Édition livre de poche.

Traduit de l’allemand par Alzir Hella

Et voici ma septième et dernière participation au mois « les feuilles allemandes » 2023, organisé par Eva et de livr’escapade

Versailles, conçu par Louis XIV comme « le forum maximum » de l’Europe devient sous Louis XV un simple théâtre d’amateur le plus artistique et le plus coûteux, il est vrai, que le monde ait jamais connu.

C’est le deuxième titre sur Luocine de ce grand auteur, après « Le joueur d’échec » voici sa biographie de Marie- Antoinette. Je dois cette lecture à ma plongée dans le travail fort intéressant de François Furet et Mona Ozoouf qui ont, ensemble, rédigé un dictionnaire de la Révolution français. À la rubrique Marie Antoinette, ces auteurs suggéraient la lecture de Stefan Zweig, je me suis empressée de suivre leur conseil. Une véritable révélation pour moi. Je me souviens qu’au lycée on m’avait conseillé cette lecture, mais le personnage de Marie-Antoinette me semblait tellement futile que je n’avais pas eu envie de lire cette biographie. Quelle erreur !
Ce livre est une somme de documentations incroyable et pourtant, n’est jamais ennuyeux. Il décrit très bien le gouffre qui sépare l’aristocratie du peuple. Celui-ci est soumis à un pouvoir qu’il respecte mais dans ce gouffre énorme où tant d’injustices fermentent, ces nobles oisifs, mesquins et avides sont bien incapables de ressentir les débuts d’une envie de changement puis d’une envie de révolte.
Marie-Antoinette a 15 ans quand elle arrive en France pour être mariée à un Louis XVI incapable dans un premier temps de consommer son mariage puis qui se révèle un homme indécis sans grande envergure. Il n’a qu’une envie qu’on le laisse tranquille et qu’on ne lui demande aucune décision compliquée. Hélas les caisses de l’état sont vides, et les dépenses incroyables de son épouse n’y sont pas pour rien. On connaît la suite, la convocation des États Généraux puis la révolution et ses excès.

Marie-Antoinette ne comprendra que très tardivement le rôle qu’elle aurait pu jouer. De la jeune femme adulée à qui on pardonnait tout il ne reste au moment de sa mort qu’une Autrichienne que l’on accuse des pires vilénies. (Elle sera accusée à son procès d’avoir eu des relations coupables avec son fils.)

Tout cela on le sait mais ce qui rend ce livre passionnant ce sont tous les portraits des gens qui ont entouré et souvent tellement profité de cette femme qui aimait tant s’amuser. Le portrait des nobles est sans concession et le futur Roi Louis XVIII est celui d’un arriviste qui n’a pas levé le petit doigt pour sauver son frère. La cour est remplie d’incapables qui ne pensent qu’à se hausser du col et à se nuire entre eux.
Malheureusement, le roi, qui est incapable de décisions et qui n’aspire qu’à la paix ne sait que faire de Versailles créé par Louis XIV. Lui, ce grand roi, avait réuni autour de lui tous les beaux esprits de son temps, déjà, Louis XV préférait ses plaisirs à tout ce décorum pesant. Mais son petit fils est porteur d’une fonction et d’un rôle qui ne lui va pas. Le rôle de Marie Antoinette aurait dû rester secondaire si son époux avait tenu le sien. Si elle a tant cristallisé les haines du peuple c’est que son côté futile était insupportable à une population réduite à la disette.
Stefan Zweig raconte bien aussi son amour pour le beau suédois Fersen, les lettres qui ont été retrouvées de leur relation épistolaire ne laissent aucun doute sur leurs sentiments.
En lisant cette biographie, l’été dernier, je me demandais s’il n’y avait pas un parallèle à faire entre cette période et la nôtre . Les classes populaires aujourd’hui, ne se sentent plus représentées par les gouvernants et comprennent des mouvements qui prônent la violence. Ce n’est pas rassurant !

 

 

Extraits

Les préparations du mariage.

