Édition Metallié. Traduit de l’allemand par Alban Lefranc

Ma troisième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 , organisé par Eva 

 

 

 Un grand merci et cinq coquillages pour Anne-yes qui m’a permis d’aller vers ce livre, c’est une lecture indispensable pour mieux comprendre l’Ukraine d’hier avec les conséquences qu’on connaît aujourd’hui . La mère de Natasha Wodin, l’auteure, est d’origine ukrainienne, elle est née à Marioupol, son père bien qu’Ukrainien est de langue allemande . Ce livre, retraçant le destin douloureux de sa mère, se divise en quatre parties.

– La première est consacrée à la recherche sur Internet de sa mère dont elle ignorait tout, sauf qu’elle venait de Marioupol. Très vite elle obtient une réponse qui lui vient de Russie d’un homme qui sera son ange gardien dans ses recherches. Un certain Konstantine, et à sa grande surprise, elle découvrira que les mensonges qu’elle racontait quand elle était enfant sont en grande partie vraie. Elle s’imaginait princesse et elle découvre que sa famille d’origine italienne était une des plus riche de Marioupol et, qu’effectivement, ils habitaient un palais. Toute l’enfance de l’auteure, en Allemagne, elle s’est sentie paria ( elle dit même « un déchet » en parlant d’elle) car elle, et sa famille faisaient partie des anciens travailleurs de l’est pays qui sont devenus communistes (donc ennemis !) C’est l’aspect de ce livre qui m’a le plus passionnée, car je n’ai jusqu’à présent rien lu sur ce sujet  : que savons nous de ces milliers (peut être millions ?) de personnes déplacées pour servir d’esclaves au troisième Reich en manque de main d’œuvre ? Nous connaissons en tout cas le sort de ceux qui sont retournés sous le joug stalinien : fusillés comme traître ou envoyés directement au goulag.
– Son enquête avance grâce à Konstantine, et elle raconte dans la deuxième partie, le sort de Lydia la sœur de sa mère. Celle ci a écrit ses mémoires et on peut alors découvrir toute l’horreur des débuts du communisme en Ukraine jusqu’à la famine qui sera un des plus grand crime commis contre un peuple. Bien que condamnée au goulag, Lydia a survécu et sa mère qui était venue garder son enfant aussi, elle était arrivée en 1941 quelques jours avant l’invasion allemande et ne pourra plus jamais repartir. Natasha comprend en enfin pourquoi sa mère a été abandonnée par sa propre mère.
– Dans la troisième partie, grâce à ce qu’elle sait maintenant, elle cherche à comprendre pourquoi sa mère est partie en Allemagne à la fin de la guerre. Elle y rencontrera son père lui aussi travailleur déplacé qui l’a beaucoup aidée et lui a permis de survivre.
– Enfin dans la quatrième et dernière partie, on voit cette femme plonger dans une dépression terrible qui fera fuir son mari violent et alcoolique. La petite Natasha s’enfonce dans ses mensonges pour fuir cette chape de malheur qui tue sa mère à petit feu.

Tout l’intérêt de ce livre vient de ce que l’auteure sait nous faire découvrir la vie de sa mère au fur et à mesure de ses propres recherches. Elle n’avait qu’une très vague idée de qui était sa mère, elle lui en voulait d’avoir si peu su lui faire une vie heureuse et d’être éternellement cette femme déprimée. Mais, comme elle, nous sommes bouleversées de voir que son destin aurait pu être moins tragique si elle avait su que sa propre mère et sa sœur avaient survécu au goulag.
Historiquement, le destin de ces travailleurs venus des pays occupés par l’Allemagne Nazie est mal connu et terrible. Mal connu, car il pèse sur eux le jugement de collaboration avec le régime de l’occupant et personne n’a vraiment pris la peine d’analyser leurs souffrances, on sous entend souvent qu’ils avaient le choix de ne pas y aller. Ce qui est loin d’être vrai. En plus si vous aviez le malheur d’être slave alors vous faisiez partie de la race des esclaves et votre sort était plus proche de l’univers concentrationnaire. Le pire, pour ces hommes et ces femmes, est qu’aucun pays n’attendait votre retour. En France les anciens du STO sont rentrés sans gloire, certes, mais ils ont retrouvé une vie normale. Les Ukrainiens et les Russes étaient renvoyés chez eux à une mort certaine plus ou moins immédiate.

Un très beau livre, tout en émotion et qui nous fait revivre l’histoire si douloureuse de ce pays.

 

Citations

Travailleurs déportés .

Depuis de nombreuses années déjà, je cherchais en vain un livre écrit par un ancien travailleur forcé, une voix littéraire qui m’aurait permis de m’orienter. Les survivants des camps de concentration avait produit une littérature universelle, les livres sur l’holocauste remplissaient les bibliothèques, mais les travailleurs forcés non juifs, qui avaient survécu à l’extermination par le travail restaient silencieux. On les avait déportés par millions vers le Reich allemand ; des trusts, des entreprises, des artisans, des exploitations agricoles, des ménages privés dans tout le pays s’étaient servi à leur guise dans le contingent d’esclaves importés selon un programme d’exploitation maximale pour le coup le plus minime possible.

Le soleil se lève sur le lac.

 Des levers de soleil comme sur ce lac, je n’en avais encore jamais vu ailleurs. Ils s’annonçaient des trois heures du matin à l’horizon, d’abord comme un rosissement à peine perceptible du ciel au dessus de l’eau, qui se transformait progressivement en une orgie lumineuse d’une beauté irréelle. Je m’étonnais que tout le monde soit endormi, que personne à part moi ne semble assister à ce spectacle cosmique. Le ciel brûlait de toutes ces couleur du vert clair à l’or, du violet au rouge flamboyant chaque jour différent chaque jour nouveau : des spectacle de lumières des tableaux surréalistes que le soleil faisait surgir dans le ciel et donc je suivais la métamorphose minutieuse à partir de mon balcon comme d’une loge quelque part dans l’univers (…)

La tragédie des Ukrainiens.

Tamara avait été exilée de Kiev à Vienne à vingt ans pour travailler dans une conserverie. Après son retour en Ukraine, elle avait échappé au sort de ceux qui avaient été fusillés comme traîtres et collaborateurs ou transférés d’un camp de travail forcé à un autre, mais elle faisait partie de la majorité de ceux pour qui le travail forcé en Allemagne avait eu des conséquences à vie. Ceux qui étaient revenus, qui n’avaient pas réussi à s’opposer à leur déportation par l’ennemi, n’étaient plus acceptés dans la société, la plus part d’entre menaient une vie de misère et de privation jusqu’à leur mort. Pendant de nombreuses années, elle avait été forcée de laisser ses parents l’entretenir, eux qui souffraient de la faim. Finalement, un ami de ses parents est tombé amoureux d’elle, un professeur de biochimie vieillissant qui l’a demandée en mariage. Elle n’a pas répondu à ses sentiments, mais le mariage l’a sauvée, sa survie physique au moins était assurée. Son courageux mari, déjà discriminé en tant que juif, en supporta les conséquences. Pendant longtemps, il est resté le seul professeur de tout Kiev à qui n’avait pas été attribué des appartements et qui devait vivre avec sa femme et ses deux enfants dans un appartement communautaire .

