Édition Intervalles ; Traduit du grec par Françoise Bienfait. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un très beau roman qui traite si bien de toutes les questions qui hantent les hommes et pas seulement ceux de notre époque. Gazmend Kapplani pose de façon lumineuse la question de l’identité grâce à un dialogue entre deux frères. L’un, Karl, a quitté l’Albanie, et est confronté à l’exil et son frère, Frédérick, qui est resté auprès de son père, un pur communiste qui a défendu « le grand dirigeant » Henver Hodja.. Les deux prénoms sont déjà porteurs de l’engagement du père  : Karl, le prénom de Marx et Frédérick, celui d’Engels . Comme il y a beaucoup d’humour dans ce récit, on verra que, si Karl en albanais est trop proche du mot signifiant « bite », en revanche en exil avoir un prénom qui ne soit pas musulman lui a été favorable pour l’obtention de papiers (vrais ou faux). On apprendra petit à petit pourquoi Karl est si viscéralement hostile à son père, à l’Albanie à son village et si loin de son jeune frère. Au fur et à mesure qu’il décrit son exil et ses difficultés, on entend la voix de Frédérick qui pense que rien ne vaut la peine de s’exiler, que l’on est toujours de son village, de son pays, de sa langue et de ses morts. Il faut dire que Gazmend Kapllani sait bien de quoi il parle, lui qui a vécu vingt-quatre ans en Grèce sans jamais avoir obtenu la nationalité. Karl, comme l’auteur, vit et enseigne en ce moment aux USA car il a fui la violence raciste des néo-nazis grecs qui le menacent de mort . Il a révélé dans ce roman (et dans la vie réelle), les meurtres horribles contre les minorités albanaises » les Tchames. Toutes ces questions autour de l’identité de l’exilé nous interpellent aujourd’hui, mais si ce livre est un coup de cœur, c’est aussi que la trame romanesque est bien menée, on suit avec étonnement Karl qui n’arrive pas à être triste de la mort de son père, et qui semble distant avec son frère que l’auteur rend attachant. Et puis, au fil des chapitres, le passé revient et avec lui les attitudes des uns et des autres aux pires moments de la dictature communiste. Alors certes, l’exil est compliqué, et la cruauté des hommes ne connaît pas de frontières, mais quand on est exilé dans sa propre famille, je crois que rien ne peut retenir celui qui, comme cet écrivain, est capable d’apprendre, de parler et d’écrire une petite dizaine de langues.

PS. Je ne suis pas complètement certaine d’avoir compris le titre. Mais est-ce le même en grec ?

Citations

Les mœurs de village

 Il était allé déposer un bouquet de fleurs et une bougie sur la tombe de sa mère. Elle était morte un an avant le départ de Karl. La version officielle avancée par la famille était qu’elle avait succombé à une attaque. Mais tout le monde savait qu’elle s’était suicidée. Un geste aussi grave ne pouvait rester secret dans une ville où les commérages allaient si bon train qu’ils n’épargnaient pas même les trous de culotte des voisins .

Les rituels

La participation au mariage avait lieu sur invitation, alors que pour les décès, les maisons restaient ouvertes à tous, riches et pauvres, puissants et mendiants. Dans cette petite ville où les gens naissaient inégaux, vivaient et mouraient inégaux, la mort était en quelque sorte une patrie qui les accueillait tous sans discrimination.

La langue de l’exil

Karl fut surpris que son père ne disent rien quand il lui annonça qu’il émigrait de nouveau. Ce n’est qu’en quittant la table à la fin du repas qu’il brisa Le silence en lui demandant tout à coup : « Tu n’en as pas assez de passer ta vie à parler la langue des autres ? »
Karl se sentit comme quelqu’un à qui l’on enlève les vêtements par un tour de passe-passe et qu’on laisse complètement nu.

L’exil

Ma patrie est celle où sont enterrés mes morts. Chaque fois qu’on s’éloigne d’eux, on perd un peu plus de son énergie, de sa vie, de son identité.

Déboulonner la statue

Lorsque la statue du dictateur bougea un peu, tout ceux qui étaient autour se mirent à la couvrir d’insultes avec leur voix enrouée. : « Abattez ce fils de putain ! », « Niquez sa mère ! » (Parce que même lorsqu’il s’agit des dictateurs, ce sont toujours les mères qui prennent, on n’a jamais entendu quelqu’un injurier le père d’un dictateur.)

La tragédie de Smyrne

La famille de Clio avait disparu dans l’enfer des flammes qui avait recouvert la ville de Smyrne. Seules sa mère et elle, qui était âgée de neuf ans à l’époque, s’en étaient sorties vivantes. Elles arrivèrent au port du Pirée après avoir traversé la mer Égée sur une barque de pêche pourrie, surchargée de réfugiés qui avaient tout perdu. Ils laissaient derrière eux les tombes de leurs ancêtres et les corps de leurs parents carbonisés dans l’incendie, piétinés à mort par la foule qu’on pourchassait, ou tout simplement disparus. Ils espéraient revenir dans quelques jours, voire dans quelques semaines, pour les rechercher ou au moins enterrer leurs morts. Ils n’étaient jamais revenus. Devant eux se présentait une terre inconnue, rempli remplie d’autochtones qui ne cachaient pas leur méfiance et leur hostilité.

La carte de séjour

Il obtint sa première carte de séjour grâce à un cousin de Clio qui travaillait au commissariat central de police d’Athènes. Une carte minuscule, toute fine, du même bleu que le drapeau grec qui flottait au-dessus de la douane quand Karl attendait sur la-terre-de-nulle-part. « Heureusement que tu as un prénom chrétien », lui dit le cousin de Clio. Le faussaire albanais lui avait dit exactement la même chose . Si on ne portait pas de prénom grec, on devait en changer pour obtenir la carte de séjour et en choisir un plus « convenable », qui n’attirerai pas l’hostilité des autorités ni les soupçons des autochtones. Des milliers d’Albanais changeaient aussi rapidement de prénom qu’on se débarrasse d’un vêtement sale après le travail, espérant ainsi obtenir ce talisman que représentait pour eux la carte de séjour.

