Traduit de l’anglais par Christine Raguet.

Une plongée dans la souffrance d’un homme rongé par l’alcool, et qui a laissé sur son chemin un bébé qui a dû se débrouiller tout seul pour grandir. Non, pas tout seul car le geste le plus beau que son père a accompli, a été de le confier au seul être de valeur rencontré au cours de sa vie d’homme cabossée par une enfance bafouée, puis par la guerre, par le travail manuel trop dur et enfin par l’alccol : « le vieil homme » saura élevé l’enfant qui lui a été confié et en faire un homme à la façon des Indiens , c’est à dire dans l’amour et le respect de la nature. Bien sûr, cet enfant a de grands vides dans sa vie : son père qui lui promettait tant de choses qu’il ne tenait jamais et sa mère dont il ne prononce le nom qu’aux deux tiers du roman mais que la lectrice que je suis, attendait avec impatience. Ce roman suit la déambulation lente de la jument sur laquelle le père mourant tient tant bien que mal à travers les montagnes de la Colombie-Britannique, guidé par son fils qui jamais ne juge son père mais aimerait tant le comprendre. Après Krol, Jérome Kathel, j’ai été prise par ces deux histoires, la tragédie d’un homme qui ne supporte sa vie que grâce à l’alcool. Et celle de son enfant qui a reçu des valeurs fondamentales de celui qu’il appelle le vieil homme. Tout le récit permet aussi de découvrir le monde des Indiens, du côté de la destruction chez le père, on vit alors de l’intérieur les ravages mais aussi la nécessité de l’alcool. Souvent on parle de l’alcoolisme des Indiens, comme s’il s’agissait d’une fatalité, mais au centre de ce comportement, il existe souvent des secrets trop lourds pour que les mots suffisent à les évacuer. L’enfant en parle ainsi

C’est un peu comme un mot de cinq cents kilos

L’autre aspect, bien connu aussi du monde des Indiens, c’est l’adaptation à la nature qui remet l’homme à sa juste place sur cette planète. Et l’auteur sait nous décrire et nous entraîner dans des paysages et des expériences que seule la nature sauvage peut nous offrir.

 

Citations

Être indien

Il était indien. Le vieil homme lui avait dit que c’était sa nature et il l’avait toujours cru. Sa vie c’était d’être seul à cheval, de tailler des cabanes dans des épicéas, de faire des feux dans la nuit, de respirer l’air des montagnes, suave et pur comme l’eau de source, et d’emprunter des pistes trop obscures pour y voir, qu’il avait appris à remonter jusqu’à des lieux que seuls les couguars, les marmottes et les aigles connaissaient.

L’alcool

 Le whisky tient à l’écart des choses que certaines personnes ne veulent pas chez elle. Comme les rêves, les souvenirs, les désirs, d’autres personnes parfois.

La souffrance et l’alcool

 J’ai essayé de me mentir à moi-même pendant un paquet d’années. J’ai essayé d’me raconter que ça s’était passé autrement. J’ai cru que j’pourrai noyer ça dans la picole. Ça a jamais marché du tout.

Les couchers de soleil

Lorsqu’ils passèrent la limite des arbres au niveau de la crête, les derniers nuages s’étaient écartés et le soleil avait repris possession du ciel à l’ouest. Les nuages été à présent pommelé de nuances mordorées et il pensa que c’était bien la seule cathédrale qu’il lui faudrait jamais.
Photo prise dans un blog que j’aime beaucoup : ruralité .net
 oui, les couchers de soleil sont des cathédrales !


J’avais lu, sur les commentaires à propos d’un de ses livres, que celui-ci plaisait à beaucoup de blogueurs et blogueuses. Comme je le comprends ! Il a tout pour plaire ce roman. D’abord l’art de raconter, à propos d’objets anodins tout ce qui les rattache à un pan de vie. Comme ces boucles d’oreilles qu’il a retrouvées et qui lui rappelle une partie de sa jeunesse. Une virée à Paris, ville où il se promène jeune adulte avec trois autres amis, un premier amour qui n’a pas duré très longtemps, et ce cadeau qui devait sceller une grande amitié. Les années 80 époque où

Les Free Time viennent d’être supplanté par les MCDonald’s. Tout le monde porte les United Colors de Benneton

Peu à peu, au fil des objets, sa vie se déroule à travers les pages de ce roman, construit sur la douleur d’un divorce mal vécu. Sa femme partant avec un dentiste, certaines phrases sur cette honorable profession sont très drôles même si elles sont caustiques. Mais le charme de la construction du roman ne s’arrête pas là, chaque personne qui s’arrête devant un objet le fait pour des raisons bien précises, et redonne une nouvelle vie à l’objet en question. Le livre est construit en boucle et ce qui devait n’être un débarras, est porteur de vie : les objets perdus, prennent un nouveau départ vers des objets trouvés. Et, grâce à l’acheteuse des boucles d’oreille, s’esquisse un départ possible vers une rencontre : l’auteur pourra-t-il ainsi sortir de la tristesse de son divorce ?

La multiplicité des points de vue sur les objets permet de rendre compte des différentes perception du même événement. L’histoire du cadre rouge est vraiment attachante, l’homme a détesté ce cadre dans lequel sa mère affichait des photos de lui enfant qui ne lui rappelaient que des mauvais souvenirs, mais son épouse avait été touchée par le geste de sa belle -mère lui confiant un moment de l’enfance de celui qu’elle aimait.

Jean-Philippe Blondel a ce talent particulier de garder en lui, et de nous faire revivre des moments de notre passé par une chanson, une marque de vêtements, un événement. Son minuscule inventaire, c’est certainement ce que beaucoup d’entre nous pourrions faire à propos d’objets que nous gardons et dont nous seuls connaissons l’histoire, mais évidemment nous n’avons pas tous ni toutes son talent pour les raconter.

Citations

La lecture adolescente

Je cherche des romans qui parleraient de moi -de nous, mais dans les librairies, je ne vois que des récits de quadragénaires qui s’épanchent sur leur divorce et sur leurs maîtresses.