 Au cours d’innombrables conférences des deux côtés du Rhin on pèse et discute d’épineuses et doctorales questions, comme celles-ci par exemple : quel nom sera cité le premier dans le contrat de mariage celui de l’impératrice d’Autriche ou du roi de France ? qui apposera le premier sa signature ? quels présents seront offerts ? quelle dot sera stipulée ? qui accompagnera la fiancée ? qui la recevra ? combien de gentilhommes, de dames d’honneur, d’officiers de garde, de premières et deuxièmes caméristes de coiffeurs, de confesseur, de médecins, de scribes, de secrétaires et de lingères doivent faire partie du cortège nuptial d’une archiduchesse d’Autriche jusqu’à la frontière, et ensuite d’une héritière du trône de France de la frontière jusqu’à Versailles ?
(…..) Et si un ordre royal n’avait pas fixé à l’avance de date précise, les gardiens français et autrichiens du cérémonial ne seraient même pas d’accord aujourd’hui encore sur la forme « exacte » du mariage ; et il n’y aurait pas eu de Marie-Antoinette, ni peut-être de Révolution française !

L’héritage de Louis XIV.

 Mais la force créatrice ne reste attachée à celui qu’elle veut combler ; la couronne seule est héréditaire, il n’en est pas de même de la puissance et de la majesté. Louis XV et Louis XVI héritiers de l’immense palais et d’un un état assis sur de vastes bases, sont des âmes étroites, faibles ou jouisseuses, rien moins que créatrices.

Le changement dû au succès.

 L’impression profondes qu’a faite sur Marie-Antoinette l’accueil parisien a changé quelque chose en elle. L’admiration renforce toujours l’assurance. Une jeune femme à qui des milliers d’hommes ont confirmé qu’elle est belle embellit encore dans la certitude de sa beauté ; il en va ainsi de cette fillette intimidée qui jusqu’ici s’était toujours sentie étrangère et inutile à Versailles

Marie Antoinette, Reine.

 Être reine pour Marie-Antoinette, c’est pendant les années d’insouciance être la femme la plus admirée, la plus coquette, la mieux parée, la plus adulée et avant tout la plus gaie de la cour ; c’est être l’arbitre des élégances, celle qui donne le ton à cette société aristocratique extrêmement raffinée qu’elle prend pour l’univers.

Lanceuse de mode.

 Les troubles dans le pays, les discussions avec le parlement, la guerre avec l’Angleterre émeuvent bien moins cette cour vaniteuse que le nouveau brun puce mis à la mode par Mlle Bertin, qu’un tour particulièrement hardi donné à la jupe à paniers, ou que la nuance d’une soirie nouvelle créée à Lyon. Toute dame qui se respecte se sent obligée de suivre pas à pas ces singeries et extravagances, et un mari dit en soupirant : « Jamais les femmes de France n’avaient dépensé tant d’argent pour se faire ridicules ».

Le prix du naturel.

 Bien entendu, Marie Antoinette elle aussi veut un paysage « innocent ». Elle réunit donc les artistes les meilleurs, les plus raffinés l’époque, afin qu’ils s’ingénient à force d’artifices, à lui créer un jardin supra- naturel.

L’accouchement de la reine.

 Car selon la coutume séculaire et consacrée l’accouchement d’une reine de France n’est nullement quelque chose de privé ; cette épreuve douloureuse doit se dérouler d’après des règles immémoriales en présence des princes et princesses et sous le contrôle de la cour. Tous les membres de la famille royale, ainsi qu’un grand nombre de hauts dignitaires, ont le droit d’assister à la délivrance dans la chambre même de la femme en couches et aucun d’eux, bien entendu, ne songe le moins du monde à renoncer à ce privilège barbare et anti hygiénique.

Peu de considération pour les nobles qui ont soutenu la révolution.

 La reine n’a-t-elle pas lieu de se méfier, quand elle voit que ce sont justement les plus endettés et les plus discrédités parmi les aristocrates, les plus corrompus, tels Mirabeau et Talleyrand qui les premiers sentent leur cœur battre pour la liberté ? Comment Marie-Antoinette pourrait-elle imaginer que la Révolution soit une chose honnête et morale, quand elle voit l’avare et cupide duc d’Orléans, prêt à toutes les affaires malpropres s’enthousiasmer pour cette nouvelle fraternité ? Quand le favori de l’Assemblée nationale est Mirabeau, ce disciple de l’Arétin tant par la corruption que par la littérature obscène, cette lie de la noblesse qui après avoir fait toutes les prisons de France pour enlèvement et autres histoires louches a ensuite vécu d’espionnage ?