Le mal de l’état nation

D’après Christos, le nationalisme qui avait atteint ses contrés était une asthénie psychique bien particulière, inoculée par l’Occident qui était réputé pour sa froideur et son avarice, cette maladie incurable de l’Europe avait surtout frappé les petites nations, celles qui, d’après lui étaient nées au forceps du ventre de l’Histoire et se retrouvent est totalement dépourvues de défenses immunitaires. « Nous, dans les Balkans, nous sommes les enfants orphelins de trois empires, l’Empire romain, l’Empire byzantin et l’Empire ottoman », disait-il, planté devant la carte des Balkans qui incluait Constantinople et recouvrait presque tout le mur de son long couloir. Il avait également épinglé au-dessus une large bande de papier sur laquelle il avait écrit en gros caractères : « Chercher des gens ethniquement pures dans les Balkans revient à chercher des femmes vierges dans un bordel. »

Les tabous nationaux

Chaque pays a ses « tabous nationaux ». On les appelle ainsi parce qu’ils sont profondément enfouis dans l’oubli collectif, grâce à une convention tacite établie par la majorité des membres d’une communauté, de sorte que personne ne cherche à savoir la vérité. On peut aussi qualifier « d’ignorance institutionnalisée » ou de « statu quo » ce genre de convention. Pour prendre une comparaison un petit peu triviale, on pourrait dire que cette ignorance institutionnalisé est du même ordre que l’ignorance des usagers sur le fonctionnement des égouts, tout le monde sait qu’ils existent mais personne n’en parle, sauf quand une grande panne se produit et que leur contenu écœurant se déverse dans les rues.

 

Édition Acte Sud, Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni

Merci, merci à Patrice et au mois de livres de langue allemande en novembre 2019. C’est un vrai cadeau ce livre et je vous le conseille à toutes et tous. Mais vous l’avez peut-être déjà lu, puisque Maxim Leo a reçu le prix du livre Européen en décembre 2011 pour cet essai. Prix tellement mérité, car rien ne peut plus contribuer à la construction européenne que ce genre d’essai qui décrit si minutieusement les malheurs d’une Europe en guerre puis divisée par un mur infranchissable pour les habitants de la RDA. Maxim va nous faire comprendre tous ces aspects de l’Europe grâce à sa famille qui est à la fois originale et tellement ordinaire. En tout cas pour sa famille paternelle, si son père n’est jamais totalement entré dans les cases des critères de la RDA, son grand-père a été un nazi ordinaire puis un habitant de la RDA tout aussi ordinaire. Mais cette phrase traduit trop pauvrement la compréhension que nous aurons de Werner ce grand père qui s’est si peu intéressé à son fils. En revanche, la famille de sa mère est beaucoup plus originale . Son grand père Gerhard Leo a été obligé de fuir avec son propre père l’Allemagne nazi parce qu’il était d’origine juive. En France, Gerhard rentrera dans la résistance et devient un véritable héros, il a raconté ses exploits dans un livre que je lirai peut-être. S’il est resté en RDA , c’est parce qu’il a trop vu en RFA d’anciens nazis ne pas être du tout inquiétés et même devenir des cadres de la nation. Ensuite, nous voyons la vie des parents de Maxim qui essaient de tout faire pour se plaire en RDA, sans pour autant adhérer complètement au système. Et enfin avec lui, Maxim ce petit garçon qui ne croit pas du tout aux valeurs communistes et qui ressemble tellement à tous les enfants du monde. Son parcours permet de toucher du doigt la vie de l’Allemagne de l’Est. C’est à la fois tragique et ridicule. Tragique, car il a failli ne pas pouvoir poursuivre ses études et qu’il craint toujours d’être repéré par la Stasi. Ridicule, quand on voit les efforts de la directrice pour convaincre les enfants qu’ils ont de la chance d’être des enfants choyés de la RDA alors qu’ils n’ont presque rien pour jouer ou pour se distraire. Et lorsque le dernier chapitre arrive avec les manifestations de Leipzig qui annonceront la fin de ce régime absurde on sent que cela s’est joué à très peu de choses. Mais les Allemands sont maintenant réunis dans un même pays, on se demande alors si Maxim Leo écrira la suite pour nous expliquer pourquoi le parti néo-Nazi se réclamant ouvertement des théories d’Hitler fait un si bon score dans son ancien pays. À ce propos vous pouvez écouter sur le podcast du Nouvel Esprit Public une émission qui compléterait bien cette lecture.

 

 

Citations

Le travail de journaliste en 1966 en RDA

On énumère aussi les mots devenus indésirables parce que l’ennemi s’en est emparés, le nom des produits que l’on n’a plus le droit de mentionner parce qu’ils sont en pénurie. Il y a des mois où personne ne peut écrire « machine à laver » ou « Pneu de voiture ». La »Social-démocratie » est proscrite pendant deux ans, le « Parlement » et le. »Front populaire angolais » pendant six semaines seulement.

Le journalisme en RDA

Anne note que la plupart des chefs de service ne sont pas de vrais journalistes, mais des soldats du parti en service commandé. Les bon journaliste n’en sont pas membres, ce qu’elle trouve étrange, puisque le parti est tout de même censé être l’élite. Comme il n’y a guère de place pour leur texte à eux, la plupart sont presque totalement désœuvrés. À midi, on commence à boire dans les bureaux. Ce sont les chefs de service qui boivent le plus. Les collègues tentent de se mettre mutuellement des bâtons dans les roues. Il y a des intrigues, des dénonciations, des campagnes. Accessoirement, on fait un journal.

Jeux des enfants dans le Berlin d’après guerre

Parfois ils sortent de la ville et se rendent à Marzahn, où l’on déverse dans une fosse des munitions trouvées. Ils font du feu, ils jettent des cartouchière de fusils-mitrailleurs et se mettent à couvert. Le bruit des balles qui partent en sifflant dans tous les sens est si épouvantable que certains en font dans leur pantalon. Les grands cassent les détonateurs des obus de DCA et versent la poudre noire dans des sacs. Ils entrent dans des ruines dont les cheminées tiennent encore debout. Ils placent l’explosif en bas, dans le bac du poêle ; des lacets plongés dans du désherbant leur servent de mèches. Et lorsque, derrière, la charge éclate , lorsque l’immense cheminée s’effondre comme un géant touché à mort, ils crient et dansent de joie. Les adultes ne demandent jamais où ils étaient passés. Ils mènent leur propre vie.

Fait peu connu, pourtant cela se passe en France

Werner, sous-officier de la Wehrmacht, a échappé à la mort sur le front et a été enfermé dans un camp où il a vu ses camarades mourir par centaines.

Un nazi ordinaire

 Il semble que, comme beaucoup d’autres, Werner, à l’époque, était persuadé qu’une vie meilleure se préparait. Il voyait que les choses avançaient, que sa vie devenait plus belle, que tout d’un coup même les enfants d’ouvriers avait une chance. Dans sa famille, personne avant lui n’était jamais allé au sport d’hiver. Il était aussi le premier à avoir vu la mer. Même s’ils avaient eu l’argent pour le faire, ses parents n’auraient jamais eu l’idée de louer un fauteuil cabine au bord du Wannsee ou d’acheter une bouteille de vin au thé dansant. Werner se sent l’âme d’un gagnant, d’un homme qui a tiré le gros lot. « Tout d’un coup tout semble possible. » Écrit-il, et c’était sans doute très précisément le sentiment qu’avaient beaucoup de personnes à cette époque. Hitler a relevé les petits, rapetissé les grands.