La Russie post soviétique .

 Et en quoi tout cela me concernait, moi ce fiasco soviétique, et post soviétique le fatum sans fin de la Russie, l’incapacité à se réveiller d’un cauchemar collectif, l’emprisonnement entre soumission et anarchie, entre la patience vis à vis de la souffrance et la violence, tout ce monde inexpliqué et sombre cette histoire familiale faite d’impuissance, d’appropriation, d’arbitraire, de mort, cette Russie misérable, la Mater Dolorosa éternelle qui serrait impitoyablement ses enfants dans ses bras.

Les esclaves Ukrainiens.

Les Ostarbeiter représentent un dilemme insoluble pour les nazis. Ils sont indispensables au maintien de l’industrie de guerre allemande mais recouvrir à eux n’est pas compatible avec l’idéologie raciale nazie, cela met en danger la pureté raciale du peuple allemand. Les rapports sexuels avec des Slaves sont strictement interdits aux hommes allemands, et pourtant les viols font partie du quotidien du camp.

Quand l’image de sa mère venant d’un pays glacé se confronte à la réalité.

 Pour la première fois depuis sa mort, ma mère devenait une personne extérieure à moi. Plutôt que dans la neige, je la voyais soudain marcher dans une rue de Marioupol, vêtue d’une robe d’été légère et lumineuse, les bras et les jambes nus, les pieds dans des sandales. Une jeune fille qui n’avait pas grandi dans l’endroit le plus froid et le plus sombres du monde mais près de la Crimée, au bord d’une mer chaude du Sud, sous un ciel peut-être semblable à celui de l’Adriatique italienne. Rien ne me semblait plus inconciliable que ma mère et le Sud, ma mère et le Soleil et la mer. J’ai dû transférer toutes mes idées de sa vie dans une température différente, sous un climat différent. L’inconnu ancien s’était transformé en un inconnu nouveau.

 


Édition « les Éditions de Minuit »

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Deuxième lecture réussie pour le club de cette année. Un livre qui se lit très vite mais qui ne s’oublie pas. L’auteur grâce à une écriture très sensible, raconte le destin d’un enfant appelé « M. » fils d’un soldat français et d’une femme allemande.

Ce n’est pas lui qui nous raconte cette histoire mais le petit fils du soldat français : Malcusi époux d’une femme de 86 ans, Imma. Il apprend le jour de l’enterrement de ce patriarche au caractère peu commode l’existence de cet enfant. Il va partir à la recherche de ses souvenirs et des souvenirs des siens. Imma ne veut pas entendre parler de cette histoire et exige de son petit-fils qu’il cesse cette recherche.
Peu à peu le voile qui cache ce secret de famille se déchire et la vérité à la fois simple et tragique va apparaître.

J’ai appris qu’il y a eu beaucoup d’enfants ayant un père français en Allemagne et tous auraient bien voulu retrouver leur père qui, pour la plus part, ont fui à toute jambe leurs responsabilités.

Parlons du style : d’abord ce que j’aime moins, je n’arrive pas à comprendre le pourquoi de l’absence de majuscule au début des paragraphes. Je ne comprends pas pourquoi non plus le personnage de l’enfant est appelé « M. », j’ai quelques hypothèses mais pas de réponse. De la même façon la femme dont il est en train de se séparer s’appelle aussi « A ».

Mais ce n’est rien par rapport à mon plaisir de lecture, on sent à quel point la révélation de l’existence de cet enfant a transformé la vie du narrateur. Le récit de l’oncle âgé qui a reçu « l’enfant dans le taxi » est bouleversant. Peu à peu, le portrait du grand-père Malcusi s’enrichit mais pas à son avantage ! Je trouve très fort de démarrer le récit avec un personnage positif et de finir avec un homme si peu sympathique ! D’ailleurs sa propre femme revit après son décès : cette veuve très joyeuse fait tout ce qu’elle n’avait pas pu faire du temps de son mariage : apprendre à nager et voyager dans des endroits les plus pittoresques.

Le narrateur, qui est écrivain, est sans doute plus sensible aux malheurs de « M » qu’il est lui-même en pleine séparation avec la mère de ses deux enfants. Les salons du livre auxquels il participe ne suffiront pas à lui remonter le moral.

Un beau roman bien servi par une écriture à laquelle j’ai été très sensible, malgré quelques partis-pris de style que je ne comprends pas.

 

 

Citations

Le début.

 Ce matin-là, elle aide son père à fendre le bois dans la cour. Il a neigé toute la nuit, le sol est blanc, maculé de boue aux endroits qu’ils piétinent. Depuis une heure elle lui présente l’une après l’autre les bûches, ramasse chaque fois le coin dans la neige pour le replacer à l’aplomb d’un nouveau rondin, le buste penché en avant le bras crédit dans l’attente du coup de masse.

Ne pas faire de vagues.

 À l’éternel impératifs de « ne pas faire de vagues » : quelque chose comme un ordre supérieur aux allures de glacis, chape de silence devenue invisible à force d’habitude, d’autant plus puissante que paisible, sans aspérité, sans prise, puisque tous les secrets sont faits de cette pâte innocente, habillée des meilleures intentions, parée de souci du prochain : si je ne t’ai rien dit c’était pour ton bien. Puisque depuis toujours dans l’ordre des familles le crime c’est de vous parler, jamais de se taire.

La vieillesse triomphante.

 Souriant comme chaque fois qu’elle constatait par contraste le délitement de tel ou tel cousin pourtant de vingt ans plus jeune qu’elle.
 Ah oui toi aussi tu l’as vu récemment.
 Baissant brusquement la voix pour chuchoter. 
Tu as vu ce coup il a pris.
Un de ces coups le pauvre, ça m’a fait de la peine. Rien à voir avec moi.
Cela dit avec un sérieux soudain qui manquait me faire éclater de rire. 

Portrait d’une femme efficace .

 La mère qui n’avait jamais voulu voir M., jamais voulu entendre parler de M., jamais voulu se demander si son refus de le rencontrer était légitime ou non, simplement c’était ainsi, cela lui coûtait trop de repenser à tout ça, elle ne voulait repenser à rien et pourquoi aurait-il fallu qu’elle se force. La mère dont l’inclination en tout, toujours, consistait à faire place nette. Des ronces. Des vieux objets. Des blessures. Des souvenirs 

L’enfant du taxi qui voulait voir son père et à été reçu par un oncle.

