Édition Verdier

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Anne Pauly perd son père éprouve le besoin de le raconter et d’en faire un livre. Elle se rapproche de celui qui n’a pas été un homme facile. Si, dans le voisinage et dans la famille, le monde a de bons souvenirs de sa mère très pieuse et cherchant à faire le bien autour d’elle son père alcoolique et très violent dans ses propos n’est pas très attirant. Il laisse une maison qui est véritable Capharnaüm dans lequel l’auteure se perd . Elle comprend que ce père qui lui manque tant est un être à plusieurs facettes. Elle raconte la violence du deuil et combien il est difficile de gérer l’absence. Elle écrit bien et, si le sujet vous touche, vous pourrez avoir de l’intérêt à lire ce récit. J’avoue ne pas trop comprendre l’utilité de tels livres même si, parfois, au détour d’une phrase ou d’une révélation, je peux être très émue.

 

 

Citations

Charmante famille

Je revoyais papa couteau à la main, immense et ivre mort, courir après maman autour de la table en éructant, Lepelleux, arrête de péter dans la soie et occupe-toi de ton ménage plutôt que de sauter au cou du curé. C’est indéniable : bourré, il avait vraiment le sens de la formule, même si, dans la réalité, personne ne portait de culotte de soie ni ne sautait au cou du curé. Prodigue et ample, ma mère, tardive dame patronnesse en jupe-culotte denim, c’était, il est vrai, investi dans les activités de paroisse, qui au fond ne lui ressemblait guère, pour échapper à ses excès à lui d’alcool, de colère et de jalousie.

Alcoolisme

Au fond, on ne sait jamais vraiment si quelqu’un boit pour échouer ou échoue parce qu’il boit.

Le pouvoir des chansons

Et puis là, sans prévenir, le refrain m’a sauté à la figure comme un animal enragé : « Mais avant tout, je voudrais parler à mon père. » Dans mon cœur, ça a fait comme une déflagration et je me suis mise à sangloter sans pouvoir m’arrêter. Félicie est remontée en voiture juste après, effarée, se demandant ce qui avait bien pu se passer entre le moment où elle était parti payer et le moment où elle était revenue. Comme je n’arrivais pas à lui répondre, elle a redémarré toutes fenêtres ouvertes dans le vent du soir et c’est en entendant le reste de la chanson qu’elle a fini par comprendre. Mes toutes dernières larmes sont sorties ce jour-là. J’avais enfin accepté. Si on m’avait dit que Céline Dion m’aiderait un jour dans ma vie à passer ce style de cap, je ne l’aurais pas cru. La catharsis par la pop-check.
(Je me suis retrouvée en pleurs en entendant Serge Réggiani chanter « ma liberté » dans des circonstances analogues.)

 

 

Édition j’ai lu

Je le dis tout de suite : n’attendez pas un billet objectif. J’aime cet auteur et je vais ne dire que du bien de ce livre que j’ai refermé à regret, j’aurais voulu rester encore un peu avec ces personnages. Laurent Seksik a été élevé par des parents aimants et, en retour, il éprouve pour eux une grande affection. On peut alors imaginer un livre guimauve dégoulinant de bons sentiments. Et bien non, on peut parler d’amour et de respect filial sans ennuyer personne. Laurent Seksik décrit ici la disparition de son père et l’énorme difficulté qu’il éprouve à se remettre de ce deuil. Dans une famille juive, cela dure officiellement un an et comme il nous le dit, il aurait aimé que cela dure encore plus longtemps. Il nous manque aussi à nous, ce père qui a si bien su raconter à son fils l’histoire de sa famille. Le roman se situe au moment où Laurent Seksik retourne en Israël, un an après l’enterrement de son père pour célébrer, justement, la fin du deuil. Dans l’avion, il rencontre une jeune Sandra, qui lui donne la réplique et cherche à comprendre pourquoi il aime tant son père, elle, qui semble avoir toutes les raisons de détester le sien ! Elle est comme le négatif de l’amour ensoleillé de Laurent pour son père et leur conversation nous permet de mieux cerner la personnalité de ce père tant aimé. Comme souvent dans les familles juives, l’amour dont les parents entourent leurs enfants est à la fois constructif et étouffant, il se mêle de tout, ce père, du choix des études de son fils et de ses fréquentations féminines. La scène dans l’aéroport de Nice est digne d’un film de Woody Allen, je vous la laisse découvrir. Mais son père, c’est aussi, un homme généreux qui est aimé des gens simples, qui se donnent du mal pour faire un beau discours pour des enterrements de gens sans famille. Et c’est certainement la personne qui a le plus compté dans la vie de l’écrivain Laurent Seksik, médecin pour plaire à sa mère écrivain pour que son père soit fier de lui : un fils obéissant donc..

 

Citations

Son père

– Papa, tu me jures que cette histoire est vraie ?
– Si cette histoire n’était pas vraie, pourquoi l’aurais-je inventée ?