On pense à une chanson de Bénabar

 Marianne est institutrice, elle s’est dénudée pour un autre instituteur et ensemble ils forment un couple CAMIF parfait, ils ont un monospace acheté d’occasion et trois enfants ceinturés à l’arrière, ils vont en vacances en Vendée et ont fait poser dernièrement des pavés autobloquants dans la descente de leur garage.

Vision de la Bretagne

Chrisian Lapierre venait de Bretagne -de l’autre côté de la France, pas loin de cet océan que je n’avais vu qu’en carte postale,nous, on allait plutôt à la montagne, c’était moins cher, et même si on avait choisi la mer, on aurait viré plus au sud, en Bretagne, il pleut tout le temps et c’est une région triste à mourir.

Les petites anglaises

Je suis sorti pendant quelques temps avec une fille qui s’appelait Kathleen, assistante anglaise de son état, qui trouvait la France for-mi-da-ble, la culture for-mi-da-ble, la cuisine extra-for-mi-da-ble et les Français hyper-for-mi-da-ble. J’ai été content de l’accompagner sur le quai de la gare du Nord pour son retour dans son pays natal. Elle était en pleurs, mais moi, je trouvais ça formidable. 

Au moins, j’ai pratiqué l’anglais oral.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Moi je tourne des films. Ça gagne bien et ça ne fait du mal à personne.

Cette phrase peut donner le ton à tout le livre, chaque remarque est empreinte du style Audiard, celui qui a donné des dialogues inoubliables au cinéma français. Son roman se déguste par petites touches, ne me demandez pas de vous raconter l’intrigue j’en serai bien incapable. Mais on est bien avec cet auteur et les Parisiens et Parisiennes qui ont sans doute disparu et qui traînaient dans des cafés qui sont remplacés par des restaurants chics ou des fast-food moins chics et moins chers. Le plaisir vient de ces phrases qu’on aimerait tant ne pas oublier comme les répliques des « Tontons Flingueurs » que certains connaissent par cœur. Alors, lisez les citations et vous aurez un tout petit avant-goût du plaisir que procure ce roman.

Citations

Alban de Mérovie est un personnage très seul. Il l’a cherché. Oh, oui, bien cherché .

À force de coucher avec les meilleurs amies de sa femme et avec les femmes de ses meilleurs amis, il n’a plus de femme et n’aura bientôt plus d’amis.
Quelle noirceur !

Autodérision

 – Aux champs . Je t’offre une petite croque et tu me paies une toile !
– Il y a rien à voir.
– Il y a pas un film de toi qui passe ?
– Il y en a forcément toujours un qui passe, c’est pas pour ça qu’il est à voir.

La campagne

Pourtant, nous ne dormons plus ensemble depuis quinze ans déjà… Ou alors dans son prieuré de Valmondois, à côté de L’Isle-Adam… À la campagne, ça ne compte pas, on fait n’importe quoi parce qu’on s’emmerde.

L’argent

« Un taxi pour Tobrouk » et « Le cave se rebiffe » occupaient des Champs-Élysées, « Les Cahiers du cinéma » , et « Harper’s Bazaar » nous brûlaient vif, on s’en foutait, on gagnait plein de sous. Qu’en faisais-je, mon Dieu quand j’y pense… Les bagnoles… Les fringues… Les éditions de luxe… Aujourd’hui je roule Renault, j’écris Bic et je lis Poche… J’ai dépassionné tout ça.

La mort de Mesrine

Le déploiement d’artillerie, (soixante douze points d’impact !), puis les poulets s’embrassant, façon footballeur, autour du cercueil BMW. Mais on n’était pas au bout, c’est après que ça devenait vraiment dingue : La belle Sylvia giclant de l’auto, déconnectée à zéro, un cocker sous les bras hurlant : « Les salauds ! Ils ont tué mon chien » . C’est quand même pas banal, comme réaction, non ? Pourquoi pas plutôt. Ils ont tué mon homme ? À croire concernant l’homme, qu’elle prévoyait l’issue de longue date.

Description du « Train bleu » gare de Lyon

J’aime ce musée très ennuyeux où tout peut arriver… Même l’idée vague de prendre le train. C’est une relation de métiers, Alexis Moncorgé, ( relativement plus connu sous le pseudonyme de Jean Gabin) , qui m’a fait découvrir l’endroit.

Traduit de l’italien par Elise GRUAU. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Roman qui se lit agréablement mais je pense que je l’oublierai assez vite. Il raconte cependant un point de vue intéressant, une jeune femme, fille d’un artiste reconnu et célèbre, part avec celui qui n’a pas su être un père dans un voyage à travers l’Italie alpine . On sent tout de suite que c’est leur dernière chance de se comprendre : tant de choses les ont séparés. Elle est la fille d’un couple qui n’a pas su s’aimer et d’un père célèbre trop souvent absent. Elle est la femme d’un mari qui ne la fait plus rêver et la mère d’une petite fille qu’elle aime de toutes ses forces. Il faudra du temps pour que ce père mutique et fuyant arrive à lui faire comprendre qui il est : au-delà de l’artiste célèbre et consacré se cache un enfant blessé et un homme meurtri. Acceptera-t-elle de quitter sa position de victime (qu’elle est) pour lui tendre la main ? Ce qui est certain c’est qu’elle ne sortira pas indemne de ce voyage vers une Italie des origines où se mêlent aux drames d’une enfance tragique des forces mystérieuses et magiques.

Pour que cette histoire soit plausible, c’est à dire pour comprendre pourquoi le père et la fille se connaissent si peu, il faut que les secrets qui les séparent soient à la fois énormes et crédibles. Sinon ils se résument en une phrase trop banale et quelque peu sordide. Son père a épousé sa mère par intérêt mais était amoureux d’une autre femme. Je ne trahis en rien le roman car tout le travail de l’écrivain c’est d’habiller cette triste réalité par des sentiments très forts, des pouvoirs magiques venant de femmes puissantes, des mystères de la création artistique. Malgré cela, je ne peux pas dire que j’ai été très convaincue par ce roman qui m’a semblé tellement » italien », dans la description du sentiment amoureux.

