Une idée de lecture que je dois à Dominique. Je conseille ce livre à tous les amoureux et amoureuses de Paris et de Modiano. J’ai déambulé dans le XVI° en lisant ce court essai et j’ai cru mettre mes pas dans ceux de Béatrice Commengé et de Modiano. Ce n’est pas un guide touristique même si cela permet de visiter Paris d’une façon originale, cette auteure sait surtout nous faire comprendre la vie de Modiano et son impérieux besoin d’écrire. Rien n’était très net dans la vie de ce jeune fils d’un juif au passé trouble et d’une actrice qui laissait souvent son fils en garde dans des lieux insolites. Quand ses parents se sont rencontrés, ils habitaient en face de cet endroit rue Sheffer dans le XVI° :

 

Ils ont connu un semblant de vie familiale au 15 quai Conti, et aussi les rigueurs de pensionnats dans lesquels il n’était pas heureux. Il a eu le malheur de perdre un frère qui semblait plus fait pour le bonheur que lui. Sinon on peut dire que son oeuvre est le reflet d’une ville dont il a connu les beaux quartiers mais aussi les quartiers populaires puisque à l’époque, il en existait encore : sa véritable demeure c’est Paris .

 

Un Paris citadin mais avec des lignes de fuites qui ont complètement disparu vers une zone entre campagne et banlieue. Enserré dans son corset périphérique Paris a perdu ce charme-là et surtout une réelle possibilité de s’agrandir. Il nous reste les livres de Modiano, cet auteur qui s’est approprié ses souvenirs et ceux de ses parents au point où il le dit lui-même

Il n’y a jamais eu pour moi ni présent, ni passé. Tout se confond.

Citations

Le Paris occupé les parents de Modiano

J’avance jusqu’à l’autre bout de la rue sans passer devant la moindre vitrine -je suis donc forcément passer, me dis-je, devant ce restaurant ou un jeune juif de trente ans (fils d’un toscan émigrés à Paris après avoir transité par Salonique, Alexandrie et le Venezuela) et une jeune actrice blonde venu d’Anvers, de six ans sa cadette, apprenaient à faire connaissance dans un Paris occupé par les Allemands, un Paris favorable aux amour précaires, un Paris insolite, où la vie semblait continuer « comme avant », avec les mêmes rengaines à la radio et du monde dans les cinémas.

Traduit de l’anglais par Hélène Claireau j’aimerais savoir pourquoi cette traductrice n’a pas traduit cette expression « afin de rompre les chiens » par « rompre la glace » ? Merci Keisha de m’avoir fait connaître l’expression en français et toutes mes excuses à Hélène Claireau

Ce livre est paru en France pour la première fois en 1947 sous le titre « la tour d’Ezra » et a certainement contribué à faire connaître et aimer Israël et les Kibboutz. Je me souviens bien de l’enthousiasme que soulevait cette vie en communauté chez les jeunes de ma génération. Le récit s’appuie sur l’expérience personnelle de Koestler qui a lui-même participé à la vie d’un Kiboutz . Cette ambiance de jeunes pionniers entourés de l’hostilité des Arabes et des Anglais est très bien rendue. Car c’est un écrivain qui sait raconter et décrire. Nous sommes avec lui sous les ciels étoilés de ce pays qui ne s’appelle pas encore Israël, nous vibrons aux évocations de tous les dangers qui les entourent. Mais cet écrivain est aussi un esprit totalement libre, et il montre bien les points de vue des trois acteurs qui se confrontent ici. Les Juifs qui en 1938 sentent le danger menacer les Juifs du monde entier, et qui veulent accélérer leur venue dans ce petit bout de territoire. Les Arabes qui, même si par intérêt financier, vendent leur terre, ne veulent pas pour autant être dépossédés de leur pays, les moins glorieux des trois, les Anglais profondément antisémites le plus souvent, et qui jouent un jeu dangereux d’alliances qui ne peuvent que tourner à la catastrophe. Ce livre est aussi un précieux rappel des faits historiques, et jamais Koestler n’élude le fait qu’Israël a été créé sur un pays qui était auparavant peuplé d’Arabes. Par ailleurs, les scènes de reconduites dans les bateaux de Juifs ayant échappé aux camp de concentration sont absolument insoutenables, il est si facile alors d’imaginer que lorsque la Shoah sera de notoriété publique rien ne pourra arrêter leur exode vers Israël.

Citations

Mariage typiquement britannique

Mrs. Newton était fille d’un sergent-major de l’armée des Indes. Une analyse serrée des motifs qui avait attiré le timide monsieur Newton vers cette grande, osseuse et virginale femelle eût produit des résultats gênants révélant la haine secrète, continue et fervente qu’avaient inspirée à Monsieur Newton Roonah, son club, l’administration et et l’armée des Indes, et la tournure d’esprit toute spéciale qui lui permit d’imaginer pour la première fois l’anguleuse et chaste fille du sergent-major dans la série d’attitudes absurdes qu’entraîne l’acte procréateur.

 

La langue d’Israël l’hébreu

Tirer l’hébreu de sa sainte pétrification pour en refaire une langue vivante à été un tour de force fantastique. Mais ce miracle implique des sacrifices. Nos enfants se servent d’une langue qui n’a pas évolué depuis le commencement de l’ère chrétienne. Elle ne porte aucun souvenir, presque aucune trace de ce qui est arrivé à l’humanité depuis la destruction du Temple. Imaginez que la langue française ait cessé de se développer depuis la « Chanson de Roland » ! Et encore, est-elle de dix siècles plus près de nous. Nos classiques sont les livres de l’Ancien Testament ; nos poèmes s’arrêtent au Cantique des Cantiques, nos nouvelles à Job. Depuis lors… Un blanc millénaire..
 L’emploi d’un idiome archaïque a évidemment son charme. Voyageant en autobus, nous offrons une cigarette à notre voisin :
-« Monseigneur désir peut-être faire la fumée ?
 – Non, merci. Faire la fumée n’est pas agréable à mes yeux. »

Dialogue impossible entre les arabes et les juifs

Cette colline n’a pas porté de récoltes depuis que nous aïeux l’ont quittée, dit Ruben Vous avez négligé la terre. Vous avez laissé les terrasses tomber en ruines et la pluie a emporté la terre. Nous allons dépierrer la colline et apporter des tracteur et des engrais. – Ce que produit la vallée nous suffit, dit le vieillard. Nous ne devons pas enlever les pierres que Dieu a placées là. Nous vivrons comme ont vécu nos pères et nous ne voulons ni de vos tracteurs ni de vos engrais, et nous ne voulons pas de vos femmes dans la vue nous offense.
 
 
(Et un peu plus loin)
– Qu’est-ce que le vieux cheik t’expliquait avec tant de solennité ?
– Que chaque peuple a le droit de vivre à sa façon, bien ou mal, sans ingérence extérieure. Il a expliqué que l’argent corrompt, que les engrais puent et que les tracteurs font du bruit, toutes choses qu’il déteste.
– Et qu’as-tu répondu ?
– Rien dit Bauman.
– Pourtant, tu as compris sa position ?
Bauman le regarda :
– Nous ne pouvons pas nous permettre de comprendre la position des autres.
Quand vous, madame, me fait l’honneur de m’inviter chez vous, est-ce que je vous demande vos conditions ? Et quand j’ai le privilège de goûter votre hospitalité, est-ce que je demande à être le maître de la maison ? Non, madame, je ne le fais pas. Il en est de même de nos amis hébreu. Ils jouissent de notre hospitalité -ahlan w’sahlan, vous êtes les bienvenus. Nous serons comme des frères. Nous vous recevrons à bras ouverts en qualité d’invités…
Nous sommes dans la même position. Nous ne demandons qu’à aider ces pauvres gens et voyez comme comment il nous remercie ils veulent nous prendre notre maison.
– La barbe avec votre histoire de maison ! Pendant les cinq cents dernières années, elle n’était pas à vous mais aux Turcs.
– la majorité de la population a toujours été arabe, dit Kemal Effendi. Ma famille, par exemple, descend directement de Walid el Shallabi, le général de Mahomet. Nous sommes la plus ancienne famille de Palestine. – Mon père est un Cohen, dit Mrs.Shenkin, Élie Cohen sont les descendants des Kohanim, les prêtres de l’ancien temps.

