Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard.


François Garde ne m’en voudra certainement pas que l’alto prenne plus de place que son roman sur ma photo. Lui qui a donné vie dans « L’effroi » à un Sébastien Armant, altiste à l’opéra de Paris qui « aurait tant aimé ne nous parler que de musique ». Malheureusement, le geste horrible, criminel, d’un chef d’orchestre très en vue fait basculer sa vie. Voici le début d’une d’une vraie tragédie :

L’archet levé, j’attendais le signal ;

Soudain le chef se redressa. Il prit une longue inspiration, se figea dans un impeccable garde-à-vous. Le public ne se rendit compte de rien, et pour nous ce changement de posture ne produisit qu’un vague sentiment d’alerte.

Lentement, il leva le bras droit, main tendue vers le rideau de la scène, et, de sa belle voix de baryton, s’exclama avec force et solennité :

« Heil Hitler ! »

Sébastien Armant, saisi d’effroi, va se lever et sortir, entraînant derrière lui tout l’orchestre, la réprobation du geste du chef est telle que cela devient « le » scandale médiatique qu’il faut à tout prix exploiter pour des raisons politiques et de pouvoir. Notre altiste va devenir un objet aux mains des spécialistes de la communication et peu à peu perdre pied et ne plus très bien savoir comment diriger sa vie. Le récit est bien mené et nous retrouvons les travers de notre société dans la description de la chute programmée d’un homme simplement courageux. Le lecteur sait, bien avant lui, que Sébastien Armant n’aurait jamais dû fréquenter les fameux « plateaux » télé, que c’est un monde prêt à dévorer de l’émotion sur le dos de ceux qui peuvent encore en exprimer.

Sa peinture du monde politique avec sa cohorte de conseillers en image, en communication, en revue de presse est criant de vérité. Oui, c’est bien dommage que cela se fasse sur le dos de la musique mais, au moins, il peut se rassurer, la musique restera toujours cet art exigeant qui demande à ses serviteurs de travailler tous les jours (ou presque) six heures, pour arriver à un résultat qui leur donne du plaisir et nous en donne tant. C’est l’amie propriétaire de l’alto de cette photo qui m’a fait découvrir cette réalité, et aucun conseiller ne pourra jamais faire l’économie de ce travail exigeant pour aboutir au feu d’artifice que représente un concert réussi. Il peut se comparer au travail de l’écrivain qui polit sa langue pour permettre au lecteur de rentrer au plus profond du récit et de partager les doutes et les espoirs de l’écrivain comme le fait si bien François Garde.

Citations

le directeur de l’Opéra

Jean-Pierre Chomérac, le président du conseil d’administration de l’Opér, me surprit. Chomérac avait pris ses fonctions six mois plus tôt. Il devait ce poste à une ancienne et indéfectible amitié avec le président de la République. (…) Sous sa protection, il avait été nommé successivement inspecteur général de l’agriculture, préfet de l’Yonne, ambassadeur au Portugal. Il ne dissimulait pas la minceur de ses compétence, et y suppléait par un sens politique avisé et sa propension à se saisir des sujets à la mode et à faire parler de lui. (…)Nos délégués syndicaux murmuraient qu’il n’avait pas encore découvert que dans un opéra on faisait de la musique.

Vous savez président de l’Opéra n’est qu’un lot de consolation en attendant mieux.

Ceux qui nous gouvernent

Je le remerciai en prenant la carte qu’il me tendait. Des assistants vinrent à nouveau papillonner autour de nous. Le conseiller du ministre en profita pour se glisser à côté de moi et murmurer :

– Il distribue ses cartes de visite comme s’il était encore député-maire. Bien évidemment, c’est nous qui vous contacterons le moment venu.

Les médias

Les médias sont comme un monstre insatiable, il faut lui donner à manger de temps en temps, sinon il peut vous dévorer tout cru.

Vie et mort des scandales dans les médias

Les chaînes d’information en continu se régalent. Avant-hier les révélations d’un obscur attaché parlementaire ; hier les explications contournés du ministre du Budget ; ce matin les bons mots assassins d’un jeune loup de l’opposition. Dans notre affaire, il ne se passe rien de nouveau, il ne peut rien se passer d’inédit. Les journalistes me sollicitent moins pour vous rencontrer. Mon cher Sébastien, il faut s’y résoudre : le bouquet que nous proposons à la vente depuis deux semaines commence à se faner, et les amateurs veulent des fleurs fraîches.

Le musicien d’orchestre

Rien ne peut égaler l’honnêteté du musicien, L’honnêteté sans fard et sans tache du travail du musicien, seul responsable d’avoir bien apprivoisé son instrument, bien lu la partition, bien écouté ses collègues, bien suivi les consignes. Lui seul – et chacun dans l’ensemble- doit se glorifier modestement de donner vie aux constructions invisibles élaborées par les maîtres du passé. 

Phrase que j’aime

Comme des rochers fendant une mer calme, ou des sommets émergeant des nuages. Mais les écueils ne disent rien du métier de pêcheur, ni les montagnes ne se réduisent à leurs extrémités.


Édition Fayard

 

J’ai choisi ce livre à la médiathèque car je ne connaissais pas du tout Felix Kersten, et savoir qu’il avait été le thérapeute d’Himmler et avait réussi à arracher d’une mort certaine au moins 100 000 personnes dont un 60 000 juifs, m’a donné envie d’en savoir beaucoup plus.

Je lis beaucoup de livres sur la deuxième guerre mondiale, en particulier sur la Shoa et savoir qu’un homme a fait le bien au milieu de cette bande d’assassins m’a fait plaisir. Seulement voilà, il faut quand même se plonger dans la vie des dirigeants crapuleux Nazis, et, c’est particulièrement pénible à lire.

Si, comme moi, vous ne connaissez pas Felix Kersten, je vous raconte rapidement son destin extraordinaire. Cet homme est masseur kinésithérapeute et a été formé par un spécialiste chinois. Il est d’origine finlandaise exerce en Hollande. Il se trouve qu’il est très doué et soigne des gens très connus et un jour, il est appelé pour soigner Himmler. Lui même est un anti Nazi convaincu et il décide très vite de n’accepter aucune rétribution de ce chef nazi mais d’obtenir de lui la libération de gens dont des résistants de différents pays nordiques lui donnent les noms. Cela permet à l’auteur de décrire les luttes entre les différents chef Nazis et de cerner au plus près la personnalité d’Himmler Comme il est le seul à pouvoir calmer les douleurs insupportables d’Himmler, il arrive à obtenir ce qu’il lui demande. À la fin de la guerre, il mène des actions héroïques pour sauver les juifs qui étaient encore en vie dans les camps de concentration. Il faudra du temps pour que toute l’étendue de ses actions soient mises en lumière, surtout en Suède où des personnages importants veulent apparaître comme ayant fait eux mêmes ces actions glorieuses et ne veulent absolument pas reconnaître ce qu’ils doivent à Félix Kersten.

Un livre intéressant, mais qui m’a plombé le moral même si cette fois, je n’étais pas du côté des victimes, ils sont quand même là tous ces millions morts, derrière toutes les élucubrations de ces nazis si convaincus d’avoir raison de débarrasser la terre des juifs et des sous hommes en menant des guerres de plus en plus terribles pour les allemands mais aussi pour les populations qui essayaient de leur résister.

 

Citations

Et dire que cette bande crapules qui a été responsable des millions de morts .

 Dans la capitale allemande, ses patients, devenus pour la plupart de fidèles amis, lui racontent tout ce qui se murmure dans les milieux d’affaires berlinois : Joachim von Ribbentrop, le nouveau ministre des affaires étrangères dont la suffisance n’a d’égale que l’incompétence, veut entraîner le Führer dans une guerre contre L’Angleterre, le maréchal Goering, morphinomane ventripotent et maître du plan quadriennal, cherche à monopoliser l’ensemble de l’industrie allemande au service d’un réarmement à outrance ; Joseph Goebbels, nain venimeux, orateur fanatique et premiers satyre du Reich est l’organisateur des pires débordements du régime depuis l’incendie du Reichstag jusqu’à la Nuit de cristal ; le Reichleiter Robert Ley, chef hautement alcoolisé de l’Abeitsfront, à érigé La corruption en industrie à outrance. Pourtant, c’est l’ancien ingénieur agronome et éleveur de poulet Henri h Himmler, Reichführer SS et chef de la police allemande qui reste l’homme le plus redouté d’Allemagne -et à juste titre ses 280 SS ont constitué la première garde rapprochée du Führer ….