L épisode Derrida

« Tu te souviens qu’enfant, à Alger, j’étais dans la classe de Jacques Derrida. Mais t’ai-je raconté qu’en sixième je l’ai aidé à plusieurs reprises à résoudre des problèmes de mathématiques ? »
Je ne voyais pas où il voulait en venir.
« Si Jacques Derrida en est là aujourd’hui, c’est grâce à ceux qui l’ont aidé et peut-être ai-je été l’un des premiers avec ces devoirs de mathématiques. Peut-être que Derrida me doit une fière chandelle et peut-être même que la philosophie française nous en doit une aussi ! Je me suis renseigné. Le frère de Jacques Derrida vis à Nice, il possède une pharmacie à Cimiez. Tu vas aller le trouver, lui rappeler l’épisode du devoir de mathématiques. Il transmettra. Le Jacques que j’ai connu était un garçon d’honneur. Il saura faire pour toi ce que j’ai accompli hier pour lui. »
Je bataillai ferme durant quelques semaines, mais on ne refusait rien très longtemps à mon père.
Un samedi après-midi, après qu’il m’eut déposé au volant de sa nouvelle Lancia sur le trottoir de l’officine, j’en franchis le seuil et avançait d’un pas hésitant et inquiet à l’intérieur de la pharmacie déserte en ce début d’après-midi, avec le secret espoir qu’aucun membre de la famille Derrida ne s’y trouvât ce jour-là. Derrière le comptoir, un homme à l’imposante tignasse brune et frisée qui n’était pas sans rappeler celle du philosophe me suivait d’un regard où luisait une pointe d’ironie. Il me demanda ce dont j’avais besoin. Devant mon silence il sourit d’un air entendu. « Je comprends, jeune homme, je suis passé par là. » Il se rendit dans un coin de la boutique et avant que je n’aie pu dire quoi que ce soit pour le retenir, revint avec une boîte de préservatifs. « C’est la première fois je suppose ? » poursuivit-il d’un ton enjoué et complice. J’acquiesçait du menton, cherchant dans mes poches de quoi payer. « Laisse fit-il avec un geste de mansuétude, cette fois là, elle est pour moi. » Il glissa la boîte au creux de ma main, me donna, en se penchant au-dessus du comptoir, une petite tape sur le coude comme un dernier encouragements.
 Je remontai dans la voiture, la boîte de préservatifs au fond de ma poche, l’air le plus assuré possible. Mon père demanda si cela s’était bien passé. J’ai eu un hochement de tête approbateur en réprimant un sentiment de honte. Je préférerais qu’il croie à l’ingratitude un ancien camarade plutôt qu’à la lâcheté de son fils.

 Le philosophe Jacques Derrida ne fut en rien dans la publication, des années plus tard, de mon premier roman. Je lui dois en revanche mon premier rapport protégé.

Juif et gentil

Je crains que Samuel ne soit pas prêt à succomber aux sirènes d’une Gentille, comme certains disent chez vous. Même si je suis convaincue qu’il n’est pas insensible à mes charmes, les hommes sont prévisibles, vous savez. Mais dès qu’il se sent céder aux visées qu’il a sur mon décolleté, je suis sûr qu’il doit entendre la voix de sa mère : »Samuel, cette fille n’est pas pour toi. Elle va t’égarer hors du droit chemin ! Tes grands-parents, tes arrières grands-parents n’ont pas vécu et ne sont pas morts en bons juifs pour que tu fêtes Noël autour du sapin ! »

Dialogue père fils

 – Moi, je l’ai vu, cette Élodie, elle est splendide.
– Oui, elle est splendide mais surtout… Elle est juive, n’est-ce pas ?
– Et qu’est-ce que tu as contre les Juifs ?
– Absolument rien.
– Je suis heureux d’apprendre que nous ne logeons pas un antisémite à la maison… Mais laisse-moi te dire aussi que tu as tort de ne pas accorder une petite chance au destin !
– D’abord, je ne vois pas en quoi Élodie Tolila serait une chance et, et deuxièmement, je ne crois pas au destin.
– Il me semble qu’en ce moment tu ne crois plus en grand-chose, fiston…
J’allais déclarer que je croyais en « l’amour », mais je me retins prudemment d’ajouter quoi que ce soit.

Petite leçon d’histoire donnée par le père du narrateur

L’archiduc François-Ferdinand avait été assassiné à Sarajevo par un groupe de nationaliste serbe. Son oncle, l’empereur austro-hongrois, y a vu une perte irréparable pour l’humanité tout entière et a trouvé ce prétexte pour déclarer la guerre à la Serbie qui, depuis des lustres, refusait son annexion en exerçant là une atteinte insupportable à l’intégrité de son territoire, même si l’empereur n’avait jamais foutu les pieds à Sarajevo puisque le soleil ne se couchait jamais sur son empire et que ces gens-là n’ont pas que ça à faire. Tout ce beau monde a sonné la mobilisation générale depuis les salons des châteaux où ils vivaient en paix afin que la morale soit sauf. C’était compter sans les Russes, qui ont toujours envie d’en découdre et décidèrent de venir au secours des Serbes par affinité naturelle puisque les uns et les autres sont de la même obédience orthodoxe et qu’il est plus commode de mourir fraternellement en priant le même seigneur qu’avec un type qui croit prier le bon Dieu alors qu’il implore le mauvais. Le Kaiser Guillaume a très mal pris la chose, parce que les Allemands sont très à cheval sur les principes, et jamais à un million de morts près. Le Kaiser a donc déclaré la guerre aux Russes même si le tsar était aussi son cousin, parce que c’est chez ces gens-là, Laurent, l’esprit de famille se résume à jouer aux petits soldats à l’heure du thé mais avec de vrais gens et à balles réelles. Comme les Français ont le sens de l’honneur, on ne nous enlèvera pas ça, et qu’on ne laisse pas attaquer un Russe sans réagir vu qu’on aurait des accointances depuis toujours même si je n’ai jamais rien ressenti de particulier, la France a déclaré la guerre aux Boches… Et voilà pourquoi, fiston j’ai perdu mon père a sept ans et la Nation a fait de moi son pupille, sans que je lui aie rien demandé.