Un moment vivant

 Joseph déjeuna hérétiquement dans un petit restaurant arabe ou la nourriture était bon marché, sale et épicée, et dont le gros propriétaire lui confia que Hitler, protecteur de l’islam, allez bientôt détruire l’empire britannique, rendre le pays aux Arabes efflanqué les Juifs à la mer – à l’exception de Joseph qui, étant un homme instruit et l’ami du propriétaire, serait épargné et pourrait même trouver un emploi dans son établissement, à condition d’apporter quelques capital.

Épigraphe du roman

 » La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité »

Je suis triste d’être déçue par ce roman dont j’attendais tant. Et pourtant ! Que de phrases et d’idées inoubliables sous la plume de ce grand écrivain ! J’ai suivi avec tristesse cette vision d’un monde dominé par des forces religieuses qui ne cherchent qu’à torturer et à assassiner tous ceux qui ne baissent pas assez vite les yeux devant les acolytes des forces au service de la religion au pouvoir. Les scènes de meurtres en public rappellent les Talibans et Daesh, d’ailleurs alors que je lisais ce livre, j’entendais qu’en Syrie, dans un village mal défendu par des Kurdes, Daesh avait tué 29 personnes dont des enfants. Cela n’a fait que peu de bruit en France, beaucoup plus occupée par le nouveau gouvernement et les vacances scolaires. Cet auteur Algérien qui a connu la guerre contre un parti venu légalement au pouvoir, qui a tenté de fonder un état religieux archaïque qui n’hésitait pas à assassiner tous ceux qui ne pensaient pas comme eux, sait de quoi il parle et cela donne un poids immense à ce livre. Il a été lui-même plongé dans l’horreur, il a certainement vu des amis disparaître ou se transformer en bourreaux, il lui a fallu une force morale étonnante pour faire mûrir en lui ce roman. Je pense que la noirceur du récit est à l’image des sentiments qu’il a éprouvés pendant cette période atroce pour le pays qu’il aime tant. Et revoir ses fous de Dieu repartir à l’assaut d’autres régions du globe à dû le conduire à mettre sous cette forme ce qu’il a alors ressenti. Comment alors puis-je être déçue par ce livre absolument essentiel ? Le début m’a saisie et je me suis retrouvée dans une lignée d’essais d’anticipation qui ont forgé mes réflexions : Candide, Le meilleur des Mondes et bien sûr 1984 auquel ce livre fait explicitement allusion. Tout l’aspect prise en main par des forces religieuses d’un peuple soumis est remarquable et nous amène à réfléchir mais l’histoire est de plus en plus embrouillée, se perd dans des cercles concentriques qui mènent vers l’enfer absolu. C’est tellement embrouillé que je me suis égarée au milieu de tous les personnages qui luttent tous les uns contre les autres. Et le dernier tiers du livre, j’ai quelque peu abandonné Ati à son triste sort au milieu de ces fous dangereux et stupides.

 

Citations

Métaphore

Dans la montagne, la descente n’est pas facile, elle est plus dangereuse que l’ascension, la gravité aidant on succombe facilement à la tentation de la précipitation. Les vieux routiers, sibyllins en diable, ne cessent de le dire aux novices courir dans le sens de la chute est un penchant très humain.

Des points communs entre la religion de 2084 et une autre…

Et toujours la formule qui ponctue chaque chaque phrase, chaque geste de la vie du croyant : »Yolah est grand et Abi est son Délégué ! »
..les prêches restés célèbres et les magnifiques formules chocs (comme ce remarquable cri de guerre : »Allons mourir pour vivre heureux », adopté depuis par l’armée abistanaise comme devise sur son blason) avaient levé d’innombrables contingents de bons et héroïques miliciens , tous bel et bien morts en martyrs lors de la précédente Grande Guerre Sainte.

 Tartufe n’est pas si loin

Le peuple découvrait que l’habit faisait le moine et que la foi faisait le croyant.

 

20150917_105711D’abord écrit en hébreu par l’auteur traduit par lui-même en anglais et traduit en français par Pierre Emanuel DAUZAT.

Pour satisfaire les optimistes aussi bien que les pessimistes, nous pouvons conclure que notre époque est au seuil du ciel et de l’enfer, passant nerveusement de la porte de l’un à l’antichambre de l’autre. L’histoire n’a pas encore décidé où elle finira.

Non seulement, il est sur ma liseuse, mais je l’ai offert à mon petit fils. J’attends avec impatience ses réactions. Il est un peu jeune (14 ans) mais c’est un passionné de pré-histoire, je pense qu’il le lira entièrement plutôt vers 16-17 ans.

Un énorme merci à Dominique, pour m’avoir donné envie de lire ce livre que tout humain devrait lire, c’est un pavé, bien sûr mais à l’échelle de l’histoire de l’humanité ce n’est qu’un feuillet. J’ai relu trois fois ce livre avant de me lancer dans la rédaction de ce commentaire. Je voudrais tellement convaincre toutes celles et tous ceux qui n’ont pas encore découvert Yuval Noah HARARI de se mettre immédiatement à le lire. Pour cela, il ne faut pas que vous ayez peur des quelques centaines de pages que vous allez devoir avaler. Ce livre extraordinaire se lit Très facilement . Et pour une simple raison vos petites cellules grises sont maintenues en éveil par des idées qui mettent sans arrêt en cause ce que vous croyiez savoir. Pas de pitié pour les évidences ni les conforts que vous pouviez avoir, il vous faudra réfléchir mais cet écrivain a un tel sens de l’humour que vous serez bien obligé de le suivre. Je vous donne un exemple, comme moi vous avez sans doute pensé que si les femmes ne sont pas plus présentes dans les armées, c’est que dans les temps anciens se battre était surtout une question de force physique. Certes, mais de tout temps la stratégie et l’organisation des armées ne demandent aucune force physique et pourtant… Il en faudra du temps pour qu’une femme française soit à la tête des armées ! Comme moi aussi vous avez pensé que la révolution agricole a constitué un progrès pour l’humanité. Alors lisez vite ce livre pour vous rendre compte que l’homme cueilleur chasseur était beaucoup plus adapté à son environnement que l’homme qui a fait dépendre sa survie d’une seule céréale : le blé. Et vous perdrez toute estime pour l’homo-sapiens quand, vous vous rendrez compte qu’à peine celui-ci met le pied sur un continent ou sur des îles habitées seulement par des animaux parfois gigantesque en très peu de temps tous ces animaux disparaissent. Et quand, par hasard, des organisations humaines différentes de la notre, comme celles des Aborigènes de Tasmanie ont survécu à la terrible révolution agricole, il faudra moins de 30 ans aux glorieux colonisateurs britanniques pour faire disparaître complètement une population de 10 000 personnes . Cette île porte aujourd’hui, le nom du Hollandais, Abel Tasman, à l’origine de ce terrible massacre.

Si j’ai autant de citations c’est que sur ma liseuse, c’est assez simple de créer des notes et de me les envoyer. J’en ai supprimé beaucoup mais si j’en ai laissé tant ce n’est pas seulement pour vous donner envie d’aller lire ce livre mais aussi pour essayer de garder en mémoire toutes ces idées que j’ai trouvé absolument géniales. La conclusion n’est pas franchement optimiste : cette créature devenue maître de la terre et qui se prend pour Dieu pourra-t-elle surmonter ses frustrations et laisser une chance à la vie ? La question finale de Yuval Noha Harari, nous nous la posons avec lui :

Ainsi faisons-nous des ravages parmi les autres animaux et dans l’écosystème environnant en ne cherchant guère plus que nos aises et notre amusement, sans trouver satisfaction.

Y-a-t-il rien de plus dangereux que des dieux insatisfaits et irresponsables qui ne savent pas ce qu’ils veulent

 

Citations

Propos du livre

Trois révolutions importantes infléchirent le cours de l’histoire. La Révolution cognitive donna le coup d’envoi à l’histoire voici quelque 70 000 ans. La Révolution agricole l’accéléra voici environ 12 000 ans. La Révolution scientifique, engagée voici seulement 500 ans, pourrait bien mettre fin à l’histoire et amorcer quelque chose d’entièrement différent. Ce livre raconte comment ces trois révolutions ont affecté les êtres humains et les organismes qui les accompagnent.

L’arrivée de l’homme

Ce qu’il faut avant tout savoir des hommes préhistoriques, c’est qu’ils étaient des animaux insignifiants, sans plus d’impact sur leur milieu que des gorilles, des lucioles ou des méduses

 

les Hommes sont victorieux

Le Sapiens, en revanche, ressemble plus au dictateur d’une république bananière. Il n’y a pas si longtemps, nous étions les opprimés de la savane, et nous sommes pleins de peurs et d’angoisses quant à notre position, ce qui nous rend doublement cruels et dangereux. Des guerres meurtrières aux catastrophes écologiques, maintes calamités historiques sont le fruit de ce saut précipité.