Quand on cite des propos j’aime bien savoir s’ils sont historiques ou non . L’esprit y est certainement : Paroles d Himmler

 Ce n’est pas l’Angleterre décente qui nous a déclaré la guerre, c’est celle des juifs anglais. Voilà ce qui rassure le Führer. Malgré tout, l’Angleterre va souffrir de cette guerre ; le Führer est fermement résolu à laisser la Luftwaffe éradiquer ville après ville, jusqu’à ce que les bons éléments en Angleterre comprennent à quoi les juifs ont mené leur pays. Lorsqu’ils demanderont l’arrêt des hostilités, ils se verront accorder une paix généreuse en contrepartie de la livraison de tous leurs juifs à l’Allemagne. C’est fait, l’Allemagne en arrivera à donner à l’Angleterre la place qui lui revient dans le monde. Les Anglais étant des Germains, le Führer les traitera en frères.

Un nid de scorpions.

 Himmler conservait donc un épais dossier contenant des pièces compromettantes pour son subordonné Heydrich, qui en avait lui-même constitué un de même nature sur son chef Himmler. C’est ce qui explique, dès le décès de Heydrich, le Reichsführer se soit précipité à son chevet pour récupérer les clés de son coffre ! Il ne faut jamais l’oublier : nous sommes au beau milieu d’un nid de scorpions.

Édition Robert Laffont

Si, comme moi, vous avez gardé, grâce à vos cours sur l’antiquité grecque, une image assez positive de cette période de l’histoire, avec, peut-être une petite préférence pour Spartes qui semblait plus guerrière et plus héroïque qu’Athènes, lisez vite ce roman , cela vous redonnera des idées un peu moins romantiques de la réalité spartiate . Bien sûr, vous vous souvenez de cet enfant spartiate qui avait préféré se faire dévorer les entrailles par un petit renardeau plutôt que d’avouer qu’il le cachait sous sa tunique. Mais si c’est votre seul souvenir, je vous promets quelques découvertes bien au-delà de cette anecdote. Si les Spartiates étaient invincibles, ils le doivent à des pratiques très particulières. Dès la naissance, à la moindre « tare », on éliminait les bébés, mais cela ne suffisait pas, vers deux ans on présentait l’enfant à un conseil de sages qui jetait dans un précipice tout enfant un peu bossu, ou ayant des jambes tordues ou qui semblait ne pas bien voir, ne pas entendre correctement, ou déficient intellectuellement … À contrario, tous les ans on pratiquait la nuit de la Cryptie, c’est à dire que durant une nuit entière les citoyens de Spartes avaient le droit de tuer tous les Hilotes (c’est à dire leurs esclaves) qu’ils voulaient . Si j’ai dit « à contrario » c’est que cette fois les Spartiates choisissaient de préférence les hilotes les plus courageux et les plus intelligents de façon à tenir en respect une population beaucoup, beaucoup plus nombreuse qu’eux. Jean-François Kervéan sait nous faire revivre ces meurtres avec force détails, j’ai rapidement été submergée par une impression de dégoût . Comment cette antiquité grecque qui était pour moi un bon souvenir a pu générer autant d’horreurs ? La partie consacrée à la formation du jeune Spartiate (Agogée) est de loin ce qui m’a le plus intéressée, car pour ceux qui ont survécu à la naissance puis à la présentation, il reste une épreuve , celle de « L’Errance ». Avant de devenir adulte un jeune doit rester une année entière à survivre dans la nature sans l’aide de quiconque. Il doit chasser et se nourrir de ce que la nature peut lui offrir à moins qu’il soit lui-même la proie de prédateurs plus forts que lui. Ensuite, il sera citoyen de Spartes et fera partie de l’armée invincible. L’organisation de la vie de la cité est aussi originale et plus sympathique. Tous les Spartiates sont égaux et ont tous les mêmes droits. Bien sûr, il y a les esclaves pris dans les populations vaincues et asservies mais sinon l’égalité est parfaite. Il y a deux corps de dirigeants les « gérontes » des hommes âgés qui resteront jusqu’à leur mort dans une fonction de conseil et cinq « éphores » élu pour un an au sein de l’assemblée. Tous les Spartiates peuvent appartenir à l’assemblée et y prendre la parole. Le roi n’a pas plus d’importance qu’un autre citoyen. Le roman se situe lors des guerres Médiques contre le roi de Perse, Xerxès 1°. La description de l’opposition entre les deux civilisations et de la guerre m’a moins passionnée. Et puis, il est grand temps que je parle du style de cet auteur. Je ne comprends pas toujours le pourquoi de ses formules. Je sens bien qu’il a voulu désacraliser une certaine représentations de l’antiquité grecque mais parfois, je ne le suis pas dans ses descriptions de héros presque toujours ivres ou drogués qui pètent et « s’enculent  » à qui mieux mieux . Cette réserve ne m’a empêchée d’apprécier toutes les réflexions qui sous-tendent ce projet de livre :

  • Pourquoi finalement c’est la royauté qui a perduré pendant deux millénaires et pas la démocratie,
  • Pourquoi toutes les tyrannies ont-elles adulé Spartes ?
  • Est ce que ce système pouvait durer ?
  • Pourquoi les sentiments ne sont pas compatibles dans un tel système.

Mes réserves viennent du style de l’auteur mais je suis ravie d’avoir lu ce roman car j’ai vraiment beaucoup appris sur cette période et surtout corrigé beaucoup d’idées fausses .

 

Citations

 

Les Spartiates

Cet hiver-là fut dur, mais les Spartiates ne craignent pas le froid, la fin, le deuil -ce peuple n’a peur de rien. Chez eux, lorsque le vent cingle depuis les crêtes du Mont Parnon, personne ne couvre ses épaules d’une fourrure, tu te pèles et au bout d’un moment, en vertu du stoïcisme, tu ne te pèles plus.

 

Le petit déjeuner spartiate

Son ventre criait famine, elle avala deux yaourts, un boudin avec une galette à la sarriette.

 

La Sélection

Les enfants avancent au centre, accrochés à la tunique de leur mère, les père ne sont jamais présents. De part et d’autre se postent gérontes, éphores et commandants, chacun scrutant le groupe selon ses critères : les militaires jugent des morphologies, les dignitaires des comportements tous à la recherche de la mauvaise graine qui poussera de travers. Le branle du boiteux, la bosse du bossu, le débile ou la naine, toutes les cécités, les anomalies ayant pu échapper à l’examen de la première heure. Retenus depuis des jours à l’intérieur, les enfants exultent en plein air, leurs ébats et la lumière à plomb de midi révèlent mieux les tares de quelques déficients. Arrivés face au ravin, les autorités rendent leur verdict et les soldats balancent les indésirables du haut du précipice, scène qui grave à jamais dans le regard des autres la grandeur d’une société ou la gloire coule du sacrifice comme la rosée des aurores.

Encore une coutume sympathique : la Cryptie

Tous les ilotes, les esclaves sans exception sont aussi la cryptie- du verbe « cacher, se cacher ».
 la lumière du soir rase la campagne, tu es Spartiate. Quand l’aiguille du cadran solaire indique la dix-huitième heure ou que la trompe retentit du Temple, tu peux tuer tous les ilotes que tu vois de tes yeux, n’importe, en particulier ou au hasard, de tous âges, en déambulant ou en allant fouiller leur cabane, les fossés, les sous-bois, comme tu veux. La Cryptie n’est pas la guerre. Le nom de « Jour de guerre contre les ilotes » inventé plus tard par Plutarque n’est pas bon. À partir de la dix-huitième heure jusqu’à la dernière avant l’aube, beaucoup d’ilotes ne bougent pas de la place où ils sont, de l’arène de leur condition où vont surgir les fauves. D’autres emmènent leurs femmes leurs enfants se terrer le plus loin possible. Après avoir lâché ton outils, tu te sauves mais il n’y a pas d’abri. Les Spartiates ne hurlent pas, ne t’insultent pas en principe, les Spartiates donne la mort. Partout. En bande sanglante ou seul à seul.

Humour

Quand le Sénat l’envoie batailler au nord, il en profite pour aller soutenir son ami Isagoras, tyran d’Athènes, contre son peuple en rébellion. C’est un fou de guerre, un ivrogne – personne ne souligne jamais le rôle capital de l’alcoolisme dans l’Histoire de l’Humanité.

L’idéal de Sparte

L’espèce humaine est argileuse, malléable. Tout est mou chez l’homme, à part le squelette. Telle était la pensée de Sparte. À l’état de lui donner de la consistance, de forger, ciseler sa nature. Les plaisirs, les ou l’étude n’affirment pas un individu, seuls les gnons, l’endurance, l’adversité, toutes ces épreuves qui le menacent de n’être plus rien, le font entrer dans l’action d’où jaillit son destin.