 

 

Édition Slatkine&compagnie. Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

 

Voici donc ma troisième et dernière participation au challenge d’Éva. Un livre de langue allemande que j’ai lu grâce à la traduction d’Isabelle Liber. Mes trois coquillages prouvent que je n’ai pas été complètement conquise. Pourtant je suis sûre de l’avoir acheté après une recommandation lue sur le blogosphère. Ce roman m’a permis de me remettre en mémoire l’horrible accident du ferry Estonia entre l’Estonie et la Suède, accident qui a causé la mort de 852 personnes en 1994. Mais si ce naufrage est bien le point central du roman, celui-ci raconte surtout la difficulté de rapports entre un fils et ses parents. Laurits Simonsen rêvait d’être pianiste, mais son père d’une sévérité et d’un égoïsme à toute épreuve l’a forcé à devenir médecin. Le jour où Laurits comprendra l’ampleur des manœuvres de son père, il fuira s’installer en Estonie.
De ruptures en ruptures, de drames en drames, il est, à la fin de sa vie, redevenu pianiste sous l’identité de Lawrence Alexander, loin d’être un virtuose, il anime les croisières et tient le piano-bar. C’est ainsi que nous le trouvons au deuxième chapitre du roman, le premier étant consacré à l’appel au secours de l’Estonia le 28 septembre 1994. Les difficultés dans lesquelles dès l’enfance le narrateur s’est trouvé englué à cause de l’égo surdimensionné d’un père tyrannique nous apparaît peu à peu avec de fréquents aller et retour entre le temps du récit et le passé du narrateur.

Le récit est implacable et très bien mené mais alors pourquoi ai-je quelques réserves, j’ai trouvé le récit un peu lourd, très lent et trop démonstratif pour moi. J’ai vraiment du mal à croire au personnage du père mais peut-être ai-je tort ! Il existe, sans doute des êtres incapables à ce point d’empathie ! Je pense, aussi, que je lis beaucoup de livres et que j’en demande peut être trop à chacun d’entre eux. Mais, à vous, donc de vous faire une idée de ces quelques « feuilles allemandes ».

 

 

Citations

l’alcool et le chagrin

J’ai vidé dans le lavabo ce qui restait de la bouteille de whisky. Ce truc n’a fait qu’empirer les choses. Ça n’avait que le goût du chagrin.

 

Le titre

J’étais heureux d’arriver dans le port de Venise après un long voyage -cette ville est la seule que j’arrive à supporter plus de trois jours, elle est un entre deux, ni terre, ni mer.

 

Le naufrage

1h48. Au plus noir de la nuit, dans les lotissements de la tempête, le bateau bleu et blanc dressa une dernière fois sa proue vers le ciel et, moins d’une heure après son appel de détresse, disparut dans les eaux avec un profond soupir. Avec lui sombraient les rêves et les espoirs, les désirs, les inquiétudes, les peurs et les lendemains de tout ceux qui était restés à bord.

Édition Belfond

Traduit de l’anglais Sarah Tardy

Repéré, d’abord, chez Céline et vu ensuite chez Moka, puis sur d’autres blogs dont j’ai oublié de noter le nom, je me demandais si j’allais apprécier cette auteure dont j’avais lu et aimé « L’étrange disparition d’Esme Lennox« . Je partage les avis que j’ai lus, je lui trouve un grand talent, la suite de ces récits où elle creuse son rapport à la maladie est aussi poignant que triste. Les réflexions qu’elle déteste entendre, je me les suis faites plusieurs fois : comment peut on avoir si peu de chance. Et elle me répondrait que non elle aurait dû tant de fois mourir qu’elle trouve avoir, finalement, beaucoup de chance d’être en vie. Si vous ouvrez ce livre, sachez que vous partez pour dix huit récits où la mort a souvent le premier rôle, elle la frôle, la menace ou cherche à atteindre les siens. Chaque récit porte le nom d’une partie du corps qui est alors l’objet du danger mortel. Si vous ne lâchez pas ce livre c’est que tout vient de son style et de de sa façon de raconter ce qui lui arrive, par exemple son accouchement : elle doit s’opposer au grand ponte de l’hôpital londonien qui méprise les mises en garde de son confrère du pays de Galle, cela sonne tellement vrai. Savoir le raconter comme cela doit faire du bien à tous ceux et toutes celles qui ont un jour senti ce regard méprisant sur leur corps souffrant. Elle a failli y rester mais elle a survécu et nous le raconte avec talent. Toutes les nouvelles sont intéressantes, et pour celles ou ceux qui comme moi n’aime pas trop que les auteurs se racontent sachez que le talent littéraire vous fera, encore une fois, passer au-delà de tous vos a priori

 

Citations

C’est tellement vrai mais comment faire ?

Quand vous serez plus grands et que vous sortirez, je leur dis, il y aura des fois où quelqu’un proposera quelque chose que l’on ne doit pas faire, et ce sera à vous de prendre la décision de le suivre ou pas. De faire comme le groupe ou de vous opposer à lui. De parler, d’élever la voix, te dire non, je ne pense pas que ce soit bien. Non je ne veux pas faire ça. Non non, je préfère rentrer chez moi.