 

Humour et comparaison

Tandis qu’un chimpanzé passe cinq heures à mâchonner de la nourriture crue, une heure suffit à un homme qui mange de la nourriture cuisinée. L’apparition de la cuisine permit aux hommes de manger des aliments plus variés, de passer moins de temps à se nourrir, et de le faire avec des dents plus petites et des intestins plus courts. Selon certains spécialistes, il existe un lien direct entre l’apparition de la cuisine, le raccourcissement du tube digestif et la croissance du cerveau. Les longs intestins et les gros cerveaux dévorant chacun de l’énergie, il est difficile d’avoir les deux.

Sapiens et Neandertal

Une autre possibilité est que la concurrence autour des ressources ait dégénéré en violences et en génocide. La tolérance n’est pas une marque de fabrique du Sapiens. Dans les Temps modernes, une petite différence de couleur de peau, de dialecte ou de religion a suffi à pousser un groupe de Sapiens à en exterminer un autre. Les anciens Sapiens auraient-ils été plus tolérants envers une espèce humaine entièrement différente ? Il se peut fort bien que la rencontre des Sapiens et des Neandertal ait donné lieu à la première et la plus significative campagne de nettoyage ethnique de l’histoire.

L’importance du bavardage

On pourrait croire à une plaisanterie, mais de nombreuses études corroborent cette théorie du commérage. Aujourd’hui encore, la majeure partie de la communication humaine – e-mails, appels téléphoniques et échos dans la presse – tient du bavardage. Celui-ci nous est si naturel qu’il semble que notre langage se soit précisément développé à cette fin

Fonction du langage

La capacité de dire : « Le lion est l’esprit tutélaire de notre tribu. » Cette faculté de parler de fictions est le trait le plus singulier du langage du Sapiens. On conviendra sans trop de peine que seul l’Homo sapiens peut parler de choses qui n’existent pas vraiment et croire à six choses impossibles avant le petit déjeuner

 

L’importance de la fiction

Le secret réside probablement dans l’apparition de la fiction. De grands nombres d’inconnus peuvent coopérer avec succès en croyant à des mythes communs. Toute coopération humaine à grande échelle – qu’il s’agisse d’un État moderne, d’une Église médiévale, d’une cité antique ou d’une tribu archaïque – s’enracine dans des mythes communs qui n’existent que dans l’imagination collective.

Réalité imaginaire plus forte que le réel

Depuis la Révolution cognitive, les Sapiens ont donc vécu dans une double réalité. D’un côté, la réalité objective des rivières, des arbres et des lions ; de l’autre, la réalité imaginaire des dieux, des nations et des sociétés. Au fil du temps, la réalité imaginaire est devenue toujours plus puissante, au point que de nos jours la survie même des rivières, des arbres et des lions dépend de la grâce des entités imaginaires comme le Dieu Tout-Puissant, les États-Unis ou Google.

 

Les élites avec l’humour de l’auteur

Un exemple de choix est l’apparition répétée d’élites sans enfants telles que le clergé catholique, les moines bouddhistes et les bureaucraties chinoises d’eunuques. L’existence de pareilles élites va contre les principes les plus fondamentaux de la sélection naturelle puisque ces membres dominants de la société renoncent volontiers à la procréation. Ce n’est pas en refilant le « gène du célibat » d’un pape à l’autre que l’Église catholique a survécu, mais en transmettant les histoires du Nouveau Testament et du droit canon

Supériorité sur les singes

On aurait cependant tort de rechercher les différences au niveau de l’individu ou de la famille. Pris un par un, voire dix par dix, nous sommes fâcheusement semblables aux chimpanzés. Des différences significatives ne commencent à apparaître que lorsque nous franchissons le seuil de 150 individus ; quand nous atteignons les 1 500-2 000 individus, les différences sont stupéfiantes. Si vous essayiez de réunir des milliers de chimpanzés à Tian’anmen, à Wall Street, au Vatican ou au siège des Nations unies, il en résulterait un charivari. En revanche, les Sapiens se réunissent régulièrement par milliers dans des lieux de ce genre. Ensemble, ils créent des structures ordonnées – réseaux commerciaux ..

Connaissance de la nature

De nos jours, la grande majorité des habitants des sociétés industrielles n’a pas besoin de savoir grand-chose du monde naturel pour survivre. Que faut-il vraiment savoir de la nature pour être informaticien, agent d’assurances, professeur d’histoire ou ouvrier ? Il faut être féru dans son tout petit domaine d’expertise mais, pour la plupart des nécessités de la vie, on s’en remet aveuglément à l’aide d’autres connaisseurs, dont le savoir se limite aussi à un minuscule domaine d’expertise. La collectivité humaine en sait aujourd’hui bien plus long que les bandes d’autrefois. Sur un plan individuel, en revanche, l’histoire n’a pas connu hommes plus avertis et plus habiles que les anciens fourrageurs.

Survivre en ce temps-là nécessitait chez chacun des facultés mentales exceptionnelles. L’avènement de l’agriculture et de l’industrie permit aux gens de compter sur les talents des autres pour survivre et ouvrit de nouvelles « niches pour imbéciles ». On allait pouvoir survivre et transmettre ses gènes ordinaires en travaillant comme porteur d’eau ou sur une chaîne de montage

Supériorité du fourrageur

De surcroît, côté corvées domestiques, leur charge était bien plus légère : ni vaisselle à laver, ni aspirateur à passer sur les tapis, ni parquet à cirer, ni couches à changer, ni factures à régler. L’économie des fourrageurs assurait à la plupart des carrières plus intéressantes que l’agriculture ou l’industrie. De nos jours, en Chine, une ouvrière quitte son domicile autour de sept heures du matin, emprunte des rues polluées pour rejoindre un atelier clandestin où elle travaille à longueur de journée sur la même machine : dix heures de travail abrutissant avant de rentrer autour de dix-neuf heures faire son travail domestique.

Moins malade

De surcroît, n’étant pas à la merci d’un seul type d’aliment, ils étaient moins exposés si celui-ci venait à manquer. Les sociétés agricoles sont ravagées par la famine si une sécheresse, un incendie ou un tremblement de terre ruine la récolte.
Les anciens fourrageurs souffraient aussi moins des maladies infectieuses. La plupart de celles qui ont infesté les sociétés agricoles et industrielles (variole, rougeole et tuberculose) trouvent leurs origines parmi les animaux domestiqués et n’ont été transmises à l’homme qu’après la Révolution agricole.

L’homme arrive en Australie

Or, plus de 90 % de la mégafaune australienne a disparu en même temps que le diprotodon. Les preuves sont indirectes, mais on imagine mal que, par une pure coïncidence, Sapiens soit arrivé en Australie au moment précis où tous ces animaux mouraient de froid.

Si l’extinction australienne était un événement isolé, nous pourrions accorder aux hommes le bénéfice du doute. Or, l’histoire donne de l’Homo sapiens l’image d’un serial killer écologique.

Les coupables, c’est nous. Mieux vaudrait le reconnaître. Il n’y a pas moyen de contourner cette vérité. Même si le changement climatique nous a aidés, la contribution humaine a été décisive.

 La révolution agricole

 La révolution agricole est l’un des événements les plus controversés de l’histoire. Certains de ses partisans proclament qu’elle a engagé l’humanité sur la voie de la prospérité et du progrès. D’autres soutiennent qu’elle est la voie de la perdition. C’est à ce tournant, selon eux, que Sapiens s’arracha à sa symbiose intime avec la nature pour sprinter vers la cupidité et l’aliénation. Où qu’elle menât, c’était une voie sans retour. L’agriculture permit aux populations une croissance si forte et si rapide qu’aucune société complexe ne pourrait plus jamais subvenir à ses besoins.