 Trois jour remplis de douceur et d’amour au terme desquels je l’ai d’un commun accord remis dans le train en sens inverse, si bien qu’il est reparti, avait continué Louis, la fameuse erreur de jeunesse de Malusci est reparti renvoyé à sa mère qui a pensé quoi du récit rapporté par le gamin, pensé quoi de le voir revenir si vite quand elle croyait peut-être lui avoir dit adieu pour des années. 
trois jours forts gravés dans la mémoire de Louis qu’il avait dû retenir son l’émotion, attendre que le tremblement de sa voix cesse avant de raconter la lettre que Jacqueline et lui avaient une semaine plus tard reçue, écrite dans un français maladroit qui la rendait encore plus belle, une lettre dans laquelle M. nous remerciait joyeusement, avait dit Louis une lettre dans laquelle il racontait avec humour qu’il mettait tout le temps ma chemise, dormait dans mon pyjama
grâce à vous je me suis senti comme un fils terminait le bref courrier qui ne disait pas un mot de l’humiliation infligéee par Malusci, ne formulait les pas une plainte, pas avoir un regret, ne montrait pas un seul signe d’amertume
 grâce à vous je me suis senti.comme un fils.

 

 

 


Édition des Syrtes. Traduit du bulgare Marie Vrinat .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Quelle chance que ma première lecture du club soit ce roman déjà repéré chez Partice et Eva qui m’a fait découvrir billet de « je lis je blogue » ! Mes cinq coquillages parlent pour moi, oui, cette lecture m’a beaucoup touchée. La quatrième de couverture dit l’essentiel du récit sans pour autant dévoiler le roman. Une jeune femme, l’écrivaine, veut comprendre la vie de sa grand mère. Celle-ci sera victime de deux intolérances religieuses, celle de sa Bulgarie natale car elle tombe amoureuse d’Ahmed, un musulman, ce qui est intolérable pour sa mère grecque, ensuite à İstanbul, où elle a fui avec Ahmet qui hélas mourra de la tuberculose, elle sera considérée comme « la putain bulgare » et sera violemment rejetée de toute la famille musulmane.

L’intérêt du livre, c’est le soin que porte l’écrivaine pour cerner chaque membre de sa famille, elle leur donne la parole chacun à leur tour et se dessine alors devant nous une famille qui ne pouvait pas évoluer en 1924. (Je me suis demandée ce qui se serait passé en France à la même date ?) . L’arrière grand-mère Theotitsa, est une femmes malheureuse d’avoir vu mourir cinq de ses enfants et seule la religion lui apporte un peu de consolation.

Miriam la grand-mère de l’autrice est une jeune femme que rien n’arrête et qui va vivre intensément son amour pour Ahmed elle aura deux enfants dont Haalim le père de Maria l’écrivaine.

Voilà vous avez toute la famille ou presque, je n’oublie pas ce qui m’a procuré le petit plus qui met ce roman dans « mes préférences », ce sont les dialogues que mène Maria Kassimova-Moisset avec tous les membres de sa descendance. Je fais ça parfois avec les miens, je leur parle souvent mais ils me répondent avec moins de talent. Ces dialogues permettent de mieux comprendre les questions restées sans réponse de la petite fille descendante d’une famille si complexe.

La description de la Bulgarie de cette époque est très vivante, on s’attache aux personnalités des différents protagonistes de cette histoire, ou on les rejette . La vie à Istanbul est différente car la ville est immense et Ahmet et Maria y cherchait surtout de quoi cacher leur amour, heureusement pour eux une voisine les aidera à élever leur enfant. Elle arrête son roman sur le bateau du retour vers la Bulgarie, j’aurais aimé savoir comment cette femme a réussi à faire sa vie ensuite.

J’ai été très surprise par la fin, que je vous laisse découvrir (évidemment !) car je vous connais trop bien, vous les anti-divulgâcheuses !

 

Citations

Début du roman, (Premier jour des règles de Myriam).

 Elle roula sur ses jambes.

 Lourde épaisse goutte de sang. Elle se glissa des profondeurs de son corps efflanqué et se rua entre ses jambes.

Les croyances à propos des règles .

Tes mains trouveront une toile de coton de Tsarigrad ….. Plie le comme un fichu pour la tête. Rentre d’abord le bout pointu pour que tu ne sois pas terrassée par la douleur lorsque le sang viendra. Plie-le lentement – pour que tu ne souffres pas lorsque tu enfanteras un jour. Plie les deux bouts vers le milieu mais sans que l’un recouvre l’autre, pour que tes enfants ne se haïssent pas mutuellement. Appuie dessus avec tes mains, mais pas trop fort – pour que ça vienne autant d’années qu’il t’est imparti, tu ne vas pas verser du sang lorsque tu seras grand-mère, hein !

Dialogue avec Theotitsa

 

– Dans ce cas, pourquoi tu converse avec moi ?

 – Parce que tu es mon arrière grand-mère. Et parce que j’aimerais savoir comment tu as pu maudire Miri… ma grand-mère. Et mon père en même temps.
 – Écoute, je n’ai l’intention ni de m’expliquer ni de me justifier. Elle se l’est infligé à elle-même. C’était une enfant diabolique, elle est née comme ça. Je le voyais dans ses dessins -tout y était, dessiné par elle. Toi aussi, tu y étais- assise en train d’écrire cette histoire. En train de parler avec moi, ça aussi, ça y était.
 – Donc ça, maintenant notre conversation à toutes les deux, c’est…diabolique, c’est ça ?
– Ben oui, diabolique. Tu es bien sa petite fille -tu portes en toi sa diablerie. Tu es la même -une mécréante..
 – Donc je porte aussi son péché.
– Oui. Je le vois – il est installé sur ton épaule, avec ma malédiction.

 


Édition points

Bravo Polina, que mon correcteur d’orthographe veut absolument corriger en Pauline ! ! Si votre livre a su séduire un si large public c’est qu’il raconte avec une verve originale, le passage entre la culture russe et la culture française. La lectrice que je suis a été amusée car ce récit est plein d’humour, attendrie aussi par cette petite fille qui affronte la « maternelletchick » en France sans comprendre un seul mot de français, sauf « Sava » . Mais comment comprendre qu’avec le mot « hibou » on demande des nouvelles à quelqu’un ? (« sava » en russe veut dire hibou !) . J’ai été si triste lorsque Pauline a dû affronter le décès de sa maman et j’ai partagé son envie qu’elle retrouve son prénom russe Polina, car elle nous fait bien comprendre combien cette double appartenance est importante pour elle. Polina Panassenko nous fait découvrir la vie des ses grands parents très attachés à leur pays, le plaisir d’aller dans la datcha pour préparer les conserves pour l’hiver. Mais elle n’idéalise absolument pas leur vie, ils ont peur de tant de choses et, hélas ! tout s’achète à coups de pots de vin même la sortie de la morgue, la messe et l’enterrement.
Le passage d’une langue à l’autre est vraiment passionnant, la réalité russe se dit mal en français. Par exemple tant que son grand père est « mort » elle ne ressent rien mais lorsqu’il est « ymep » alors elle comprend qu’elle ne verra plus celui qu’elle a tant aimé.