Le style qui a fini par me lasser

La jeune princesse de Sparte se consola entre les bras solides de son époux, encore marqué par les stigmates de l’assassinat, on ne s’étonnera pas après ça que la reine Gorgô soit devenue parmi les premières féministes de l’humanité. Nul ne douta du récit de la mort héroïque de son père ni ne soupçonna le régicide perpétré par deux bourrins aussi bourrés que Cléomène. Plus étonnant encore, à la fin de cette journée où Sparte entra dans le simulacre officiel et renoua avec les Mythes, le conseiller Hypocoo fut élu au Directoire des éphores : le conseiller diplomatique passait ministre chargé des Affaires extérieures, acclamé de tous les Égaux sur l’agora, bien chauffés par les trente Gérontes. Quant aux jeunes frères du défunt automutilé, prince sans réputation, il fut désigné monarque à l’unanimité du Sénat lacédémonien sous le nom de Léonidas Ier. Seul Aphranax Cartas tirait la gueule. L’Histoire se détournait de lui. A dix pas, en revanche, sa mère participait à la liesse. L’éphore fraîchement élu était son ami, et le nouveau roi son amant. Son fils n’était pas prêt d’intégrer la garde royale des 300.
Le Destin de Léonidas vient de s’ébranler en même temps que l’Ère classique. Vers où ? Un gouffre, un triomphe, une marque de chocolat ? C’est ce qu’on appelle tout simplement : la suite.

La mort et la vieillesse

Quel retour des choses signifie la maladie sinon que souffrir et naturel et qu’on finit non seulement vaincu mais privé des joies de son existence ?

Le deuil et le veuvage

Ne pas être aller se recueillir depuis longtemps sur la tombe d’Artys lui manquait, le deuil génère une addiction au chagrin, bulle de souvenirs moelleux où le temps ne circule plus.

Réflexion

Pendant les cinq cents ans que durera la civilisation grecque, la terre, les ressources, les hivers ne furent pas plus facile ni cléments que durant les siècles suivants. Pourtant leurs annales évoquent rarement une famine. Chez les Grecs, si imparfaits, on pouvait manquer, avoir le ventre vide mais pas au point d’en mourir au porte de ceux qui mangent. Au temps modernes, famine et malnutrition furent la première cause de mortalité dans les royaumes d’Occident. Les victimes se chiffraient encore par millions dans l’Europe fertile du XVIIe siècle. L’espérance et la qualité de vie d’un forgeron sous Périclès était supérieure à celle d’un artisan du Val de Loire sous François 1er, deux mille ans plus tard. Pourquoi ? On ne sait pas.

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Je considère Dominique comme une bienfaitrice de l’humanité des lecteurs et lectrices. Je n’avais pas un moral extraordinaire et ce livre m’a fait beaucoup rire et m’a remis en forme. Pourquoi « une bienfaitrice » et non « la » bienfaitrice ? Car je donne également ce titre à tous les auteurs qui me font du bien . Cependant, les signaler à mon intention doit être récompensé comme il se doit ! Vous devez lire cet ouvrage, surtout si, comme moi, dans les musées, il vous est arrivé de mourir d’ennui en traversant certaines salles . Savoir que, si l’on porte un regard critique sur des chef d’œuvre (s’ils sont au Louvre, ce sont bien des chef d’œuvre non ?) on est en bonne compagnie, m’a fait un plaisir immense.

Avez-vous déjà remarqué le nombre de vierges à l’enfant qui tiennent très mal le bébé qu’on leur a mis dans les bras ? Si vous avez essayé de tenir le vôtre de cette façon, il serait à coup sûr tombé par terre. Peut-être qu’elle ne l’aimait pas tant que ça, ce bébé, et après tout, avec tous les soucis qu’il lui donnera plus tard, on peut la comprendre. Je suis aussi souvent agacée sur les remarques basiques que j’entends sur l’art de notre époque, pour ça aussi cela me fait du bien qu’on se moque des œuvres qui, bien qu’anciennes et consacrées, ne sont pas si bien construites que ça ! Je me demande si, depuis que ce livre est paru, des gens se promènent avec ce guide sous le bras et se tordent de rire dans cette vénérable institution en regardant ce genre de tableau et en lisant le commentaire qu’en on fait nos auteurs.

Pour vous donner un avant-goût de ce qui vous attend voici un exemple :

20160504_154547Il s’agit de l’enlèvement de Déjanire par le centaure Nessus 1755 peint par Louis Lagrenée (vous le trouverez Sully 2e étage. Vigier Le Brun salle 52)

Centaure et sans reproche

Au moins, on ne pourra pas dire reprocher à Louis Lagrenée de gâcher de la toile ! Il a incontestablement travaillé les effets de matière, à tel point qu’on ne sait plus quoi regarder : le paysage flou et sucré à l’arrière-plan, les muscles bien dessinés des athlètes sans maillot, les mètres de drapés virevoltants, sans oublier le crin blanc de la queue nerveuse du centaure, ni la transparence de l’eau.

Au premier plan, un homme âgé – quoique fort bien bâti- se roule part terre de dépit, tirant la queue d’un autre candidat, qui a tellement abusé des hormones que son corps en a été modifié, moitié cheval, moitié vache (notez la robe, si caractéristique des normandes). A l’arrière-plan, un candidat en plein effort. Certes, il appuie légèrement son pied gauche sur un rocher, mais il pourrait décocher ses flèches en faisant des pointes s’il le voulait tant il a travaillé ses quadriceps. Concentrons nous sur Dénajire : pourquoi avoir investi dans autant de tissu pour se retrouver un sein (fort beau d’ailleurs) à l’air ? Est-ce pour cela qu’elle arbore un air si tragique ou bien est-elle déçue d’être embarquée par le culturiste blond ? L’énorme jarre située en bas à gauche prend alors tout son sens : tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.

Grâce à ce tableau, Luis Lagrenée a été reçu membre de l’Académie royale de peinture. Autre temps, autre mœurs.

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Livre lu grâce aux billets de Mior et de Galéa, je les remercie pour cette lecture. Bien sûr , nous avons tous et toutes, lu beaucoup de livres sur la persécution des juifs pendant la guerre. Mais chaque cas est unique, et la grande originalité de ce témoignage c’est qu’il a été écrit à chaud , pendant et juste après les événements. Cela fait penser à « Suite française » de Irène Némirovsky, tout en étant moins littéraire c’est quand même très bien écrit. Françoise Frenkel a une passion : les livres et en particulier ceux des écrivains français. Grâce à des études littéraires de très bon niveau, à la Sorbonne, elle ouvre une librairie française à Berlin en 1921. Ce lieu devient vite, grâce à sa culture, un haut lieu de la civilisation française en Allemagne. Hélas les nazis détruiront ce beau rêve et malheureusement pour elle, son origine juive et polonaise la met en grand danger. En 1939, elle arrive à Paris, puis se réfugie à Nice, en danger partout elle veut fuir en Suisse où l’attendent des amis. Son récit s’arrête lorsqu’elle pose les deux pieds dans ce pays où elle a pu survivre. Elle raconte avec précision, d’abord sa joie de créer à Berlin un lieu de culture française, puis son exil dans une France trop vite occupée et enfin sa fuite vers la Suisse, cela permet au lecteur de partager le quotidien d’une femme qui cherche à s’échapper de la nasse qui se referme inexorablement sur elle et ses relations.

Elle nous montre toute la diversité des réactions des Français, ceux qui sont dans l’évidence de la main tendue, comme ce couple de coiffeurs, qu’on a envie d’embrasser tellement ils sont intelligents et gentils, et puis ceux qui sont indifférents ou hostiles, une gamme de réactions qui sonnent tellement vraies. Françoise Frenkel tient à souligner l’attitude des Savoyards, c’est dans cette région qu’elle a senti le plus de compassion et le maximum d’aides pour ceux qui étaient traqués par la milice ou la Gestapo. Un livre prenant donc et indispensable au moment où des hommes et des femmes sont à nouveau traqués par une idéologie mortifère.