Portrait d’un homme qui sait s’adapter à tous les systèmes

Werner était peut-être l’un de ces hommes qui fonctionnent correctement dans pratiquement tous les systèmes et pratiquement tous les rôles. Il aurait tiré le meilleur de n’importe quelle situation. Son bonheur de vivre n’aurait pas été menacé si Hitler avait gagné la guerre ou si lui-même s’était par hasard finalement retrouvé à l’Ouest il aurait certainement été un bon peintre de décor s’il n’était pas devenu un bon directeur d’établissement scolaire. Tout comme, auparavant, il avait été un bon mouleur, un bon soldat, un bon prisonnier. Et désormais un bon citoyen de la RDA.

Pourquoi son grand père résistant à préféré la RDA

Dans cette interview, pour la première fois, Gerhard parle de la culpabilité, il explique pourquoi des gens comme lui était à ce point enchaînés à ce pays. Il évoque l’espoir qui était le sien après la guerre : celui de construire une nouvelle société dans laquelle les nazis n’auraient plus jamais la moindre chance. Il a vu, explique-t-il, des criminels de guerre siéger au gouvernement et des génocidaire percevoir des pensions considérables, tout cela à l’Ouest. Ce genre de chose, affirme-t-il, n’existait pas en RDA. Et cela comptait plus que tout le reste.

Une anecdote amusante, Maxim a 11 ou 12 ans en RDA

Un jour du mois de novembre 1982, la directrice de notre école, Mme Reichenbach, arriva en trombe dans le vestiaire. Nous sortions tout juste du cours d’éducation physique. Madame Reichenbach nous annonça, les larmes aux yeux  » « Il s’est passé quelque chose de très grave. Leonid Brejnev, le secrétaire général soviétique, est mort ». Le silence régna un moment, ensuite, nous ne pûmes nous empêcher de rire, parce que Kai Petzold, tout nu derrière madame Reichenbach , cherchait désespérément son slip. Madame Reichenbach ne comprenait pas ce qui se passait, elle n’entendit que nos rires étouffés et quitta la salle furieuse. Nous avions en principe, l’heure suivante, un cours de mathématiques, mais la directrice entra dans notre classe et nous annonça qu’après cet incident, chacun d’entre nous devait écrire une rédaction sur Leonid Brejnev. Il s’avéra que certains d’entre nous ignorait totalement de qui il s’agissait. Madame Reichenbach se remit à pleurer et annonça en criant que cette histoire aurait des conséquences. Mais il ne se passera rien du tout, si ce n’est que quelques mois plus tard un nouveau secrétaire général du PCUS (Iouri Vladimirovitc Andropov) mourut et que personne ne nous en parla à l’école.

Comment une bonne idée peut ne servir à rien.

À partir de la sixième, nous avions une fois par semaine un cours de travail productif. Nous nous rendions dans une usine de métallurgie qui produisait des pièces pour les chauffages au gaz. Ils ne savaient vraisemblablement pas quoi faire de nous, raison pour laquelle nous passions des heures à trier des vis que l’on remettait en vrac après notre départ pour occuper la classe suivante.

Régis Debray et Gilles,Perrault et François Mitterand en 1987

Régis Debray nous parle aussi de Tamara Bunke, une femme originaire de la RDA qui se trouvait à l’époque à côté du Che. « Une femme hors du commun, une combattante », dit-il. mon français assez médiocre ne me permet pas de tout comprendre ; mais ce que je saisis, c’est que tout le monde, dans cette maison, trouve que la RDA est fantastique. Gilles Perrault dit que je devrais être fier de vivre dans un pays révolutionnaire comme celui-là, parce que seule la révolution libère vraiment les gens. Je n’ose pas le contredire, entre autres parce que je vois à quel point ces phrases rendent Gerhard heureux.
 Mais je ne discerne pas la logique de tout cela. Comment peut-on loger dans une villa pareille et chanter les louanges de la RDA ? Ou bien faut-il justement habiter dans ce type de demeure pour pouvoir le faire ? J’ignore quelle image ces gens ont de la RDA, et même s’il y ont déjà été. Régis Debray nous confie un secret. Il exerce des fonctions de conseiller politique auprès du président de la République française, François Mitterrand, et dit que celui-ci a lui aussi beaucoup d’estime pour la RDA.

 

Édition Pavillon Poche Robert Lafont

Traduit du polonais par Christophe Glogowski

Il m’a fallu cette période de confinement pour venir à bout de ce livre. Autant j’ai été conquise tout de suite et totalement emportée par la lecture « Sur les Ossements des morts« , autant je me suis contrainte pour lire ce roman au moins pour le premier tiers.( Pourtant je savais qu’Athalie avait beaucoup aimé, ce qui est pour moi une bonne référence.) Il faut dire que ce roman est étrange, constitué de courts chapitres qui sont consacrés à un seul personnage intitulés « au temps de … ». Ces chapitres finissent tel un puzzle à raconter l’histoire d’un village et au delà l’histoire de la Pologne. Dieu et les Anges sont aussi de la partie et ce mélange de métaphysique de nature et d’humain n’est pas si facile à accepter pour une rationaliste comme moi. Seulement voilà, cette écrivaine a un talent incroyable et quand peu à peu j’ai lâché mes réflexes habituels de cartésienne, j’ai aimé cette lecture. En touches successives, c’est bien l’histoire d’une famille polonaise jusqu’à aujourd’hui dont il s’agit et à travers leurs relations individuelles on comprend mieux que jamais l’histoire et les malheurs de la Pologne marquée à tout jamais par l’extermination des juifs. Cette nation a perdu à ce moment là une partie importante de son fondement culturel, une telle barbarie sur son propre sol devant les yeux de ses habitants ne pouvaient que laisser des traces. Ce livre est aussi un hymne à la nature qui est, et sera toujours, la grande gagnante surtout si les hommes ne veulent pas l’écouter. L’histoire actuelle d’un petit Virus si petit mais si malin que personne ne peut l’empêcher d’infecter l’humanité entière, n’est-il pas une preuve que la nature est plus forte que toutes les constructions humaine et que certains progrès même extraordinaires fragilisent l’humanité. Je pense donc que ce livre s’inscrit dans la réflexion que nous pouvons avoir à propos de la pandémie actuelle et en plus permet de passer un long moment avec une écrivaine remarquable qui a un sens de l’humour qui rend ses récits très attachants.

On en parle chez Kathel

 

Citations

Genre de remarques auxquelles il faut s’habituer

Au centre d’antan, Dieu à dressé une colline qu’envahissent chaque été des nuées d’hannetons. C’est pourquoi les gens l’ont appelée la montagne aux Hannetons. Car Dieu s’occupe de créer, et l’homme d’inventer des noms.