Un superbe premier roman que beaucoup d’entre vous ont déjà lu. Je ne peux pas m’empêcher de me demander comment cette écrivaine vit aujourd’hui la guerre qui détruit l’Ukraine.

 

Citations

Le Mac do et les frites.

 Depuis la veille ma grand-mère condamne l’expédition dans son ensemble par un mutisme ostentatoire. Au moment de notre départ assise sur le meuble à chaussures, elle fixe du regard la porte d’entrée. Une protestation silencieuse doit savoir se rendre visible
Au retour dans le deux pièces communautaire de l’avenue Lénine, le sachet de frites est froid et ma grand-mère n’est plus sur le meuble à chaussures. Ma mère envoie ma sœur annoncer que nous sommes rentrés. Ils l’ont entendu bien sûr depuis le bout du couloir mais l’annonce vaut aussi invitation.
 Lentement mon grand-père saisit un bâtonnet ramolli sur le sommet de la pile, le soulève du bout des doigts et l’observe à la lumière filtrant par le rideau de tulle. Sur la phalange de son annulaire droit, la boule de chair mauve qui couvre l’éclat d’obus contraste avec la frite. En deux poussées, il enfourne le morceau de kartofel dans sa bouche et lentement se met à mâcher, expirant l’air de ses narines par petits coups secs. Éclaireurs du goût. La mastication ralentit, la frite désolée vaincue par le dentier de fabrication nationale finit de fondre dans sa bouche. Un coup de langue sur les canines en acrylique et c’est la dégustation finale. Alors dit ma sœur. Alors c’est une patate froide, dit mon grand-père.

Le judaïsme de sa tante.

 Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle « le peuple juif « oscille entre le « nous » et le « ils » . Elle est juive sans l’être. On dirait que c’est au cas où. Au cas où quoi, je ne sais pas mais si je pose une question sur le « nous », il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l’embranchement et on se retrouve en plein « ils ».

Quel humour !

 Un matin l’annonce tombe. « Polina demain tu vas à la maternelletchik ». Quand ma mère ajoute « tchik » à la fin des mots c’est qu’elle cherche à le radoucir. Si c’est un mot inconnu ça ne présage rien de bon. Ma mère m’explique à quel point cette maternelletchik est nécessaire. Indispensable même. Sinon je n’apprendrai jamais le français. Qui a dit que je voulais l’apprendre ? Je ne suis même pas tout à fait sûr d’être au clair sur ce que c’est. Il semblerait que si jeudi Sava ?, l’autre va comprendre que je demande comment il se porte. Et si je dis Sava ! On comprendra que je vais bien. Je ne sais pas pourquoi à Moscou « sava » va dire « hibou ». Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire « hibou » pour se donner des nouvelles.

Devenir bilingue.

 Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. C’est pas compliqué. Quand sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins. Sil y a des voisins on attend. Bonjour. Bonjour. Quel étage ? Bon appétit. Il faut bien séparer sinon on risque de se retrouver cul-nu à l’extérieur. Comme la vieille du cinquième qu’on a retrouvé à l’abribus la robe de chambre entrouverte sans rien dessous. Tout le monde l’a vue. On a dit « elle ne savait plus si elle était dedans ou dehors ».

 

 

 

 

 


Édition Flammarion Collection Étonnantissimes

 

J’ai repéré cette collection chez Choup , et comme j’ai un petit fils qui en ce moment souffre sur la lecture de Candide, je vais lui offrir ce titre en espérant que cet ouvrage va lui permettre de mieux comprendre le chef d’oeuvre de Voltaire.

Alain Monnier reprend ce grand classique et en refait une version moderne, Candide devient Benjamin et il est formé grâce aux plus grandes écoles de commerce française, son Pangloss est un professeur d’économie Martin. Si celui-ci ne lui explique pas sans cesse « que tout est mieux dans le meilleur des mondes » , il lui dit et lui répète que le monde marcherait mieux si la loi du marché régnait sur le monde. La belle Cunégonde est représentée par Astrid qui n’hésite pas, hélas pour elle de se servir de ses charmes pour réussir au grand désespoir de Benjamin.

Avec une ironie moins mordante de Voltaire, Alain Monnier arrive à dénoncer tous les excès du capitalisme sans contrôle que ce soit en France en Chine ou en Arabie saoudite, il existe bien un Eldorado de ce monde sans foi ni loi, c’est Guernesey où tout le monde semble vivre heureux en profitant de l’argent placé dans ses banques. Benjamin n’y restera pas mais en repartira suffisamment riche pour arracher son Astrid au milieu le plus sordide de la prostitution.

Ils vont tous ensemble cultiver leur jardin dans un village abandonné dans le Quercy . Mais curieusement le roman ne s’arrête pas là, il leur faudra un dernier projet commun pour réussi à trouver le bonheur.

Je ne pense pas que sans se souvenir au moins un peu de Candide cet essai aurait moins de charme. Mais on peut aussi le lire pour la critique de tout ce qui va mal dans notre société ; Si j’ai écrit un billet sur ce livre, c’est pour aider tous les jeunes qui lisent difficilement les classiques de la littérature française. Cet auteur en a écrit d’autres sur le même modèle, un sur Molière , un sur Zola aussi me semble-t-il

Vraiment bravo à cet écrivain , quel talent !

Citations

La recherche du bonheur ;

– Que faut-il faire pour avoir le bonheur sur terre ?
– Mais c’est une question qui dépasse largement votre entendement ! Lui retorque méchamment l’élu. 
– Je constate simplement qu’il y a beaucoup de mal sur notre terre, et le Marché ne fait que l’amplifier…Quand on veut s’en abstraire on se sens saisie par l’ennui.
– Il faut que les hommes partagent un vaste espoir, attendent un même miracle pour supporter leur triste vie… Même les plus riches attendent mieux, l’homme n’est pas fait pour se contenter de ce qu’il a… Il serait assurément heureux s’il pouvait continuer à désirer ce qu’il a, mais ça, c’est pile ce qu’il n’arrive pas à faire. 

Fin du roman au-delà de cultiver son jardin, reconstruire une église .