L’introduction de Patrick Modiano est superbe, on comprend très bien pourquoi il s’est retrouvé dans ce témoignage lui qui a vécu la guerre sans la défense d’un milieu familial protecteur et qui a ressenti comme Françoise Frenkel, les valeurs humaines se déliter et le danger planer sur la moindre rencontre de personnalités plus ou moins bizarres. Il nous dit aussi que ce livre qui a paru en 1945 et qui a été totalement oublié ne livre pas l’intimité de l’écrivain mais que ce n’est pas si important. Mais, je dois être une femme de notre époque, car j’aimerais bien savoir, pourquoi elle ne nous parle pas de son mari, mort à Auschwitz, comment elle avait quand même un peu d’argent pendant la guerre, et surtout si de 1945 à 1975 elle a été heureuse à Nice. Oui j’aimerais en savoir plus sur cette femme si pudique et si courageuse.

Citations

Ambiance à Nice parmi les réfugiés

Un grand nombre de réfugiés se préparaient à l’émigration. Ils comptaient sur un parent plus ou moins proche, sur un ami, ou sur l’ami d’un ami, sur des connaissances établies dans de lointaines parties du monde et qui les aideraient, pensaient-ils, à réaliser ce projet.

Ils entretenaient une correspondance laborieuse, à mots couverts, lançaient des télégrammes coûteux, demandaient des affidavits, des visas, recevaient des réponses, des contre-demandes, des questionnaires, des circulaires qui engendraient une nouvelle vague de correspondance.

Ensuite, ils stationnaient des matinées entières devant les consulats pour apprendre que tel ou tel document manquait, n’était pas conforme aux prescriptions ou se trouvait inexact. Lorsque quelques-uns sortaient avec un visa, ils étaient regardés comme des phénomènes, comme des bienheureux !

Les départs étaient peu nombreux

L’exilé et la guerre

Le fond de cette existence était l’attente, canevas où un espoir toujours plus mince et une pensée de plus en plus morose brodaient ensemble des arabesques nostalgiques

L’âme humaine

Un fond de sadisme doit être caché en tout homme pour se dévoiler lorsqu’une occasion s’en présente. Il suffisait qu’on ait donné à ces garçons, somme toute paisibles, le pouvoir abominable de chasser et de traquer des êtres humains sans défense pour qu’ils remplissent cette tâche avec une âpreté singulière et farouche qui ressemblait à de la joie.

 Lu dans le cadre du club de lecture de ma médiathèque.

4
Livre très sympathique qui remonte le moral. Cela n’empêche pas l’auteur de décrire notre société de façon assez triste. Il se sert pour cela de la personnalité d’un vieil homme de plus de soixante dix ans qui refuse l’ensemble du modernisme. Son intérêt pour la société dans laquelle il vit s’est arrêté aux années 60. Depuis plus rien ne trouve grâce à ses yeux, ni les noms des voitures qui, d’appellations qui font rêver comme Caravelle, Dauphine, Ariane, sont passée à des mots qui ne veulent rien dire comme Scénic, ni les beauté féminines, son idéal féminin restera à jamais Grace Kelly, ni bien sûr les façons modernes de communiquer.

Lui restera pour toujours relié au monde avec un téléphone en bakélite noir avec un cadran que l’on tourne avec un doigt… Son fils va devenir père, et le roman raconte très bien les peurs du futur père et sa joie absolue devant le bébé fragile mais dont le regard est si présent. L’année des 6 ans du petit, le grand père le gardera un mois dans sa maison au coeur des landes. Le bonheur de ces deux être, aux deux bouts du temps de l’espace humain est touchant : ce petit fils saura séduire ce vieux grincheux , et le petit garçon aimera de toutes ses forces ce grand-père hors norme. Toutes les peurs dans lesquelles sont élevées les enfants d’aujourd’hui sont évoquées et si on comprend les parents, on est également du côté du « grand-paria » (nom qu’il s’est choisi et qui lui va bien), l’hyper protection dans laquelle sont élevées les enfants d’aujourd’hui, leur permettra-t-elle de grandir ?

Les personnages ne sont pas idéalisés, ils sont dans leur vérité. J’ai bien aimé que la maman de l’enfant, Leila, ne succombe pas au charme du grand-père : la conversation téléphonique où le grand-père explique que l’enfant a dormi dans le même lit que lui pour ne pas avoir de cauchemars est bouleversante. Elle a peur de l’inceste, et le grand-père est totalement choqué qu’elle ait pu penser à cela.

Le premier chapitre démarre par une scène dans le métro absolument inoubliable, elle fera sourire les parisiens et les provinciaux qui sont si heureux de ne jamais utiliser les transports en « commun » parce qu’ils sont communs justement ! (Ce n’est pas de moi, c’est une réflexion du grand père).

Citations

La télévision aujourd’hui

Encore ignore-t-il l’existence du rap et des émissions de téléréalité. Ne m’a-t-il pas déclaré tout récemment : « un jour, tu vas voir, ils vont foutre des caméras dans une maison et filmer des crétins à ne rien faire » ? S’il savait. Je n’ose rien dire. Je n’ai jamais osé.

La jeunesse d’aujourd’hui vue par le grincheux

– On montre son cul, on a des anneaux dans le nez, on mange avec les doigts, on s’exprime par borborygmes, on se tape dessus au moindre désaccord, on se trémousse sur des rythmes binaires…ça ne t’évoque rien ?

– Euh…

– Moi si : l’âge des cavernes. des siècles de civilisation pour en arriver là ! Ce n’est pas triste c’est effroyable.

 L’opinion du grincheux sur les médecins

– Tu as vu un ophtalmo ?

– Un type qui te regarde dans les yeux pour te prendre ton fric ? Même les femmes n’osent plus faire ça.

 Le masculin

Que tu dises non, non et non ! A force de ne plus être machos, vous êtes devenus manchots, ma parole, toi et les hommes de ta génération !

Petite leçon d’économie

Pourquoi acheter, toujours acheter, quand on peut faire durer les choses ? Pourquoi jeter, toujours jeter, grossir les décharges, quand on peut réparer ? Tu as remarqué que les verbes « jeter » et « acheter » étaient très proches ? Cette machine, je la jette, cette machine, je l’achète, ça sonne pareil … Et voilà comment la fuite en avant continue, et vas-y que j’achète , et vas-y que je jette , et tant pis pour la planète ! En plus ça rime ! Tu vois je suis un grand poète. Un grand poète paria.

On en parle

Livre-esse, Cathulu


Édition livre de poche.

Traduit de l’allemand par Alzir Hella

Et voici ma septième et dernière participation au mois « les feuilles allemandes » 2023, organisé par Eva et de livr’escapade

Versailles, conçu par Louis XIV comme « le forum maximum » de l’Europe devient sous Louis XV un simple théâtre d’amateur le plus artistique et le plus coûteux, il est vrai, que le monde ait jamais connu.

C’est le deuxième titre sur Luocine de ce grand auteur, après « Le joueur d’échec » voici sa biographie de Marie- Antoinette. Je dois cette lecture à ma plongée dans le travail fort intéressant de François Furet et Mona Ozoouf qui ont, ensemble, rédigé un dictionnaire de la Révolution français. À la rubrique Marie Antoinette, ces auteurs suggéraient la lecture de Stefan Zweig, je me suis empressée de suivre leur conseil. Une véritable révélation pour moi. Je me souviens qu’au lycée on m’avait conseillé cette lecture, mais le personnage de Marie-Antoinette me semblait tellement futile que je n’avais pas eu envie de lire cette biographie. Quelle erreur !
Ce livre est une somme de documentations incroyable et pourtant, n’est jamais ennuyeux. Il décrit très bien le gouffre qui sépare l’aristocratie du peuple. Celui-ci est soumis à un pouvoir qu’il respecte mais dans ce gouffre énorme où tant d’injustices fermentent, ces nobles oisifs, mesquins et avides sont bien incapables de ressentir les débuts d’une envie de changement puis d’une envie de révolte.
Marie-Antoinette a 15 ans quand elle arrive en France pour être mariée à un Louis XVI incapable dans un premier temps de consommer son mariage puis qui se révèle un homme indécis sans grande envergure. Il n’a qu’une envie qu’on le laisse tranquille et qu’on ne lui demande aucune décision compliquée. Hélas les caisses de l’état sont vides, et les dépenses incroyables de son épouse n’y sont pas pour rien. On connaît la suite, la convocation des États Généraux puis la révolution et ses excès.

Marie-Antoinette ne comprendra que très tardivement le rôle qu’elle aurait pu jouer. De la jeune femme adulée à qui on pardonnait tout il ne reste au moment de sa mort qu’une Autrichienne que l’on accuse des pires vilénies. (Elle sera accusée à son procès d’avoir eu des relations coupables avec son fils.)

