étymologie.

Toujours les joies australiennes

« Alors faut pas se promener là tout seul ? J’ai demandé.
– Ah non, Napoléon. À moins d’marcher en haut des des des dunes. Parce qu’il galope, les croc’, même sur le sable. Ou bien t’amènes un chien… Le crocodile raffole des clebs. Friandises ! Il entend aboyer, on l’tient plus, il est comme fou… Crois-moi, Napoléon, s’il a le choix, un croc ira toujours après le chien.
– Mais dans l’affaire, tu perds ton chien !
– Hé, Napoléon qui t’a dit de prendre le tien ? Celui du voisin, il te faut… Une pierre, deux coups, le croc te bouffera et le clebs d’à côté, celui qui aboie tout le temps, t’en es débarrassé. »

Comme quoi, l’alcool ce n’est pas bon pour la santé

Un type, il avait bu… Eh, Yagoo, pas qu’un peu. Ils l’ont ramené de Broome … Lui, il a coupé par les buissons, pour rentrer plus vite… Les buissons, en pleine nuit ! Le serpent tigre, six morsures, qu’il lui a données.
– Il est mort ?
– Ben non. Pas croyable, hein ? Mais on lui a coupé la jambe… Et le serpent, Yagoo, crevé. On l’a trouvé près du type, le matin… Tué par l’alcool, à c’qui paraît, tellement le type en avait plein l’sang. Eh ! Yahoo. C’est pas bon, hein l’alcool…

Une façon de priver les Aborigènes de leurs terres

Les blancs, ils ont fait dégager tout le monde… Ils voulaient plus les voir sur l’île. Un bel endroit comme ça, tu parles, ils l’ont gardé pour eux tout seul. Toujours la même histoire, hein, Napoléon. Un jour, ils ont rassemblé tout le monde. Ils ont dit qu’il fallait partir. Un cyclone va venir, qu’ils ont fait. L’île disparaîtra sous la mer. Ils les ont mis dans des bateaux, à part les vieux, pas moyen de faire partir. Tout ça, Napoléon c’était que des bobards… Les miens ont atterri à Lombadina, il y avait des aborigènes de toute la région… Ils ont pris les enfants, les ont placés dans leur pension. Pour les éduquer, il disait. Les parents, c’était trop de tristesse, personne a eu le cœur de retourner sur l’île…