Je n’aime pas l’avion mais cette expérience me tente :

Passer ainsi de fuseau horaire en fuseau horaire peut vous faire percevoir le monde avec une lucidité troublante distordue. Que faut-il blâmer ? L’altitude, l’inactivité prolongée, le confinement physique, le manque de sommeil, où les quatre à la fois ? Se déplacer à cette vitesse, à des milliers de pieds au-dessus du sol, dans une cabine d’avion modifie votre état d’esprit. Des choses que vous ne parvenez pas à expliquer se résolvent, comme si la bague d’un objectif avait été tournée. Dans vos pensées s’insinue soudain la réponse à des questions qui, depuis longtemps vous tourmentaient. Tandis que votre regard se pose sur les montagnes d’altostratus , étendues irréelles, vous vous surprenez à penser : Ah, mais bien sûr, et dire que je ne m’en étais jamais aperçu.

Pour moi l’avion c’est ça :

Personne ne voit rien venir, il y a juste un bruit de choc puis le froid qui envahit la cabine. Tout à coup, l’avion pique, décroche, tombe comme une pierre d’une falaise. L’accélération est inouïe, l’attraction la vitesse donnent la sensation de se retrouver sur le pire manège du monde, de plonger dans le néant, de se faire attraper par les chevilles et tirer vers les abîmes de l’enfer. La douleur éclôt dans mes oreilles, sur mon visage, tandis que ma ceinture me lacère les cuisses au moment où nous sommes projetés en l’air.
 La cabine est secouée comme une boule à neige : des sacs à main, des canettes de jus de fruits, des pommes, des chaussures, des sweat-shirt s’élèvent du sol des masques à oxygène se balancent du plafond comme des lianes et des êtres humains sont projetés en l’air. Je vois l’enfant qui était assis de l’autre côté du couloir percuter le plafond, pieds en avant, pendant que sa mère voltige dans l’autre direction, cheveux noirs défaits, l’air plus outré qu’apeuré. Le prêtre assis à côté de moi est lui aussi projeté vers le plafond, hors de son siège, vers son chapelet de perles. Deux nonnes qui ont perdu leurs cornettes volent comme des poupées de chiffon vers les lumières de l’appareil.

La scène avec le grand chef de service de l hôpital est criante de vérité

Les yeux plissés, monsieur C. s’est mis à taper sur son bureau avec le bout de son stylo. Puis il a décidé qu’il en avait assez. Il s’est levé et m’a adressé un petit signe de la main avant de lâcher sa réplique de fin :
« Si vous étiez venue me voir en fauteuil roulant, j’aurais peut-être accepté de vous faire accoucher par césarienne. »
Dire une chose pareille à quelqu’un était extraordinaire -surtout à quelqu’un qui avait réellement passé une partie de sa vie en fauteuil roulant. Ce qui m’horrifiait, ce n’était pas tant son refus de discuter -sans même parler du refus de m’accorder une césarienne programmée- , mais plutôt le fait qu’il sous-entende que j’étais une sorte de lâche perfide, qui me mentait pour tenter d’obtenir un accouchement facile. Ça, et sa tentative d’intimidation odieuse, et ça effarante. Me rendais-je compte que la césarienne était un acte chirurgical lourd ? Pas du tout, je pensais que c’était une promenade de santé.
Si je marche aujourd’hui, je le dois à l’unité de kinésithérapie ambulatoire, et son équipe et aux patient que j’ai rencontrés là-bas. Le fait qu’il ne m’aient jamais laissé tomber, qu’ils aient cru, contrairement aux médecins, que j’étais capable de bouger, de me déplacer, de guérir , a permis que cet espoir devienne réalité. Quand une personne vous affirme que vous êtes capable de faire quelque chose, quand vous voyez qu’elle croit vraiment en ce qu’elle dit, la possibilité que cela se réalise devient tangible.

Les bons conseils, sa fille est gravement allergique et fait des chocs anaphylactique

J’ai appris à hocher la tête avec calme quand les gens me disent qu’ils savent exactement ce que je ressens parce qu’eux’mêmes souffrent d’une allergie au gluten et se retrouvent avec le ventre gonflé dès qu’ils mangent du pain blanc. J’ai appris à être patiente et diplomate quand il me faut expliquer que, Non, on ne peut pas apporter de houmous à la maison. Non, ce n’est pas une bonne idée de lui en donner un tout petit peu juste pour l’habituer. Oui, il faut vous éloigner d’elle pour ouvrir si ou ça. Oui, le déjeuner que vous avez préparé pourrait lui être fatal.
 J’ai appris à son frère, à l’âge de 6 ans, comment composer le 999 et dire dans le combiné, c’est pour une urgence, un choc anaphylactique. Ana-phy-lac-tique. Mon fils est entraîné à le prononcer. Ma vie avec ma fille comporte un grand nombre de courses effrénées dans les couloirs des hôpitaux. Aux urgences, les infirmières l’appelle par son prénom. Son allergologue nous a répété plusieurs fois qu’elle ne devait être soignée que dans de très bons hôpitaux.