L’angoisse du paysan

Le paysan anxieux était aussi frénétique et dur à la tâche qu’une fourmi moissonneuse en été, suant pour planter des oliviers dont ses enfants et petits-enfants seulement presseraient l’huile, mettant de côté pour l’hiver ou l’année suivante des vivres qu’il mourait d’envie de manger tout de suite. Le stress de la culture fut lourd de conséquences. Ce fut le fondement de systèmes politiques et sociaux de grande ampleur. Tristement, les paysans diligents ne connaissaient quasiment jamais la sécurité économique dont ils rêvaient en se tuant au travail. Partout surgirent des souverains et des élites qui se nourrirent du surplus des paysans

Richesse et révolutions

Et si aucun accord n’est trouvé, le conflit se propage – même si les entrepôts regorgent de vivres. Les pénuries alimentaires ne sont pas à l’origine de la plupart des guerres et des révolutions de l’histoire. Ce sont des avocats aisés qui ont été le fer de lance de la Révolution française, non pas des paysans faméliques. La République romaine atteignit le faîte de sa puissance au premier siècle avant notre ère, quand des flottes chargées de trésors de toute la Méditerranée enrichirent les Romains au-delà des rêves les plus fous de leurs ancêtres. Or, c’est à ce moment d’abondance maximale que l’ordre politique romain s’effondra .

L’importance de la religion

De toutes les activités humaines collectives, la violence est la plus difficile à organiser. Dire qu’un ordre social se maintient à la force des armes soulève aussitôt une question : qu’est-ce qui maintient l’ordre militaire ? Il est impossible d’organiser une armée uniquement par la coercition. Il faut au moins qu’une partie des commandants et des soldats croient à quelque chose : Dieu, l’honneur,

Les septiques

Le philosophe grec Diogène, fondateur de l’école cynique, logeait dans un tonneau. Un jour qu’Alexandre le Grand lui rendit visite, Diogène se prélassait au soleil. Alexandre voulut savoir s’il pouvait faire quelque chose pour lui, et le Cynique lui répondit : « Oui, en effet. Ôte-toi de mon soleil ! » Voilà pourquoi les cyniques ne bâtissent pas d’empire, et pourquoi un ordre imaginaire ne saurait être maintenu que si de grandes sections de la population – notamment, de l’élite et des forces de sécurité – y croient vraiment. Le christianisme n’aurait pas duré deux mille ans si la majorité des évêques et des prêtres n’avaient pas cru au Christ

les femmes et les travaux de force

Beaucoup de femmes courent plus vite et soulèvent des poids plus lourds que beaucoup d’hommes. Secundo, et c’est des plus problématiques pour cette théorie, les femmes ont été tout au long de l’histoire exclues surtout des tâches qui exigent peu d’effort physique (prêtrise, droit, politique) et ont dû assumer de nombreux travaux manuels rudes aux champs, dans les artisanats et à la maison.

L’expérience communiste

L’expérience la plus ambitieuse et la plus célèbre de ce genre fut menée en Union soviétique : ce fut un échec lamentable. En pratique, le principe du « chacun travaillait suivant ses capacités et recevait suivant ses besoins » se transforma en « chacun travaillait aussi peu que possible pour recevoir le plus possible »

La monnaie

La monnaie est donc un moyen d’échange universel qui permet aux gens de convertir presque tout en presque tout. Le soldat démobilisé peut délaisser la force musculaire pour se muscler la cervelle en utilisant sa solde afin de payer ses droits d’inscription en fac. La terre peut se convertir en loyauté quand un baron vend des biens pour entretenir sa suite. La santé peut se convertir en justice quand un médecin se sert de ses honoraires pour recourir aux services d’un avocat – ou soudoyer un juge. Il est même possible de transformer le sexe en salut : ainsi les putains du xve siècle, quand elles couchaient avec des hommes pour de l’argent qu’elles utilisaient ensuite pour acheter des indulgences à l’Église catholique.

Des chrétiens et des musulmans qui ne sauraient s’entendre sur des croyances religieuses pourraient néanmoins s’accorder sur une croyance monétaire parce que, si la religion nous demande de croire à quelque chose, la monnaie nous demande de croire que d’autres croient à quelque chose

L’importance de la religion

De nos jours, la religion est souvent considérée comme une source de discrimination, de désaccord et de désunion. En vérité, pourtant, elle a été le troisième grand unificateur de l’humanité avec la monnaie et les empires. Les ordres sociaux et les hiérarchies étant toujours imaginaires, tous sont fragiles, et le sont d’autant plus que la société est vaste.

Reste que si l’on additionne les victimes de toutes ces persécutions, il apparaît qu’en trois siècles les Romains polythéistes ne tuèrent pas plus de quelques milliers de chrétiens[1]. À titre de comparaison, au fil des quinze siècles suivants, les chrétiens massacrèrent les chrétiens par millions pour défendre des interprétations légèrement différentes d’une religion d’amour et de compassion.

Lors du massacre de la Saint-Barthélemy, entre 5 000 et 10 000 protestants trouvèrent la mort en moins de vingtquatre heures. Quand le pape apprit la nouvelle à Rome, sa joie fut telle qu’il organisa des prières de liesse pour célébrer l’occasion et chargea Giorgio Vasari de faire une fresque du massacre dans une salle du Vatican (aujourd’hui inaccessible aux visiteurs[2]). Plus de chrétiens moururent de la main d’autres chrétiens au cours de ces vingt-quatre heures que sous l’Empire romain polythéiste tout au long de son existence.

La révolution scientifique

La Révolution scientifique a été non pas une révolution du savoir, mais avant tout une révolution de l’ignorance. La grande découverte qui l’a lancée a été que les hommes ne connaissent pas les réponses à leurs questions les plus importantes. Les traditions prémodernes du savoir comme l’islam, le christianisme, le bouddhisme et le confucianisme affirmaient que l’on savait déjà tout ce qu’il était important de savoir du monde.

Mortalité enfantine

la reine Eleanor eut seize enfants entre 1255 et 1284 : 1. Fille anonyme née en 1255, morte à la naissance. 2. Catherine, morte à 1 ou 3 ans. 3. Joan, morte à 6 mois. 4. John, mort à 5 ans. 5. Henry, mort à 6 ans. 6. Eleanor, morte à 29 ans. 7. Fille anonyme morte à 5 mois. 8. Joan, morte à 35 ans. 9. Alphonso, mort à 10 ans. 10. Margaret, morte à 58 ans. 11. Berengeria, morte à 2 ans. 12. Fille anonyme morte peu après la naissance. 13. Mary, morte à 53 ans. 14. Fils anonyme mort peu après la naissance. 15. Elizabeth, morte à 34 ans. 16. Édouard. Le plus jeune, Édouard, fut le premier des garçons à survivre aux dangereuses années de l’enfance

L’horreur du monde moderne

Pire encore fut le destin des indigènes de Tasmanie. Ayant survécu à 10 000 ans de splendide isolement, ils furent tous éliminés : un siècle après l’arrivée de Cook, hommes, femmes et enfants avaient disparu jusqu’au dernier. Les colons européens commencèrent par les refouler des parties les plus riches de l’île, puis, convoitant même les parties désertiques restantes, ils les traquèrent et les tuèrent systématiquement

Une blague (drôle)

Un jour qu’ils s’entraînaient, les astronautes tombèrent sur un vieil indigène américain. L’homme leur demanda ce qu’ils fabriquaient là. Ils répondirent qu’ils faisaient partie d’une expédition de recherche qui allait bientôt partir explorer la Lune. Quand le vieil homme entendit cela, il resta quelques instants silencieux, puis demanda aux astronautes s’ils pouvaient lui faire une faveur. « Que voulez-vous ? – Eh bien, fit le vieux, les gens de ma tribu croient que les esprits saints vivent sur la Lune. Je me demandais si vous pouviez leur transmettre un message important de la part des miens. – Et quel est le message ? » demandèrent lesastronautes. L’homme marmonna quelque chose dans son langage tribal, puis demanda aux astronautes de le répéter jusqu’à ce qu’ils l’aient parfaitement mémorisé. « Mais qu’est-ce que ça veut dire ? – Je ne peux pas vous le dire. C’est un secret que seuls sont autorisés à savoir notre tribu et les esprits de la Lune. » De retour à leur base, les astronautes ne ménagèrent pas leurs efforts pour trouver quelqu’un qui sût parler la langue de la tribu et le prièrent de traduire le message secret. Quand ils répétèrent ce qu’ils avaient appris par cœur, le traducteur partit d’un grand éclat de rire. Lorsqu’il eut retrouvé son calme, les astronautes lui demandèrent ce que ça voulait dire. L’homme expliqua. Ce qu’ils avaient si méticuleusement mémorisé voulait dire : « Ne croyez pas un seul mot de ce qu’ils vous racontent. Ils sont venus voler vos terres. »

L’esclavage

Dix millions d’esclaves africains, dont près de 70 % pour les plantations de canne à sucre. Les conditions de travail étaient abominables. La plupart avaient une vie brève et misérable. Des millions d’autres moururent au cours des guerres menées pour les capturer ou au cours du long voyage du cœur de l’Afrique aux côtes de l’Amérique. Tout cela pour que les Européens sucrent leur thé et mangent des bonbons… et que les magnats du sucre empochent d’énormes profits

Le consumérisme

L’obésité est une double victoire pour le consumérisme. Au lieu de manger peu, ce qui provoquerait une récession économique, les gens mangent trop puis achètent des produits diététiques – contribuant ainsi doublement à la croissance économique.