 

La fuite à Varenne :

(Stefan Zweig n’a vraiment aucune considération pour le roi.)

 La reine s’est assise sur une chaise et a baissé sa voilette ; personne ne pourra se vanter d’avoir vu sa colère et son amertume. Seul le roi, tout de suite à l’aise, se met tranquillement à table et se taille de bons morceaux de fromage. Personne ne parle.


Édition Sabine Weispieser . Traduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landes

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Voici ma première participation au mois « des feuilles allemandes » organisé par Eva 

Voici le troisième livre sur Luocine de cet écrivain autrichien, mon préféré reste « le tabac Triesnek« , j’ai un peu moins aimé « une vie entière » et celui-ci ne m’a pas, non plus, passionnée. L’auteur nous fait revivre les derniers jours de la vie de Gustave Mahler, il focalise notre attention sur la dernière traversée de New York en Europe du créateur de tant de chefs d’œuvres. Bercé par les flots et le roulis du bateau , le compositeur laissent arriver ses souvenirs et son besoin de tout mettre en musique. Nous vivons donc son amour pour Alma qui devra toute sa vie soutenir son époux à la santé chancelante. Sa rencontre avec Freud quand Alma a failli partir, ses luttes avec les orchestres qui ne voulaient pas donner le meilleur d’eux mêmes. L’antisémitisme autrichien ordinaire, Mahler était juif mais il a dû se faire baptiser catholique pour diriger l’orchestre de Vienne, Cossima Wagner lui interdira (parce que, pour elle, il est toujours juif même baptisé !) de venir à Bayreuth. Nous revivons la terrible tragédie de la mort de sa fille aînée de six ans. L’écrivain décrit bien toutes les souffrances physiques de cet homme qui a été malade presque toute sa vie. Mais on ne ressent guère de sympathie pour ce musicien de la part de l’auteur sans doute était-il peu sympathique.
Tout cela n’importe quelle biographie rapide vous l’apprendra, l’intérêt du livre s’en trouve donc amoindri mais ce que veut nous faire sentir l’écrivain c’est la façon dont un compositeur est totalement habité par son oeuvre. J’avoue être un peu passé à côté . J’ai trouvé ce roman très court(116 pages) assez plat.

 

Citations

Conduite magique.

De minuscules feuilles brunes flottaient dans la théière, alors qu’il avait commandé du russe blanc. Il tenait d’on ne savait qui l’idée que le thé blanc apaisait l’âme. C’était une ânerie, bien entendu, mais il était parfois utile de croire à ce genre de choses.

La mer.

 « La mer n’est jamais ton amie, lui avait dit un vieux marin, elle ne veut ni bien ni mal, elle ne veut strictement rien. Elle n’a pas l’ombre d’une intention, quand elle te tue d’une seule lame… « 

Le chef d’orchestre .

 Le pupitre l’avait vu mûrir, il avait été le compagnon de son évolution de chef d’orchestre.
Jeune, il n’était que mouvement, les caricatures de presse le représentaient alors comme une espèce de singe juif brouillon ou de diable à ressort. Les gazetiers l’affublaient de la danse de Saint-Guy, ils le comparait à un de ces aliénés habités par un dibbouk qui esquissent des mouvements grotesque, apparemment incohérents. Mais, en prenant de l’âge, il avait gagné en sérénité et sa gestique en sobriété, il dirigeait pratiquement sans bouger, à l’exception de sa main droite, qui traçait dans l’air des lignes ténues, et de ses yeux, dont on disait qu’ils étaient comme charbons ardent pendant les concerts et semblaient lancer des éclairs aux applaudissements, quand les lumières de la rampe s’y réfléchissaient.

La musique.