Édition Albin Michel

Traduit de l’italien par François Brun

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Je suis désolée pour ma bibliothécaire préférée, je n ai pas réussi à aimer ce roman, je l’ai en grande partie parcouru en sautant les passages qui m’arrachaient des larmes. Non pas qu’il ne soit pas bien mais il est trop dur . Tous ces êtres humains par milliers que des passeurs entassent dans des embarcations en sachant fort bien que la plupart périront mer c’est absolument insupportable. Mais pourquoi pourquoi des gens se laissent-ils conduire à cette mort plus que probable ? Ce n’est pas le sujet du livre. Le sujet c’est cette île dont le nom à te donner à nos oreilles, pendant de longues années :  » Lampedusa » .
Comment vivent tous les habitants de cette île ? C’est vrai que c’est un point de vue que l’on n’a peu entendu et c’est pour cette raison qu’il a été choisi pour être lu à notre club. Qu’est ce qu’il se passe quand des cadavres viennent s’échouer sur vos plages ? et bien quelles que soient vos opinions politiques, vous ferez tout pour sauver un maximum de personnes.
L’auteur a choisi de passer trois ans à Lampedusa , il y rencontre le maximum d’habitants de cette île, tous habités par des récits qui sont aussi horribles que ce que vous pouvez imaginer et plus encore. L’auteur parle aussi de son père médecin et de son oncle atteint d’un cancer dont il ne guérira pas. Les histoires de naufrages sont tellement atroces que je lisais avec soulagement la descente vers la mort de son oncle bien aimé. Comme son père le dit un moment, je me suis demandé à quoi sert ce genre de témoignages, puisque visiblement rien ne peut arrêter ceux qui fuient leur pays, et des tortionnaires Libyens avides d’argent faciles seront toujours là pour les pousser sur des bateaux de fortune après les avoir torturés, rançonnés et violés pour les femmes. Je ne mets aucun coquillages à ce livre à vous de juger si vous voulez le lire .

Citations

Le métier de médecin

En tant que médecin , je récolte une foule d’indices pour les assembler et leur trouver un sens  : des symptômes , des signes, des résultats d’analyses. Au fond, ce métier, c’est ça : faire la somme des symptômes, des signes, des analyses pratiquées et chercher l’explication. On pose une hypothèse diagnostique, puis on examine ce qui la corrobore. Pour ça, je dois pouvoir m’orienter, savoir quoi chercher et quoi regarder. La médecine d’aujourd’hui est aveugle, ces examens tous azimuts sont bien la preuve que le médecin ne sait plus regarder.

Utilité des photos

La photographie te met face à une réalité : la petite fille nue qui crie et qui pleure, le milicien qui meurt, l’enfant syrien noyé -une des photos les plus terribles, on a eu raison de la prendre et de la publier. Et cette réalité est une douleur, immense, lancinante. Pourtant, malgré cette souffrance qui nous est donnée à voir, nous ne comprenons pas plus. Qu’est-ce qui a changé, au bout du compte ?

L’horreur

Le corps est un journal intime où se lisent les événements des derniers jours de la vie. La raideur de certains muscles dit l’extrême privation d’eau. La faible présence de chair dans la cage thoracique témoigne de l’absence de nourriture pendant de longues périodes. Les lésions sont les signes visibles d’une grande violence subie, dans les prisons libyenne comme sur le bateau. Pendant la traversée, certains sont tués à coups de bâton devant les autres pour que ceux-ci comprennent que protester, où demander de l’eau est puni par la mort immédiate. Généralement, les corps sont jetés à la mer. Il arrive aussi que ceux qui ose se plaindre des conditions du voyage soient lancés vivants dans les vagues.

Édition Stock

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce roman raconte une histoire qui touche et bouleverse trois générations de femmes, liées entre elles par des tragédies qui ont eu comme cadre un village de province écrasé de soleil, et en particulier un ruisseau dans lequel elles peuvent se baigner(contrairement au ruisselet de ma photo). L’héroïne, Billie une jeune femme de trente ans, artiste peintre, doit revenir dans cet endroit qu’elle a fui pour enterrer sa mère, qui vivait dans un EHPAD spécialisé pour les personnes atteintes d’Alzheimer. Celle-ci a été retrouvée noyée dans le ruisseau qui arrose le village. La violence avec laquelle Billie reçoit cette nouvelle nous fait comprendre à quel point ce passé est très lourd pour elle. Une phrase rythme le roman : « les monstres engendrent-elles des monstres ? » . 

Il faudra trois cents pages du roman pour que tous les fils qui lient cette jeune femme à cette terrible hérédité de malheurs se dénouent complètement. Et heureusement aussi, pour qu’elle parvienne à se pardonner et à repousser l’homme qui la respectait si peu.

L’ambiance oppressante dans laquelle se débat Billie rend ce récit captivant, on se demande comment elle peut se sortir de tant de malédictions qui sont toutes plausibles. C’est très bien écrit, Caroline Caugant a ce talent particulier de nous entraîner dans son univers et de savoir diffuser une tension qui ne se relâche qu’à la fin. Ce n’est pas un happy-end mais un renouveau et sans doute, pour cette jeune femme la possibilité de se construire en se détachant de tous les liens qui voulaient la faire couler au fond de la rivière maudite.

 

 

Citations

L’EHPAD

Aux Oliviers le temps était comme arrêté. Il n’y avait que la prise des médicaments qui compartimentait les journées. À heure fixe les infirmières arpentaient les couloirs, disparaissaient tour à tour derrière les portes bleues. En dehors de ces légion en blouse blanche, la lenteur régnait. Si on restait trop longtemps dans cet endroit, c’était à ses risques et périls. On pouvait y être avalé , y perdre la notion des heures, s’endormir là pour toujours, comme Louise.

Le temps qui passe

Le temps est censé changer les êtres. Si par hasard on les croiser au détour d’une rue, on ne les reconnaît pas immédiatement. Il nous faut un moment pour retrouver un nom, le lier à une époque, à cause de toutes ces modifications minimes sur la chair, dans la voix, qui s’additionnent et en font des étrangers.
Mais les autres, les rares -ceux que l’on a aimés-, il semble ne jamais vouloir s’éloigner de nous.