Le temps

En 1784 commença à opérer en Grande-Bretagne un service de voitures avec des horaires publics : ceux-ci n’indiquaient que l’heure de départ, pas celle d’arrivée. En ce temps-là, chaque ville ou chaque bourg avait son heure locale, laquelle pouvait différer de celle de Londres d’une bonne demi-heure. Quand il était midi à Londres, il pouvait être 12 h 20 à Liverpool et 11 h 50 à Canterbury. Comme il n’y avait ni téléphones, ni radio, ni télévision, et pas de trains rapides, qui pouvait savoir, et qui s’en souciait[2] ? 

L’importance de l’état

L’État prête aussi une attention plus soutenue aux relations familiales, surtout entre parents et enfants. Les parents sont obligés d’envoyer leurs enfants à l’école. L’État peut prendre des mesures contre les parents particulièrement abusifs ou violents. Au besoin, il peut même les jeter en prison ou placer leurs enfants dans des familles nourricières. Il n’y a pas si longtemps, l’idée que l’État doive empêcher les parents de battre ou d’humilier leur progéniture eût été balayée d’un revers de main comme une idée ridicule et inapplicable. Dans la plupart des sociétés, l’autorité parentale est sacrée.

Cet essai n’est qu’un humble tribut de reconnaissance envers l’art français qui nous a aidé à vivre pendant ces quelques années en URSS.


Un livre que j’avais déjà remarqué puis oublié et qui m’a été remis en mémoire par Sandrine. Les circonstances de ce livre sont stupéfiantes : Joseph Czapski faisait partie des officiers polonais capturés par les soviétiques alors qu’ils voulaient combattre les nazis. Ce fut une conséquence du pacte Germano-Soviétique et comme la Russie a fini par le reconnaître en 1990, environ 30 000 officiers polonais furent tués par balle à Katyn. Joseph Czapski fait partie des quelques survivants, il ne sait pas ce que sont devenus ses amis. Voici ce qu’il dit dans son introduction

Nous étions soixante-dix-neuf de Starobielsk sur quatre mille. Tous nos autres camarades de Starobielsk disparurent sans laisser de trace.

Au camp-goulag de Grazowietz plutôt que de se laisser aller, avec ses amis, il organise des conférences sur les spécialités des différents intellectuels polonais prisonniers. Lui est peintre, il avait découvert l’oeuvre de Proust à Paris et décide donc de le présenter à ses camarades. De mémoire, car bien sûr il n’a pas de livres avec lui, il fait une présentation très fine de « la Recherche ». C’est très émouvant de s’imaginer ces pauvres hommes réduits à la condition de « zek » par la vie dans un goulag russe, écoutant ses conférences :

Je vois encore mes camarades entassés sous les portraits de Marx, Engels et Lénine, harassés après un travail dans un froid qui montait jusqu’à quarante cinq degrés, qui écoutaient nos conférences sur des thèmes tellement éloignés de notre réalité d’alors.
Je pensais alors avec émotion à Proust, dans sa chambre de liège, qui serait bien étonné et touché peut-être de savoir que vingt ans après sa mort des prisonniers polonais, après une journée entière passée dans la neige et le froid qui arrivait à quarante degrés, écoutaient avec un intérêt intense l’histoire de la duchesse de Guermantes, la mort de Bergotte et tout ce dont je pouvais me souvenir de ce monde de découvertes psychologiques précieuses et de beauté littéraire.

Quel plaisir de partager avec lui les souvenirs de cette oeuvre si particulière ! il fait revivre Swann, la duchesse de Guermantes et Bergotte et mieux que je ne saurais le faire, analyse l’importance de Bergson chez Proust en particulier pour cette notion du temps dans son oeuvre. Il balaie d’un revers de plume l’accusation de snobisme (qui d’ailleurs n’est plus guère de mise aujourd’hui). Il trouve même dans la recherche des accents pascaliens, je n’ai pas très bien compris pourquoi. Joseph Czapski est un artiste peintre de talent et il possède une culture personnelle d’un autre temps.

Il replace Proust dans son époque au milieu d’artistes, peintres ou écrivains dont il semble connaître parfaitement les œuvres. Et tout cela de mémoire ! j’ai eu l’impression de retrouver certains grands universitaires qui ont enchanté mes études. Mais eux, avaient des bibliothèques à leur disposition. Lui n’avait que ses souvenirs.

Tous ceux qui lisent avec plaisir Proust aiment entendre parler de leur auteur et seront sensibles à la prouesse intellectuelle de Joseph Czapski et des circonstances de la rédaction de ce court texte.

Citations

L’écrivain vieillissant et la prétention

Ce qui étonne, c’est que Bergotte, comme proche ami de Swann, se met à en dire du mal en voiture, avec beaucoup de finesse, de détachement, de facilité, au jeune garçon qui le voit pour la première fois. Bergotte donne l’occasion à Proust d’étudier avec cet esprit lucide et juste toutes les faiblesses, toutes les petites et grandes lâchetés, tous les mensonges si souvent rencontrés chez les artistes. Nous voyons dans les volumes suivants Bergotte vieilli, à l’époque de sa plus grande renommée, avec sa force créatrice en extinction. Maintenant, quand il écrit des livres de plus en plus rares, de moindre qualité, écrits avec infiniment plus d’efforts et avec ces sentiments de joie et nécessité intérieure bien affaiblis, il aime à répéter la phrase suivante : « Je pense qu’en écrivant ces livres j’ai été utile à mon pays » , phrase qu’il ne disait jamais du temps de ses chefs-d’oeuvre.

Comme je suis d’accord avec cette remarque

Chez Proust nous rencontrons un manque tellement absolu de parti pris, une volonté de savoir et de comprendre les états d’âme les plus opposés les uns aux autres, une capacité de découvrir dans l’homme le plus bas les gestes nobles à la limite du sublime, et des réflexes bas chez les êtres les plus purs, que son oeuvre agit sur nous comme la vie filtrée et illuminée par une conscience dont la justesse est infiniment plus grande que la nôtre.

La France à l’époque de Proust

Cette fin du XIXe siècle d’où découle la vision proustienne, est un moment suprême de l’art. La France produit alors un nombre d’artistes de génie qui, en surmontant toutes les contradictions profondes qui déchirait l’époque, arrivent à un art de synthèse.

Le projet littéraire de Proust

Nous appelons aujourd’hui tous les romans immenses, plus ou moins influencés par la forme de Proust, des romans-fleuves. Mais aucun de ces romans ne répond à cette dénomination à ce point qu’ « À la recherche du temps perdu ». Ce n’est pas ce qu’entraîne le fleuve avec soi : des bûches, un cadavre, des perles, qui représentent le côté spécifique du fleuve, mais le courant même sans arrêt. Le lecteur de Proust, en rentrant dans les flots apparemment monotones, est frappé non par les faits, mais par les personnes telles ou autres, par la vague non arrêtée dans son mouvement de vie même. Le projet primitif de son oeuvre, qu’avait Proust, n’a pas pu être réalisé dans sa forme extérieure d’après son désir. Proust voulait faire paraître cette immense « somme » en un seul volume, sans alinéas, sans marges, sans parties ni chapitres. Le projet sembla absolument ridicule aux éditeurs les plus cultivés de Paris et Proust fut forcé de morcelé son oeuvre en quinze ou seize volumes, avec des titres englobant deux ou trois volumes.