Citations

Personnalité masculine

Et puis que veux-tu que je te dises Viola ? Que je suis un ingrat ?
Il avait tout à coup pris ce visage que je détestais, celui qui disait : « Saute moi dessus si tu penses que cela peut te faire du bien, ou pardonne-moi. Mais ensuite, oublie et mets un point final. Tu n’arriveras pas à me faire changer, de même que personne n’a jamais réussi à le faire. »

L’artiste et les femmes

Oliviero place dans toutes ses sculptures quelque chose qui m’appartient et qu’il me dérobe en permanence, continua-t-elle, en s’efforçant de masquer ces mots avec la stupeur d’une flatterie. Il finira par m’avoir tout prix, ajouta-t-elle en souriant.
 Ma mère ne perdit pas de temps, et à la première occasion elle raconta à mon père ce qui lui avait été confié. Et si Oliviero pouvait supporter la jalousie de Pauline, il était en revanche trop jaloux de son art pour accepter qu’elle s’en serve pour se vanter face à une inconnue.
– Comment as-tu pu dire à cette femme une chose pareille, tellement à nous ?
– Tu as fait bien pire : pour elle, tu détruis la seule chose qui soit vraiment à nous. L’amour.

Fierté française

Pour ceux qui l’auraient un peu oublié, le béton précontraint figure au nombre des fiertés françaises, avec le romanée-conti, la cathédrale de Chartes, le N°5 de Chanel et bien d’autres. 


Merci Keisha, qui a été la première à me donner envie de lire ce livre, depuis j’ai lu d’autres avis tout aussi élogieux sur ce « roman » qui mérite plus le titre de « documentaire », à mon avis. J’ai écouté Laurence Cossé parler de son livre, elle explique qu’elle voit ce monument comme l’expression de la tragédie de son architecte : Johann Otto von Spreckelsen. Celui-ci a démissionné de ce projet en 1986 lorsque le gouvernement de Jacques Chirac renonce au « Carrefour International de la Communication » et il meurt quelques mois plus tard en exigeant que son nom ne soit pas associé à la « grande Arche ». Mais auparavant, il avait négocié des royalties sur toutes les photos prises de la grande Arche, et c’est d’ailleurs le seul lien que sa veuve gardera avec la France : les royalties !

L’auteure est très critique aussi pour le monde politique mais curieusement dans les entretiens, elle en veut plus à la droite (Juppé et Chirac) qu’à Mitterrand. Or en lisant ce livre, on est abasourdi par la façon dont ce président a dépensé l’argent de la France. C’est peu de dire qu’il n’avait aucun soucis d’économie et que le fait du prince a coûté très cher aux français et pas toujours pour de bonnes raisons. Comme cette volonté de ne pas traiter le marbre qu’il faut aujourd’hui remplacer. Laurence Cossé critique la droite de ne pas savoir su donner vie « au Carrefour International de Communication » mais personne ne savait quoi mettre derrière ce nom ronflant. La lecture de l’article de Libération explique bien les enjeux politiques de ce projet. Il est vrai que chaque gouvernement avait son idée pour occuper cet espace et que ce n’est pas la plus mauvaise des idées qui a été retenue. Seulement voilà Spreckelsen (qui touchera quand même ces 10 pour cent d’un bâtiment qui coûtera trois milliards sept), n’avait pas derrière lui un bureau d’études capable de mener ce projet à son terme et si, deux noms peuvent être rattachés à ce bâtiment c’est celui de Paul Andreu qui fera tout pour que ce bâtiment se construise malgré les énormes défis architecturaux et les magouilles politiques et Robert Lion directeur de la caisse et des dépôts et consignation qui a trouvé les budgets pour financer la construction.

Le problème majeur de ce bâtiment ce n’est pas tant les prouesses techniques auxquelles il a fallu faire face que le fait que personne n’ait pu lui donner une affectation qui permette aux communs des mortels de venir le visiter. Il s’inscrit à tout jamais dans une belle perspective parisienne et même si son entretien est compliqué à cause des choix esthétiques de l’architecte danois il reste un monument qui a de l’allure. Encore aujourd’hui, l’affectation de la grande Arche n’est pas définie mais on peut de nouveau monter sur son toit et apparemment s’y restaurer. Laurence Cossé vous entraînera dans cette aventure avec un talent étonnant, moi qui suis peu technique j’ai lu avec grand intérêt ce qu’elle dit sur les difficultés des maître d’ouvrages. J’ai soupiré avec elle, quand elle avoue avoir souffert en cherchant à rendre clairs les problèmes architecturaux , mais elle a réussi son pari : on comprend très bien ce qu’elle explique. Comme elle, je vous conseille l’article de Wikipédia, c’est beaucoup moins intéressant que son roman mais cela permet de suivre les différentes péripéties de la construction jusqu’à aujourd’hui..

Citations

Le début de Mitterrand

Il y avait une ambiance extraordinaire, de foi d’espoir… inimaginable aujourd’hui. On baignait dans l’illusion lyrique, tous les fantasmes de la gauche au cœur. N’ayant jamais été au pouvoir, à part de rares exceptions, les nouveaux dirigeants pensaient qu’il y avait énormément à distribuer.

Les absurdités des musées et bibliothèques

Ces films et les quelques livres sur Spreckelsen se trouvent à la bibliothèque de la Cité de l’Architecture, au Trocadéro. Un endroit lumineux, mais où il faut éviter de se rendre en juillet et en août. Car, si la cité est ouverte ces mois-là, la bibliothèque est fermée. Sans doute les autorités font-elles l’hypothèse que ceux qui s’intéressent à l’architecture ont le dos fatigué et doivent aller s’allonger deux bons mois sur la plage. 
C’est pourtant là une bibliothèque idéale, il serait heureux de pouvoir s’y poser une heure ou deux en été : un aquarium calme et blanc en plein Paris, des milliers de livres, des milliers d’articles, des ordinateurs, vingt lecteur jeunes et du genre le plus sérieux et dix bibliothécaires aux petits soins.

Gabegie d’état

Il y a des pratiques un peu difficile à comprendre dans l’urbanisme, en France. Par exemple d’un candidat puisse gagner un concours, ou une consultation, et que jamais ensuite son projet ne soit construit. Cela s’est pourtant fait cent fois. Souvent c’est politique….

Ce que l’on ne dit pas au contribuable, c’est que l’on fait accepter l’arbitraire à l’architecte évincé en le dédommageant. Toutes les maquettes de projet écartés qui s’entassent dans les réserves des musée de l’architecture valent chacune leur poids d’or.