C’est bien dit et vrai

Elle se mettait au lit, où, malgré les coussins et les chaussettes de laine, elle ne parvenait pas à se réchauffer les pieds. Et puisque, de même que dans l’eau c’est par les pieds qu’on pénètre dans le sommeil, Geneviève demeurait longtemps sans pouvoir s’endormir.

Le genre d’affirmations qui sont belles sans être convaincantes.

À certains humains un ange pourrait paraître stupide. Mais l’ange, depuis l’origine des temps, porte en lui le fruit de l’arbre de la connaissance, le savoir pur : une raison affranchie de la pensée, et, du même coup, des erreurs – ainsi que de la peur qui les accompagne. Une raison libre des préjugés engendrés par la perception lacuneuse des humains.

Le soldat de retour chez lui au moulin

Il fit le tour du moulin, caressa la meule, ramassa de la farine au creux de sa paume et la goûta du bout de la langue. Il plongea ses mains dans l’eau, passa le doigt sur les planches de la clôture, huma les fleurs, actionna le tranchant du hache-paille. Celui-ci grinça, coupa une botte d’ortie.
Derrière le moulin, Michel pénétra au milieu de hautes herbes et il fit pipi.

l’alcool

Le noyeur était l’âme d’un paysan nommé Pluszk. Celui-ci avait péri dans un étang forestier par une nuit d’août, la vodka précédemment absorbée lui ayant excessivement dilué le sang.

Le genre de propos qui courent dans ce livre

 Imaginer, c’est en somme créer, jeter un pont entre la matière et l’esprit. Surtout quand on pratique cet exercice aussi souvent qu’intensivement. L’image se transforme alors en gouttelettes de matière et s’intègre au courant de la vie. Parfois, en cours de route, elle se déforme quelque peu. En somme, tous les désirs humains se réalisent, s’ils sont suffisamment intenses, et pas toujours de la manière qu’on s’était imaginée.

Arrivée des antibiotiques

Un instant plus tard, il tenait au creux de sa main une petite boîte de carton. De ce qui était écrit dessus il ne comprit que les mots « made in the United States »….
 Au soir, la fièvre des fillettes avait diminué. Le lendemain elle se guérit. À force de prière, Misia avait obtenu de la Sainte Vierge de Jeskotle -reine des antibiotiques- cette guérison miraculeuse.

Réflexion sur le temps

 l’homme attelle le temps au char de sa souffrance. Il souffre à cause du passé et il projette sa souffrance dans l’avenir. De cette manière, il créé le désespoir. La chienne Lalja, elle, ne souffre qu’ici et maintenant.

 

 

Édition Gallimard

 

Je me souviens encore du plaisir que j’ai eu à lire « Balzac et la petite tailleuse chinoise » , et lorsque j’ai vu ce roman à la médiathèque, je me suis souvenue avoir lu un billet sur le blog « Journal d’une lectrice », je n’ai pas hésité, je suis donc partie avec cet auteur qui raconte si bien son pays dans la ville côtière de Putian. Yong Shen est le fils du charpentier du village, il sera marqué à tout jamais par un sermon d’un pasteur américain qui parle lui aussi d’un fils de charpentier. Il devient chrétien et fabricant de sifflets pour des colombes.

Il passe un certain temps auprès de ce pasteur et de sa fille Mary. Puis, il fait des études de théologie mais auparavant, il sera marié pour respecter d’obscures superstitions. Il revient chez lui, et il apprend que sa femme a donné naissance à une enfant aux yeux clairs, Helai, cette enfant fera son bonheur et son malheur à la fois. S’il n’en est pas le père biologique, il l’a élevée avec amour mais en périodes de folies révolutionnaires être fille de pasteur, être brillante intellectuellement, et avoir des yeux bleus , s’avèrent très dangereux . Alors, après la période de bonheur ou Yong Shen a été pasteur à l’abri de son arbre chéri, né en même temps que lui : l’aguilaire qui est -si j’ai bien compris- l’arbre qui donne de l’encens, viennent les différentes épisodes de la révolution communiste. Le « grand bon en avant », sera suivi par la révolution culturelle et si Yong Shen n’y laisse pas sa vie, il y laisse son âme et sa foi.

 

Comme souvent dans un bon roman qui s’appuie sur la tragédie historique et sur la folie des hommes, il y a des moments de détentes et même de rire. L’émeute provoquée par l’opération du petit garçon chinois d’une ectopie testiculaire est à la fois, bien racontée et très drôle, tout le village est persuadé que le médecin blanc s’en prend à la virilité de l’enfant chinois. Comme on traverse plus de la moitié d’un siècle -et quel siècle !-, ce roman est très dense et fourmille d’histoires et de personnages très divers. Même les personnages secondaires sont intéressants et lorsque le rouleau compresseur s’abat sur le peuple, il n’y a pas beaucoup de recoins pour se cacher et échapper à la terrible remise au pas de tout un peuple.

Les souffrances du pasteur reconnu comme traître à la cause du peuple et dénoncé par sa propre fille qui veut sauver sa vie et celle de son enfant sont à peu près insoutenables s’il n’y avait pas le talent de ce grand écrivain qui embarque son lecteur dans des descriptions poétiques et un monde fait de beauté et de rêve. La tragédie et la mort sont présentes jusqu’à la dernière ligne mais elle est accompagnée par le « Concerto en ré majeur de Beethoven » et cela donne une impression qui s’élève au-delà de la réalité de la souffrance humaine .

 

Citations

Traditions

C’était le ruban de satin rouge que la famille Yong espérait depuis huit ans, car, selon la coutume, à Putian, on accrochait un ruban rouge à un arbre de sa maison, pour annoncer au monde que l’épouse était enceinte.

Yong Sheng est torturé par les communistes en 1949. Il est alors directeur de l’orphelinat

Un petit de sept ou huit ans s’approcha du révolutionnaire. 
« Vous pouvez faire redescendre notre directeur ? 
-Tu ne dois plus l’appeler directeur, mais ordures impérialiste. 
-Vous pouvez faire redescendre notre impérialiste s’il vous plaît ? 
-Bon point pour toi, je vais le faire redescendre, et procéder à la deuxième partie de son interrogatoire. »

Les réunions publiques sous la révolution culturelle

Les paysans présents depuis le matin étaient rentrés déjeuner chez eux, mais sitôt leur repas pris, ils revinrent avec leurs enfants, et des tabourets bas pour s’asseoir. Assister à une séance de critique n’était pas un acte gratuit. Selon le barème en vigueur, une demi-journée de présence rapporter cinq points à un homme, quatre à une femme, trois au vieillard, ou malade et aux handicapés. Quant aux cadres non rémunérés par l’État, ils touchaient une prime, en plus de leur salaire régulier.

