20160813_105713Traduit du danois par Raymond ALBECK

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Quel livre ! Je le dois encore une fois à Dominique. Que sa curiosité insatiable soit mille fois remerciée ! Sans son blog ce livre ne serait pas parvenu jusqu’à moi puisque ma médiathèque ne possède pas encore (depuis j’ai convaincu les bibliothécaires de l’acheter) ce « chef d’oeuvre », comme le dit la quatrième de couverture. Et je suis entièrement d’accord, c’est un petit chef d’oeuvre. Thorkild Hansen, décrit avec une précision extraordinaire, tant sur le plan technique qu’humain, une expédition qui part du Danemark en 1761, pour faire connaître au monde un pays alors inviolé : « L’Arabie Heureuse ». Un roi danois Frédéric V, soutenu par un ministre, Bernstorff, particulièrement gagné à l’esprit des lumières, mobilise des sommes importantes pour financer une expédition audacieuse. Il s’agit de rassembler des savants les plus pointus de l’époque pour découvrir une partie de la planète où aucun occidental n’était encore allé.

D’abord, il s’agit de comprendre ce nom : pourquoi s’appelle-t-elle « Heureuse » cette Arabie ? Qui sont les peuples qui la composent ? Pour cela, il faut un savant linguiste , ce sera un Danois von Haven. Pour comprendre la géologie et les plantes, on fera appel un savant suédois Peter Forsskal, un médecin physicien danois le docteur Kramer pour soigner les membres de l’équipe , un peintre graveur Baurenfeind pour ramener les illustrations de tout ce qui sera découvert et un arpenteur d’origine allemande, Carsten Niebuhr, le moins titré des cinq hommes. Tous ces gens ont beaucoup écrit, envoyé de longs rapports sur leur voyage (sauf le docteur Kramer). Torkild Hansen, les a tous lus et pour certains de ces écrits, il en était le premier lecteur.

Son récit nous faire revivre de l’intérieur cette incroyable épopée qui a failli être un des plus grands fiascos de tous les temps. Pour une raison que l’on sait dès le début du livre van Haven et Forsskal se haïssaient, et malheureusement Bernstorff n’a pas su anticiper les conséquences de cette haine implacable. Il aurait au moins fallu désigner un chef, mais non, on leur demande à tous de s’entendre ce qu’ils sont totalement incapables de faire. La raison en est sans doute que l’éminent professeur danois von Haven, décevait beaucoup son employeur qui n’osait pas l’avouer. Sur le terrain la mollesse d’esprit et de corps de von Haven le discréditera totalement, au profit du courageux, énergique mais coléreux Forsskal.

La malaria emportera dans la mort ces deux hommes, le premier n’aura rien découvert d’important, se plaignant à longueur de rapports de l’inconfort et de l’insécurité. Le second au contraire a réussi à envoyer de multiples rapports, de nombreuses caisses de plantes, d’animaux empaillés, ou conservés dans l’alcool , de semences, de plantes séchées. Tout cela parfaitement décrit dans de mult ouvrages. Malheureusement, rien ou presque de son fabuleux travail n’a été exploité. Pourquoi ? Il était suédois et le roi du Danemark n’avait guère envie que la Suède s’attribue le succès d’une expédition qu’elle avait financée. Forsskal est un élève de Linné qui est déjà un savant reconnu mais suédois, les conséquences de ce nationalisme absurde c’est que von Haven n’a rien découvert par paresse et que les extraordinaires découvertes de Forsskal ont été complètement négligées ou presque.

Il ne reste donc rien de cette expédition qui dura 7 ans ? et bien si ! Le seul personnage peu titré était cet arpenteur d’origine allemande : Carsten Niebhur qui a toujours refusé le moindre titre honorifique, il est le seul à revenir vivant de cette extraordinaire épopée et il a fourni au monde, pour plusieurs siècles, des cartes exactes de cette région du monde. Même s’il a donné le nom correct à l’Arabie « Heureuse » : le Yemen , il n’a pas trouvé pourquoi on l’avait si longtemps appelé Heureuse. La réponse est dans le livre, à vous de l’y trouver…

C’est peu de dire que j’ai lu avec passion ce voyage absolument extraordinaire, ne m’agaçant même plus d’un procédé qui d’habitude me gêne beaucoup : l’auteur nous annonce souvent les événements importants à venir. Je préfère toujours découvrir les différentes péripéties au cours de ma lecture sans effet d’annonce. Quand j’ai réalisé que l’énorme travail de Forsskal, d’une qualité remarquable allait être réduit à néant par la stupidité et la mesquinerie humaine, j’ai alors lu ce livre comme un thriller, je n’arrivais pas à le croire ! Si je dois encore vous donner une raison supplémentaire pour vous plonger dans ce voyage, lisez-le simplement pour découvrir une des plus belles personnalité que les livres m’ont permis de connaître : celle d’un arpenteur qui avec ténacité et intelligence a permis de faire de cette expédition une superbe réussite. Une personnalité de cet acabit : modeste, honnête, humaine, altruiste, courageuse, sans préjugé … bref, à lui seul, il mérite un collier entier de coquillages !

Citations

Les temps anciens

Ce ministre nourrissait pour l’art et la science un intérêt qu’il nous est difficile d’imaginer, alors que nous avons améliorer la constitution de l’État et que le despotisme éclairé a fait place à la démocratie non éclairée.

Trait de personnalité toujours sujette à la critique

Il avait de la valeur, on le lui eût pardonné, mais il le savait lui-même, montrait avec ostentation qu’il en était convaincu, et cela était inexcusable.

La science et les mythes : l’explication de la fluorescence de la mer.

Des expériences plus récentes ont prouvé que la phosphorescence de la mer est due à des organismes vivants. Les filles de Nérée sont tout simplement des protozoaires unicellulaires, flagelles et rhizopodes.

Des questions hautement scientifiques

Presque toutes les universités européennes demandent aux voyageurs d’étudier tous les problèmes imaginables : entre autres, un circoncis éprouve-t-il plus de plaisir au cours d’un coït qu’un incirconcis.

Le langage diplomatique dans toute sa splendeur

Il ne va pas jusqu’à dire que von Haven, à bout d’arguments, avait demandé à Forsskal de lui « baiser le cul », mais que « von Haven avait eu recours à une insulte si grossière que le respect que m’inspire Votre Excellence m’interdit de la lui répéter, et toutefois comme les circonstances me font un devoir de préciser, j’indiquerai que la populace s’en sert pour accuser un homme de la lâcheté la plus abominable, en lui attribuant certaines habitudes canines » ….

La fin terrible de cette aventure pour les deux savants de l’expédition

Les deux professeurs ambitieux et querelleurs ont partagé en fin de compte le même destin. L’un fut tout au long du voyage sans énergie, dépourvu d’esprit d’initiative, manquant d’idées, intéressé seulement par des questions de confort. L’autre a travaillé du matin au soir, s’est passionné pour tout ce qui l’entourait, a découvert des problèmes captivant là où les autres ne voyaient que des vérité de la Palisse, et a su les résoudre. Il a collectionné, catalogué, décrit. Il n’a pas laissé derrière lui un simple journal : ses manuscrits remplissaient sept lourds colis et ses collections au moins vingt grandes caisses. Mais il n’en a pas plus tiré profit que le premier. On a connu la plus grande partie de ses découvertes seulement après que d’autres les eurent refaites et publiées. La mise de chacun est différente mais le résultat est le même : il ne reste rien.

Peter Forsskal

Le seul souvenir vivant de Peter Forsskal qui mourut à Yerim, en Arabie Heureuse, la plante de Forsskal, est une ortie.