Les Danois et nous

 Il portait ces préventions en lui depuis longtemps, avec tous les Danois. Nous avons du mal à le croire, nous autres français qui nous croyons rationalistes, organisés et pour tout dire très intelligents, mais aux yeux de beaucoup de nos voisins nous sommes des passionnels, des idéologues, des phraseurs, des agités, des individualistes, enfin des gens peu sûrs.
Le plus triste c’est que la réalité a donné raison à Spreckelsen et à ses craintes. Dans les derniers moments de sa vie, trois ans plus tard, dans le film de Tschernia-, il parle sans rancoeur mais il a des mots définitifs sur le peu de sens du contrat en France, sur les remises en cause incessantes des choix collectifs, sur la violence des affrontements entre camps politiques. Et là, il parle d’expérience.

Les débuts de l’informatique

Spreckelsen n’a jamais touché un ordinateur mais ADP commence à en être équipé. La période est unique dans l’histoire. On est à cheval sur deux ères. Les quantités documents ont été dessinés à la main sur papier. Après les avoir numérisé, il faut les faire viser par les auteurs puis obtenir l’approbation des architecte en chef. À vouloir concilier les deux systèmes, certains se demande si on ne perd pas plus de temps qu’on en gagne. À l’époque, à l’observatoire de Meudon, un vieil astronome qui se méfie de l’informatique refait tous les calculs de l’ordinateur, de la façon dont tu as toujours fait.

PARLONS CHIFFRES

Un point n’est pas conflictuel -et d’ailleurs jamais évoqué dans la littérature sur les grands travaux-, les architectes sont très bien payés. Inge Reitzel en sourit :  » Nous étions voisins des Spreckelsen, à côté de Copenhague. Dans l’été 1985, allant chez eux, nous avons vu deux Jaguar devant la maison. »

Rien là d’exceptionnel. Pei pour le Louvre, Ott et Bick pour la Bastille, Tschumi et Fainsilber pour la Vilette, Chemetov pour Bercy, tous les architectes des grands travaux touchent les honoraires d’usage, quelque dix pour cent du total du coût de la construction. La modernisation du Louvre atteindra plus de six milliards de francs, la grande bibliothèque huit milliards, l’Opéra Bastille trois milliards, la Cité de la Musique un milliard trois , l’Arche trois milliards sept. Cela fait pour chacun des architectes,  » une bonne pincée », comme dit Andreu.
Spreckelsen est particulièrement bien traité quand on sait que son travail n’est pas comparable à ce que produit Pei, par exemple. Le second a dans sa manche un grand bureau d’études et va très loin dans le détail. Les entreprises qui construisent sous sa gouverne n’ont qu’à exécuter ses plans. Le premier à quelques collaborateurs pour la circonstance, et la qualité du travail technique indispensable à son projet est sous la responsabilité d’Andreu. « Je ne sais pas comment Spreckelsen s’était débrouillé pour obtenir des honoraires pareils », se demande encore Dauge qui, aussitôt, esquisse une hypothèse  : « Il avait l’appui du président « .
Sur un autre chapitre de son contrat, Spreckelsen a été bien conseillé aussi. Il a obtenu l’exclusivité des droits sur l’image. On aura besoin de son autorisation pour reproduire l’Arche et, qu’on l’ait ou non demandé, tous les droits de reproduction lui reviendront. Il ne se publiera pas une carte postale qu’il n’ait droit à une redevance.
En théorie, rien de nouveau. Cela fait plus d’un siècle que les architectes se sont vu reconnaître ce droit dérivé de la propriété artistique. Dans les années 80, cependant, la plupart en sont restés à la conception selon laquelle ce qui appartient à la rue, à la ville ou au paysage appartient à tout le monde, et ne demande pas de droits sur l’image de leurs œuvres. Spreckelsen en demande. Il en demande.l’exclusivité. 
Quand ses confrères découvriront de quoi il retourne, ils commenceront par s’offusquer, puis ils s’y mettront à leur tour. Il y a souvent plus à gagner aujourd’hui à vendre les images que ses œuvres mêmes. Un architecte comme Pei touche des millions sur les photos de ses ouvrages architecturaux. Les peintres et les sculpteurs ne sont pas en reste. Buren s’en est fait une spécialité. Jusqu’aux propriétaires de sites naturels, qui ont pensé être fondés à prélever leur dîme sur des photos publicitaires où figuraient leurs terres – en vain, quant à eux.

Des aspects techniques

Les fondation n’en sont pas , du moins au sens classique. L’ Arche n’est pas ancrée en profondeur comme usuellement les immeubles et les tours, elle repose sur des pilliers. Ce n’est pas le premier édifice fondé de la sorte, les ponts le sont souvent, quelques centrales nucléaires, et Paul Andreu a eu recours au procédé de l’aérogare de Roissy. Mais on n’a jamais vu cela dans le bâtiment. Le toit n’a pas grand-chose d’un toit puisque c’est un palais suspendu d’un hectare posé sur deux immeubles aux extrémités. La cage à ascenseurs externe sera le plus grand ouvrage en acier inoxydable jamais assemblé, les dômes en altuglas qui coifferont les ascenseurs les plus spacieux jamais réalisés. …tout est exceptionnel, on va donc devoir innover beaucoup. Ainsi, on emploie pour la première dans ces proportions un hyperbéton, deux fois plus résistant que le béton ordinaire mais beaucoup plus fluide, et difficile à manier.
Ça n’a l’air de rien pour le béotien, mais quand Andreu écrit « personnellement je n’avais jamais utilisé ce béton à haute résistance » , c’est un peu comme si un commandant de sous-marin déclarait au moment de plonger qu’il est curieux de découvrir un nouveau système de ballast. 

