Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sarah Gurcel

 Je dois la lecture de ce livre à Philippe Meyer (avec un « e » à Philippe) il anime une émission que j’écoute tous les dimanches matin, « L’esprit public » , elle se termine par une séquence que j’attends avec impatience celle des « brèves » où chaque participant recommande une lecture, un spectacle, un CD. Un jour Philippe Meyer a recommandé ce roman et ses mots ont su me convaincre. Je profite de billet pour dire que la direction de France-Culture, après avoir censuré Jean-Louis Bourlanges, évince Philippe Meyer en septembre. Je ne sais pas si des lettres de protestations suffiront à faire revenir cette curieuse direction sur cette décision, mais j’engage tous ceux et toutes celles qui ont apprécié « L’esprit public » à écrire à la direction de France-Culture.
J’ai rarement lu un roman aussi éprouvant. J’ai plus d’une fois pensé à Jérôme qui, souvent s’enthousiasme pour des écritures sèches décrivant les horreurs les plus absolues. C’est exactement ce que j’ai ressenti lors de cette lecture. Les massacres de la famille du colonel McCullough par les Comanches, celui de la famille Garcia par les rangers américains sont à peu près insoutenables parce qu’il n’y a aucun pathos mais une précision qui donne envie de vomir. Ce grand pays est construit sur des monceaux de cadavres. Je suis restée une quinzaine de jours avec les trois personnages qui, à des époques différentes, finissent par décrire exactement d’où viennent les États-Unis. L’ancêtre Elie McCullogh est né en 1836, il vivra cent ans et établira la fortune de la famille. Son passage chez les Comanches fera de lui un redoutable prédateur mais aussi un homme d’une intelligence remarquable. Son fils Peter né en 1870 ne se remettra jamais de l’assassinat par son père et ses amis de la famille Garcia des Mexicains qui avaient 300 années de présence à côté du ranch de son père, eux-mêmes avait, évidemment auparavant, chassés les Indiens. Enfin, la petite fille de Peter Jeanne-Anne McCullogh née en 1926, enrichie par le pétrole et qui sera la dernière voix des McCullogh.
La vie chez les Comanches est d’une dureté incroyable et n’a rien à voir avec les visions romantiques que l’on s’en fait actuellement. Mais ce qui est vrai, c’est que leur mode de vie respectait la nature. La civilisation nord-américaine est bien la plus grande destructrice d’un cadre naturel à l’équilibre très fragile. Entre les vaches ou le pétrole on se demande ce qui a été le pire pour le Texas. Lire ce roman c’est avoir en main toutes les clés pour comprendre la nation américaine. Tous les thèmes qui hantent notre actualité sont posés : la guerre, la pollution des sols, le racisme, le vol des terres par les colons, la place des femmes.. mais au delà de cela par bien des égards c’est de l’humanité qu’il s’agit en lisant ce roman je pensais au livre de Yuval Noah HARARI. C’est une illustration parfaite de ce que l’homme cueilleur chasseur était plus adapté à son environnement que l’agriculteur.

Citations

PREMIÈRE PHRASE

On a prophétisé que je vivrai jusqu’à cent ans et maintenant que je suis parvenu à cet âge je ne vois pas de raisons d’en douter.

Humour

On sait bien qu’Alexandre le Grand lors de sa dernière nuit parmi les vivants, a quitté son palais en rampant pour tenter de se noyer dans l’Euphrate, sachant quand l’absence de corps son peuple le croirait monter au ciel parmi les dieux. Sa femme l’a rattrapé sur la berge ; elle l’a ramené de force chez lui où il s’est éteint en mortel. Et après on me demande pourquoi je ne me suis jamais remarié.