Tout cela on le sait mais ce qui rend ce livre passionnant ce sont tous les portraits des gens qui ont entouré et souvent tellement profité de cette femme qui aimait tant s’amuser. Le portrait des nobles est sans concession et le futur Roi Louis XVIII est celui d’un arriviste qui n’a pas levé le petit doigt pour sauver son frère. La cour est remplie d’incapables qui ne pensent qu’à se hausser du col et à se nuire entre eux.
Malheureusement, le roi, qui est incapable de décisions et qui n’aspire qu’à la paix ne sait que faire de Versailles créé par Louis XIV. Lui, ce grand roi, avait réuni autour de lui tous les beaux esprits de son temps, déjà, Louis XV préférait ses plaisirs à tout ce décorum pesant. Mais son petit fils est porteur d’une fonction et d’un rôle qui ne lui va pas. Le rôle de Marie Antoinette aurait dû rester secondaire si son époux avait tenu le sien. Si elle a tant cristallisé les haines du peuple c’est que son côté futile était insupportable à une population réduite à la disette.
Stefan Zweig raconte bien aussi son amour pour le beau suédois Fersen, les lettres qui ont été retrouvées de leur relation épistolaire ne laissent aucun doute sur leurs sentiments.
En lisant cette biographie, l’été dernier, je me demandais s’il n’y avait pas un parallèle à faire entre cette période et la nôtre . Les classes populaires aujourd’hui, ne se sentent plus représentées par les gouvernants et comprennent des mouvements qui prônent la violence. Ce n’est pas rassurant !

 

 

Extraits

Les préparations du mariage.

 Au cours d’innombrables conférences des deux côtés du Rhin on pèse et discute d’épineuses et doctorales questions, comme celles-ci par exemple : quel nom sera cité le premier dans le contrat de mariage celui de l’impératrice d’Autriche ou du roi de France ? qui apposera le premier sa signature ? quels présents seront offerts ? quelle dot sera stipulée ? qui accompagnera la fiancée ? qui la recevra ? combien de gentilhommes, de dames d’honneur, d’officiers de garde, de premières et deuxièmes caméristes de coiffeurs, de confesseur, de médecins, de scribes, de secrétaires et de lingères doivent faire partie du cortège nuptial d’une archiduchesse d’Autriche jusqu’à la frontière, et ensuite d’une héritière du trône de France de la frontière jusqu’à Versailles ?
(…..) Et si un ordre royal n’avait pas fixé à l’avance de date précise, les gardiens français et autrichiens du cérémonial ne seraient même pas d’accord aujourd’hui encore sur la forme « exacte » du mariage ; et il n’y aurait pas eu de Marie-Antoinette, ni peut-être de Révolution française !

L’héritage de Louis XIV.

 Mais la force créatrice ne reste attachée à celui qu’elle veut combler ; la couronne seule est héréditaire, il n’en est pas de même de la puissance et de la majesté. Louis XV et Louis XVI héritiers de l’immense palais et d’un un état assis sur de vastes bases, sont des âmes étroites, faibles ou jouisseuses, rien moins que créatrices.

Le changement dû au succès.

 L’impression profondes qu’a faite sur Marie-Antoinette l’accueil parisien a changé quelque chose en elle. L’admiration renforce toujours l’assurance. Une jeune femme à qui des milliers d’hommes ont confirmé qu’elle est belle embellit encore dans la certitude de sa beauté ; il en va ainsi de cette fillette intimidée qui jusqu’ici s’était toujours sentie étrangère et inutile à Versailles

Marie Antoinette, Reine.

 Être reine pour Marie-Antoinette, c’est pendant les années d’insouciance être la femme la plus admirée, la plus coquette, la mieux parée, la plus adulée et avant tout la plus gaie de la cour ; c’est être l’arbitre des élégances, celle qui donne le ton à cette société aristocratique extrêmement raffinée qu’elle prend pour l’univers.

Lanceuse de mode.

 Les troubles dans le pays, les discussions avec le parlement, la guerre avec l’Angleterre émeuvent bien moins cette cour vaniteuse que le nouveau brun puce mis à la mode par Mlle Bertin, qu’un tour particulièrement hardi donné à la jupe à paniers, ou que la nuance d’une soirie nouvelle créée à Lyon. Toute dame qui se respecte se sent obligée de suivre pas à pas ces singeries et extravagances, et un mari dit en soupirant : « Jamais les femmes de France n’avaient dépensé tant d’argent pour se faire ridicules ».

Le prix du naturel.

 Bien entendu, Marie Antoinette elle aussi veut un paysage « innocent ». Elle réunit donc les artistes les meilleurs, les plus raffinés l’époque, afin qu’ils s’ingénient à force d’artifices, à lui créer un jardin supra- naturel.

L’accouchement de la reine.

 Car selon la coutume séculaire et consacrée l’accouchement d’une reine de France n’est nullement quelque chose de privé ; cette épreuve douloureuse doit se dérouler d’après des règles immémoriales en présence des princes et princesses et sous le contrôle de la cour. Tous les membres de la famille royale, ainsi qu’un grand nombre de hauts dignitaires, ont le droit d’assister à la délivrance dans la chambre même de la femme en couches et aucun d’eux, bien entendu, ne songe le moins du monde à renoncer à ce privilège barbare et anti hygiénique.

Peu de considération pour les nobles qui ont soutenu la révolution.

 La reine n’a-t-elle pas lieu de se méfier, quand elle voit que ce sont justement les plus endettés et les plus discrédités parmi les aristocrates, les plus corrompus, tels Mirabeau et Talleyrand qui les premiers sentent leur cœur battre pour la liberté ? Comment Marie-Antoinette pourrait-elle imaginer que la Révolution soit une chose honnête et morale, quand elle voit l’avare et cupide duc d’Orléans, prêt à toutes les affaires malpropres s’enthousiasmer pour cette nouvelle fraternité ? Quand le favori de l’Assemblée nationale est Mirabeau, ce disciple de l’Arétin tant par la corruption que par la littérature obscène, cette lie de la noblesse qui après avoir fait toutes les prisons de France pour enlèvement et autres histoires louches a ensuite vécu d’espionnage ?

 

La fuite à Varenne :

(Stefan Zweig n’a vraiment aucune considération pour le roi.)

 La reine s’est assise sur une chaise et a baissé sa voilette ; personne ne pourra se vanter d’avoir vu sa colère et son amertume. Seul le roi, tout de suite à l’aise, se met tranquillement à table et se taille de bons morceaux de fromage. Personne ne parle.


Édition Babel Acte Sud . Traduit du Norvégien par Françoise Heide

C’est ma soeur qui m’a prêté ce roman et ce livre m’a procuré un grand plaisir de lecture. Cela fait longtemps que je ne suis pas partie grâce à un livre, dans une région lointaine, si hostile et dans le passé. Connaissez vous les églises que les français appelle « église au bois debout » ou « starkike » en danois ou « Starkyrkje » en norvégien ?

 

Lars Mytting décrit avec une grande minutie, la construction de ces églises aux environs du XI° siècle et leur sort à la fin du XIX° siècle. Elles ont failli complètement disparaître car elles étaient sombres et pas assez grandes pour accueillir les nombreux fidèles. Mais surtout ce qui ne se disait qu’à demi-mot, c’est qu’elles avaient été construites au début de la christianisation de la Norvège. Les habitants avaient fait un mélange des forces qu’ils imploraient traditionnellement, les dieux qui les avaient toujours protégés et ce nouveau venu le Christ. C’est pourquoi ses églises sont décorés de serpents monstrueux et de dragons crachant du feu.

Son roman est consacré à une de ces église, un jeune pasteur énergique a le projet de la vendre aux Allemands qui veulent la reconstruire à Dresde. L’architecte allemand qui vient dessiner cette église tombera sous le charme de cette incroyable exploit des bâtisseurs du Moyen-âge et ne sera pas insensible à celui de la jeune Astrid… L’église de la paroisse de Butagen, endroit très isolé de la Norvège, a de plus un charme particulier, liée à une histoire tragique : lors de sa construction, des sœurs siamoises reliées par le bassin ont vécu dans ce village, tout le monde les aimait et à leur mort, leur père désespéré fera fondre deux cloches (d’où le titre du roman) en y ajoutant tout l’argent de la maison, ce qui leur conférera un son très particulier.

