Traduit de l’anglais par Jean Szlamowicz. Collection 10/18

 

Ne vous étonnez pas de trouver dans ce roman un petit air de « Downton Abbey » , Julian Fellowes en est le scénariste. Il connaît bien le milieu de l’aristocratie britannique pour l’avoir beaucoup fréquenté dans sa jeunesse. Mais il est né en 1949, et les heures de gloire des Crawley et de toutes les familles nobles britanniques sont bien terminées. Pourtant, certains rites existent encore et le narrateur assure que dans les années 60, il y avait, encore en Grande-Bretagne ce qu’on appelait « la saison » . Cela ressemble un peu aux rallye d’aujourd’hui en France, dans les milieux riches de la capitale. Il s’agissait de bals donnés par les mères de jeunes filles pour leur faire rencontrer des partis fréquentables. Tous les châtelains des alentours recevaient dans leur demeure, ce Weekend là, les jeunes adolescents invités qui n’avaient pas pu dormir chez la jeune-fille, cela nous vaut des récit autour de la cuisine britannique qui bien que servie avec avec tout le décorum possible est répétitive, fade et sans aucun intérêt, comme la mousse au saumon que la narrateur a consommé tant de fois, cette année là. La construction du roman rappelle celle d’une série. (Je gage que ce roman sera un jour repris pour la télévision). En six épisodes (6 est le nombre des épisodes des mini-séries), notre narrateur doit retrouver les six jeunes filles qu’il a rencontrées lors de cette « saison » des années soixantes. Pourquoi ? parce que Damian Baxter, l’étudiant qui est devenu plus que millionnaire – on peut imaginer un Bill Gates ou un Steve Job, britannique- va mourir. Il fait appel au narrateur pour retrouver son enfant illégitime. Il est forcément l’enfant d’une de ses six jeunes filles. On repart donc dans la vie de six couples qui quarante ans plus tard ont parfois bien du mal à être encore heureux. Une catastrophe qui s’est produite en 1970 au Portugal annoncée dès le premier chapitre est le fil conducteur de l’inimitié farouche qui sépare Damian et le narrateur, il ne sera dévoilé qu’à la fin du roman mais elle est rappelée à tous les épisodes :

Je pouvais leur faire confiance d’avoir gardé en mémoire ce fameux repas car il y a peu de gens qui en ont vécu d’aussi effroyable, Dieu merci. J’avais aussi une autre excuse, plus fragile, pour ne rien dire, il se pouvait qu’ils aient tout oublié, à la fois de cet épisode et de ma personne….. Même si mon aventure avec les Gresham s’était terminée par une catastrophe j’aime à penser que j’avais fait partie de leur existence à une époque lointaine, à une période où il avait fait partie de la mienne de manière si vitale. Et même si la simple logique me disait qu’il y avait peu de chances que cette illusion ait encore la moindre réalité, j’avais réussi à la conserver intacte jusqu’ici et j’aurais aimé retourner à la voiture à la fin de la soirée avec cette chimère encore en bon état.

Effectivement tout tourne autour de cette sixième famille les Gresham, et de Joanna dont Damian Baxter et le narrateur ont été follement amoureux, On sait dès le début que le suspens de l’enfant illégitime ne peut se résoudre qu’à la fin, mais cela ne procure aucun ennuie car chaque famille procure son lot de surprises. La difficulté de s’insérer dans le monde étroit de la coterie des gens « biens » en grande Bretagne est décrite sans œillères et cela ne la rend pas très sympathique. Le personnage principal Damian Baxter, malgré son intelligence ne fera jamais partie de ces gens là et le narrateur éprouvera toute sa vie une forme de culpabilité d’être celui qui l’a fait entrer dans ce monde. C’est le ressort principal du roman dont l’autre intérêt est la peinture de la société britannique dans les années soixantes et le déclin de l’aristocratie. Même s’il y a quelques longueurs,ce roman se lit très facilement et fait partie, pour moi,des romans qui « font du bien » . Un peu comme la célèbre série dont il est l’auteur Julian Fellowes sait nous raconter cette société à laquelle il est attaché tout en voyant très exactement les limites.

 

PS Blogart (La comtesse) avait parlé de ce roman le 3 septembre 2015, merci de me l’avoir fait remarquer.

 

 

Citations

Regard de sa mère.