La dure loi du Texas

 » C’est comme ça que les Garcia ont eu leur terre, en se débarrassant des Indiens et c’est comme ça qu’il fallait qu’on les prenne. Et c’est comme ça qu’un jour quelqu’un nous les prendra. Ce que je t’engage à ne pas oublier ».
Au final mon père n’est pas pire que nos voisins : eux sont simplement plus modernes dans leur façon de penser. Ils ont besoin d’une justification raciale à leurs vols et leurs meurtres. Et mon frère Phinéas est bien le plus avancé d’entre eux : il n’a rien contre les Mexicains ou contre toute autre race , mais c’est une question économique. La science plutôt que l’émotion. On doit soutenir les forts et laisser périr les faibles. Ce qu’aucun d’eux ne voit, ou ne veut voir, c’est qu’on a le choix.

les différences de comportement selon les origines

L’Allemand de base n’était pas allergique au travail : il suffisait de voir leurs propriétés pour s’en convaincre. Si, en longeant un champ, vous remarquez que la terre était plane et les sillons droits, c’est qu’il appartenait à un Allemand. S’il était plein de pierres et qu’on aurait dit les sillons tracés par un Indien aveugle, ou si on était en décembre et que le coton n’était toujours pas cueilli, alors vous saviez que c’était le domaine d’un blanc du coin qui avait dérivé jusqu’ici depuis le Tennessee dans l’espoir que, par quelque sorcellerie, Dame Nature, dans sa largesse lui pondrait un esclave.

Le charme des noms Comanches

Bien des noms Comanches étaient trop vulgaires pour être consignés par écrit, aussi, quand la situation l’exigeait, les Bancs les modifiaient. Le chef qui emmena le fameux raid contre Luneville en 1840 (au cours duquel cinq cents guerriers pillèrent un entrepôt de vêtements raffinés et s’enfuirent en haut de forme, robe de mariée et chemise de soie) s’appelait Po-cha-na-quar-hip ce qui signifiait Bite-Qui-Reste-Toujours-Dure. Mais pas plus cette version que la traduction plus délicate d’Érection- Permanente ne pouvait paraître dans les journaux,aussi décida-t-on de l’appeler Bosse-de-Bison.

Après 15 pages inoubliables pour expliquer l’utilisation de la moindre partie du corps du bison pour les Comanches, voici la dernière phrase

 On laissait toujours le cœur la même où le bison était tombé : lorsque l’herbe pousserait entre les côtes restantes, le Créateur verrait que son peuple ne prenait que ce dont il avait besoin et veillerait à ce que les troupeaux se renouvellent et reviennent encore et encore
 

Les richesses dues au pétrole

La provision pour reconstitution des gisements et quelque chose de totalement différent. Chaque année, un puits qui produit du pétrole te fait gagner de l’argent tout en te permettant de réduire des impôts.
– Tu fais un bénéfice mais tu appelles ça une perte ».
Elle voyait bien qu’il était satisfait.
– » Ça paraît malhonnête.
– » Au contraire. C’est la loi aux États-Unis.
-Quand même.
– Quand même rien du tout. Cette loi a une bonne raison d’être. Il y a des gens pour élever du bétail, même à perte : pas besoin de mesures incitatives. Alors que le pétrole, lui, coûte cher à trouver, et encore plus cher à extraire. C’est une entreprise infiniment plus risquée. Alors si le gouvernement veut que nous trouvions du pétrole, il doit nous encourager.

Le fils (d’où le titre)

Être un homme signifiait n’être tenu par aucune règle. Vous pouviez dire une chose à l’église, son contraire au bar, et d’une certaine façon dire vrai dans les deux cas. Vous pouviez être un bon mari, un bon père, un bon chrétien, et coucher avec toutes les secrétaires, les serveuses, les prostituées qui vous chantaient.

La guerre de Sécession

À la fin de l’été, la plupart des Texans étaient persuadés que si l’esclavage été aboli, le sud tout entier s’africaniserait, que les honnêtes femmes seraient toutes en danger et que le mot d’ordre serait au grand mélange. Et puis, dans le même souffle, ils vous disaient que la guerre n’avait rien à voir avec l’esclavage, que ce qui était en jeu, c’était la dignité humaine, la souveraineté, la Liberté elle-même, les droits des états : c’était une guerre de légitime défense contre les ingérences de Washington. Peu importait que Washington ait protégé le Texas des visées mexicaines. Peu importait qui le protège encore de la menace indienne.