Les descendants de cette histoire habitent toujours le village et dans la ferme des Hekne, en 1880, les gens ne sont pas riches mais sont considérés dans le village. La jeune Astrid, la jeune fille de la ferme, mettra toutes ses forces et son intelligence dans la bataille pour garder son église ou au moins les deux cloches. C’est une période très pauvre pour la Norvège et l’hiver tout le monde, est à la limite de la survie, on assistera à la mort de froid d’une vieille femme lors de la messe du nouvel an. Une messe trop longue du jeune pasteur, ce qui le confortera dans son idée qu’il faut démolir cette bâtisse et construire une église plus confortable. Le froid et la faim sont le quotidien des villageois et les idées nouvelles du pasteur ne sont pas les bienvenues, même si c’est pour leur « bien ». Il souhaite que chaque paroissien puisse être enterré, en ayant le droit à une messe, mais que faire des cadavres quand on ne peut pas creuser la terre. Il lutte aussi contre les superstitions mais contre le malheur qui s’abat si souvent sur eux les Norvégiens préfèrent se protéger avec les deux croyances celle de la religion chrétienne et celle des dieux de leurs ancêtres. Tout le roman nous permet de découvrir les mœurs des Norvégiens de cette contrée à la fin du XIX° siècle. C’est passionnant et même si leur vie est dure le roman ne tombe pas dans la tristesse, c’est une lecture qui curieusement reste gaie alors que la réalité est sombre et souvent tragique

Astrid sera aimée par les deux hommes apportant (peut-être) le progrès : le pasteur et l’architecte allemand. Évidemment, ce ne sera pas sans conséquence sur son destin.

Le personnage principal de ce roman reste cette église qui doit être déplacée à Dresde en Allemagne. Je ne sais pas si c’est historique, mais ce que j’ai pensé tout au long de cette lecture, c’est que je regrettais qu’aucun écrivain français, ayant le talent de conteur et d’historien de Lars Mytting , ne se soit penché sur ce qui s’est passé à la même époque en Bretagne : combien de petites églises romanes ont été complètement démolies pour laisser place à de grandes églises triomphantes qui sont complètement vides aujourd’hui. Les rares chapelles anciennes qui ont résisté au renouveau de la foi, après la révolution française, sont si jolies et attirent les touristes contrairement à ces énormes bâtissent sans aucun charme .

Un excellent roman dont j’ai recopié tant de passages pour essayer de ne pas oublier cette lecture qui m’a enchantée, et j’espère que vous apprécierez l’humour particulier de cet auteur.

 

Citations

Les églises traditionnelles.

 Pour les piédroits et la charpente, on avait utilisé les immenses pins qui poussaient alors dans le Gudbrandsdal, et comme le voulait la coutume dans tout le pays, on avait abondamment décoré l’édifice de motifs légués par les vieilles croyances païennes, ce qui donnait une sorte de christianisme repeint, façon demeure de chefs vikings. Il avait fallu aux menuisiers un été entier pour sculpter les serpents de mer, et autres enjolivures qui avaient fait leurs preuves depuis l’époque norroise. L’extérieur du porche était agrémenté sur toute sa hauteur de figures léonines aux longs cous et un énorme reptile se contorsionnait autour de la porte d’entrée. De chaque côté du retable se dressaient des colonnes de bois dont les chapiteaux avaient pris la forme de masque barbus, effigies de vieilles divinités qui roulaient des yeux sans pupilles. Tout ceci avait pour but de défendre la paroisse contre les forces du mal, telles que les Norvégiens les avaient combattus depuis des centaines d’années. Les artisans avaient pris soin d’intégrer tous les dieux à leur œuvre et de leur rendre justice à égalité, pour le cas où Thor et Odin auraient pu conserver quelques pouvoirs

L’idéal féminin norvégien .

 Astrid, elle, était longiligne, osseuse de corps et de visages, avec des cheveux bruns et frisés. Dans une autre contrée, elle eût pu passer pour jolie. « Belle », dirait peut-être celui qu’il lui fallait, qui saurait apprécier l’inclinaison singulière de ses sourcils, sa façon de relever le menton, la couleur dorée dont se teintaient ses bras au soleil. Mais après ses deux refus, l’aîné des Hekne n’était plus dans la rumeur publique qu’une jeunesse têtue et ingouvernable. La sagesse matrimoniale favorisait les filles aux mains grossières qui se taisaient en ployant sous la besogne, mettaient des enfants au monde sans manières, et retournaient droit à l’étable en laissant derrière elle le délivre encore fumant.

Une région en retard.

 Les temps nouveaux faisaient lentement leur chemin. Butangen était en retard de vingt ans sur les bourgs avoisinants, eux-mêmes en retard de trente sur les villes de Norvège, laquelle marchait cinquante ans en arrière sur les traces du reste de l’Europe.

Différence entre les ports et la campagne.

 Les choses ne se passaient pas comme sur la côte, ou la placidité des mœurs souffrait de dilution. La faute en revenait aux marins des bords de la Méditerranée, débarqués pour cause d’avaries, et qui quittaient le port où ils s’étaient réfugiés en laissant, dans le ventre des jeunes filles, de menus cadeaux d’où sortiraient des gamins coléreux à la chevelure de jais. La vie d’ici se passait dans le périmètre des enclos, au fil de la paisible et régulière valse des saisons.

La sonorité des cloches.

La sonorité des cloches jumelles éveillait ni mélancolie ni angoisse. Dans chaque battement palpitait un cœur vivant, la promesse d’un printemps meilleur, une résonance teintée de longues et noble vibrations. Leurs notes pénétraient les âmes, emplissaient les têtes de chimères, attendrissaient les plus endurcis des hommes. Pour peu que le sonneur fut habile, il pouvait transformer les sceptiques en fidèle paroissiens, et si le timbre de ses cloches avait tant de pouvoir, c’est qu’elles étaient « de bon aloi ». Cette expression désignait alors une coutume dispendieuse, qui consistait à ajouter de l’argent à l’alliage au moment de le couler. Plus on mettait du précieux métal plus le son serait beau.

Bavardages norvégiens !

Malgré son terrain accidenté et ses petites proportions, la vallée était abritée et lumineuse, et ceux qui y séjournaient, s’ils poussaient un peu plus loin vers le nord, pouvaient à l’occasion avoir quelques commerces avec les gens de Brekkom et d’Imsdal, sous la forme d’un signe de tête ou d’un salut de la main, à bonne distance.

La mère du Pasteur .

 Sa mère, cette maîtresse femme, la plus vêtue de noir de toutes les veuves qu’on eût jamais vu dans les réceptions de Noël, lui avait inculqué depuis sa plus tendre enfance l’importance d’une « vie réussie ».

Tout se sait au village.

Kai Schweigaard ne mesurait pas jusqu’où pouvait fouiner l’indiscrétion des gens du village. La rumeur s’emparait avec la rapidité de l’éclair de tout ce qui sortait du rang, observait, soupesait avec autant d’ardeur que s’il se fût agi de trouver l’issue la plus sûre pour fuir un incendie. 

Question intéressante !

Il s’était parfois posé une question inavouablement déplaisante : comment il se faisait qu’il pût trouver intéressantes les odeurs sécrétées par son propre corps – sueur, pets matière fécale-, ou du moins ne pas en être dégoûté sur le coup, quand les miasmes d’autrui le faisait reculer.

Bien vu… !

Astrid, il le savait n’était pas faite pour devenir épouse de pasteur. Trop spontanée, trop féminine, trop exigeante. Il lui manquait la qualité principale qu’on attendait d’une femme de tête : savoir obtenir ce qu’elle voulait en faisant croire aux homme que l’initiative venait d’eux .

Les enfants sans père .

 « Eh bien tu nous as mis dans de beaux draps », s’exclama la mère et elle eut tout dit. Les enfants sans père était mal venus, mais les gens du commun parmi tous les maux du monde, y voyait un accident moins grave que si le cheval fût mort de coliques. 

Amusant.

 On avait réuni les attelages près de la grange. Des hommes en paletot de fourrure se mettaient au travail. La plupart affichait la marque universelle de la compétence chez les transporteurs au long cours : une barbe fournie.

La tristesse.

 « Tout ira bien, lui dit-il. S’il arrive quelque chose, la sage-femme ou moi, nous prendrons des décisions pour vous. Nous vous délivrerons et de la mort et des souffrances.
– Mais pas du chagrin.
 – Non. Contre le chagrin, nous ne gagnons jamais, nous ne pouvons même rien contre lui.

Les paroles de son grand père .

 Demande toi quelle remembrance tu aimerais laisser de toi Astrid. Quand on conte la vie de quelqu’un et que les ans ont passé, la place manque pour en dire long. De moi, je ne crois pas qu’on se ressouvienne. Sauf pour m’être efforcé d’avoir bon cœur, peut-être, mais ça ne donnera guère une histoire. Ce que les gens gardent en mémoire est coulé dans le métal ou fabriqué en bois, ou bien tissé ou peinturé, ou bien écrit. La mauvaiseté et la sottise aussi peuvent rester, quand on les étale en grand.