Terrible tentatrice devant l’éternel (j’essaie d’élever mes références depuis la recommandation du livre à propos de la Bible mais je sens que ça ne va pas durer), Dominique a encore sévi et comme j’ai adoré cette lecture, je viens aussi vous la recommander. Que les nuls en orthographe se rassurent, ce livre s’adressent aussi bien à eux qu’à ceux et celles qui croient tout savoir. L’orthographe française est un long chemin celui qui l’emprunte ne peut être sûr que d’une chose, il n’est pas prêt d’en voir la fin. J’ai beaucoup aimé la modestie et l’humour de l’auteur. Ses remarques sonnent justes : pour avoir enseigné le français à des étrangers, je peux confirmer que dire correctement le vélo et la bicyclette reste toujours une difficulté. Évidemment, il y a les fameuses listes : « tous les mots en -ette- sont sont féminins » et à ce moment là, j’entends encore, les étudiants dire en chœur « sauf  ? » et bien oui, il y a « un squelette » . Mais il peut rester dans son placard, celui où on met tous les mots qui ne veulent pas entrer (j’ai failli écrire rentrer !) dans les fameuses listes.

J’ai beaucoup aimé partager sa vie de correctrice et j’aimerais passer une journée dans « le cassetin » pour entendre les correcteurs discuter sur le pluriel « d’Orignal » par exemple. Elle se raconte avec humour, elle et ses tocs de correctrice, comme elle, je corrige malgré moi les accords de participe passé et certaines liaisons, comme elle, deux cents « H » euros me gênent mais moins que deux cents « t » euros. Et puis elle a parlé de l’erreur que j’entends tout le temps, même dans mes émissions préférées de France Culture. Je veux parler du nom « une espèce », tout le monde sait que c’est un nom féminin, alors pourquoi j’entends toujours « un espèce d’imbécile » et « une espèce d’idiote », comme c’est ma faute préférée, je suis très contente qu’elle en parle.

Lisez ce livre et faites le lire, car, soit vous deviendrez modeste en vous disant au moins une fois ou deux « je ne savais pas ça », soit vous perdrez tous vos complexes en vous rendant compte que même Muriel Gilbert (Gilbert,comme le prénom !) peut laisser passer quelques fautes et celle-ci vous étonnera ou vous décomplexera à jamais.

Nous avons laissé passer en août 2016 dans un article culturel un ils voyèrent qui nous a valu, à la correction, au courrier des lecteurs et à l’auteur de l’article -et de la bourde initiale-, une dizaine de messages moqueurs ou ulcérés ; ça sonne bien, pourtant ils voyèrent, non ?

Citations

La vie à Breux-Jouy a dû bien changer

 A moins de 40 kilomètres de Paris on y allait encore chercher son lait et ses œufs à la ferme, en balançant au bout de son bras un bidon en alu et une valisette en plastique à six alvéoles. Les poubelles étaient ramassées par un à-peu-près-clochard répondant au prénom héroïco-grec d’Achille,accompagné d’un percheron aux sabots couverts de poils tirant une charrette en bois. J’ai oublié le prénom du cheval.

C’est vrai et c’est amusant

Ça rime pas Certains mots ne riment avec aucun autre. C’est le cas notamment de : belge, goinfre, meurtre, monstre, pauvre, quatorze, quinze, simple et triomphe.

Un petit sourire

Emma, une jeune Britannique fraîchement débarquée à Paris avec qui j’ai travaillé comme interprète au BHV, se demandait ce qu’étaient devenus les ponts un à huit à Paris, puisque nous avions un « pont neuf ». Quand j’ai expliqué en rigolant que neuf était synonyme de nouveau, elle s’est moquée de moi en me montrant dans un guide que c’était le plus vieux pont de Paris. Avouez qu’il y a de quoi en perdre son latin.

L’arme du correcteur : le doute

En fait, le correcteur devrait douter sans cesse, la langue est si complexe, si farceuse, si mouvante, et la cervelle humaine si faillible, qu’il lui faut douter, vérifier, mais parfois il ne parvient pas à lever le doute, ne trouve pas de quoi appuyer une certitude.

Le doute

 Le directeur a de bonnes raisons de douter, car Larousse.fr dit deux orignals tandis que sa version papier et Le Robert penchent pour les orignaux ! Vous savez quoi ? Le cas échéant, commandez donc des élans.

Un de mes cauchemars d’enseignante

 Il y a une exception(ben oui), -tout adverbe- s’accorde avec un adjectif féminin commençant par une consonne ou un h aspiré : Les deux sœurs sont tout étonnées, mais l’une est tout heureuse et l’autre toute honteuse.

Origine des correcteurs

Il y a les anciens enseignants, les anciens rédacteurs, les anciens traducteurs, les anciens étudiants à rallonge, les anciens glandeurs, les comédiens contrariés, les ex-normaliens, les anciens secrétaires de rédaction, les anciens publicitaires, les anciens guides touristiques, les anciens historiens, les anciens élus et militants politiques. Ainsi que toutes les combinaisons, imaginables ou non, de ce qui précède, en versions qui vont du super diplômé jusqu’au parfait autodidacte.

Travail qui ne se voit pas

Comme celui de la femme de ménage, le travail du correcteur, transparent, ne se remarque que lorsqu’il est mal fait. C’est l’un des aspects un poil frustrants du métier. Et pourtant, sans elle, la maison est invivable ; sans lui, le journal n’en est plus un.

Humour

Au Pyla-sur-Mer, coquette station balnéaire, j’ai voulu escalader l’étonnante dune… du Pilat. Là, je m’affole. Cherche où est la faute. Agace les covacanciers qui peuplent ma voiture. Lis les cartes, examine les panneaux, dont chacun semble présenter la graphie qui seyait le mieux à celui qui a décidé de le planter là – il y a du Pyla, du Pilat, du Pylat… J’ai bien failli finir par me jeter du haut de la dune en m’arrachant les cheveux, mais j’ai
préféré me suicider à coups de glaces en cornet chez Ô Sorbet, à Arcachon. 

Le genre

les Français ont une passion pour le sexe des mots. Le Français dit une huître mais un escargot, une voiture mais un camion. L’huître n’est pourtant ni femelle ni mâle, elle est hermaphrodite, changeant de sexe à la fin de chaque saison ou après chaque émission de semence ; quant à l’escargot, il produit à la fois des spermatozoïdes et des ovules.
Mais le plus étrange n’est-il pas que le mot « féminin » soit du genre masculin.
PS. : si vous lisez ce livre vous comprendrez vite pourquoi j’ai mis un peu de rouge.

Traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg.

C’est un livre absolument génial, d’ailleurs, Keisha  l’a mis deux fois sur son blog ! La petite souris jaune dont j’aime beaucoup les idées de lecture, l’a aussi plébiscité. J’avais emporté le livre Rosa Montero dont j’ai déjà chroniqué « le territoire des barbares » et « le roi transparent » dans un voyage aux Açores, j’aime beaucoup relier un voyage à une bonne lecture. Je suppose que cette auteure va être ravie, elle vient d’obtenir 5 coquillages pour la première fois sur Luocine, et encore si je pouvais lui mettre tous les coquillages de la plage, je les lui mettrais sans aucune hésitation. C’est un livre génial et j’ai eu envie de le recopier en entier, tellement j’ai peur d’oublier ces purs moments de bonheur total, je voudrais apprendre ce livre par cœur pour pouvoir le citer sans effort, Rosa Montero donne des clés sur ce qui l’amène à écrire :

Je pourrais dire aussi que j’écris pour supporter l’angoisse de la nuit. Dans l’agitation fébrile de l’insomnie, pendant qu’on se tourne et se retourne dans son lit, on a besoin de penser à quelque chose pour ne pas voir les menaces envahir les ténèbres.

À travers de courts chapitres, tous très intéressants, elle traite des différents moments de la création littéraire. C’est vivant, varié et drôle. On la suit aussi dans ses amours, déceptions et emballements mais ce n’est pas une autobiographie car l’imagination de la romancière n’est jamais bien loin. Il ne s’agit pas, non plus, d’un essai exact et méticuleux au sujet de la création romanesque mais d’un livre qui permet de faire vivre la création. D’ailleurs ses amours avec » M » pourraient donner lieu à 3 romans différents qui lui restent à écrire. Rosa Montero foisonne d’idées, « la folle du logis » envahit toute sa vie et ses réflexions. Ce livre est aussi un régal pour la balade qu’il nous fait faire chez les romanciers les plus variés. Les portraits sont rapides et jamais méchants, j’ai remis, grâce à elle, dans mes listes le livre de Victor Klemperer que je voulais lire depuis longtemps à propos du langage totalitaire. On est en bonne compagnie avec tous les auteurs dont elle parle bien mais elle n’est jamais, vis à vis d’eux, dans une admiration béate. Je suis ravie de ce qu’elle a écrit sur Goethe dont l’oeuvre m’a tellement ennuyée et pourtant, j’ai essayé tant de fois de le lire. Je suis contente qu’elle rappelle la méchanceté stupide de Sainte-Beuve contre Stendahl. Car c’est aussi cela son livre, un cheminement avec des auteurs connus qui sont dans toutes les mémoires des écrivains et des lecteurs. Elle sait qu’entre écrire et lire, si elle était obligée de choisir, elle garderait la lecture qui, pour elle, représente les fondations à tout acte d’écriture. (J’en suis restée aux fondations ! !)