La musique avait toujours laissé loin derrière elle tout être humain et n’avait enfin compte pas plus besoin de musiciens que d’auditeurs. La musique n’avait besoin de rien ni de personne, elle était là tout simplement 

 

Édition Albin Michel
Traduit de l’allemand par Dominique Autrant
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Feuilles allemandes

Un livre parfait pour le mois de la découverte de la littérature allemande surtout à la veille du 11 novembre. Cette auteure Monika Helfer est autrichienne, elle a puisé son inspiration dans sa propre famille. Le titre en allemand « die bagage » (les bagages) me parle davantage. Je trouve qu’il donne mieux l’idée de ce qu’on trimballe avec soi  : les richesses et les fragilités qui seront de tous nos voyages de la vie. Les héritages c’est plus abstrait. La vie familiale de l’auteure est marquée par la guerre 14/18 , c’est là que se creusera le drame qui marquera sa grand-mère, son grand- père et tous leurs enfants et petits enfants, rejetés par une partie du village (le curé en tête) parce que sa grand mère trop belle sera accusée d’adultère pendant que son mari est à la guerre. « Les fâcheux » comme on les nomme au village vivront donc en marge de cette société peu tolérante mais dont, cependant, plusieurs personnes viendront en aide à des gens qui n’ont rien fait pour mériter cet ostracisme.

L’auteure décrit avec une grande tendresse sa grand mère qui rendait jalouse toute les femmes du village, tant les hommes la trouvait belle . Monika Helfer fait des constants allers et retours dans sa mémoire personnelle en faisant revivre les gens tels qu’elle même les a connus et ce que l’on lui a raconté pour construire un récit qui permet au lecteur de savoir qui elle est aujourd’hui. Riche et blessée à la fois d’avoir dans ses bagages toutes ses histoires où pour le dire comme le traducteur d’être l’héritière de ses « fâcheux » à qui elle dédie son livre. Sa propre mère ne sera jamais acceptée, ni même nous dit l’écrivaine, regardée par son propre père car celui-ci soupçonnera sa femme de l’avoir conçue avec un bel allemand de passage ou avec le maire du village, personnage trouble qui fait de drôles d’affaires pas très légales avec ce grand-père.
Cette plongée dans le monde rural autrichien est très agréable à lire et on comprend que l’auteure aime le tempérament de sa grand-mère une si belle amoureuse.
Je trouve toujours étrange, quand je lis des romans autrichiens, combien le nazisme est passé sous le silence. Le mot n’est même pas prononcé alors qu’elle parle de cette période puisqu’elle évoque la vie d’un oncle qui a déserté pendant la campagne de Russie et a eu une femme et un enfant russes.
Autant la guerre 14/18 est ressentie comme un drame à travers l’absence du père de famille autant le nazisme autrichien semble n’avoir eu aucune conséquence sur cette famille. Ça me dérange parce que cela est représentatif de l’état d’esprit des Autrichiens : le nazisme ce sont les Allemands pas eux .
Que cela ne vous empêche pas de lire ce livre il nous fait découvrir une ruralité qui n’a rien d’idyllique malgré le cadre enchanteur des montagnes autrichiennes.
Et voici le billet d’Eva . (J’avais déjà lu ce roman quand Eva a fait paraître son billet mais je garde tous les livres venant de littérature allemande pour le mois de novembre.)

Citations

Les sentiments dans une région rurale.

 Josef aimait sa femme. Lui-même n’avait jamais employé ce mot. En patois ce mot n’existait pas. Il n’était pas possible de dire « Je t’aime » en patois. le mot ne lui était donc jamais venu à l’esprit. Maria était à lui. Et ils voulaient que Maria soit à lui et qu’elle lui appartienne, ça voulait dire d’abord le lit, et ensuite la famille.

Départ pour la guerre 14.

 Les quatre hommes avaient mis des fleurs sur leurs chapeaux et s’étaient envoyé un petit verre en vitesse. Le maire offrait le schnaps en tant que représentant de l’empereur et il tira un coup de feu en l’air. Une bande de gamins accompagna les pioupiou, comme on appelait les conscrits. Mais seulement jusqu’au village suivant, ensuite ils firent demi-tour. De là, les futurs soldats continuèrent seuls jusqu’à L., mais ils ne marchaient pas au pas, ils ne chantaient plus et ils étaient passablement dessoûlés. Ils parlaient des choses qu’il y avait à faire et qu’ils feraient bientôt, comme s’ils devaient être de retour chez eux dans quelques jours ou dans quelques semaines. Ils ôtèrent les fleurs de leurs chapeaux et les jetèrent au bord du chemin. maintenant qu’il n’y avait plus personne de chez eux pour les voir, à quoi
bon ?

Phrases terribles.