Les fêtes de la mitterandie

Dans l’après-midi de semaine 14 juillet , le quinzième sommet des sept pays les plus riches du monde s’est ouvert au Louvre où François Mitterrand a inauguré cette fois la petite pyramide et l’immense sous-sol signé Peu. Le lendemain le 15, les chefs d’État, leurs suites et la presse du monde entier se transportent en haut de l’Arche. 
Le faste du moment et inimaginable aujourd’hui en France. Un des grands espaces carrés du toit a été transformé en salle de conférence ronde par l’architecte et le musicien Franck Hammoutène. Chacun des meuble de ce Saint des saints, dessiné pour la circonstance, ne servira qu’à cette unique occasion, y compris la table-monument de verre et de granit, ronde, elle aussi, comme il se doit,et si vaste, avec ses sept mètres vingt de diamètre, qu’il a fallu la monter en pièces détachées en hélicoptère. Quelques Rodin, Minet et Picasso ont été prêtée par les musées nationaux pour égayer la pièce. Dans les autres salles du toit, Andrée Putman à installé des lieux de repos dont elle a conçu le mobilier lui aussi éphémère au sens littéral, une salle à manger, un bar en demi cercle, autant de salons que de délégations, strictement identiques à part les couleurs, « taupe, ivoire, cigogne, camel », d’une banalité parfaite et donc propres à éviter tout incident diplomatique. 
Tout cela sera démonté dans les jours suivants. Grosse rentrée en vue pour le Mobilier national.

 Les mesquineries des politiques

   Habilement, le concours est ouvert aux seuls architecte français. Très ouvert : une esquisse seule est requise, et le règlement est léger. Le président Mitterrand se dit favorable au projet d’une tour de bureau, lui dont ce n’est pourtant pas le genre. Une seule explication : c’est que Michel Rocard, son premier ministre et le vieil adversaire à gauche, s’oppose pour sa part à de nouveaux immeubles de bureaux à la Défense. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai été très séduite par le style de cet écrivain marocain qui manie la langue française avec une dextérité que beaucoup d’écrivains et d’écrivaines peuvent lui envier. Comment rendre compte de ce qui a été la vie de l’auteur lui même : la personnalité de son père chargé de divertir le roi Hassan II, alors qu’à la maison, pendant vingt ans toute la famille vit l’absence du brillant frère aîné, officier de l’armée marocaine maintenu vingt ans dans la geôle la plus terrible du Maroc pour avoir eu comme supérieurs des officiers qui ont participé au coup d’État de SkhiratLe bagne de Tazmamart est un lieu d’horreurs comme il en existe dans toutes les tyrannies. Que le père d’une des victimes soit « le fou » auprès de celui qui a créé ce bagne et qui y maintient son fils durant plus de vingt ans, est une situation qui rappelle la perversité de Joseph Staline.

Ce livre ne raconte pas seulement cette horreur là (dont la femme du « fou » ne se remettra jamais), l’auteur explique et nous fait comprendre la personnalité des courtisans. Et finalement on se dit que peu importe la forme du pouvoir, tout puissant doit avoir autour de lui des gens de l’acabit de Mohammed ben Mohammed. On pense à tous ces êtres de pouvoir qui ne veulent voir autour d’eux que le reflet d’eux même dans les yeux des gens qui les entourent. Bien sûr, plus les hommes ont du pouvoir et Sidi (Hassan II) en a beaucoup, plus la cour doit être composée de gens serviles. Peu de résistances peuvent se manifester, mais l’on voit quand même un ministre se faire traiter d’animal et sauver sa vie d’une manière très originale. Tout le monde vit sur la corde raide sans cesse et un rien peut vous plonger au pire dans une geôle ou vous conduire à la mort et au mieux dans l’oubli et disparaître des faveurs du roi.

Si ce roman avait été écrit de façon réaliste, on aurait pu pleurer à toutes les pages, mais il s’agit d’une fable un peu à la manière des conte de Voltaire. Nous ne sommes apparemment pas dans la réalité et pourtant, ce roman fait beaucoup plus pour décrire le régime d’Hassan II, d’ailleurs vivre ainsi comme courtisan d’une cour où le danger de mort vous guette à chaque faux-pas ne donne-il pas à la vie cet aspect d’irréel ? Plusieurs romanciers, et plusieurs cinéastes se sont emparés des derniers jours de Staline pour rendre compte de de cette atmosphère si étrange. Et bien lisez Mahi Binebine pour prendre conscience que les cours autour des tyrans sont, malgré les différences culturelles, partout les mêmes.

Citations

Portrait du fou face au dernier moments de son roi

Tout paraissait normal, mais rien ne l’était pour votre serviteur. Moi, Mohammed ben Mohammed, écume de la lie et du moisi de Marrakech que rien ne prédestinait à côtoyer les élus, moi, le rescapé des troisièmes sous-sols de l’humaine condition, j’étais là en cette soirée de juillet derrière mon maître moribond, ruminant la terrible sentence du médecin : « Plus que deux ou trois jours et nous serons tous orphelins ! »

La cour du roi

Voilà, j’ai commencé par vous dépeindre le meilleur du panier de crabe où j’ai eu à passer une partie substantielle de mon existence. De même que la proximité du pouvoir engendre des monstres, il lui arrive aussi d’enfanter des êtres supérieurs que, dans un autre temps, on aurait qualifiés de Saints. En dehors du musicien Saher et de l’irremplaçable docteur Moura, l’entourage de Sidi comptait une nuée d’individus sans foi ni loi, des créatures d’une intégrité et d’une humanité contestable (…). Cependant pour une question de survie, je devins à mon tour opportuniste. Plus de scrupules à exploiter les impairs de mes confrères pour briller. Et l’offre était conséquente tant ils rivalisaient de sottises (…)Que de fois j’ai voulu me payer le nain féroce qui jouissait les faveurs du souverain… ce reste de pâte noire dont la jalousie mesquine, la malveillance, la mauvaise foi absolue faisait de lui l’élément le plus détestable du groupe. Une peste qui crache son venin partout. Un fagot d’épines qui terrorisait l’Assemblée entière et qu’un simple souffle aurait envoyé au tapis. Pour être honnête, et j’en ai honte, si je nourrissais à son égard une haine cordiale, il m’arrivait aussi de le trouver drôle et même hilarant quand, avec ses crochets de vipère, il s’acharner à dépecer un individu désarmé, penaud, riant jaune. Difficile de se défendre contre la dérision quand on a le public contre soi.