Ma mère n’aurait certes pas approuvé, mais ma mère était décédée et donc, théoriquement, peu concernée par la question, même si je ne suis pas convaincu que nous puissions nous défaire du regard critique de nos parents, qu’ils soient morts ou pas.

Snobisme et argent en Grande Bretagne.

Il est très curieux de constater qu’aujourd’hui encore il existe en Grande-Bretagne une forme de snobisme envers l’argent fraîchement acquis. J’imagine que la droite traditionnelle est censée tordre le nez face à ces gens-là mais, paradoxalement, ce sont souvent les intellectuels de gauche qui montrent tout leur mépris pour ceux qui se sont fait tout seul. Je n’oserais essayer de comprendre comment une telle attitude peut-être compatible avec la croyance à l’égalité des chances.

La cuisine.

On peut et on doit réfléchir sérieusement aux changements qui ont touché notre société ces quarante dernières années, mais il y a un certain consensus sur les progrès qu’a faits la cuisine britannique, au moins jusqu’à l’arrivée du poisson cru et du manque de cuisson imposé par des chefs-vedettes au début de ce nouveau millénaire. Personne ne conteste que, quand j’étais enfant, ce qu’on mangeait en Grande-Bretagne était horrible et consistait essentiellement en repas de cantine sans aucun goût, avec des légumes qu’on semblait avoir mis à bouillir depuis la guerre. On trouvait parfois des choses meilleures chez certains particuliers, mais même les restaurants chics vous servaient des plats compliqués et prétendument raffinés, décorés entre autres de mayonnaise verte présentée sous forme de fleur, et qui ne valaient pas vraiment qu’on se donne la peine de les ingurgiter.

Le snobisme britannique.

Être duc !

De fait, les frères Tremayne allaient connaître une certaine popularité, passant même pour des personnalités frondeuses, ce qu’ils n’étaient absolument pas. Mais leur père était duc et même si, dans la vraie vie, cet homme aurait été incapable d’occuper les fonctions de gardien de parking, son statut suffisait à leur garantir d’être invités.

Être comte !

Nous pouvions être absolument certain que, jamais en cinquante huit ans, personne ne s’était adressé à l’ordre Claremont de cette manière. Comme tous les riches aristocrates dans le monde, il n’avait aucune idée réelle de sa propre valeur puisque, depuis sa naissance, il recevait des compliments sur des qualités imaginaires et il n’était pas vraiment surprenant qu’il n’ait jamais remis en question les flatteries qu’une armée de lèche-botte lui avait servies depuis un demi-siècle. Il n’avait pas l’intelligence de se dire qu’on lui racontait n’importe quoi qu’il n’avait rien de concret à offrir sur le marché du monde réel. C’était un choc, un horrible choc de découvrir qu’il n’était pas la personnalité digne, élégante et admirable qu’il croyait être, mais un pauvre imbécile.

L’apparence

Ces gens-là obéissaient à des rituels vestimentaires pénibles pour une simple raison : ils savaient parfaitement que le jour où ils cesseraient de ressembler à une élite, ils cesseraient d’être une élite. Nos hommes politiques viennent tout juste d’apprendre ce que nos aristo savaient depuis des millénaires – tout est dans l’apparence.

Dans les années 60

Malgré cette laideur, personne ne fut épargné. Les jupes de la reine remontèrent au-dessus du genou, et lors de l’intronisation du prince de Galles à Caernarfon Castle, Lord Snowdon s’était affiché avec ce qui ressemblait férocement au costume d’un steward d’une compagnie polonaise. Mais, à partir des années 1980, les aristo se fatiguèrent de déguisements aussi intenables. Ils voulaient reprendre l’apparence qui était la leur.

Perte d’une fortune en moins d’une génération

Elle s’était également rendu compte d’un imprévu, c’est-à-dire l’amputation permanente de son capital du fait d’un époux qui entendait bien vivre « en prince » mais qui n’avait pas l’intention de travailler un seul jour dans sa vie ni de gagner le moindre penny. C’était une fille du Nord avec la tête sur les épaules et elle avait bien conscience qu’aucune fortune ne peut espérer survivre à partir du moment où les dépenses sont sans limites et les revenus équivalents à zéro.