 Mais, dit Martin, cela ne sert à rien, on sait bien que Dieu est mort…
– Peut-être mais si nous reculons reconstruisons une belle église il y aura peut-être quelqu’un qui viendra s’y installer.
 Les messes basses reprennent, des mots fusent, des hésitations encore. Des avis osent enfin pointer le bout de leur nez. Des approbations timides qui craignent le feu de la dérision, car les ricaneurs dégainent toujours vite quand on parle de l’église catholique romaine. Puis l’atmosphère se détend une sorte d’excitation improbable s’empare de tous et balaie les quelques remarques peu empressées de Martin. En fait tous sont franchement emballés par cette idée. Le gouverneur décide que leur église sera plus belle que Westminster (…)
 Puis seul debout au milieu de tous, Benjamin déclare avec une fermeté qui l’étonne lui-même :
 » C’est donc décidé de nous allons reconstruire et attendre ensemble… »



Édition Pocket . Traduit de l’anglais par Nathalie Cunnington

 

En regardant ce que cet auteur avait écrit, je me suis rendu compte qu’on lui devait «  L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » que je n’ai pas lu, mais j’ai aimé le film qui en a été tiré. Ce roman parle de la passion de l’auteur pour le Far-West américain vu à travers le cinéma et les feuilletons tournés pour la télévision. L’enfance du jeune héros, Tommy, a été bercée par les héros au grand cœur qui sauvent les pures jeunes filles blanches des griffes des méchants indiens.
Mais avant de raconter (le moins possible) le fil narratif de ce récit, j’explique sa construction. L’auteur, dans des chapitres assez courts donnent des aperçus de la vie de Tommy, en ne respectant pas la chronologie . Il faudra lire tout le roman pour remettre dans l’ordre la vie du personnage principal qui donne l’impression d’un puzzle. Lorsque la dernière pièce sera mise en place alors tout sera tellement clair pour le lecteur qui pourtant n’a jamais été perdu (en tout cas, je ne l’ai jamais été)
Le premier chapitre est une des clés du roman. Tommy a 13 ans, il rend visite à sa mère qui est condamnée à mort. Le deuxième chapitre, il est enfant à Bristol et suit avec passion son feuilleton télévisé dans le quel Red McGraw « se dresse seul contre l’injustice ». La construction parcellaire du roman sert l’intrigue car la vie de Tommy est construite sur un énorme mensonge, celle qui prend pour sa sœur est en réalité sa mère, et ses parents sont en réalité ses grands parents. Sa mère l’arrache à une pension anglaise où il était très malheureux et l’emmène avec lui à Hollywood.
Il y rencontre l’acteur Ray qui sera l’amant puis le mari de sa mère mais aussi l’acteur qui jouait Red McGraw dans son feuilleton préféré.
Un autre mensonge aussi énorme que le premier viendra troubler le passage de Tommy dans la vie adulte. Et il ne saura pas être le père de son fils. Celui-ci sera accusé de meurtre de civils pendant la guerre en Irak et c’est alors que père et fils se retrouveront en se dévoilant réciproquement leurs propres mensonges.
Les réflexions sur le poids de la culpabilité sonnent très justes et la façon dont est traité le rapport à la vérité est passionnant. Je pense que le thème principal du roman c’est cela  : le poids que représente pour un enfant un mensonge sur lequel il a construit sa vie.
Mais les thèmes annexes sont tout aussi passionnants, par exemple le passage du travail d’acteur de la télévision au cinéma et du poids de son image qui passe de mode et comment cela peut devenir insupportable pour lui. On retrouve aussi les indiens qui sont si loin de l’image qu’en donnait la télévision, Tom le découvrira grâce à Cal, un indien blackfoot, qui sera son père adoptif. Autre blessure invisible celle avec les quelles reviennent les marines américains qui ont tué des civils en Irak ou qui ont vu tuer les meilleurs d’entre eux.
Un roman foisonnant qui sonne très juste qui se lit d’une traite même si certains passages méritent une lecture plus attentive car ils révèlent des comportements humains très intéressants.

 

Citations

Passage plein d’humour .

 « Vous ne seriez pas Thomas Bedford, par hasard ?
– Si, c’est moi. Je m’excuse mais… »
Elle tendit la main et il la serra, un peu trop fort. Comme le documentaire qu’il avait fait cinq ans auparavant sur l’histoire et la culture des indiens blackfoot avait été récemment diffusé sur PBS, il se dit qu’elle l’avait reconnu à cause de cela. Ou peut-être avait-elle assisté à l’une des conférences qu’il donnait de temps en temps à l’université. La jeune femme était une beauté discrète. Elle devait avoir une trentaine d’années au plus, elle avait la peau pâle, des taches de rousseur, une épaisse chevelure rousse enserrée dans un foulard vert en soie,. Tom rentra le ventre et sourit
« Je me présente : Karen O’Keefe. Nous avons le même dentiste. Je vous ai vu chez lui il y a deux ou trois semaines.
-Ah !

Le mensonge.

 Un mensonge raconté plusieurs fois à cette faculté étrange d’acquérir une sorte de consistance. À mesure qu’on se le répète, il devient aussi solide et rassurant que la vérité. Tom s’était parfois demandé, après le départ de Gina, si les choses se seraient passées différemment, s’il lui avait dit la vérité à propos de Diane. Cela l’aurait peut-être aidée à comprendre ses difficultés de père et de mari. Ou bien n’aurait fait que lui inspirer de la pitié. Et pour Tom la pitié, c’était pire que la honte.

Être américain sous Kennedy .

C’est ainsi qu’il se joignit à ses camarades comme s’il était un vrai petit américain. Ce qu’il avait toujours souhaité être. Parce que ça lui semblait plus moderne – plus cool comme dirait Wally- que d’être anglais. Il n’y avait qu’à voir le président qu’ils venaient d’élire ! Jeune, toujours souriant, avec ses enfants et sa jolie femme, tandis que le premiers ministre britannique ce vieux Macmillan, devait avoir au moins cent ans et ressemblait à un morse qui aurait perdu ses défenses.

Les fragilités du métier d’acteur.

– Dans mon type de boulot, si quelque chose se passe mal, on l’arrange, on se débrouille pour faire mieux la fois suivante. Mais vous autres, les acteurs, vous n’avez pas le droit à l’erreur. Vous êtes seuls. Si vous vous trompez, ça vous touche au cœur. Désolé, je n’arrive pas à exprimer ce que je veux dire.
– Je comprends.
– Je ne suis pas en train. De dire qu’il n’y a aucune technique, aucun talent là-dedans . Il y en a, bien sûr. Vous devez savoir vous placer, repérer la caméra, et tout et tout. Mais au bout du compte, l’essentiel, c’est vous, ce que vous êtes. Et si quelqu’un critique ça, vous dit que ça ne va pas, ce n’est pas votre travail qu’il critique, c’est vous. Ce qui est déjà difficile à accepter pour n’importe qui. Alors pour les acteurs, c’est pire encore parce que… Bon sang, qu’est ce qui me prend de vous parler comme ça. ?
– Je vous en prie continuez.
– Ce que je voulais dire, c’est qu’ils ont très peu confiance en eux. Ils veulent qu’on les approuve, qu’on les aime. Comme nous tous bien entendu, mais chez certains acteurs, c’est comme une sorte de faim. Et s’ils n’obtiennent pas ça, ils sont complètement défaits.
– Quand même, Cal, il y a des métiers bien plus dur que celui-là.
– Peut-être, mais pas beaucoup qui peuvent à ce point blesser un homme dans l’image qu’il a de lui même. 