Édition Métaillé .Traduit de l’espagnol (Colombie) par François Gaudry

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un proverbe arabe

Ce que ton ennemi ne doit pas savoir ne le raconte pas à ton ami 

J’ai vu ce roman sur plusieurs blogs, je ne l’avais pas retenu car je suis réticente à lire de la littérature d’Amérique latine. Le côté fantastique et les exagérations épiques, qu’on y trouve souvent, ne correspondent pas à mon cartésianisme français bien ancré. Mais j’aurais eu vraiment tort de passer à côté de ce livre qui était au programme de mon club de lecture dans le thème « la maison ».

Il s’agit effectivement d’une déambulation dans une maison à Bogota que l’auteur/narrateur a achetée grâce à un prix littéraire où il va habiter avec la tante qui l’a élevé après le décès brutal de ses parents dans l’incendie de leur maison. La maison s’efface par rapport aux souvenirs souvent dramatiques de l’auteur. Il raconte son rapport aux femmes, au sexe, à l’alcool. Il décrit les ravages de l’alcool , de la drogue et surtout de la misère. On comprend mieux en lisant ce livre pourquoi les habitants d’Amérique Latine qui ont un peu de coeur sont tentés par des régimes politiques qui renversent des régimes soi disant démocratiques qui en fait soutiennent une caste de gens extrêmement riches exploitant sans vergogne la misère de leur propre peuple.

Sa tante bénéficie d’un poste dans le monde des structures internationales qui lui permet de vivre dans le le luxe des statuts des fonctionnaires internationaux. Lui, il la suit et il bénéficie d’une éducation de très bonne qualité et d’une ouverture au monde très originale. Dans sa dénonciation des injustices, s’il décrit bien le statut de privilégié de sa tante, il ne fait pas assez à mon goût, le parallèle avec la misère du monde. Toutes ces associations s’occupant de la misère du monde reçu dans les hôtels 5 étoiles m’ont toujours dégoutée.

Certaines pages de ce roman mériteraient cinq coquillages, mais la structure du récit m’a semblé artificielle. Le rapport entre les différentes pièces de la maison et ses souvenirs n’est pas évident. Je n’ai pas aimé non plus la fin du récit complètement inutile à mon avis. Bref, si je n’ai pas trouvé ce côté fantastique qui me dérange souvent la fin est bien dans l’exagération que je n’aime pas. Mais j’ai été bouleversée par bien des pages de ce livre.

 

Citations

 

Pour tous ceux qui pensent que prendre de la drogue c’est festif. ( Lucho, cocaïnomane, son mari a ramené sa maîtresse vivre chez sa femme et son enfant)

 Parfois, la femme venait dans la cuisine lui donner son linge à laver, surtout des culottes pisseuse et merdeuses car sous l’effet du crack ses sphincters se relâchaient et elle souffrait d’incontinence. (…) Jusqu’à ce qu’un jour Elvira parte avec son fils chez sa mère et demande le divorce. Lucho accepta mais demanda en échange une pension car selon lui un artiste était comme un enfant il y avait besoin de protection.
 Grâce à Dieu, dit Elvira, le juge aux affaires familiales n’était pas un imbécile et il a refusé cette demande aberrante, en plus, il lui a interdit tout contact avec l’enfant avant d’avoir subi une cure de désintoxication, dûment certifiée, pendant au moins deux mois, ce qu’évidemment Lucho n’a jamais fait.(…)
 Trois ans plus tard, la police l’appela pour lui dire que son ex-mari avait été retrouvé mort d’une overdose, il s’était injecté une drogue très pure, peut-être de l’héroïne, et le plus incroyable est qu’il vivait encore avec cette femme qui s’était installée chez eux. Une vieillarde édentée et rachitique.

La violence en Colombie .

 Une nuit les cadavres de son grand-père et de son grand-oncle, des leaders libéraux, avaient été retrouvés décapités sur un chemin vicinal. Ce qui convainquit son père qu’il devait prendre au sérieux les menaces et partir, en abandonnant aux conservateurs ses deux champs cultivés et sa maison et « se déplacer » -un mot plus fréquent en Colombie que celui de « tomate »- vers une zone libérale.

Mon chanteur préféré.

 Elle nous a dit qu’elle avait obtenu une bourse au Canada et qu’elle venait nous faire ses adieux. Je l’ai remerciée et lui ai offert un cadeau, un livre sur les origines de la ville de Québec et un CD de chansons de Léonard Cohen. « C’est ce que les Canadiens ont fait de mieux, je lui ai dit. À ma connaissance ils n’ont rien produit de plus intéressant. »

Regard d’homme sur un corps de femme.

 Son corps était dans cette phase où, redressé et bien droit, ses rondeurs étaient alors à leur place, car lorsqu’elle était couchée sur le côté ou assise apparaissaient bourrelets et embonpoint contrariantes. Son ventre, comme chez toutes les femmes ayant eu des enfants était flétri ; sous son nombril s’était formé un tourbillon de peau très fine, comme de colophane froissée, qui descendait jusqu’au pubis et s’arrêtait à la cicatrice d’une césarienne ; elle avait des vergetures aux hanches et aux soins, des rides et des plissements violacés autour des yeux. Ses cheveux se décoloraient a la racine. 
En somme c’était une belle femme mûre.

La vodka et le sexe.

« La vodka, c’est ce qu’il y a de mieux pour ouvrir et lubrifier le sexe des femmes. Pourquoi crois-tu que nous autres les Slaves on boit de la vodka ? La femme slave est belle mais un peu froide, petit, n’oublie jamais ça. Elle a besoin d’un peu de chaleur artificielle. C’est comme avec la plomberie : il faut chauffer un peu les tuyaux avant de les travailler. Le sexe, c’est la plomberie du corps, la théorie des fluides du corps. Ça t’aidera aussi pour bander dur et longtemps, tu me suis ? Ces cavités féminines, qui malgré la vodka garde un encore un peu du vent glacé de l’Oural, ont besoin d’un bon cierge pascal, d’un totem dressé, d’un pistons de lave qui ne perd pas sa chaleur tu piges ? Quand tu le fourres dans une Slave la température de ton corps baisse de quatre degrés. »

Face à la misère sordide de Bogota .

 En les voyant, j’ai désiré profondément qu’il existe un dieu auquel ils demanderaient des comptes, qu’ils assiéraient sur le banc des accusés pour le juger et le condamner sévèrement. Pourquoi as-tu abandonné ainsi tes enfants ? il y a longtemps qu’il aurait dû y avoir un procès de Nuremberg pour Dieu. Le plus probable s’il existait, est qu’IL serait condamné à être fusillé pour avoir trahi le peuple qui l’aime. Mais c’est absurde. Les gens qui ont le moins de raison d’aimer la vie parce qu’ils sont relégués dans un triste recoin de la planète sont précisément ceux qui croient le plus en lui et lui rendent grâce, ceux qui prêchent le plus et adressent la prière à l’air sale et puant des villes. Prières, on le sait bien que personne n’écoute qui n’intéressent personne. 

Réflexion sur l’argent .

 Je m’habituai à vivre ainsi, envoyant apparaître des chiffres rouges dans mes rêves, et je dois dire que j’étais le plus souvent heureux, même si à la fin de chaque mois sonnait l’alarme du découvert, surtout lorsque je découvrais que la totalité de mon salaire de suffisait pas à le couvrir. Je compris alors qu’être pauvre coûtait cher. On passe son temps à payer des intérêts et des pénalités, et à demander un prêt pour payer les intérêts, plus les intérêts d’un nouveau prêt pour acheter une voiture d’occasion qui tombe souvent en panne, et comme je n’avais pas d’assurance tous risques, la plus chère, les réparations étaient à mes frais. Être riche coûte réellement moins cher.

 


Éditions Le Dilettante . Couverture Camille Cazaubon.
 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

J’ai indiqué le nom de la personne qui a imaginé cette couverture car elle m’a bien plu. Dans le grand rond, le titre je vais l’expliquer dans mon billet, mais dans tous les petits ronds d’autres chiffres et peut-être vous amuserez vous comme moi, et la bibliothécaire du club de Dinard à en trouver la signification – pour 1515, ok nous sommes nombreux mais pour 8848 ?- . (Je me demande ce que Goran aurait pensé de cette couverture ?)

Mes coquillages parlent pour moi : ce roman a su me séduire et pourtant j’ai quelques réserves. Je trouve que les personnages manquent d’humanité , la compagne du « héros » montre l’étendue de ses sentiments, seulement au dernier chapitre.