Le manchot, en tant qu’ancien droitier réhabilité, jouissait théoriquement de ses droits civiques, mais en pratique, il n’était jamais autorisé à assister à une réunion politique de la commune. Non pas qu’on lui refusât la petite compensation financière ou la journée de repos qu’impliquait une participation à de tels rassemblements, pour les paysans et les ouvriers c’était moins dur que de journée de travail, mais son statut de consigner le mettait à part. Chaque mois, en tant que boucher en attente d’emploi, il était rémunérée par le district, qui ne l’autorisait pas assister aux meetings et l’obligeait à travailler. 

Torturé pendant la révolution culturelle

La plaque de ciment de dix kilos y exerçait une pression telle que l’acier pénétrait profondément dans sa chair. La large tuméfaction qui s’était formée autour ne cessait de gonfler. Ses vertèbres cervicales semblaient sur le point de se briser.(…)
Il songea que les concepteurs de la plaque de ciment étaient d’une intelligence redoutable. Il avait vraiment été inspirés. Avec leurs inventions, il avait écrit, au vingtième siècle, un nouveau chapitre des lois de la gravité, plus le fil de fer sur lequel reposait le poids de la plaque était fin, plus la gravité en démultipliait la pesanteur. 
Il leva la tête, et, à travers la sueur épaisse qui brouillait et ses yeux, il aperçut devant lui le visage de Mao, comme une apparition confuse, entourée d’un halo trouble. C’était un portrait du président que ses accusateurs avaient installé devant lui, pour la réunion de critique .
 » Président Mao, je suis vraiment incurable. Mon infection idéologique est trop grave. Vous me donnez l’occasion d’être critiqué par les masses, mais, alors que je suis à genoux devant vous, mon cerveau malade se préoccupe encore des notions physique que j’ai étudié à la faculté de théologie, et la seule chose à laquelle je suis capable de penser, c’est la loi de la gravité découverte par un occidentale. Grâce à votre Révolution culturelle, j’espère pouvoir enfin rompre a jamais rien qui m’attache encore à la pensée des impérialiste. »

 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. 

 

 

Un livre qui m’a davantage étonnée que plu. Il y a deux livres en un, d’abord le récit de formation de Pol Pot du temps où il s’appelait Saloth Sâr . C’est dans toutes les faiblesses de cet enfant, puis du jeune homme que Nancy Houston traque tout ce qui a pu faire de cet homme qui a tant raté, ses études, ses amours, un tyran parmi les plus sanguinaires. Il ne réussit pas à obtenir ses diplômes, il fera tuer tous les intellectuels. Il puisera dans les discours révolutionnaires français, de 1789 à 1968, le goût des têtes qui doivent tomber ! Les chiffres parlent d’eux mêmes, Pol Pot est responsable de 1,7 million de morts, soit plus de 20 % de la population de l’époque. L’article de Wikipédia, en apprend presque autant que ce livre, mais l’émotion de l’écrivaine rend plus palpable l’horreur de ce moment de l’histoire du Cambodge.

Et puis nous voyons la très jeune narratrice, qui doit avoir plus d’un point commun avec l’auteure, passer une enfance et adolescence très marquée par le mouvement hippie pendant son enfance et mai 68 à Paris pendant sa jeunesse. Le but de ces deux histoires, est de montrer les points communs entre cet horrible Pol Pot et la narratrice. Je pense qu’il n’y a qu’elle qui voit les ressemblances. En revanche, le passage par Paris et la description des intellectuels , Jean-Paul Sartre en tête qui soutiennent les Khmers Rouges est terrible pour l’intelligentsia française. La seule excuse à cet aveuglement volontaire, c’est de ne pas vouloir prendre partie pour les américains qui ont envoyé sur le Cambodge plus de bombes que pendant la deuxième guerre mondiale sur toute l’Europe. Et voilà toujours le même dilemme  : comment dénoncer les bombardements américains sans soutenir le communiste sanguinaire, Pol Pot.

 

 

Citations

l’écriture

De toute façon, elle a appris depuis l’enfance à neutraliser par l’écriture tout ce qui la blesse. Les mots réparent tout, cachent tout, tissent un habit à l’événement cru et nu . Dorit ne vit pas les choses en direct mais en différé : d’abord en réfléchissant à la manière dont elle pourra les écrire, ensuite en les écrivant. Protégée quelle est par la maille des mots, une vraie armure, les agressions ne l’atteignent pas vraiment.

 

Mai 68

Un jour Gérard vient l’écouter jouer du piano dans l’appartement de la rue L’homond. Au bout d’une sonate et demie de Scarlatti, il pousse un soupir d’ennui : » C’est bien joli, tout ça dit-il, mais je n’y entends pas la lutte des classes. »

 

Les Khmers rouges

 

Le 9 janvier 1979, les troupes nord-vietnamienne se déploient à Phnom Penh, révélant au monde la réalité du Kampuchéa démocratique, la capitale désertée, dévastée… Les champs stériles… Les monceaux de squelettes et de crânes… De façon directe ou indirecte, au cours de ces quarante cinq mois au pouvoir, le régime de Pol Pot aura entraîné la mort de plus d’un million de personnes, soit environ un cinquième de la population du pays. Le Cambodge gît inerte, tel un corps vidé de tout son sang .

 

 

Andreï Makine est un auteur que j’apprécie et depuis longtemps. Je retrouve ici les thèmes qui l’obsèdent : les souffrances causées par le totalitarisme soviétique. Mais au-delà de cette folle idéologie meurtrière, il cerne ici plus précisément ce qui dans le comportement de chaque être humain , conduit à accepter l’inacceptable. Mais, justement, c’est un peu cela qui m’a fait moins adhérer à ce roman, je le trouve trop didactique, à force de vouloir nous prouver quelque chose, les effets deviennent attendus et le récit perd en intensité.

La traque d’un évadé d’un camp de personnes déplacées permet de cerner cinq personnalités qui ont toutes, de façons différentes sauvé leur peau face aux purges staliniennes en étant à des degrés divers de véritables ordures. L’un était commissaire politique pendant la deuxième guerre mondiale, il a fusillé un grand nombre d’officiers qui n’avaient rien fait, l’autre a participé à des liquidations de villages en Lettonie, tuant femmes et enfants, le moins « coupable » a vu sa femme et son enfant mourir de façon atroce durant le siège de Leningrad. Tous les cinq se tiennent par la peur d’être catalogué suspect par le commissaire politique. Une expérience tragique qui résume à elle seule la vie en 1952 en URSS. Lâcheté, bravoure, dénonciation, survie sont les balises qui tracent un chemin pour survivre et personne n’en sort indemne. La traque elle même nous fait découvrir la taïga et se termine dans une région aussi magique qu’effrayante le golfe de Tougour. Mais ce récit qui voit disparaître un à un les chasseurs au profit du fugitif perd d’intensité au fur et à mesure que les mêmes effets se répètent. La fin qui suppose une vie heureuse de deux êtres dans l’île de Bélitchy est peu crédible .