Toujours le mensonge.

 Le mensonge lui parut usé. Il ne s’était pas entendu le raconter depuis longtemps. Il fut soudain pris de l’envie d’avouer comment Diane était réellement morte. Mais mais pouvait-il raconter à cette quasi inconnu ce qu’il n’avait jamais réussi à dire à quiconque ? Même pas à son psy, même pas à Gina. Ce serait une véritable trahison. Le problème avec le mensonge, c’était cela. Tels les pins tout tordus et noueux qui poussaient dans les montagnes, plus ils étaient vieux plus ils devenaient résistants.

Dernière phrase (on imagine avec un soleil couchant..) happy end .

 Elle le regarda longuement puis se pencha vers lui et l’embrassa tendrement sur la joue. Alors, Tom passa le bras autour de sa taille. Ils firent demi-tour et traversèrent la pelouse ensoleillée vers la maison.

Édition Gallimard NRF.

 

Ce peuple des promesses duquel il faut se méfier, car il est désespérément myope et doté d’une mémoire reptilienne. La preuve en est que depuis deux cents ans, à chaque tournant majeur de son histoire, il fait toujours le pire des choix.

 

Les trois coups de cœur du club de lecture sont entièrement mérités ainsi que mes cinq coquillages. Ce roman est extraordinaire, car il mêle l’analyse fine et fouillée du sentiment amoureux avec l’horreur de la lutte politique en Iran, de la chute du Shah à la répression la plus totale de la dictature islamique. Au début nous sommes dans une petite ville, une station balnéaire, Chamkhaleh sur la mer Caspienne où la vie, l’été, se déroule comme dans toutes les stations balnéaires, les filles sont jolies, montrent volontiers leur sourire et leur corps, les garçons sont amoureux mais n’osent pas s’approcher. Surtout de la si belle et si libre Niloufar, cousine du narrateur.

Comment peut on imaginer que ce monde a entièrement disparu sous le régime des Mollahs . L’auteur mêle avec un brio incroyable le récit de cet amour d’adolescent pour une jeune fille qui a trois ans de plus que lui avec la tragédie iranienne . Quand on a treize ans une jeune fille de seize ans , c’est une femme . Il raconte bien aussi toutes les contradictions qui divisent la société et les familles. Mais quel pauvre pays qui a cru se débarrasser d’un tyran est s’est jeté dans les bras de brutes sanguinaires bien pire que le Shah ! Ce que j’avais un peu oublié, c’est le rôle de la guerre contre l’Irak qui a conforté la répression contre la moindre opposition.

Ce récit est aussi une remise en cause de l’engagement politique, son héros n’est jamais sincère : il prend des postures et veut juste séduire celle qu’il aime. Mais surtout personne n’avait une vision claire de ce qui allait se passer.

Voilà ce qu’un roman peut apporter de mieux : comprendre grâce à ce récit l’absurdité du régime iranien et le côté factice des révoltes. Et pourtant , il s’agit surtout et avant tout d’un roman d’amour. J’ai vraiment été séduite par la performance littéraire et si triste pour ce pays qui n’est pas prêt de se débarrasser de ses tortionnaires.

 

Citations

C’est hélas vrai ! (et cela ressemble à l’incendie du Reichstag !).

 L’été 1978, le cinéma Rex d’Abadan prenait feu. . Plus de quatre cents personnes y périssaient brûlées vive. Un incendie de toute évidence criminel. Les doigts accusateurs se sont pointés vers le Shah et sa police secrète. Unanimement tu t’en souviens ? Toutes tendances confondues. C’était le coup fatal. L’étincelle dans les barils de poudre. Des corps calcinés ont été montrés sur les photos qui circulaient sous le manteau. Le régime du shah n’a jamais pu s’en remettre.
 Quelle énorme mensonge ! Quel coup de maître. Quii peut encore ignorer aujourd’hui que le cinéma a été mis à feu par des activistes musulmans appliquant une fatwa émise par un ayatollah ?, Quel intérêt avait le régime du shah à incendier un cinéma dans un quartier populaire d’une ville de second rang ? Vraiment quel intérêt ? Mais à ce moment-là dans ce pays de presque quarante million d’habitants, nul n’a été suffisamment lucide pour poser cette simple question ait dénoncé l’absurdité de la chose. Nous avons tous pris part à ce mensonge.

À l’époque du shah !

 Attention ! C’était l’Iran de l’époque du shah. Tu ne l’as pas vraiment connu. Il n’y avait pas encore la moindre femme voilée sur le rivage, et les foulards et tchadors n’étaient pas de mise. À la place, il y avait elles, avec leurs minuscules bikinis, leurs débardeurs, leurs robes légères, ouvertes aux quatre vents, leurs éclats de rire. Elles se déhanchaient sur le sable chaud. Rigolaient à gorge déployée. Je te promets, devant un tel spectacle, les bronzés de Malibu pouvaient aller se rhabiller.

Son père .

 Mais, à chaque fois, je m’apercevait avec étonnement que mon père était le seul qui ne m’écoutait pas. Il était, toujours, rouge de honte, souffrant secrètement comme a son habitude. Un jour, il m’a avoué à quel point il détestait mes sorties, mes tirades savantes, mes discours. Il me trouvait vulgaire, vantard et malhonnête. Il disait que j’étais l’échec de sa vie et qu’il regrettait amèrement de n’avoir pas su m’inculquer un brin d’abnégation, de bon sens et d’honnêteté, valeurs indispensables à ses yeux pour être un homme bon. Là il avait raison. Il voyait juste, mon pauvre père !

La guerre Irak Iran.

 Malgré le massacre, personne n’avait intérêt à mettre fin au conflit. Ni les mollahs qui avaient trouvé dans cette guerre la garantie de rester au pouvoir. Ni les chefs de guerre, alliés aux nouveaux hommes d’affaires et qui gagnaient des sommes vertigineuses en contournant l’embargo américain. Ni les grandes démocraties européennes qui vendaient des armes aux belligérants, clients dociles et solvables, vu les gisements pétroliers sur lesquels ils étaient assis. Ni les riches émirats arabes sunnites terrorisés par la montée de l’islam chiite expansionniste. Bref, chacun trouvait son compte dans la prolongation du conflit. Des hôtels macabres, surmonté de l’image de jeunes martyrs étaient dressés à chaque coin de rue. Les murs et les portes étaient couverts de photos de jeunes soldats tombés au front.

