Lu dans le cadre du club de lecture de la médiatheque de Dinard où il a (grâce à moi) obtenu un coup de cœur.


Un livre étonnant, et encore, pour mon plus grand plaisir, un écrivain qui aime raconter des histoires et qui aime jouer avec la langue et les situations de tous les jours (il me fait penser à Pierre Raufast). Le billet de Sandrine sur son Blog « Tête de lecture » vous montrera que je ne suis pas la seule à avoir été séduite par ce roman. Tout ce livre est construit sur la tension de la révélation de l’origine de la cicatrice du narrateur cachée par l’écharpe drapée autour du cou. Comme je déteste le suspens, j’ai commencé par le chapitre 0 qui termine le roman. Soyez rassurés, je n’en dirai pas un mot dans mon billet, mais j’ai pu ainsi savourer à un rythme plus lent tous les méandres de ce récit qui aboutissent à l’indicible.

Il y a plusieurs façons d’aimer le style de Gilles Marchand, il sait si bien observer l’humanité qu’il nous fait sourire en reconnaissant notre boulangère qui, tous les matins, fait un petit commentaire météorologique, et qui nous interroge toujours au futur.

Et pour vous, ce sera ?

Il nous fait rire quand il répond calmement aux interrogations de son directeur à propos des notes de frais des commerciaux. Il a noté pendant 30 ans « restaurant » « café », alors il s’est amusé à remplacer ces mots si banal par « fausse barbe » « tutu »… On n’est pas très loin de la démission ou du licenciement.

Un soir, son écharpe gorgée de café dévoile à ses meilleurs amis sa cicatrice, il entreprend alors de raconter son enfance pour leur expliquer le pourquoi de ce qu’il a toujours voulu cacher. Ses amis de café après le travail : Lisa la serveuse dont ils sont tous amoureux, Thomas, et Sam entendront donc, s’ils sont aussi patients que l’auditoire qui grandit jour après, le récit de sa vie. Il leur parle de Pierre-Jean son grand père qui l’a élevé en rendant la réalité du quotidien magique pour lui faire oublier le tragique de son passé. Soirée après soirée, les récits de son grand père vont captiver un public de plus en plus nombreux mais la fin, l’explication de tout ce que l’on doit mettre en place pour oublier, ce qui est trop lourd à porter, seuls ses amis l’entendront.

Je n’ai cessé pendant toute ma lecture de noter des passages ou des petites phrases pour les partager avec vous. Je ne suis d’habitude pas très tentée par le fantastique, ni le déjanté, mais grâce à sa langue j’ai tout accepté même le tunnel creusé dans les ordures que la concierge morte depuis quelques mois ne peut plus enlever. Il m’a fait découvrir un air de Beatles moins connu que d’autres (my guitar gently weeps ) et que j’aime bien. Bref un petit régal avec une tragédie, dont vous remarquerez, je n’ai rien dit.

Merci Jérôme de me signaler que Noukette en avait fait un coup de coeur

Citations

Le début en espérant que, comme moi, vous vous direz je veux aller plus loin dans la lecture.

J’ai un poème et une cicatrice.

De la lèvre inférieure jusqu’au tréfonds de ma chemise, il y a cette empreinte de l’histoire, cette marque indélébile que je m’efforce de recouvrir de mon écharpe afin d’en épargner la vue à ceux qui croisent ma route. Quant au poème, il me hante comme une musique entêtante, ses mots rampent dans mon crâne d’où il voudrait sortir pour dire leur douleur au monde. Poème et cicatrice font partie de moi au même titre que mes jambes, mes bras ou mes omoplates. Je ne me sens pas tenu de les examiner pour savoir qu’ils existent. J’ai seulement appris à essayer de les oublier.
Voilà pour mon armoire à souvenirs. J’ai pris soin de le cadenasser solidement et, la plupart du temps, cela marche. C’est la seule solution pour rester à ma manière assez heureux. Mais les cadenas son travail fragiles et il est impossible d’oublier une cicatrice lorsque celle-ci fait office de masque que l’on ne peut retirer.