 Presque la fin …

Demande-t-on pardon aux morts ? En sentant la vague de chaleur qui l’empli au niveau de la poitrine, elle se dit que oui.
Le calme revient à la surface, les oscillations s’estompent. Seule s’éternise la danse paisible et silencieuse des grands moustiques d’eau.

Traduit du Néerlandais par Philippe Noble

 

Cette partie de petits chevaux ne sera jamais terminée puisque ce soir de janvier en 1945, à Haarlem en Hollande, la famille Steenwick entendra six coups de feu dans leur rue. La famille voit alors avec horreur que leurs voisins déplacent un cadavre au seuil de leur porte. C’est celui de Ploeg un milicien de la pire espèce qui vient d’être abattu par la résistance. Peter Steenwick un jeune adolescent sort de chez lui sans réfléchir et tout s’enchaîne très vite. Les Allemands réagissent avec la violence coutumière des Nazis, exacerbée par l’imminence de la défaite, ils embarquent tout le monde et incendient la maison. Anton âgé de 12 ans survivra à ce drame affreux . Après une nuit au poste de police dans une cellule qu’il partage avec une femme dont il ne voit pas le visage mais qui lui apportera un peu de douceur, il sera confié à son oncle et sa tante à Amsterdam et comprendra très vite que toute sa famille a été fusillée. C’est la première partie du roman, que Patrice et Goran m’ont donné envie de découvrir. Un grand merci car je ne suis pas prête d’oublier ce livre.

Anton devient médecin anesthésiste et en quatre épisodes très différents, il fera bien malgré lui la lumière sur ce qui s’est passé ce jour là. Il avait en lui ce trou béant de la disparition de sa famille mais il ne voulait pas s’y confronter. Il a été aimé par son oncle et sa tante mais ceux-ci n’ont pas réussi à entrouvrir sa carapace de défense, il faudra différents événements et des rencontres dues au hasard pour que, peu à peu , Anton trouve la force de se confronter à son passé. Cela permet au lecteur de vivre différents moments de la vie politique en Hollande. La lutte anti-communiste et une manifestation lui permettra de retrouver le fils de Ploeg qui est devenu un militant anti-communiste acharné. Puis, nous voyons la montée de la sociale démocratie et la libération du pire des nazis hollandais et enfin il découvrira pourquoi son voisin a déplacé le cadavre du milicien. Il y a un petit côté enquête policière mais ce n’est pas le plus important, on est confronté avec Anton aux méandres de la mémoire et de la culpabilité des uns et des autres. Aux transformations des faits face à l’usure du temps. Et à une compréhension très fine de la Hollande on ne peut pas dire que ce soit un peuple très joyeux ni très optimiste. Les personnalités semblent aussi réservées que dignes, et on découvre que la collaboration fut aussi terrible qu’en France. La fin du roman réserve une surprise que je vous laisse découvrir.

PS je viens de me rendre compte en remplissant mon Abécédaire des auteurs que j’avais lu un autre roman de cet auteur que je n’avais pas apprécié  :  » La découverte du ciel »

Citations

Discussion avec un père érudit en 1945 à Haarlem au pays bas.

Sais-tu ce qu’était un symbolon ?
– Non,dit Peter d’un ton qui montrait qu’il n’était pas non plus désireux de le savoir.
-Eh bien, qu’est ce que c’est, papa ? Demanda Anton.
– C’était une pierre que l’on brisait en deux. Suppose que je sois reçu chez quelqu’un dans une autre ville et que je demande à mon hôte de bien vouloir t’accueillir à ton tour : comment saura-t-il si tu es vraiment mon fils ? Alors nous faisons un symbolon, il en garde la moitié et, rentré chez moi, je te donne maître. Quand tu te présentera chez lui, les deux moitiés s’emboîteront.

Les monuments commémoratifs

Peut-être s’était-on vivement affronté, au sein de la commission provinciale des monuments commémoratifs, sur le point de savoir si leurs noms avaient bien leur place ici. Peut-être certains fonctionnaires avaient-il observé qu’ils ne faisaient pas partie des otages à proprement parler et n’avaient d’ailleurs pas été fusillés, mais « achevés comme des bêtes » ; à quoi les représentants de la Commission nationale avaient répliqué en demandant si cela ne méritait pas tout autant un monument ; enfin les fonctionnaires provinciaux avaient réussi à obtenir à titre de concession au moins le nom de Peter fût écarté. Ce dernier -avec beaucoup de bonne volonté du moins -comptait parmi les héros de la résistance armée, qui avaient droit à d’autres monuments. Otages, résistants, Juifs, gitans, homosexuels, pas question de mélanger tous ces gens-là, sinon c’était la pétaudière !

Culpabilité

Tu peux dire que ta famille vivrait encore si nous n’avions pas liquidé Ploeg : c’est vrai. C’est la pure vérité, mais ce n’est rien de plus. On peut dire aussi que ta famille vivrait encore si ton père avait loué autrefois une autre maison dans une autre rue, c’est encore vrai. Dans ce cas je serai peut-être ici avec quelqu’un d’autre. A moins que l’attentat n’ai eu lieu dans cette autre rue, car alors Ploeg aussi aurait pu habiter ailleurs. C’est un genre de vérité qui ne nous avance à rien. La seule vérité qui nous avance à quelque chose, c’est de dire, chacun a été abattu par qui l’a abattu, et par personne d’autre. Ploeg par nous, ta famille par les Chleuhs. Tu as le droit d’estimer que nous n’aurions pas dû le faire, mais alors tu dois penser aussi qu’il aurait mieux valu que l’humanité n’existe pas, étant donné son histoire. Dans ce cas tout l’amour, tout le bonheur et toute la beauté du monde ne serait même pas compensé la mort d’un seul enfant.