 

 

Édition NRF Gallimard

Comme vous le voyez sur ma photo ce petit livre n’a obtenu que deux coups de coeur à notre club, je ne l’avais pas lu, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y a eu une réserve d’une ou deux lectrices. Pour moi cet essai de Xavier Le Clerc, à la gloire de son père est un petit bijou d’authenticité et courage de la part de ce fils rejeté du cocon familial parce qu’il est homosexuel et très cultivé.

Il a retrouvé l’enfance de son père, Mohand-Saïd Aït-Taleb dans un petit village de Kabylie, grâce aux textes d’Alber Camus, « Misère en Kabylie » écrit en 1939 . Son grand père est mort pour la France à Verdun et son père en 1940 en défendant le sol français contre les nazis. Cet enfant mourait de faim dans son village de Kabylie, mais il ne l’a jamais raconté à son fils. Celui-ci en a compris toute l’horreur en découvrant les articles d’Albert Camus, il s’appuie donc sur ces textes pour nous dévoiler ce que son père a vécu enfant. Pour la suite, il puise dans ses souvenirs pour retrouver qui était ce père ouvrier toute sa vie à la SMN à Caen . Le portrait de son père est très bien rendu : cet homme était la dignité même et l’obéissance personnifiée, jamais un mot de révolte et une lutte incessante pour sortir de la misère sa famille. Les seuls moments de joie, en particulier pour sa mère , ce sont les retours au pays où la famille semble riche aux yeux des plus pauvres qu’eux. Comme tous les immigrés, ils étalent leur soi-disant richesse et cachent toutes les difficultés de leur vie en France.

Puis l’auteur évoque sa propre enfance, complètement séduit par la langue française, il fréquente de façon assidue la médiathèque et écrit des poèmes. Peu à peu sa différence creuse un fossé entre lui et sa famille.

À la préretraite trop tôt arrivée , son père va s’enfermer dans le silence. Et enfin l’auteur explique pourquoi il a traduit son nom en français : grâce à cela il a obtenu un poste de cadre important dans le monde du luxe . Hamid Aït- Taleb malgré ses deux masters n’aurait jamais pu obtenir le poste pour lequel Xavier Le Clerc a été si facilement recruté !

Le titre de cet essai vient du seul papier que son père a gardé toute sa vie : sa carte d’ouvrier à la SMN. Le fils trouve que ce père qui n’a aucun titre les mérite tous tant il a franchi avec une belle dignité les difficulté de sa vie. J’ai tout aimé de ce livre et je ne peux que vous le conseiller.

 

Citations

La misère et la colonisation .

 Avec sa petite sœur Cherifa, ils ont vécu comme les neuf enfants sur dix qui n’allait pas a l’école. Eux auss ont fouillé les détritus du ruissellement des eaux usées. Le code forestier interdisait aux montagnards jusqu’au glanage des pignons, utilisés pour les galettes rudimentaires ou même de ramasser du bois pour se chauffer :  » Il n’est pas rare qu’ils se voient saisir leur seule richesse, l’âne croûteux et décharné qui servit à transporter les fagots. » (Albert Camus misère de la kabyle 1939)

La formation du futur écrivain .

 Le mercredi matin, alors que la fratrie regardait le « Club Dorothée », j’allais de mon propre chef aux ateliers de langue française. L’école primaire Malfilâtre les dispensait en premiers lieu pour des enfants en difficulté, que l’on appellerait aujourd’hui des « migrants ». L’instituteur volontaire, surpris de me retrouver là, avait sans doute compris que je me sentais à ma place, entouré de dictionnaires, ébahi par la beauté du français. Il n’avait pas mesuré que l’enfant sage que j’étais, et qui chez lui ne parlait que le kabyle avec ses parents, ne s’amusait pas. J’étais au contraire concentré dans une bulle absurde. Je voulais apprendre le français une deuxième fois en quelque sorte, mémoriser sa texture, ses ingrédients et son goût, comme pour emporter une deuxième rations de mot, qui je ne le sais que maintenant devait nourrir un père affamé. 
L’après-midi à l’heure de « Dragon Ball » et de « ken le survivant, je m’asseyais sur la moquette de la bibliothèque municipale. Les mots m’apprenaient non pas à rêver mais à exister. Une vie marginale avec des lectures qui feraient de moi tôt ou tard un étranger dans ma famille. Chez nous, dans ce que nous continuions d’appeler la baraque, il n’y avait pas de livres, hormis les annuaires téléphoniques.

La faim.

Pour survivre tu as dû te nourrir de racines, puis te déraciner. Quant à la tyrannie du ventre vide. Il n’y a guère que l’école pour lui résister. La faim s’arrête-t-elle vraiment une fois le vide de l’estomac comblé ? Ou est- ce un ogre intérieur qui jamais ne sera repu et qui, une fois logée dans nos peurs les plus profondes, finit par nous dévorer l’esprit comme les entrailles ? Je repense à toi qui avalais ton casse-croûte la bouche grande ouverte, ne prenant pas même le temps de mastiquer, à t’en étouffer. Et enfant déjà, je sentais bien que ton empressement compulsif avait une histoire. J’étais aussi né de ton ventre d’homme, ton ventre d’affamé.

Édition Bleu et Jaune. Traduit du Croate par Chloé Billon

Merci à Keisha pour cette suggestion de lecture, elle avait su me donner envie et j’ai beaucoup aimé ce roman. Comme Keisha, j’ai recherché les jeunes femmes guitaristes que l’autrice signale à chaque début de chapitre et comme elle, je suis allée de bonheur en bonheur.

 

Ce roman suit cinq femmes qui sont mêlées au destin d’une superbe guitare construite par un luthier extraordinaire : Albert, je n’ai pas réussi à savoir si ce luthier a vraiment existé ou de quel modèle l’écrivaine s’est inspirée. Le récit commence avec une femme qui a planté la graine d’un arbre d’exception : le palissandre. Puis on trouvera celle qui a transgressé les codes de son village pour abattre cet arbre somptueux au creux de la forêt interdite aux femmes. Mais celle-ci a ainsi réussi à sauver sa famille de la faim en ramenant ce bois précieux au village. Nous suivrons ensuite le destin d’une troisième femme qui est appelée l’orpheline car elle est sortie de la forêt sans se souvenir de ses parents. Elle accompagnera Albert dans la fabrication de la guitare en palissandre. L’orpheline accompagnera cette guitare vers un jeune compositeur prometteur, nous suivrons alors le destin de cet homme qui a perdu son inspiration. Il la retrouvera grâce à une femme étrange qui sera notre quatrième femme éprise de liberté et qui recevra cette guitare pour finalement l’offrir à la cinquième femme pour un prodigieux concert. Ce récit est construit comme une composition musicale qui monte vers un moment superbe, avec des reprises et des moments de doutes.
Tout le roman est rempli du rôle des femmes porteuses du pouvoir de donner la vie, l’écriture est superbe et le côté « conte peu réaliste » qui souvent me gêne je l’ai accepté, mais quand même parfois un peu de réalisme m’aurait fait du bien, par exemple, je ne peux pas imaginer comment une femme peut ramener seule un tronc d’un palissandre adulte. Mais je ne dois pas être trop rationnelle pour un livre qui m’ a apporté tant d’autres choses.