Citations

Souvenirs familiaux

Ma sœur Martina et moi échangeons parfois, comme des images, certaines scènes du passé : c’est à peine si le foyer familial dessiné par chacune de nous a des points communs. Ses parents s’appelaient comme les miens et habitaient une rue portant le même nom mais ce ne sont absolument pas les mêmes personnes.

Nous inventons nos souvenirs, ce qui revient à dire que nous nous inventons nous – mêmes car notre identité se trouve dans notre mémoire, dans le récit de notre biographie.

L’écrivaine

Les mots sont pareils à ces poissons des grandes profondeurs, un simple scintillement d’écailles au milieu des eaux noires. S’ils se décrochent de l’hameçon, on a peu de chance de les repêcher. Les mots sont rusés, rebelles et fuyants. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (en faire un cliché) c’est le tuer.

La mort

Les romanciers, scribes incontinents, décrochent inlassablement des mots contre la mort, comme des archers postés sur les créneaux d’un château fort en ruine. Mais le temps est un dragon à la peau dure qui dévore tout. Nul ne se souviendra de la plupart d’entre nous dans un siècle ou deux  : ce sera exactement comme si nous n’avions pas existé. L’oubli total de nos prédécesseur est une chape de plomb, la défaite qui préside à notre naissance et vers laquelle nous nous dirigeons. Notre pêché originel.

Ecrire

Aussi longtemps qu’ils restent dans les limbes rutilantes de l’imaginaire, dans le domaine des projets et des idées, nos livres sont absolument merveilleux, les meilleurs qu’on ait jamais écrits. C’est plus tard que les choses se gâtent, au moment où on se met à les fixer mot après mot dans la réalité, comme Nabokov épinglait ses malheureux papillons sur du liège, quand on les transforme inexorablement en choses mortes, en insectes crucifiés, même si on les recouvre de poudre d’or.

L’engagement

Parfois, une même personne peut avoir des comportements différents : se montrer héroïque face à certaines menaces et lamentables en d’autres circonstances. Le très célèbre manifeste de Zola en faveur de Dreyfus est toujours cité comme exemple de l’engagement moral et politique de l’écrivain et Zola a dû sans aucun doute faire preuve de courage pour écrire son « J’accuse » plein de fureur, pratiquement seul face à tous les bien-pensants. Mais on oublie que ce même Zola avait refusé trois ans plus tôt de signer le manifeste à Oscar Wilde, condamné à deux ans d’emprisonnement dans les terribles geôles victoriennes pour homosexualité.

L’envie d’être lu

Dieu sait d’où nous vient ce besoin impérieux qui fait de tous les écrivains des éternels indigents du regard des autres.

L’écriture dite féminine

Quand une femme écrit un roman dont le personnage est une femme tout le monde considère qu’elle parle des femmes mais quand un homme écrit un roman dont le héros est un homme, tout le monde considère qu’il parle du genre humain.

L’écriture et la lecture

On écrit pour apprendre, pour savoir, et on ne peut entreprendre ce voyage vers la connaissance si on emporte avec soi des réponses préalables.

Car lire c’est vivre une autre vie.

Un lecteur vit plus longtemps que les autres car il ne veut pas mourir avant d’avoir terminé le livre commencé.

(d’après les propos de Graciela Cabal)

Le roman

C’est pourquoi le roman est le genre littéraire que je préfère, celui qui se prête le mieux au caractère décousu de la vie. La poésie aspire à la perfection, l’essai à l’exactitude, le drame à l’ordre structurel. Le roman est l’unique territoire littéraire où règnent là même imprécision, la même démesure que dans l’existence humaine.


Ce livre, cadeau d’amis navigateurs, a été récompensé par plusieurs prix et commenté de façon très élogieuse sur de nombreux blogs. Si j’ai quelques réserves sur ce roman et que je n’en fais pas comme tant d’autres lecteurs et lectrices un coup de cœur, je le considère cependant comme un très grand roman. Catherine Poulain, cette petite femme à la voix si douce est à coup sûr une romancière étonnante. Elle raconte, son expérience de 10 ans en Alaska, où elle est allée faire la pêche dans des conditions extrêmes. C’est une femme de défis, et elle veut montrer à tous, et d’abord à elle même qu’elle peut tenir sa place sur les bateaux menés par des hommes par tous les temps.

Comme elle n’a aucun préjugé, elle cherche à connaître ces marins qui après avoir passé des semaines en mer dans des conditions de fatigue effroyable reviennent à terre pour se saouler dans les bars des ports. Elle en fait des portraits au plus près de la réalité et trouve en chacun d’eux, même ceux qui roulent dans le caniveau après leur beuveries, leur part d’humanité. J’ai beaucoup aimé ces récits de pêche et on reste sans voix devant la violence contre l’espèce animale. Les scènes où ces hommes tuent ces superbes poissons sont d’une beauté mais d’une tristesse infinie, les hommes sont-ils obligés de tant de cruauté pour se nourrir ? Même les limites imposées par les contrôles pour la survie des espèces ne sont guère rassurantes pour la reproduction des gros poissons des mers froides. Bien sûr, les pêcheurs ne doivent pas ramener des poissons trop petits, ils les rejettent donc dans les flots, seulement qui s’inquiètent qu’ils soient déjà à l’état de cadavres ? Tout cela est parfaitement raconté, alors pourquoi ai-je quelques réserves ? C’est un récit très répétitif surtout quand Lily est à terre. Je n’ai pas une grande passion pour les beuveries dans les bars et il y en a beaucoup, beaucoup trop à mon goût dans ce roman.

Citations

Être pêcheur

Embarquer, c’est comme épouser le bateau le temps que tu vas bosser pour lui. T’as plus de vie , t’as plus rien à toi. Tu dois obéissance au skipper. Même si c’est un con (…..) Manquer de tout, de sommeil, de chaleur, d’amour aussi, il ajoute à mi-voix, jusqu’à n’en plus pouvoir, jusqu’à haïr le métier, et que, malgré tout on en redemande, parce que le reste du monde vous semble fade, vous ennuie à devenir fou. Qu’on finit par ne plus pouvoir se passer de cette ivresse, de ce danger, de cette folie !

Dangers de la pêche

– Mais a quoi exactement je dois faire attention ?
– À tout. Aux lignes qui s’en vont dans l’eau avec une force qui t’emporterait si tu te prends le pied, le bras dedans, à celles que l’on ramène qui, si elles se brisent, peuvent te tuer, te défigurer … Aux hameçons qui se coincent dans le vireur et sont projetés n’importe où, au gros temps, au récif que l’on n’a pas calculé, à celui qui s’endort pendant son quart, à la chute à la mer, la vague qui t’embarque et le froid qui te tue….

Scènes à vous dégoûter de manger du poisson et une idée du style de l’auteure

Mais non, pas des dollars …. des poissons bien vivants… des créatures très belles qui happent l’air de leur bouche stupéfaite, qui tournoient follement sur le clair blanc de l’aluminium, aveuglés par le néon, se cognent encore et encore à cet univers cru où tout est tranchant, toute sensation blessante.

Une femme à bord

Une femme qui pêche va se fatiguer autant qu’un homme, mais il va lui falloir lui trouver une autre manière de faire ce que les hommes font avec la seule force de leurs biscoteaux, sans forcément réfléchir, tourner ça autrement, faire marcher son cerveau. Quand l’homme sera brûlé de fatigue elle sera encore capable de tenir longtemps, et de penser surtout. Bien obligé.

Que cherche-t-on dans ces conditions extrêmes

Vous êtes venus chercher quelque chose qui est impossible à trouver. Une sécurité ? Enfin non même pas puisque c’est la mort que vous avez l’air de chercher, ou en tout cas vouloir rencontrer. Vous cherchez… une certitude peut-être… quelque chose qui serait assez fort pour combattre vos peurs, vos douleurs, votre passé -qui sauverait tout, vous en premier.