En Hollande en 1966

Voilà ce qui reste de la Résistance, un homme mal soigné, malheureux, à moitié ivre , qui se terre dans un sous-sol dont il ne sort peut-être plus que pour enterrer ses amis, alors qu’on remet en liberté des criminels de guerre et que l’histoire suit son cours sans plus s’occuper de lui …

Réflexion sur le temps

Il n’y a rien dans l’avenir, il est vide, la seconde qui vient peut-être celle de ma mort -si bien que l’homme qui regarde l’avenir a le visage tourné vers le néant, alors que c’est justement derrière lui qu’il y a quelque chose à voir : le passé conservé par la mémoire.
Ainsi les Grecs disent-ils, quand il parle de l’avenir :  » Quelle vie avons-nous encore derrière nous ? »

Ce jour je vais publier deux romans de deux auteurs pour lesquels j’éprouve de l’affection. Cela ne se dit pas, sauf sur un blog. Tous les deux font partie de ma famille de lectures, et tous les deux racontent le deuil.

Je lis tous les livres de cet auteur qui me tombent sous la main, celui-là c’est la souris jaune qui me l’a conseillé, qu’elle en soit remerciée. C’est un très beau livre, qui explique bien des failles et des difficultés d’être à fond dans la vie qui sont évoquées dans tous les livres de Jean-Philippe Blondel. Lorsqu’il avait 18 ans un accident de voiture a tué sa mère et son frère, c’est son père qui conduisait et celui-ci meurt quatre ans plus tard. Plombé par ces deux tragédies, le narrateur très proche de l’auteur, sans aucun doute, a bien du mal à trouver l’envie de « rester vivant » . Avec beaucoup d’humour et en restant très pudique, il arrive à nous faire comprendre et partager sa souffrance. Ce que j’apprécie chez lui, c’est que jamais il ne s’apitoie sur lui, jamais il ne fait pleurer sur son sort. Sa vision de l’Amérique est original et tout en suivant une chanson de Lloyd Cole Rich qui l’amènera à Morro Bay. 

Mais aussi à Las Vegas où il a bien failli se perdre lui et et aussi Laura et Samuel. Ce sont ses amis et leur trio est compliqué, Laura c’st son ex qui est maintenant la petite amie de Samuel qui est son ami pour toujours. Ce road movie lui permet de faire des rencontres intéressantes et même la loueuse de voiture qui semble d’un banal achevé se révélera plus riche qu’il ne s’y attendait. Bien curieuse famille où lui était l’enfant raté à côté du frère parfait qu’il entendait pourtant pleurer très souvent la nuit dans son lit.

la chanson qu’ils ont chanté pendant leur voyage à propos de laquelle il dit

Je devrais écrire un mail à Lloyd Cole.

Je commencerai par « Tu vois, Lloyd, un jour, j’y suis allé, à Morro Bay ».

Un jour, j’en suis revenu aussi. Et après, la vie a repris ses droits.

 

Citations

Style

Nous restons un moment comme ça, inutiles, sur le trottoir. Il n’y a presque personne dans les rues de la ville. On est un vendredi 2 mai. Le nuage de Tchernobyl s’est arrêté au frontière française. Il fait bon. Je sens des picotements dans mes mains et dans mes pieds. Je remarque une tache de peinture rouge sur le mur d’en face. Samuel se dandine d’une jambe sur l’autre. Il demande ce qu’on fait maintenant. Je veux voir du monde. Sentir la sueur et l’alcool. Nous optons pour le seul café qui reste ouvert jusqu’à trois heures du matin. En marchant, j’oublie que je sors de l’hôpital, j’oublie que je devais me faire opérer le lendemain, j’oublie que mon père est mort sur une route de campagne. La seule chose dont je me souviens, c’est que j’ai vingt deux ans ans.

Le deuil

Nous avons pris la voiture tous les quatre, au grand dam de mon oncle – qui ne voyait pas ce que Samuel avait à voir avec tout ça. Laure, encore, à la limite. Mais Samuel, non. J’ai simplement dit : » Il vient aussi. » Et tout le monde a obéi. Être le roi du malheur, ça a quand même des avantages. Les sujets se plient de mauvaise grâce à vos désirs, mais ils n’ont pas assez de cran pour vous contredire.

Une vision originale de Las Vegas

Je me sens instinctivement bien à Las Vegas.

C’est le centre du monde de l’oubli.

 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Ce roman a été chaudement défendu par une partie des lectrices du Club et cela lui a valu de participer « au coup de cœur des coups de cœurs » de l’année 2017/2018.
J’avais déjà essayé de le lire, mais l’écriture m’avait immédiatement rebutée. Je ne suis pas à l’aise lorsque je sens que, de façon artificielle, l’écrivain adopte une style « poétique » . Ici , cela passe par des mots vieillis qui ne rajoutent pas grand chose au récit : Corroyage, Extrace, Hierophante, Hongroye. Et puis par un rythme de phrases très particulier. L’écrivain dit qu’il a voulu décrire le basculement d’une petite ville de province : Besançon qu’il ne nomme pas (mais il dit que c’est la ville où est né Victor Hugo), vers le monde moderne pendant les années 1970/1980. Mais ce n’est vraiment qu’une toile de fond très lointaine à une vie de famille totalement perturbée par la mort d’un jeune enfant, le petit frère du narrateur. Sa mère va continuer à le faire vivre dans son imaginaire et dans sa folie, elle lui dresse un couvert, fait son lit, achète des vêtements et des fournitures scolaires pour lui…. Le père essaiera d’oublier tout cela dans l’alcool. Mais ce drame semble très lointain car il est vu à travers les yeux d’un enfant. Je pense que la seule façon d’aimer ce livre c’est d’aimer la langue de cet auteur, langue à laquelle je n’ai pas été sensible. Les deux passages que j’ai notés vous permettront, je l’espère, de vous faire une idée par vous même.