Citations

Une constante du comportement humain

J’étais fier de ne pas m’être abaissé à le dénoncer. Pourtant, je savais qu’il ne me pardonnerait pas ce geste d’humanité. Une constante psychologique dont j’étais curieux de vérifier la fatalité.

La femme aimée

L’infirmière, je l’ai épousée… Après la guerre, elle a pris sa revanche sur la faim, a grossi, est devenue même une belle femme, une femme d’officier, quoi, autoritaire, grincheuse, un peu caporal en jupon. Et l’autre, celle que je voyais en mourant n’existait plus… Les popes racontent comme quoi l’homme est puni pour ses péchés, bref, l’enfer et le feu éternel. Mais le vrai châtiment, ce n’est pas ça… C’est quand une femme qu’on a aimé disparaît… Comment dire ? Oui, elle disparaît dans celle qui continue à vivre avec vous…

Difficile d’être du bon côté en URSS sous Staline

En 1937, le jour du 20e anniversaire de la Révolution, le chantier du barrage fut relancé. Peu après, le nouveau chef de travaux allait être arrêté pour fait de sabotage antisoviétique. J’étais déjà capable de tirer ce bilan, si un mari jaloux n’avait pas tué mes parents, on les aurait emprisonnés parmi ces milliers de responsable accusés de gaspillage, de sabotage, d’espionnage… Alors, rejeton e ces traître à la Patrie j’aurais croupi dans une colonie de rééducation.

Les bourreaux après leurs crimes

Pendant la guerre, Louskass luttait contre les éléments « défaitistes » et les « éléments idéologiquement hostiles », comme on disait à l’époque. De bons officiers souvent. Il en a fusillé des centaines !.Il désignait vite fait un ennemi et, hop, le peloton d’exécution !Sans autre forme de procès. J’en ai croisé des types qui faisait le même sale boulot que lui. Certains, Et ce devait être le cas de Louskass, préféraient tuer avec leur pistolet de service. Question de goût. Une balle dans la nuque et le dossier est clos. Sauf que, tu vois,même s’il tirait dans la nuque, il ne pouvait pas ne pas voir, avant l’exécution, les yeux de tous ses soldats… Et maintenant dans son sommeil ses regards reviennent. Il tire, les nuque éclatent mais les yeux le vrillent . Et il hurle. Jusqu’à sa mort, ces yeux le poursuivront.

Sans doute le sens du livre

Durant cette veille, mes pensées luttaient contre l’insoluble simplicité de nos vies. Il y avait cette femme dans la nuit solitaire et, à si peu de distance d’elle, nous – ces hommes qui, quelques heures auparavant, était prêt à la torturer dans une saillie de bête… Les philosophes prétendaient que l’homme était corrompue par la société et les mauvais gouvernants. Sauf que le régime le plus noir pouvait, au pire, nous ordonner de tuer cette fugitive mais non pas de lui infliger ce supplice de viols. Non, ce violeur logeait en nous, tel un virus, et aucune société idéale n’aurait pu nous guérir.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. (Mon club de lecture va peut -être devenir célèbre)

Ce petit roman m’a beaucoup plu, mais je suis incapable de savoir s’il plaira à d’autres. Je le définirai comme un roman d’atmosphère, il règne une ambiance à laquelle je me suis laissée prendre. La narratrice, part en train sur les bords du lac Baïkal pour retrouver un homme qu’elle a aimé Gyl, et dont elle n’a plus de nouvelles. Ce voyage est l’occasion de renouer tous les fils qui font d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui. Cette pérégrination vers ce qu’elle est, avait commencé quelques années auparavant lors de sa rencontre avec une femme très âgée, sa voisine du dessous, Clémence Barrot, une ancienne modiste qui ne sort plus guère et à qui elle lit des histoires. Elle la retrouve le plus souvent possible installée sur son canapé rouge, -d’où le titre- .

Cette femme est riche d’une histoire d’amour qui s’est brutalement terminée en 1943. Paul a été fusillé par les Allemands, il avait été recruté par le PCF et était entré dans la résistance. Clémence garde une photo prise sur les bords de la Seine, qu’elle cache derrière le canapé. Ils avaient 20 ans, ils étaient amoureux, ils étaient beaux et la mort a tout arrêté. Clémence en veut terriblement aux Nazis et un peu au communisme qui lui a enlevé son amoureux. On retrouve un des éléments qui a constitué le passé d’Anne et Gyl, ils étaient tous les deux utopistes et voulaient changer la société. Gyl, n’a pas supporté que le communisme s’arrête et c’est pourquoi il est parti en Sibérie pour faire revivre ce en quoi il croit. Clémence aime les histoires qu’Anne lui raconte, il faut dire qu’elle choisit des femmes au destin étonnant, la brigandine Marion du Faouët, Olympe de Gouge, et Miléna Jezenska.

C’est l’autre élément qui construit le destin d’Anne : toutes ces femmes qui ont ont lutté jusqu’à la mort pour s’accomplir. Et puis il y a les livres qui l’habitent, Dostoïevski et Jankélévitch qu’elle a apportés avec elle pour ce voyage. Mais surtout, le plus important c’est de croire en la rencontre amoureuse. Tout cela provoque son départ et son voyage vers Gyl, mais en chemin elle croise Igor et s’il ne se passe pas grand chose avec lui, c’est un personnage important du voyage. Cette traversée de la Russise et son arrivée à Irkoutsk lui permettent de prendre conscience de ce qu’elle était venue chercher : elle même plus que Gyll. Hélas ! à son retour Clémence n’est plus là, elle ne pourra donc pas savoir qu ‘Anne a enfin trouvé ce qu’elle cherchait.

Citations

Fin d’une utopie

Je n’étais pas seule à percevoir cette insidieuse érosion des certitudes qui avaient emballé notre jeunesse, mais ce qui m’effrayait c’était le sentiment, que partageaient quelques-uns de mes amis, de ne rien pouvoir d’autre que de m’abîmer dans ce constat. J’avais lu dans un roman à propos de la mort des théories, « On se demande jusqu’à quel point on les avait prises au sérieux ». J’en voulais à l’auteur pour sa cruelle hypothèse. Ce monde rêvé, cette belle utopie : être soi, pleinement soi, mais aussi transformer la société tout entière, pouvaient-il n’être qu’enfantillages ? Nous consolaient-ils seulement d’être les héritiers orphelins des dérives commises à l’Est et ailleurs, que certains de nos aînés avaient fait semblant d’ignorer ?