Ce livre a obtenu un coup de cœur de notre club et je comprends pourquoi. C’est un livre d’une lecture éprouvante car il met en scène, dans un essai romancé, certaines horreurs de notre humanité et le plus insupportable, c’est qu’on sait que cela continue encore et encore, la Corée du Nord est, en effet, capable du pire. C’est une partie du pire dont il s’agit ici : pour des raisons assez obscures, des assassins de Corée du Nord, en 1970, ont enlevé des Japonais pour les emmener et les retenir dans l’enfer de leurs pays. Certains seront employés pour apprendre le japonais à des terroristes qui séviront sous une fausse identité japonaise dans le monde entier. Une terroriste qui avouera la responsabilité du krach vol 858 en 1987  expliquera qu’une jeune japonaise lui avait appris la langue et la culture du Japon. Il y a aussi le cas du GI américain, Charles R. Jenkins, qui de son plein gré partira en Corée du Nord, il en reviendra 36 ans plus tard. Son témoignage a beaucoup aidé Eric Faye pour la rédaction de ce livre.

Avec un talent et une délicatesse incroyables l’auteur décrit la douleur de ceux qui ont vu disparaître leur proche au Japon et l’horreur du destin de ces pauvres Japonais qui ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait en arrivant aux pays des fous criminels. Et à travers tous ces drames, la vie en Corée du Nord nous apparaît dans son absurdité la plus cruelle que l’homme puisse imaginer. J’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi le monde entier ne se mobilise pas pour délivrer ce peuple de la main mise du plus féroce et implacable des dictateurs.

Citations

Le malheur de la mère dont on a enlevé la fillette de 12 ans

À chaque pas, il semblait à cette mère orpheline retrouver un nouveau mot de la dernière conversation avec sa fille. Et à chaque fois qu’elle pensait à un mot précis, elle le plaçait sous le microscope de la culpabilité.

C’était une coupable qui allait errant dans les rues de Niigata. Régulièrement, à l’heure de sortie des collèges, Elle voyait sa fille devant elle et pressait le pas pour la rattraper, puis dépassait une inconnue en concédant son erreur. Elle ne voulait laisser aucune place au doute, si bien qu’elle préférait mille de ces menues défaites à une seule incertitude.

L’horreur de la répression en Corée du Nord

Le camp couvre toute une région de montagnes, et dans les clôtures qui le délimitent circule un courant continu. Le camp recèle un centre de détention souterrain. Une prison dans la prison, ou plutôt sous la prison, dont les détenus ne voient jamais le jour et dont les gardiens ont ordre de ne jamais parler…. Le couloir que je devais surveiller comptait une quinzaine de cellules d’isolement, éclairées tout le temps par une ampoule au plafond et tout juste assez longues pour qu’un homme s’y tienne allongé, à une température constante, dans une humidité qui détériore tout, la peau, la santé.

20161202_102350Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard. et il a obtenu un coup de cœur.

Marcher droit tourner en rond

5Je suis si contente de commencer l’années par un cinq coquillages ! Et, Keisha va être contente son petit chouchou est récompensé d’un coup de cœur à l’unanimité de celles qui l’avaient lu dans mon club (je peux lui dire que c’est rare !). Comme je me régale également avec son précis de médecine imaginaire, j’ai mis les deux livres d’Emmanuel Venet dans le même billet.
Commençons par « Marcher droit tourner en rond » vous comprendrez la photo car il s’agit en effet de dévoiler la vérité qui se cache derrière toutes les photos de famille.

Marguerite a cent ans et son petit fils est à son enterrement. Tout le monde fait un portait élogieux de cette centenaire. Oh là ! non non non, il lui manque une semaine pour être centenaire et j’en connais un que ça agace ce manque de précision : son petit fils qui vit avec un syndrome Asperger. Cela lui donne trois compétences poussées à l’extrême : le scrabble, le petit bac et la connaissance des catastrophe aériennes. En plus, évidemment une incapacité totale à se satisfaire des mensonges qui dissimulent toutes les conduites de façades en société. L’enterrement est donc pour lui l’occasion de raconter toutes les méchancetés des uns et des autres, c’est drôle, on a vraiment l’impression de voir l’envers du décor. C’est l’occasion aussi de revivre son amour pour Sophie peu récompensé malgré une belle constance de sa part.

Je pense que l’auteur, psychiatre, a mis beaucoup de sa propre connaissance de l’âme humaine pour écrire ce texte. Je vous cite la citation de Sigmund Freud qu’il a mise en exergue au début du roman car j’ai souri :

La grande question à laquelle je n’ai jamais trouvé de réponse, malgré trente ans passés à étudier l’âme féminine, est :  » Que veut une femme ? »

Citations

Logique ?

Elle aimait à répéter que la vieillesse est la pire des calamités, mais chaque hiver, elle se faisait vacciner contre la grippe, et, à la moindre bronchite elle extorquait au docteur Comte des antibiotiques. Pour ma part, si j’en arrivais à trouver ma vie trop longue, je cesserais de me soigner et me laisserais mourir une bonne fois pour toutes.

Compétence inutile

J’entretiens également une compétence hors du commun pour le jeu du petit bac, mais j’ai rarement l’occasion de m’en servir.

La vie de couple

Au bout de deux ans de vie commune, elle avait donc établi une fois pour toutes la répartition des rôles dans leur couple : il revenait à Imre de payer des cadeaux et à elle-même de les recevoir, et il était convenu que ce contrat moral donnait pleine satisfaction aux deux parties.

Une logique un peu rude

J’ai perçu trop tard que j’avais péché par excès de confiance en lui suggérant il y a trois ans, de demander l’euthanasie de son fils : lors du procès, j’ai senti que cette idée l’avait froissée.

Incompris

Je frisonne encore au simple souvenir des expressions « harcèlement » et « violence morale », leitmotiv de ces vingt minutes de procès bâclé : est-ce vraiment harceler que d’envoyer une dizaine de message par jour à une femme à qui vous pensez jusqu’au plus profond de votre être.

Le petit précis de médecine imaginaire

 Ce sont de courts textes à déguster pour se guérir de la morosité. J’avais d’bord mis 4 coquillages, car certains textes (surtout la partie sur les ondes) me plaisaient moins que d’autres. Mais j’ai suivi le conseil de Keisha  : relire ces petits textes au hasard et non pas à la suite. Tous sont alors de petits bijoux . elle en a recopié sur son blog qui m’a poussée à acheter ce livre , à mon tour je vous en offre un et si je réussis à vous séduire tout le livre d’Emmanuel venet se retrouvera sur nos blogs !

Malaises

Une fois à la retraite, mon grand père Joseph a fait trois chutes. Il avait l’habitude quand le temps le permettait, de pérégriner des journées entières pour faire des courses ou pour surveiller, en compagnie d’autres badauds, la bonne marche des chantiers des environs ; Trois fois, donc ;, il rentra les genoux couronnés, boitillant, endolori mais anormalement soucieux. L’affaire se soldait par du mercurochrome et des bandages, mais on la prenait tellement au sérieux qu’un des enjeux, à coup sûr, m’échappait. Rétrospectivement, j’ai compris que Joseph avait peur qu’on parle de malaise, et que ce soit fini de la vie paisible.

Le malaise, concept central de toute expérience existentielle, est affreusement mal traité par la médecine savante, qui le considère au mieux comme une approximation à déconstruire. Il n’existe même pas, dans la littérature spécialisée, d’ouvrage consacré à ce sujet inépuisable. Osons le dire tout net, il manque à notre science un bon et solide »Traité du malaise », avec étymologie, historique, étude clinique et tout le bataclan. Moyennant quoi le patricien consciencieux parvenant mal à distinguer entre effet de langage et ennui de santé, craint systématiquement de passer à côté d’une maladie grave et épuise son malade en examens inutiles qui, bien souvent débouchent sur un diagnostic. De sorte que le patient poursuit sa vie beaucoup moins sereinement que s’il n’avait pas consulté.
Joseph, lucide sur le risque, s’en remettait donc aux antiseptiques et aux bandages. Vu qu’il tenait debout et gardait la vigueur de s’opposer à toute consultation intempestive, on n’a jamais bien su les circonstances de ses chutes.

Et une citation car j’ai éclaté de rire

sous la rubrique paranoïaque

Cette évocation réveille quelques figures admirables : la crapule désœuvrée qui trouve dans un mur mitoyen une mine de « casus belli » ; l’hémorroïdaire acharné à se faire rembourser son papier hygiénique par la sécurité sociale ….