Les ministres

Une information capitale, monnayable à prix d’or, qu’il pouvait divulguer, ou bien taire, c’est selon en quittant les appartements de Sidi sous les regards anxieux des gradés, soit le caïd Moha, souriait en opinant du chef, signifiant qu’on pouvait aborder le roi sans risquer sa peau ou à tout le moins son emploi, soit il levait son index retroussé en queue de scorpion, auquel cas il était fort recommandé à ces messieurs de remballer au plus vite leur paperasse et de remettre au lendemain l’urgence de leur visite. Conscients de leurs propres vulnérabilité et des redoutables atouts du valet, les gradé rivalisaient de gentillesse à son égard, le voyait ostensiblement, affectant à qui mieux mieux des familiarités dont il n’était pas dupe. Tous étaient bien entendu prêt accordé de larges faveurs, pourvu que le caïd Moha daignât lever le petit doigt si besoin !

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Il s’agit de rhum et chez moi, certains ne plaisantent pas avec cette boisson, entre ceux qui parfument la pâte à crêpe et ceux qui le dégustent avec un petit carré de chocolat noir. Il y a même sur cette photo une bouteille de rhum de la même origine que cet auteur franco-vénézuélien. Miguel Bonnefoy part dans ce roman à la recherche du trésor d’un pirate des Caraïbes, et ils nous entraînent dans des contrées aussi fascinantes que dangereuses. Il ne s’agit pas d’un récit réaliste mais évocateurs des difficultés à vivre dans ces pays dominés par une nature luxuriante et des hommes facilement violents surtout s’ils sont en quête de trésors. C’est un auteur dont on parle sur les ondes radiophoniques et j’ai beaucoup entendu que Séréna, la femme et personnage principal, est du type « Emma Bovary » , et que Miguel Bonnefoy nous livrait là un conte philosophique épicé au merveilleux d’Amérique latine. Le roman flotte entre ses eaux là, et se lit très facilement.

Si aimer lire et connaître le monde grâce aux romans c’est faire du bovarysme alors je pense que nous sommes nombreuses à en faire ; si faire mourir sur un tas d’or une femme trop cupide c’est de la philosophie, cela m’étonne un peu ; si décrire un incendie qui mettra trois ans à s’éteindre c’est faire du merveilleux, pourquoi pas ? L’aspect que j’ai préféré c’est bien l’évocation de ces régions, la végétation luxuriante, les excès de pluies puis de sécheresse, le soleil trop violent puis la nuit trop sombres. Oui tout est « trop » dans ce pays des caraïbes . Et on ne peut survivre qu’en maîtrisant ses peurs et ses fièvres. Le rhum doit bien aider un peu, et vous saurez tout sur la façon d’en fabriquer un de grande qualité. Les personnages sont peu crédibles mais ce n’était visiblement pas le propos de cet auteur. Malheureusement, je fais partie des lecteurs qui aiment penser aux personnages et comprendre un peu leur choix de vie sans cet aspect je sais que je ne garderai pas en mémoire très longtemps ce roman. Je me souviendrai d’une odeur de rhum, d’une nature étonnante et de la cupidité des chercheurs d’or.

Citation

Portrait de femme soumise

Elle aimait recevoir des louanges sur l’entretien de sa vaisselle, sur le choix de ses meubles, sur la santé de son mari. Ses draps étaient toujours parfumés de fleurs glissées entre leurs plis. C’était une femme d’une patience minérale et, jusqu’à la fin de sa vie, prépara des soupes créoles, les yeux effacés au fond des marmites, dans sa cuisine où pendaient des jambons secs.

Jolie figure de style

L’heure n’avait pas d’ombre, la chaleur était forte, le soleil mordait la nuque, mais les deux hommes ne faiblissaient pas. 

Le pouvoir des livres

Ces livres enseignèrent à Séréna tout à la fois la servitude et la révolte, l’infidélité et le crime, la magie d’une description et la pertinence d’une métaphore. Ils lui firent découvrir les diverses aspects de la virilité, donc elle ignorait presque tout. Elle appris que la tour de Pise penchait, qu’une muraille entourait la Chine, que des langues étaient mortes, et que d’autres devaient naître.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Si vous voulez passer quelques heures avec une personne ignoble, allez-y, ce Marcello Martini est pour vous ! Je vous le laisse avec grand plaisir. Yves Ravey, a un talent incroyable pour distiller les vilenies à petit feu. Le pire est toujours là, au chapitre suivant ! Je ne peux pas vous les raconter car l’intérêt du livre tient en cela, que l’on ne les découvre que petit à petit. Pour vous donner une idée de l’ambiance du roman, vous avez entendu parler des rapaces qui tournent autour des vieilles dames trop vieilles et trop riches (Liliane Bettencourt par exemple) ? En lisant ce roman, vous serez aux premières loges. Heureusement notre Marcello, quoique très malin, sans scrupule et incapable d’émotion, multiplie gaffe sur gaffe. En fera-t-il assez pour se faire prendre ?

Tout le long de la lecture, je me demandais quel plaisir avait éprouvé l’écrivain à rester pendant des jours et des jours auprès d’un tel personnage. Je sais que certaines et certains (surtout certains, il est vrai) aiment bien les histoires sordides et sans émotion. Ils vont être servi ! Quant à moi, j’ai trop besoin de croire dans l’humanité pour apprécier ce roman qui est, quand même, je le souligne, un petit chef d’oeuvre de suspens littéraire.

Un passage

Discussion avec Honorable son surveillant d’internat dans « l’école » en Afrique créée par Marcello .