Nostalgie

Sans aucun doute, Igor était né après la mort de Staline, et je me demandais ce qu’il me répondrait si je prononçais ce nom. J’aurais pourtant aimé lui dire combien son pays avait habité nos esprits, les cruelles désillusions qu’i l nous avait infligées, et comment ce voyage me ramenait à des années lumineuses où le sens de la vie tenait en un seul mot : révolution.

Fin d’un amour

Je me souviens aussi qu’en ouvrant la porte, j’avais en tête une phrase d’Antonioni,  » Je cherche des traces de sentiments chez les hommes ». Je l’avais dit un jour à l’homme qui me quittait sans l’avouer, par petites trahisons successives. Nous faisions notre dernier voyage. En entrant dans la chambre après des heures d’errance dans une ville où nous nous perdions, je lui avais dit ces mots comme s’ils 
étaient les miens et il avait pleuré. Je le voyais pleurer pour la première fois. La fatigue alourdissait nos corps, nous avions fait l’amour dans une sorte de ralenti, d’engourdissement, il continua de sangloter dans mon cou, j’aurais aimé que ces minutes ne s’arrêtent jamais, tout se mélodrame délicieux nous séparait avec une infinie douceur, contenait à lui seul le temps vécu ensemble.

 

 

 

traduit de l’anglais par Franchita Gonzalez Batlle

 

Après avoir lu les nouvelles « la cité de la poussière rouge » je voulais connaître cet auteur pour les romans qui l’avaient rendu célèbre : les romans policiers. Malgré mon peu d’appétence pour le genre, j’ai été intéressée par cette enquête qui se déroule à Shanghai en 1990. Une jeune femme est découverte assassinée, jetée à la rivière dans une bâche plastique et l’inspecteur Chen et son adjoint Yu vont chercher à savoir ce qui s’est passé alors que visiblement autour d’eux personne n’a trop envie de savoir. Quand, en plus, l’enquête touche aux hautes sphères du Parti Communiste alors, non seulement le silence des uns et des autres devient pesant, mais de plus très menaçant. La fin est horrible et tellement dans ce qu’on connaît de la Chine : reconnue coupable, la personne est exécutée le lendemain de son procès laissant bien peu de place aux doutes et à l’éclaircissement total des affaires. Beaucoup plus que l’enquête policière, ce qui m’a plu, c’est le monde chinois en mutation. Les amateurs de polars aimeront sans doute plus que moi cette enquête, mais tous ceux et toutes celles qui ont lu « la cité de la poussière rouge » aimeront trouver sous la plume de cet excellent écrivain la société de Shanghai en route pour une forme de gouvernance originale et impitoyable : »le capitalisme communiste »dont la devise pourrait être : tout est permis sur le plan économique mais ne touchez pas au PARTI ni à ses dirigeants.

 

Citations

Formatage politique

C’est absurde, se dit-il, que la politique puisse modeler une vie de cette façon. Si Guan avait épousé Lai, elle n’aurait pas connu un tel succès dans la vie politique. Elle n’aurait pas été travailleuse modèle mais une épouse ordinaire qui tricote un pull pour son mari, transporte une bouteille de propane sur le porte-bagage de son vélo, essaie de payer trois sous de moins quand elle fait son marché, râle comme un disque rayé et joue avec un bel enfant assis sur ses genoux – mais elle aurait été vivante.

 

Où on retrouve l’auteur de » la Cité de la poussière poussière rouge »

Il habitait une vieille maison Shikumen à un étage- un style répandu au début des années trente, où une maison comme celle-là était construite pour une famille. Soixante ans plus tard, elle en abritait plus d’une douzaine, toutes les pièces avaient été divisées pour loger de plus en plus de monde. Seule la porte d’entrée peinte en noir était restée la même, elle ouvrait sur une petite cour jonchée d’objets divers, une sorte d’entrepôt de ferraille, d’où l’on entrait dans un vestibule haut de plafond et flanqué de deux ailes. Le vestibule autrefois vaste était transformé en cuisine et réserve collective. Des rangées de réchauds à charbon avec leurs piles de briquettes indiquaient que sept familles vivaient au rez-de-chaussée.

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fanchita Gonzales Batlle.


J’ai transporté pendant quelques séances de lecture, des personnes âgées, dans la cité de « la poussière rouge » à Shangaï. Et ceci grâce à Jérôme qui m’a fait connaître ce recueil. Les nouvelles commencent en 1949 et se terminent en 2005. Elles suivent toutes le même schéma narratif, on lit d’abord la presse qui pendant plus d’un demi siècle vante avec un style qui lui est propre tous les succès de la Chine sous la direction du « Parti Communiste Chinois » qui est au moins aussi infaillible que le pape, même si, il lui arrive de se contredire quand les réalités économiques dominent les réalités idéologiques. Après le préambule de la presse officielle, Qiu Xiolong, raconte les événements vus et vécus par les habitants de son quartier. Pour bien comprendre ce qu’est cette cité, il ne faut surtout pas sauter l’introduction et la façon dont se présente celui qui va vous raconter toutes ces histoires

En cette fin de l’année 1949, je vis dans cette cité depuis vingt ans, et je me propose d’être votre futur propriétaire, ou plutôt locataire principal, « ni fangdong », dont vous serez le colocataire »

Avec lui nous visitons cette cité, qui est une sorte de micro-quartier, construit sur une rue principale où tout le monde se retrouve, en particulier pour faire la cuisine et commenter avec une grande énergie tous les faits et gestes des habitants, et le long de laquelle les maisons se sont divisées en unité de plus en plus petites. Heureuses les familles qui pouvaient disposer de deux pièces ! Elles vivent, le plus souvent entassées dans une seule pièce. Étant donné le temps sur lequel s’étend les nouvelles, c’est amusant et souvent très triste de voir l’évolution de la Chine. Qui se souvient des errances idéologiques de la « grande révolution culturelle » , il s’agit de faire la preuve que les intellectuels font tous partie de l’horrible classe dominante, tous les lettrés sont visés par les directives du parti, et c’est une époque où l’on stigmatise les plus savants d’entre eux avec un tableau noir autour du cou pour les humilier avant de les renvoyer dans des communes agricoles se faire rééduquer par des paysans. Mais c’est aussi l’époque où l’on recherche des talents littéraires chez les ouvriers. C’est ce que nous raconte la nouvelle « Bao le poète ouvrier » qui dans un trait de génie écrit un poème qui pendant des années sera considéré comme un pur chef d’oeuvre de l’art populaire

Telle fève de soja produit tel tofu.
Telle eau donne telle couleur.
Tel savoir-faire fabrique tel produit.
Telle classe parle telle langue.