Un personnage dont je partage les goûts musicaux

Sa seule lacune, « le rock, la pop et leurs frères et sœurs électrifiés » comme il les nomme. Pour lui, la musique n’a pas besoin d’amplificateur.

Le malheur d’être comptable

Quand un interlocuteur me demande ce que je fais dans la vie, il change irrémédiablement de sujet dès qu’il a pris connaissance de la terrible nouvelle : je suis comptable.

Sa boulangère

Il fait froid. C’est ce que m’a affirmé ma boulangère qui a beaucoup de conversation.

La cuisine des solitaires

J’allume le gaz et mets de l’eau à chauffer pour les pâtes. Ce n’est qu’une fois que l’eau bout que je me rends compte que je n’ai pas de pâtes et je me résigne à y mettre un sachet de thé. Moins nourrissant mais mieux que rien.

L’humour

L’arrache cœur…c’était en fait le dernier titre de l’auteur, qui avait laissé sa trilogie inachevée (33 % du projet initial, avais-je pensé, me promettant de ne plus mêler comptabilité et littérature). Alors, la suite, je l’ai imaginée. Mais c’était moins bon. Boris Vian a beaucoup baissé après sa mort.

Petit détail de la vie courante, et c’est tellement bien vu !

Les toilettes sont toujours au fond à gauche. Et si elles n’y sont pas, c’est qu’elles se situent juste en face. Mais on interroge au cas où. De peur peut-être de se perdre ou que le patron ne se demande où l’on va comme ça sans demander la permission et sorte une arme de derrière le comptoir . Personne ne veut mourir parce qu’il n’a pas demandé où se trouvait les toilettes, alors on demande et on attend la réponse : au fond à gauche.

Oh, que OUI !

Mais qu’y a-t-il de pire que de lire un mauvais livre ? Lire le mauvais livre d’un ami… Et je ne veux imposer ça à personne.

Tous les gens malades des bronches peuvent en témoigner.

« Quand tu marches,tu ne regardes pas tes jambes et quand tu respires, tu ne regardes pas tes poumons … »

Ça m’avait troublé et l’espace de quelques secondes, je m’étais concentré sur ma respiration, réalisant à quel point la vie serait pénible s’il fallait se concentrer sur chaque mouvement de sa cage thoracique.

Voilà le style qui m’amuse

Il lui est même arrivé de me faire la bise, pour me souhaiter une bonne année, une bonne santé, un bon anniversaire …. Bernard était un excellent souhaiteur

27 Thoughts on “Une bouche sans personne -Gilles Marchand

  1. Encore une belle découverte… Moi aussi j’aime les écrivains qui aime jouer avec la langue…

  2. Oh mais j’ai terriblement envie de le lire! L’auteur sera au salon de Limoges, mais ça fait pas sérieux d’y aller juste pour lui , alors, qu’il se rapproche!
    Ceci étant, si tu parles de P Raufast…
    (et je connais cet air des Beatles, je l’ai en tête sans mêem chercher…)

    • J’aime ce genre d’écrivain, inventifs et jouant avec la langue. Il met son talent au service d’une histoire tragique qui hante nos mémoires.

  3. Intéressant et bien écrit, ça me tente. J’ai une amie qui commence systématiquement par la fin !

  4. Il m’attend. Noukette en a fait un coup de cœur et me l’a chaudement recommandé, tu confirmes que je devrais m’y mettre au plus vite !

    • et partager à la fois un moment tragique de l’humanité et un merveilleux grand-père qui a su redonner goût à la vie à son petit fils, comme le dit Noukette un mélange de saveurs qu’on n’oublie pas.

  5. Oh non, tu as lu la fin avant !!!

    • je déteste le suspens cela m’empêche de bien lire le livre, pour être en compagnie de l’auteur j’ai besoin de savoir ce qu’il a en tête. je lis toujours la fin des romans avant de commencer. Je sais c’est iconoclaste mais j’assume!