Il reste quelques enfants, a répondu mon surveillant. Ils logent juste pour une nuit encore dans le dortoir, avant de repartir pour la frontière… Donc, tout le monde se porte bien, c’est ce que tu es en train de me dire, Honorable… ? Tout est en ordre, monsieur Marcello, un seul problème, avec la banque, le directeur de l’agence de voyage s’est déplacé en personne, il dit qu’il n’arrive pas à obtenir le paiement de votre billet d’avion… Mais enfin ! Honorable ! Ce n’est pas difficile de se déplacer en personne, le bureau est en face de son agence, suffit de traverser la rue, cette histoire de billet d’avion, rien de grave, tu le fais patienter…. Mais, dites, patron, j’ai avancé personnellement l’argent, par chèque, maintenant, je suis à découvert sur mon compte, et qui va payer les intérêts ? J’ai soupiré, bon Dieu mais ce n’est pas possible ces banquiers, Honorable il faut leur répondre, tu leur dis que tu ne paieras pas un centime d’agios un point c’est tout ! il ne faut surtout pas se laisser faire par ces gens là ! c’est tous les mêmes tu sais…. ! C’est peut-être tous les mêmes, comme vous dites monsieur Marcello, mais c’est eux qui avancent l’argent et qui prennent les intérêts et là ils vont pas gêner faites-moi confiance.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Quel plaisir de lire qu’un tout petit pays à l’échelle du monde a sauver l’honneur de la conscience humaine ! Seul le gouvernement Haïtien a décidé de recueillir tous les juifs qui se présenteraient dans son pays pour échapper au nazisme. Les Haïtiens s’enorgueillissaient déjà d’avoir défait les troupes de Napoléon, d’avoir aboli l’esclavage et d’être sorti de la domination américaine. En 1940, Haïti a déclaré la guerre aux Nazis allemands et aux Fascistes italiens. Bien sûr leurs moyens militaires ne suivaient pas vraiment mais on aurait tant aimé que d’autres pays aient eu le même courage. Louis-Philippe Dalembert raconte le destin d’un médecin Ruben Schwarzberg descendant d’une famille de fourreurs polonais, ayant vécu une vingtaine d’année à Berlin. Ces destins de Juifs de la diaspora polonaise, nous sont connus. La famille a fui l’intolérance catholique polonaise, s’est fort bien adapté au développement économique en Allemagne, a souffert de la crise de 1929 et puis a vécu l’horreur de la montée du nazisme. Mais l’originalité et le charme de ce livre vient du rappel des positions historiques d’Haïti.

Grâce au style de Louis-Philippe Dalembert, qui sait nous faire comprendre pourquoi et comment les Haïtiens nous réchauffent le cœur, le roman n’a pas, pour une fois, le ton tragique alors que le risque de mort est présent pendant toute la fuite du Docteur Ruben vers son île de liberté. Le style de l’auteur donne un souffle des Caraïbes et épouse tellement bien ce que l’on peut savoir de ce pays. Je recommande pour tous ceux et toutes celles qui seraient en manque d’érotisme la scène durant laquelle notre tout jeune médecin allemand (un peu coincé) rencontre pour la première fois la plénitude d’une expérience sexuelle réussie avec Marie-Carmel épouse trop délaissée d’un diplomate Haïtien, les deux pages qui lui sont consacrées commencent ainsi :

« Marie-Carmel savait jouer de son corps comme d’un instrument de musique, en tirer les notes les plus vibrantes, des accords dont Ruben lui-même ignorait que ses sens étaient porteurs. »
Malgré les tragédies que nous connaissons bien et qui vont traverser la vie de cette famille la force de vie venant de ce petit pays fait de ce roman un livre joyeux. Mais c’est lors d’une autre tragédie, le terrible tremblement de terre de 2010 que le vieux docteur Ruben Schwarzberg racontera toute sa vie à sa petite nièce Deborah, la petite fille de Ruth celle qui grâce à sa clairvoyance et à son énergie aura donné conscience en 1938 à toute la famille qu’il fallait quitter au plus vite Berlin.
Comme beaucoup de familles juives exilées les uns ont pris souche en Israël. D’autres aux États-Unis et donc, deux des leurs, sont en Haïti. Leur histoire n’est pas sans rappeler celles des chrétiens d’Orient si bien raconté dans « les Dispersés » de Inaam Kachachi… d’ailleurs c’est le renouveau des milliers d’exilés fuyant les conflits violents qui ont poussé l’auteur à raconter celle-ci qui maintenant est prête comme les ombres à s’effacer de nos mémoires.
PS
Keisha et Aifelle ont beaucoup aimé

Citations

Déclaration de guerre de Haïti le 12 décembre 1941 à l’Allemagne nazie

Pour les plus avertis, c’était juste une question de logistique. On aurait été un chouïa mieux armé, il aurait vu ce qu’il aurait vu, ce pingre -« nazi » en créole haïtien signifiant aussi « grippe-sous ». On lui aurait fait bouffer sa moustache ridicule à Charlie Chaplin, dit un homme qui avait vu « le Dictateur » la veille. On lui aurait tellement latté le cul que même sa mère n’aurait pu le distinguer d’un babouin. (…) Depuis que leurs ancêtres avaient mis une branlée aux vétérans de l’indicible armada de Napoléon, les Haïtiens s’imaginaient terrasser les plus puissants de la planète, comme on écraserait un chétif insecte, d’un talon indifférent. Dans leur esprit, un Autrichien à la gestuelle de bouffon ou un nabot corse dressé sur ses ergots, c’était blanc bicorne, bicorne blanc.

Rencontre à Paris d’un juif allemand et d’une poétesse d’Haïti

Ces deux derniers années, Haïti avait accueilli quelques dizaines de Juifs, venus de Pologne et d’Allemagne pour la plupart. Les informations récentes avaient amené le nouveau gouvernement à prendre des décisions radicales, en désaveu officiel de la politique de ce monsieur Adolf. Tous semaines plus tôt, il avait publié un décret-loi permettant à tout Juif qui le souhaitait de bénéficier de la naturalisation « in absentia ».

Générosité haïtienne

S’il avait accepté de revenir sur cette histoire, c’était pour les centaines de millions de réfugiés qui, aujourd’hui encore arpente déserts, forêts et océans à la recherche d’une terre d’asile. Sa petite histoire personnelle n’était pas, par moment, sans rappeler la l’heure. Et puis, pour les Haïtiens aussi. Pour qu’ils sachent , en dépit du manque matériel donc il avait de tout temps subit les préjudices, du mépris trop souvent rencontré dans leur propre errance, qu’ils restent un grand peuple. Pas seulement pour avoir réalisé la plus importante révolution du XIX° siècle, mais aussi pour avoir contribué au cours de leur histoire, à améliorer la condition humaine. Ils n’ont jamais été pauvre en générosité à l’égard des autres peuples, le sien en particulier. Et cela, personne ne peut le leur enlever.