La Californie

Une fois la sécession votée, l’ État du Texas se vida……
Des tas de sécessionnistes partirent aussi. Sur les nombreux train qui s’en allaient vers l’ouest, loin des combats, on voyait souvent flotter haut et fier le drapeau de la Confédération. Ces gens-là était bien favorables à la guerre, tant qu’ils n’avaient pas à la faire. J’ai toujours pensé que ça expliquait ce que la Californie est devenue.

Principe si étrange et malheureusement pas si faux !

Mon père a raison. Les hommes sont faits pour être dirigés. Les pauvres préfèrent moralement, sinon physiquement, se rallier aux riches et aux puissants. Ils s’autorisent rarement à voir que leur pauvreté et la fortune de leurs voisins sont inextricablement liés car cela nécessiterait qu’ils passent à l’action, or il leur est plus facile de ne voir que ce qui les rend supérieurs à leurs autres voisins simplement plus pauvres qu’eux. 

28 Thoughts on “Le fils – Philipp MEYER

  1. Je suis bien déçue de ne pas être aussi convaincante que Philippe Meyer :-) J’ai lu ce livre il y a plusieurs années et je m’en souviens encore très bien (ce qui vu mon rythme de lecture est rarissime) : quelle fresque, quelle famille !

  2. Freg on 24 juillet 2017 at 08:55 said:

    J’ai lu ce livre il y a un petit moment déjà, je ne me souviens même pas comment je l’ai découvert.
    Quel choc en effet , une vision très loin du romantisme que que l’on nous sert souvent pour évoquer les Comanches et l’histoire des Etats -Unis.
    Je me suis même demandée au début, si j’allais pourvoir continuer de lire.
    Quelle oeuvre ! une véritable histoire des Etats- Unis sous un nouvel angle, j’ai eu du mal à passer à un autre ouvrage tant il m’habitait.
    C’est à la fois épique, grandiose et historique.
    J’ai honte, je ne connaissais sais pas cette émission sur France-Culture

    • Une vision des Indiens sans aucun romantisme et des « bons » Américains plus efficaces dans leur cruauté. Oui on est loin des visions habituelles. Pour l’émission de France Culture, ceux qui ne la connaissent pas auront moins de regrets que moi. Elle fonctionne encore cet été.

  3. Cela fait un moment que j’ai noté ce titre et il me semble bien que Jérôme l’a apprécié… Tu en parles tellement bien que je vais l’emprunter le plus vite possible à la médiathèque.

  4. Je l’ai lu l’été dernier je crois, et, même si je partage ce que tu en dis sur la vision des USA, la justesse des tableaux historiques et leur âpreté j’avais été gênée par la construction d’ensemble en aller retour chronologique. Pourtant, j’y suis habituée, mais ici, je l’avais trouvée inutilement compliquée. Et je suis actuellement retournée chez les Comanches, avec un titre pas romantique du tout non plus !,

  5. J’ai déjà noté ce livre, tu relances mon intérêt pour le thème ! France-Culture, comme tant d’autres, élimine les meilleurs. On va finir par avoir une radio lisse, sans aucune aspérité, qui fera dans le politiquement correct de ses dirigeants. Triste …

    • j’ai vraiment adoré cette émission , je suis triste de la voir disparaître. Et ce roman est indispensable à notre compréhension de l’Amérique.

  6. Pour moi ce fut aussi un gros coup de cœur, une lecture intense qui m’a vraiment marquée.

  7. Lu aussi, une histoire rude parfois.
    Philippe Meyer, ah j’ai encore ici en livre ses chronique matutinales (je te sens assez âgée pour avoir connu ça?) il avait aussi sur FI la prochaine fois je vous le chanterai. je ne connais pas celle sur france c

  8. Quelle ne fut pas ma tristesse à la lecture de ton article (désolé). En fait, je n’ai pas eu l’occasion d’écouter L’Esprit Public ces dernières semaines, et je n’avais pas du tout connaissance de l’arrêt de l’émission. C’est consternant. J’aimais profondèment le ton des interventions, les éclairages donnés et je reste sans voix…
    Sinon, sur ce livre, oui, il y a des moments d’une rare violence qui sont magnifiquement relatées. Il me faudrait aussi le relire, mais je dois avouer que j’étais plutôt sur 3 voire 4 coquillages après ma lecture.
    Il existe un autre Philippe Meyer, du reste, qui est l’auteur d’un très bel ouvrage sur l’histoire du Rhin.
    Enfin, là, je n’en reviens toujours pas de l’arrêt de l’émission :-(

    • Je suis ravie de rencontrer sur Luocine quelqu’un qui comme moi aimait cette émission qui va disparaître en septembre en tout cas Philippe Meyer a été remercié . J’ai beaucoup aimé cette lecture qui sort complètement des idées reçues sur l’Amérique.