  6. Quel bonheur ce roman, un vrai bijou ! J’ai tout aimé dans ce roman je crois !

  7. Oh la la tu me donnes très envie de découvrir ce livre. Et moi non plus, je ne comprends pas bien pourquoi tu lis les fins en premier… Mais bon, chacun ses petits travers… Allez, je m’en vais noter ce livre immédiatement !

    • Travers? Ou différences ? Je sais que c’est choquant et avant je le faisais sans le dire. Maintenant j’assume et je t’explique : j’ai toujours aimé qu’on me raconte des histoires et je crois que j’ai gardé mon âme d’enfant pour ce plaisir là. Je connaissais bien la fin de Cendrillon, mais je tremblais toujours qu’elle oublie de rentrer avant minuit, j’aurais voulu pouvoir lui crier : « dépêche-toi! , tu vas perdre tes beaux habits » . Pourtant je savais qu’elle allait y arriver. Et bien c’est un peu pareil dans un roman à suspens aujourd’hui, je connais la fin et tout ce que l’auteur met comme signe pour laisser planer le suspens me permet de prendre un très grand plaisir et d’éprouver l’attente beaucoup plus fort que si je ne connais pas la fin. D’ailleurs je relis souvent plusieurs fois ce genre de livres quand ils sont bons comme celui-là et comme pour Cendrillon je retrouve aux mêmes endroits l’envie de murmurer à l’oreille du héros : « je connais ton secret mais je ne le dirai pas pour ne pas divulgâcher le plaisir des autres »

      • Je comprends très bien ce que tu dis. Moi, je ne peux pas le faire mais je comprends que tu sois plus réceptive alors à l’écriture de l’auteur.

        • Je suis contente de m’être expliquée. Tenir ce blog me permet de comprendre les autres façons de lire et surtout d’écrire en tenant compte de chaque sensibilité. Je trouve parfois dans tes billets un grand art de ne pas raconter tout en rendant très bien compte du livre. Mais parfois j’aimerais que tu me racontes la fin, ce que tu ne fais jamais. Et je l’accepte (la dure vie des blogueuses! )

  8. Merci pour la piqure de rappel ! Il a l’air vraiment bien ce roman. Et je le lirai dans l’ordre ;-) L’essentiel c’est que tu fasses comme tu aimes …

    • Merci gentille Aifelle , j’essaie d’expliquer mais peu de gens me comprennent. Mais tu as raison l’essentiel c’est de lire des bons livres et celui-ci en fait partie.

  9. ciel tu vas encore être responsable de mes compte d’apothicaire : j’achète ou j’achète pas ?
    je vois que je ne suis pas la seule à jeter un oeil à la fin d’une histoire !! ça me rassure

    • si je peux te donner un indice, je suis ravie de l’avoir lu grâce à la médiathèque mais je ne l’achèterai pas, un peu trop premier roman à mon goût. Je suis très fière que tu fasses partie de mon mini club : « ceux et celles qui lisent la fin des romans avant d’avoir fini toute la lecture »

  10. Et je vois chez Joëlle qu’il vient d’obtenir un prix alors qu’il était face à des poids lourds.

  11. Le seul livre dont j’ai lu la fin avant d’y arriver est Euréka street … J’avais trop peur que l’auteur ne fasse du mal aux personnages … Mais autrement, j’adore le suspens, alors, je lis dans l’ordre. Ce que je ferai pour celui-ci. Le sujet ne me tentait pas du tout au début de ton article, mais en lisant les extraits, je comprends ton plaisir. Alors, merci !

  12. le plaisir est dans la langue, sinon ça sent un peu le premier roman . Sans être une critique on se demande ce qu’il va écrire après.

  13. J’avais lu un article également très positif dans le blog de Benoît, A l’ombre du noyer. Je note ce livre définitivement sur mon carnet. Le billet est enthousiaste et les citations probantes ! La seule chose sur laquelle je ne te suivrais pas est de lire la fin pour ralentir le rythme (je l’ai déjà fait 1 ou 2 fois mais ça n’a pas été probant).

    • Je ne conseille à aucun lecteur de faire comme moi . J’ai beaucoup aimé cette lecture . Et j’ai hâte de lire d’autres livres de lui.

Répondre à keisha Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Post Navigation