Revenons à l’histoire : François est un haut cadre chez Google France, il gagne très bien sa vie, il est divorcé et père d’une adolescente peu sympathique, il va de conquête en conquête, bref tout va bien pour lui. Sauf que … il va avoir soixante ans et il est absolument terrifié par la vieillesse. Heureusement, il fait beaucoup plus jeune que son âge.

La fiction peut commencer, dans une société où on peut demander à changer de nom, de sexe pourquoi ne pas demander à changer de date de naissance et se rajeunir de quelques années. François fera calculer son âge par un algorithme mis au point par une toute nouvelle société : « Humanprog » et découvrira que son âge biologique est de trente neuf ans et quatre mois.- d’où le titre 39,4.

On le comprend bien ce roman est l’occasion pour cet auteur dont j’ai très envie de lire le premier roman (Panne de secteur), de se moquer de la peur du vieillissement. Il le fait avec un don incroyable, celui de saisir tous les travers de notre société. Je pense que son poste d’observation de professeur et chef de clinique dans un grand hôpital parisien lui donne accès aux grandeurs et aux petitesses de l’âme humaine. La scène chez le chroniqueur Ruquier est tellement vraie, le pauvre philosophe qui veut simplement dire que finalement nous mourrons tous et la façon dont une chroniqueuse le renvoie « à la niche » sans lui permettre de s’exprimer est d’une tristesse qui n’a d’égale que celle que nous éprouvons parfois quand nous regardons les intervenants sur les plateaux de télévision mettre en pièce un philosophe ou un scientifique qui ne parle pas le langage à la mode du petit monde parisien.

Le style de cet auteur est très particulier, il avait, semble-t-il rebuté des lecteurs par un goût prononcé pour des mots rares de la langue française, il le fait ici aussi mais ça ne gène pas la lecture. Je ne suis pas certaine que je me souviendrai de

 un quérulent processif 

Bien que l’auteur en donne l’explication dans la fin de sa phrase :

François se trouver présenté comme un quérulent processif, l’un de ces illuminés en proie à un délire de revendication destiné à redresser un dommages fictif.

 

Ce n’est pas un roman que l’on lit facilement car souvent on doit rester concentrer pour savourer ce qu’il va nous décrire et comme hélas ce qu’il nous raconte sont les côtés les plus superficiels et les plus tristes de notre société, le lecteur (en tout cas moi) est un peu sonné par sa lecture. On rejoint mon bémol du début, je suis certaine que même chez les bobos parisiens il y a plus d’humanité que ce qui est décrit par Philipe B Grimbert. (à ne pas confondre avec un autre Philippe Grimbert !)

(PS : lors de notre réunion du club de lecture 7 avril, une lectrice a exprimé son dégoût de ce roman, car elle trouvait le personnage absolument « machiste », ce qui est vrai, mais à aucun moment l’auteur n’a de la sympathie pour son personnage . Et pour moi j’y ai vu surtout une condamnation du machisme de ces hommes qui ont tout réussi en même temps qu’ils gardent une apparence physique digne de la jeunesse. Et finalement la seule personnage sympathique sera la femme qui clôt l’histoire. Mais si vous lisez ce livre j’ai hâte de savoir comment vous interprétez les intentions de l’auteur )

 

Citations

Portrait de la chroniqueuse chez Ruquier.

Elle était à cet instant semblable à ces chiens de combat musculeux de petite taille qui paraissent trouver dans l’obturation déterminée de leur mâchoire sur leur proie, le point d’équilibre et de justification de l’ensemble de leur personnalité. elle s’était saisie du vieux philosophe, lui agrippait un morceau de chair pendante avec une telle puissance qu’il paraissait improbable, même en la soulevant dans les airs, de lui faire lâcher prise.

Et fin de l’émission

 François et Jehan regagnèrent les coulisses, laissant sur le plateau Jacques Hofstein et son regard aussi expressif qu’une feuille de papier journal froissée. L’assistante leur assura qu’ils avaient été « top » avec une pointe d’audimat enregistrées pendant près d’une minute quarante. On entendit une voix lointaine l’animateur introduire les invités suivant pour un débat consacré à « l’insémination des vaches laitières et ses relations avec notre culture du viol ».

Quel art de la formule.

À part quelques épidémies virales gérontophages on continuait à s’enliser dans la comptabilité marécageuse des régimes de retraites et les dernières réformes, illustrées du slogan tout droit sorti du cerveau d’un énarque facétieux « travailler plus longtemps pour vieillir moins lentement  » laissant craindre une nouvelle secousse tellurique. 

La description des urgences de Cochin sent le vécu.

 Il s’était bêtement tordu une cheville un dimanche matin en plein footing et, craignant une entorse grave, s’était rendu aux urgences de l’hôpital Cochin. Arrivé vers 11heure , il avait quitté les lieux à 19 heures armé d’une ordonnance pour du Doliprane rédigé par un interne moldave qui l’avait examiné d’un air flapi. Bien avant cela, il avait patienté dans une salle d’attente surpeuplée, à côté d’un vieillard couché sur un brancard, qui répandait autour de lui une forte odeur d’urine ne semblant même plus incommoder la femme usée qui lui tenait la main. Le sol était maculée de taches diverses et, tous les quarts d’heure, une voix de femme annonçait en hurlant le nom de la personne invitée à s’approcher de l’office où trois infirmières s’affairaient. Tout autour se tenait une foule composite d’adultes seuls ou de familles. Un peu à l’écart s’agglutinaient en grappes près d’une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants autour d’un homme d’une soixantaine d’années coiffé d’un feutre vert élimé. Le voisin de François l’informa, avec le ton résigné d’un homme rompu à la fréquentation des lieux, qu’il s’agissait du patriarche d’une famille de gitans donc les avatars culturels l’incitaient à ne jamais se déplacer à l’hôpital sans la totalité de son « cheptel ».

Quel regard acerbe ! Paris était envahi par les manifestants « gilets jaunes ».

 Par le plus grand des hasards et pour le plus grand bonheur de François, Jehan Lamarc et Tigrane Fanfard s’étaient vu empêcher l’accès au théâtre du Rond-Point pour l’un et à la fondation de Louis Vuitton pour l’autre. C’est ainsi qu’un miracle se produisit. Unis par la frustration dominicale, tels deux naufragés d’une croisière de luxe échoués sur une plage de Sicile parmi les clandestins, la glace se brisa.

« Baiser » avec une grand mère.

 Il venait de baiser avec une grand-mère. Une vision d’effroi le parcourut comme un frisson. Celle du loup dans « le petit chaperon rouge » après qu’il eut ingurgité la mère-grand. François avait toujours redouté que la vieille, ses os décalcifiés est sa chair avariée, intoxique gravement l’animal. Il se sentit fiévreux. Moins d’une minute plus tard il traversait au pas de course la cour de l’amphithéâtre, les lacets défaits, la chemise hors du pantalon, la conscience souillée comme s’il venait de s’adonner à un acte de haute perversité, et sitôt rentré chez lui, se nettoya avec frénésie pour effacer les traces de cet acte odieux.

Le tourisme écologique.

 Bien que presque tout, jusqu’à l’eau, fût importé de Casablanca ou d’autres villes du Maroc par avion, hélicoptère et puissant 4×4, l’ensemble du village affichait son esprit « éco-friendly ». Cela se traduisait par une absence de papier hygiénique et de télévision, l’utilisation exclusive de serviettes recyclables, une politique zéro plastique et un club enfant écopédagogique même si, élément appréciable, il n’y avait aucun enfant en ce milieu.

La vieillesse et la dépendance.

 En écoutant les récits de certains de ses amis sur les fin de vie pathétiques de leurs propres parents, François réalisait la chance qu’il avait eue. Il avait échappé au dimanche en EHPAD, aux vacances bouleversés par les aléas médicaux, sans parler des conséquences financières, les sommes exorbitantes avalées pour maintenir des vieillards grabataires et énurétiques « dans le confort et la dignité », qui entamaient parfois de façon drastique le montant des héritages futurs.

Le vieillissement.

 Outre le fait que la majorité de ses fréquentations, passé le demi-siècle, se trouvaient engagées dans une relation exclusive avec une hypertrophie de la prostate, un carcinome mammaire ou les prodromes d’une ischémie coronarienne, beaucoup exhibait un intérêt nauséabond, qui suintait comme un exsudat dans leurs conversations quotidiennes, pour la fréquence de leur coloscopie, la grandeur d’âme de leur urologue, ou le talent démiurgique de leur nutritionniste.