L’écriture est à la fois légère et puissante, et nous enveloppe dans une musique douce et pénétrante. C’est un livre en dehors du temps ou seulement le temps des rêves, j’ai eu l’impression de revenir au meilleurs moments de ma vie, celui où pour m’endormir on me racontait des histoires avec des fées et une nature avec laquelle les humains avaient des liens qui permettaient leur survie. J’ai retrouvé ces plaisirs intenses en lisant des livres à mes enfants et à mes petits enfants.
Il me manque une dimension pour bien apprécier ce roman, celle de la composition musicale, car le livre suit visiblement une partition de musique . Les moments se nomment Glissando, Pizzicato, Vibrato.
Un superbe moment de lecture hors du temps !

 

Citations

 

La perte de l’inspiration.

 Sa panne durait depuis l’automne précédent, elle s’était éternisée trop de mois et était à présent devenue son état naturel, le prolongement de ses doigts, il ne savait plus comment s’extirper de ce quotidien de frustration. Il avait l’impression d’être en train de crier au fond d’un puits asséché. Personne ne l’entendait et il mourait de soif

Je suis tellement d’accord.

 Oui, les nuages sont magnifiques, mais tout le reste dans les voyages en avion me tape sur les nerfs. Arriver en avance à l’aéroport, faire la queue, des tapis roulants, enlever ses chaussures et vider ses poches, la nourriture d’avion dans de petits récipients en plastique et l’air froid qui souffle pile sur votre tête, le décalage horaire, les hôtesses de l’air aux sourires artificiels, tout ça est si contre nature si inhumain. Si j’avais le temps, je préférerais voyager en train ou en bateau, lentement.

Travail d’une musicienne classique.

Depuis déjà d’années, j’avais le même emploi du temps, et je m’entraînais au moins six heures par jour. Même pendant les pauses, au restaurant, dans le bus, au cinéma, mes doigts s’agitaient et répétaient toujours les mêmes exercices. Petite fille, déjà, mon professeur m’avait expliqué que le talent ne suffisait pas, et que c’était la discipline qui faisait la différence entre un bon et un excellent musicien.

La guitare.

 Fini le sciage, le ponçage et la découpe. Les sons perçants avaient cédé la place aux chuintements et au vernissage. Il avait commencé par polir toute la surface de la guitare avec un papier de verre très fin, pour en effacer l’empreinte de ses doigts. Puis il avait caressé la guitare au pinceau, lui appliquant un enduit qui renforçait sa fermeté. L’odeur du vernis étouffait le parfum du bois, mais il soulignait sa beauté. Les poils du pinceau, dont Albert affirmait qu’ils étaient faits en queue d’écureuil, se courbaient, laissant derrière eux une trace brillante.

 L’apothéose.

Le chef d’orchestre fit un signe de la main, et je me mis à jouer. Bientôt, la clarinette puis l’orchestre tout entier se joignirent à moi. À un moment, il me sembla que la guitare avait pris possession du morceau et s’était mise à raconte sa propre histoire à travers lui. Le public écoutait, concentré, buvant les notes. L’enfant s’était calmé dans mon ventre, comme s’il écoutait lui aussi attentivement une berceuse. Je pouvais sentir la musique résonner dans mon ventre, mon visage, mes pieds.

 

 


Édition JCLattès

Sur Luocine, vous trouverez , Veuf, Ma mère du Nord, Mon autopsie, et ceux qui n’y sont pas sont très bien aussi, bref, un petit moment de cafard et Jean-Louis Fournier est là pour vous rendre encore plus triste mais avec la classe et le sourire.

J’ai commencé ce livre en me disant que je le lisais juste pour moi, et que je ne le mettrai pas sur Luocine, et puis il m’a fait tellement de bien que je viens le partager avec vous. C’est une réflexions sur la solitude qui est à la fois drôle et émouvante par un auteur dont j’adore la mauvaise foi.

Des réflexions qui font parfois une demi page jamais plus de deux et qui sont la preuve que même le plus grincheux des hommes n’est pas fait pour vivre seul et pourtant c’est le lot de tant de gens qui vieillissent. En le lisant, on se dit « mais c’est tellement vrai' » ou « il exagère » peu importe on sourit souvent et on admire son art de jouer avec les mots et son incroyable talent de décrire de façon impertinente (comme sa grammaire !) la société dans laquelle il ne sent plus à sa place. J’espère que les passages que j’ai choisis vous feront sourire et donneront envie de lire ce livre ou n’importe quel livre de Jean-Louis Fournier.

 

Citations

 

Le ton du livre.

 J’en ai marre d’être seul, de plus en plus seul, de plus en plus vieux, de plus en plus moche..
 Si j’avais su, je ne serais pas vieux. 
C’est la canicule et je crève de chaud et malgré les injonctions du gouvernement, mes proches devenus lointains, ne m’appelle pas pour savoir si je bois consciencieusement de l’eau.

 

Bien vu !

Je suis dans le métro, debout au milieu d’une bande de jeunes, on est très serrés les uns contre les autres, j’étouffe. Il y en a qui lit un livre, « Les rêveries du promeneur solitaire », les autres qui ne savent plus lire, ont des germe de pommes de terre que leur sortent des oreilles, ils ont le regard perdu, certains accompagnent une musique avec leur tête.

J’adore et lisez jusqu’à la fin et dites moi si vous riez !

 C’était superbe un concert dans la cathédrale d’Arras, ils étaient au moins cent, des hommes, des femmes, des enfants. Ils ont chanté ensemble, en chœur, l’hymne à la joie de Beethoven 
Ils n’avaient pas tous des voix extraordinaires, c’était des amateurs, mais ensemble c’était bouleversant. 
Ce qu’on fait à plusieurs est quelque fois mieux.
 Regarder les cathédrales, ils s’y sont mis à plusieurs pour les construire.
 C’est quelque fois pire aussi …
Penser à la tour de Babel et au concours de l’Eurovision.

Les apartés concernant ses voisins.

 Les volets de mes voisins d’en face sont fermés. Ils ont dû partir.
Ils ne m’ont même pas prévenu…
 Les volets en fer de mes voisins sont encore fermés.
 Mes voisins ne sont pas rentrés, pourtant on est dimanche soir, ils ne sont pas très sympas…

Humour grinçant. Et plaisir des mots.

 J’en ai marre de moi, je m’invente des histoires pour me faire peur, j’imagine le pire, je fais des cauchemars.
J’ai autant peur de la mort de peur de la vie. Que choisir ?
 Je bois pour oublier, de l’eau de vie par peur de l’eau delà.