Citations

le linge qui sèche

Marguerite-des-Oiseaux possédait des culottes semblables à des voiles. Des culottes de trois trois-mâts que l’on imaginait gréées sur son fessier et que le moindre pet gonflait comme un grand foc afin de la propulser de la cuisine aux latrines. Les culottes de grand-mère, simples esquifs, ne prenaient pas le large et ressemblaient plutôt à des taies d’oreiller munies de deux grands trous. Celles de maman étaient à peine un peu moins prudes et formaient presque un V du côté de l’entre-cuisse. Quant aux slips de Lucien : inexistants. Elle les pendait ailleurs, Fernande, avec ses culottes à elle, dans un bûcher fermé à clé, hors de la vue des cuistres. Quand on a épousé un Monsieur d’importance qui possède pardessus, brillantine et joues flasques, on exhibe pas ces choses de basse extrace aux yeux du tout-venant.

Effet de style « poétique »

 Il possédait en lui, quelque chose d’inné, de bestial, comme un cri des cavernes lorsqu’un premier orage illumina la grotte ; un cri qui se serait transmis le silex en silex, de tison en disant, de feu en feu, de foyer en foyer, de forge en forge, et qui aurait fini par échouer, ici, entre ses mains de forgeron, comme il l’était sans doute écrit de toute éternité tant il semblait évident que Jacky avait dû naître d’un ventre de fer en fusion entre deux cuisses de lave au temps des grandes fissures cambriennes tandis que les volcans projetaient dans les menus quelques myriades d’enclumes phosphorescentes.

Traduit de l’anglais par Christine Raguet.

Une plongée dans la souffrance d’un homme rongé par l’alcool, et qui a laissé sur son chemin un bébé qui a dû se débrouiller tout seul pour grandir. Non, pas tout seul car le geste le plus beau que son père a accompli, a été de le confier au seul être de valeur rencontré au cours de sa vie d’homme cabossée par une enfance bafouée, puis par la guerre, par le travail manuel trop dur et enfin par l’alccol : « le vieil homme » saura élevé l’enfant qui lui a été confié et en faire un homme à la façon des Indiens , c’est à dire dans l’amour et le respect de la nature. Bien sûr, cet enfant a de grands vides dans sa vie : son père qui lui promettait tant de choses qu’il ne tenait jamais et sa mère dont il ne prononce le nom qu’aux deux tiers du roman mais que la lectrice que je suis, attendait avec impatience. Ce roman suit la déambulation lente de la jument sur laquelle le père mourant tient tant bien que mal à travers les montagnes de la Colombie-Britannique, guidé par son fils qui jamais ne juge son père mais aimerait tant le comprendre. Après Krol, Jérome Kathel, j’ai été prise par ces deux histoires, la tragédie d’un homme qui ne supporte sa vie que grâce à l’alcool. Et celle de son enfant qui a reçu des valeurs fondamentales de celui qu’il appelle le vieil homme. Tout le récit permet aussi de découvrir le monde des Indiens, du côté de la destruction chez le père, on vit alors de l’intérieur les ravages mais aussi la nécessité de l’alcool. Souvent on parle de l’alcoolisme des Indiens, comme s’il s’agissait d’une fatalité, mais au centre de ce comportement, il existe souvent des secrets trop lourds pour que les mots suffisent à les évacuer. L’enfant en parle ainsi

C’est un peu comme un mot de cinq cents kilos

L’autre aspect, bien connu aussi du monde des Indiens, c’est l’adaptation à la nature qui remet l’homme à sa juste place sur cette planète. Et l’auteur sait nous décrire et nous entraîner dans des paysages et des expériences que seule la nature sauvage peut nous offrir.

 

Citations

Être indien

Il était indien. Le vieil homme lui avait dit que c’était sa nature et il l’avait toujours cru. Sa vie c’était d’être seul à cheval, de tailler des cabanes dans des épicéas, de faire des feux dans la nuit, de respirer l’air des montagnes, suave et pur comme l’eau de source, et d’emprunter des pistes trop obscures pour y voir, qu’il avait appris à remonter jusqu’à des lieux que seuls les couguars, les marmottes et les aigles connaissaient.

L’alcool

 Le whisky tient à l’écart des choses que certaines personnes ne veulent pas chez elle. Comme les rêves, les souvenirs, les désirs, d’autres personnes parfois.

La souffrance et l’alcool

 J’ai essayé de me mentir à moi-même pendant un paquet d’années. J’ai essayé d’me raconter que ça s’était passé autrement. J’ai cru que j’pourrai noyer ça dans la picole. Ça a jamais marché du tout.

Les couchers de soleil

Lorsqu’ils passèrent la limite des arbres au niveau de la crête, les derniers nuages s’étaient écartés et le soleil avait repris possession du ciel à l’ouest. Les nuages été à présent pommelé de nuances mordorées et il pensa que c’était bien la seule cathédrale qu’il lui faudrait jamais.
Photo prise dans un blog que j’aime beaucoup : ruralité .net
 oui, les couchers de soleil sont des cathédrales !