  9. Bonsoir Luocine, j’avais commencé ce roman mais je l’ai abandonné très vite. Je n’ai pas accroché. Il faudrait que je refasse une tentative. Concernant Philippe Meyer, le journaliste, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup depuis dès années. Je pense qu’il a atteint la limite d’âge. Il faut noter que son émission « La prochaine fois, je vous le chanterai » sur France Inter s’est arrêtée en 2016 (à mon grand regret). A 70 ans, on considère qu’il est trop vieux, à moins que cela soit une raison « politique ». On vit une drôle d’époque bien cruelle pour nos anciens. Bonne soirée.

    • Oui, oui il faut reprendre cette lecture . C’est vraiment très bien surtout pour un cinéphile la vision de l’Amérique est tellement originale dans ce roman. Pour Philippe Meyer je suis bien triste, cette émission était passionnante et très originale.

  10. ton billet recoupe en tous points l’avis d’une de mes filles qui l’a lu et en a été profondément marquée
    ce livre m’attend sur mon étagère mais mon rythme de lecture en ce moment est un peu lent
    je reviendrai lire ton billet quand je l’aurai lu pour croiser nos impressions

  11. J’ai adoré ce roman et j’ai adoré écouter l’auteur au festival America de Vincennes.

  12. Je suis entièrement d’accord avec ton billet. J’ai lu le livre à sa sortie – un extrait du livre paru dans le magazine LIRE m’a convaincue à l’acheter. Un pavé, certes, mais l’histoire ne s’essouffle jamais et personnellement, je l’ai refermé avec regret. Un livre extrêmement bien documenté, des scènes parfois insoutenables, des images très vivantes de l’histoire américaine… Un outil idéal pour lancer des débats autour de certains sujets dans les cours d’histoire avec les jeunes, je pense.
    Il existe un autre livre de l’auteur : Un arrière-goût de rouille – je ne l’ai pas lu, mais apparemment il est très bien aussi.
    Je vois que Patrice a mentionné Philippe Meyer et son livre L’or du Rhin. C’est un livre que je lui ai offert il y a un bon moment déjà et il ne l’a toujours pas lu – il faut que je le relance, merci pour le rappel ! :)

  13. Décidément que de Philipp(e) Meyer, je suis d’accord avec toi pour dire que ce roman est extraordinaire. Et je signe à toutes celles et tous ceux qui aimaient entendre la voix de cet animateur qu’il lance une émission en podcast » en peau de casse »
    https://itunes.apple.com/fr/podcast/lesprit-public/id1279728744?mt=2&i=1000392064526

  14. je l’ai enfin entamé et je dois dire que je me régale malgré la dureté du propos, contrairement à certains lecteurs je ne suis pas gênée par la construction j’aime même bien le changement d’époque ce qui permet aussi un changement de perspective et allège un peu la tension

    • Je suis entièrement d’accord avec toi, mais j’ai surtout lu des avis positifs sur ce livre. Cela fait vraiment du bien de lire un roman d’une telle force sur les États Unis

  15. Je viens de chez Dominique pour découvrir votre billet et les nombreux extraits de P. Meyer. Merci de souligner l’harmonie avec la nature que notre civilisation oublie.
    Je n’écoute pas l’auteur sur F Culture , je vais tenter de réparer cette lacune.

    • Bonjour, merci de votre passage, Je tiens à rectifier Phillippe Meyer est un animateur de radio qui s’est fait renvoyé de France Culture. J’aimais beaucoup son émission qu’il a repris sous la forme de podcast et cela s’appelle maintenant « le nouvel esprit public » et c’est lui qui a conseillé le livre de Philipp Meyer l’auteur américain . Vous remarquerez la petite différence d’orthographe.

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