Les mœurs haïtiennes

 Il n’était pas rare en tout cas de voir, un dimanche midi, déjeuner à la table familiale un enfant du dehors -comme on appelle ici les fils naturel- à côté d’un frère ou d’une sœur « du dedans » du même âge ; tout comme de voir un gosse porter, réunis en prénom composé, les nom et prénom de son père naturel mariée par ailleurs, et qui avait refusé de le reconnaître légalement. La maîtresse bafouée jurait ses grands dieux que ce n’était pas pour elle, mais pour le petit innocent venu au monde sans rien avoir demandé à personne, et prenait ainsi sa revanche, mettant, sinon le père réel ou supposé devant ses responsabilités, du moins toute la ville au courant, surtout si le coupable était quelqu’un de connu.

Philosophie

L’avantage avec le grand âge, c’est qu’on sait qu’on va mourir de quelque chose, autant que ce soit par le rhum.

La religion à Haïti

Ce qui préoccupaient le plus les Haïtiens, c’était de savoir si on pouvait être juif et vaudouisant à la fois, servir Yahweh et le Grand Maître, Abraham et Atibon Lebga, un compromis trouvé de longue date avec la religion catholique.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Après « Ce sont des choses qui arrivent« , j’ai eu un grand plaisir à retrouver cette auteure. Elle a un ton bien à elle pour évoquer les petits travers des « grandes » heures de gloire de la France, et même le tragique prend un air quelque peu ridicule. Nous sommes en Mais 1968, le 22 pour être précis. Tout Paris retentit de la révolte étudiante et subit les contraintes de la grève générale qui paralyse l’approvisionnement et les transports. Tout Paris, soit mais qu’en est-il des hôtels de luxe et du personnel peu formé pour exprimer des opinions personnelles et encore moins libertaires. Que pense donc, le personnel et les habitués du Meurice ? Son décor n’inspire pas la contestation :

Il n’empêche ! le Chef de Rang, Roland, a organisé une assemblée générale du personnel qui a voté l’autogestion. Seulement voilà, ce jour le 22mai 1968, c’est aussi, le jour ou la richissime Florence Gould doit remettre « le prix Nimier » à un jeune écrivain. Le personnel décide de montrer qu’il est fort capable de se passer du directeur et organise une soiré en tout point remarquable. Pendant ce temps le directeur réunit ces confrères du Ritz, du Plazza, du Lutetia et du Crillon pour savoir que faire devant cette situation quelque peu inédite. Cela permet à l’auteur de donner vie à un autre endroit stratégique de l’hôtel, le bar :

Peu de problèmes résistent à l’alcool et à l’argent. C’est la morale de ce roman. Sans doute vous serez vite curieux de connaître le romancier récompensé, comme l’ex ministre de la culture Fleur Pellerin, les vieux compagnons de table de Florence ne l’ont pas lu et seraient bien en peine de parler de son livre. En mai 1968 le prix Roger Nimier a été attribué à Patrick Modiano, et ce prix lui a été remis par des écrivains proches de la collaboration. Pauline Dreyfus a un vrai talent pour faire revivre ces gens si riches et si oisifs, elle ne les charge pas mais rend bien leurs aspects superficiels. Et son talent ne s’arrête pas à « croquer » caprices des gens trop riches avec humour,(la scène du repas de l’ocelot de Salvador Dali est aussi cruelle que drôle !)

L’auteure sait aussi nous rendre plus proche les obsessions littéraires de Patrick Modiano, qui dit de lui même qu’il a hérité du passé de la guerre qui n’était pas le sien. Or, ces mêmes salons furent le siège de la Kommandantur et ce sont les mêmes suites qui furent les logements de fonction des occupants et du général von Choltitz. Tous les personnages du fameux dîner ont existé et certains personnages ont dû s’amuser à se retrouver sujet de roman. Un personnage fictif existe, un homme qui a mis toutes ses économies dans une semaine au Meurice avant que le cancer ne l’emporte. Il est le seul à avoir lu et avoir compris le roman, et c’est lui aura le mot de la fin avec une chute qui m’a peu convaincue. Le roman n’avait pas besoin de ce hasard là.

Citations

Grève au Meurice

Depuis hier, même les Folies Bergères sont occupées par le personnel. Ce que les filles à plumes peuvent faire, je ne vois pas pourquoi nous n’en serions pas capable. Sinon nous allons passer pour le dernier des Mohicans. Votons une motion !

La grande Histoire et la petite

En apprenant que le Meurice avait, lui aussi, été contaminé par la révolution qui gangrenait le pays, le ministre s’était senti personnellement insulter. Il tenait en grande estime le directeur de l’hôtel, qui lui consentait des prix inférieurs à ceux du marché, au motif que l’Histoire n’est qu’une éternelle répétition et qu’autrefois, Louis Napoléon Bonaparte avait élu Le Meurice pour abriter ses amours avec Miss Howard. Une actrice, déjà. Un homme politique, encore. L’adultère, toujours.

Florence Gould et son passé pendant et après la guerre ou le pouvoir de l’argent.

Au bout d’une journée entière de laborieux palabres ponctués de protestations indignées, Florence avait dû son salut à son carnet de chèques. Le montant qu’elle avait inscrit était si élevé qu’elle avait pu regagner son domicile le soir même.
 Pour tout le monde et surtout pour l’avenir, cet épisode serait à classer dans la catégorie des calomnies. Même si elle avait été brève, l’expérience lui avait paru humiliante. Ces déjeuners où se presse le Tout-Paris de la littérature, c’est sa revanche. Plus personne ne lui reprochera ses fréquentations.(Hormis , post mortem, ses biographes, mais avec une telle mansuétude que le péché devient erreur de jeunesse : « Forence, après c’est sévère enquête du gouvernement français, américain et monégasque, est vite lavée de tout soupçon même si elle a manqué de discernement dans le choix de certains amants » litote délicieuse !)

L’homme des renseignements généraux au bar du Meurice

Il est des missions plus agréables que d’autres. Au perrier rondelle a succédé le whisky, puis le Dry Martini. Aussi, à cette minute, son esprit est-il si brumeux qu’il serait incapable de faire la différence entre un situationniste et un maoïste.