Toute « la dialectique de la lutte des classes » transparaît dans ce poème et Bao va devenir une star incontestée parmi les intellectuels de Shanghaï , heureusement pour lui quand on le retrouve en 1996, il est aussi un très bon fabriquant de tofu. Car sa poésie est passée aux oubliettes. Une des nouvelles qui m’a le plus amusée, et qui d’une certaine façon m’a fait penser au « sous préfet aux Champs », se passe en 1972, le président Nixon vient visiter la Chine populaire, il s’agit de nettoyer les rues de Shangaï de tous éléments perturbateurs, et neuf petits enfants se retrouvent enfermés dans une pièce de 15 mètres carré, sous la surveillance d’une grand-mère de l’un d’entre eux, seul le commissaire politique peut leur donner l’autorisation de sortir, seulement voilà le commissaire Liu était entre temps tombé fou amoureux d’une jeune serveuse à qui Nixon avait dit qu’elle était « Délicieuse »

Le brassard rouge en boule dans sa poche, le commissaire Liu nous avait oublié.

Il est parfois difficile de faire comprendre à des enfants comment les ennemis d’hier , vilipendés à longueur de colonne deviennent des hôtes que l’on doit accueillir :

L’année 1972 a commencé par des événements difficiles à comprendre à la Poussière Rouge, notamment pour des élèves de l’école élémentaire tels que nous. À commencer par le devoir politique d’accueillir le président américain Richard Nixon. Dans notre manuel scolaire, nous n’avons rien trouvé de positif sur les Américains impérialistes dont on nous apprenait qu’ils étaient l’ennemi numéro un de la Chine. Comment les choses avaient-elles pu changer du jour au lendemain ?

Dans une des nouvelles « Père et fils » on voit un vieux communiste resté malgré toutes les années de camp et les horreurs qu’on lui a fait subir fidèle à son idéal, il n’arrive pas à supporter son fils qui a troqué l’idéal communiste contre la volonté de s’enrichir. La seule façon de contourner les carcans de l’ancienne société communiste, c’est de réduire à la misère les ouvriers qui y travaillent encore. Le cœur du vieux Kang communiste ne résistera pas aux initiatives de Kang gros-sous son fils. Cette nouvelle raconte comment en une génération on est passé de la propriété privé à la propriété d’état. Le vieux Kang avait été ce cadre communiste qui va participer à la nationalisation de l’usine, il aura ensuite été persécuté comme « droitier » revenu affaibli des camps il verra son fils Kang Gros-sous, son fils privatiser de nouveau la même usine :

Ce soir là, nous avons fait transporter d’urgence le camarde Kang à l’hôpital et nous avons prié pour son rétablissement. Mais nous étions inquiets de la réacion qu’il aurait au réveil quand il apprendrait tous les détails et le rôle de Kang Gros-sous ;

Petit Hua, le nouveau résident à la Poussière rouge s’est montré moins pessimiste. « Pourquoi tant d’histoires ? L’usine du père est maintenant au fils »

Chaque nouvelle est un petit drame avec comme dans chaque drame des moments de rire qui cachent tant de larmes. J’ai retrouvé à travers cette lecture le plaisir des contes de Maupassant, qui grâce à la création littéraire nous permet de toucher du doigt toutes les cruautés des hommes. Mais comme chez Maupassant on peut en refermant avec regret ce recueil se dire :

La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais, qu’on croit.

Traduit du russe par Sophie Benech.


Merci Dominique qui a la suite d’un article de Goran, m’a conseillé et prêté ce petit livre. Il est enrichi par des dessins d’Alexeï Rémizov et de beaux poèmes de Marina Tsvétaïeva. Cet essai témoigne d’une expérience vécue par l’auteur qui a d’abord fui la Russie tsariste pour revenir ensuite participer à la révolution. Sous le régime bolchevique, s’installe une censure impitoyable, un régime de terreur et une grande famine. Comment ces gens qui faisaient vivre une librairie indépendante ont-ils réussi à survivre et à ce qu’elle dure quelques années ? Sans doute, parce qu’au début « on » ne les a pas remarqués puis, ensuite, parce que leurs compétences étaient utiles. On voit dans cet ouvrage l’énergie que des êtres humains sont capables de déployer pour faire vivre la culture. Les écrivains créaient de petits livres manuscrits pour faire connaître leurs œuvres. J’avais appris dans mes cours d’histoire que la NEP avait été un moment de répit pour les populations. en réalité c’est la NEP qui aura raison de la librairie car si la propriété privée est bien rétablie tout ce qui peut rapporter un peu d’argent est très lourdement taxé avant même d’avoir rapporté .

L’autre aspect très douloureux qui sous-tend cet essai, c’est l’extrême pauvreté dans laquelle doivent vivre les classes éduquées à Moscou. C’est terrible d’imaginer ces vieux lettrés venir vendre de superbes ouvrages pour un peu de nourriture. Et c’est terrible aussi, d’imaginer tout ce qui a été perdu de la mémoire de ce grand pays parce qu’il n’y avait plus personne pour s’y intéresser.

Citations

Ambiance dans la librairie qui a fonctionné à Moscou jusqu’en 1924

Et le client de hasard qui entrait, attiré par l’enseigne, s’étonnait d’entendre un commis discuter avec un client de grands problèmes philosophiques, de littérature occidentale ou de subtiles questions d’art, tout en continuant à travailler, à empaqueter des livres, à faire les additions, à essuyer la poussière et à charger le poêle . La politique était le seul domaine que nous n’abordions pas -non par peur, mais simplement parce que notre but, notre principal désir était justement d’échapper à la politique et de nous cantonner dans les sphères culturelles.

La pauvreté après la révolution de 17

J’espère avoir un jour – moi ou un autre -, l’occasion de revenir sur les types humains rencontrés parmi nos fournisseurs et nos acheteurs. Nous parlerons alors de ses vieux professeurs qui arrivaient d’abord avec des ouvrages inutiles, puis avec les trésors de leur bibliothèque, ainsi qu’avec ensuite avec des vieilleries sans valeur, et pour finir… Avec des livres des autres qu’ils se chargeaient d’écouler.

Les nationalisations

À Moscou, pendant les dures années 1919-1921, les années de chaos et de famine, il était presque impossible aux écrivains d’imprimer leurs livres. Le problème ne tenait pas à la censure (elle n’existait pas encore vraiment), mais à notre immense misère. Les imprimeries, le papier, l’encre, tout avait été « nationalisé », c’est-à-dire que tout avait disparu, il n’y avait pas de commerce du livre, de même qu’il n’existait pas un seul éditeur qui ne fût au bord de la faillite. Mais la vie créatrice n’avait pas cessé, les manuscrits s’entassaient chez les écrivains, et tous avaient envie d’imprimer, sinon un livre, du moins quelques pages. Ce désir était bien sur une façon de protester contre les nouvelles conditions de travail des écrivains. Et puis il fallait bien vivre. Nous décidâmes donc d’éditer et de vendre des plaquettes manuscrites, chaque auteur devant écrire et illustrer son ouvrage à la main.