Relations de couples

Quand on se retrouve dans une relation qui bat de l’aile, on a tendance à l’aggraver en lui en lui injectant une dose de mélodrame, obtenu en devenant lunatique et mordant, et en montrant en permanence sont insatisfaction. Cela passe par des répliques comme « Mais pourquoi tu fais tout le temps ça ? » Ou  » Bon, tu m’écoutes oui ? Parce qu’en général tu ne comprends rien quand je t’explique. » ou bien « Me dis pas que tu as encore oublié ? »

le prix des grandes propriétés

Hélas, c’est palais étaient à l’origine censés être le centre de centaines d’hectares de production agricole et la vitrine d’immenses fortunes fondées sur le commerce et d’industrie – cela ne se voyait peut-être pas mais, à l’instar des taupes creusant sans cesse dans galerie, c’était des capitaux qui travaillaient dans l’ombre. Car ces demeures sont de grandes dévoreuses de fortune. Elles avalent l’argent comme les terribles ogre des frères Grimm dévorent les enfants et tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin.

Observation qui sonne juste

Une marque certaines de l’étroitesse d’esprit des gens, c’est quand on ne supporte pas de voir ses amis devenir amis avec d’autres amis à soi. Malheureusement, c’est très fréquent, et on constate souvent avec cette petite grimace lorsque l’on se rend compte que deux couples se sont vus sans vous inviter alors que c’est vous qui les aviez présentés.

L’importance de la beauté

Il faut avoir été laid dans sa jeunesse pour comprendre ce que cela signifie. On peut toujours dire que les apparences sont superficielles et parler de « beauté intérieure » ou autre niaiserie que les adolescents moches doivent supporter quand leur mère leur soutien que « c’est merveilleux d’être différent ». La réalité, c’est que la beauté est la seule unité monétaire qui vaille question séduction, et dans ce domaine, votre compte en banque est à zéro.

 

 

 

 

23 Thoughts on “Passé Imparfait -Julian FELLOWES

  1. Beaucoup aimé ce livre que j’ai chroniqué il y a quelques années. Bien construit et passionnant. Depusi j’ai lu Snobs, très réussi également. Bonne journée.

    • Tu me donnes très envie de lire « snob » et je vais rechercher ton article pour mettre un lien merci.

      • Merci. Les deux livres sont passionnants à mon sens. Je sais que certains peuvent-être réticents à l’idée de fréquenter un petit peu et littérairement ces aristos british. A mon sens ils se privent de très bons moments.

  2. keisha on 13 janvier 2020 at 08:30 said:

    Pas lu, mais à la bibli. J’hésite toujours.

    • moi j’ai aimé dans le genre lectures qui font du bien tout en étant pas trop nunuches. En revanche à cause de toi (et non grâce à toi comme d’habitude) je lis tes contes de Noël .. à côté passé imparfait est un chef d’oeuvre!

  3. pas encore lu mais il est sur mes étagères, j’ai tellement aimé Downton Abbey que ça m’a paru obligatoire

  4. Je ne connais pas Dowton Abbey, et pour l’instant j’ai tellement de choses à lire que je ne vais noter ce livre, d’autant plus que le milieu qu’il décrit n’est pas ma tasse de thé.

  5. Tiens… un autre quej’ai pis que j’ai pas lu depuis dses années! Oups! Tempting.

  6. Retrouver ce style d’ambiance me plairait certainement. Je le note pour un bon moment de détente.

  7. je ne connaissais pas ce livre mais je connais son auteur et la série du coup si je le croise à la BM un jour …

  8. Oh, oh, un cadeau pour la fête des mères ça, quand on en a une fan de Downton Abbey

    • Et tu pourras aussi y jeter un coup d’œil , c’est aussi une bonne lecture pour les plus jeunes et les ado filles qui se pâment devant « Mégane et Harry »

  9. Ni le sujet ni le contexte « historique » ne me tentent plus que ça…

    • C’est vraiment bizarre, je te pensais grand lecteur de la presse people et complètement accroc aux déboires amoureux de Mégane et Harry !
      Blague à part ce livre est très instructif sur les mœurs de l’aristocratie britannique! et le suspens est bien mené. Je sais, je sais, cela ne te suffira pas!

  10. je ne crois pas avoir déjà lu cette autrice mais j’ai un doute… Bien sûr que j’ai envie d’un remake de Dowtown abbey :)

    • C’est un auteur et c’est surtout lui qui a écrit le script de Downton Abbey, cela ne se situe pas à la même époque mais il s’agit bien de l’aristocratie britannique ici en plein déclin

  11. Bonjour Luocine, le paragraphe sur la beauté est bien vu car quoiqu’on dise le paraître compte plus que l’être dans toutes les classes sociales. Bon dimanche.

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