 Oncle Lorenz avait trois enfants au pays, il tenait ses deux fils pour des bons à rien, et cela avant même qu’ils aient pu devenir bon à quoi que ce soit, si bien qu’ils n’étaient rien de venu du tout, l’un des d’eux s’est pendu à un arbre. 

Traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes

 

Encore un coup de cœur de notre club, qui avait déjà couronné Le Tabac Tresniek que j’ai préféré à celui-ci. On est vraiment pris par cette lecture et pourtant, il ne se passe pas grand chose dans ce roman, si ce n’est qu’une vie entière y est racontée. Egger a d’abord été un enfant martyrisé par un oncle paysan qui n’avait aucune envie d’élever cet orphelin « batard », puis il deviendra un paysan dur à la tâche dans une Bavière des années 30. Enfin, il connaîtra l’amour et quelques années il sera heureux avec une jeune femme malheureusement disparue dans une avalanche qui détruira son chalet et sa vie. Il sera alors employé dans une compagnie qui construira des téléphériques et verra peu à peu sa montagne se transformer en lieu de loisirs . La grande histoire lui passe au dessus de la tête, lui qui n’a connu l’amour et l’affection que si peu de temps. Les risques qu’il prend dans les constructions en montagne, la guerre et surtout sa captivité en Russie soviétique aurait dû le voir mourir lui qui a perdu sa raison de vivre, il en revient, en 1952, encore plus solitaire. Oui, c’est toute une vie d’un homme simple et mal aimé qui se déroule devant nos yeux et l’auteur sait nous la rendre présente sans pour autant qu’aucun pathos ne se mêle à cette destinée solitaire.

Citations

Un enfant martyre

Comme toujours, le fermier avait trempé la tige dans l’eau pour l’assouplir. Elles fendait l’air d’un trait en sifflant, avant d’atterrir sur le derrière d’Egger dans un bruit de soupir. Egger ne criait jamais, cela excitait le fermier qui frappait encore plus dur. Dieu endurcit l’homme fait à son image, pour qu’il règne sur la terre et tous ce qui s’affaire dessus. L’homme accomplit la volonté de Dieu et dit la Parole de Dieu. L’homme donne la vie à la force de ses reins et prend la vie à la force de ses bras. L’homme est la chair, il est la terre, il est paysan, et il se nomme Hubert Kranzstocker.

L’enfant mal aimé

Pendant toutes ces années passées à la ferme, il demeura l’étranger, celui qu’on tolérait, le bâtard d’une belle-sœur châtiée par -Dieu, qui devait la clémence du fermier au seul contenu d’un portefeuille de cuir pendu à son cou. En réalité, on ne le considérait pas comme un enfant. Il était une créature vouée à trimer, à prier et à présenter son postérieur à la baguette de coudrier.

Camp de prisonniers en Russie

Au bout de quelques semaines, Egger cessa de compter les morts qu’on enterrait dans un petit bois de bouleaux, derrière le camp. La mort faisait partie de la vie comme les moisissures faisaient partie du pain. La mort, c’était la fièvre. La mort, c’était la fin. C’était une fissure dans le mur de la baraque, qui laissait passer le sifflement du vent.

La fin des camps de prisonniers en Russie

Il s’écoula encore près de six années avant que ne s’achève le temps d’Egger en Russie. Rien n’avait annoncé leur libération, mais, un beau jour de l’été dix-neuf cent cinquante et un, les prisonniers furent rassemblés tôt le matin devant les baraquements et reçurent l’ordre de se déshabiller et d’entasser leurs vêtements les uns sur les autres. Ce gros tas puant fut arrosé d’essence, puis allumé, et, tandis que les hommes fixaient les flammes, leurs visages trahissaient leur terreur d’être fusillés sur-le-champ ou d’un sort plus terrible encore. Mais les Russes riaient et parlaient fort à tort et à travers, et quand l’un d’eux saisit un prisonnier aux épaules, l’enlaça et se mit à effectuer avec ce fantomatique squelette nu un grotesque pas de deux autour du feu, la plupart sentirent que ce jour-là serait un jour faste. Pourvus chacun de vêtements propres et d’un quignon de pain, les hommes quittèrent le camp dans l’heure même, pour s’acheminer vers la gare de chemin de fer la plus proche.


J’ai relu « Les joueurs d’échec » grâce à cette édition et la réflexion de Pierre Deshusses à propos de la traduction m’a beaucoup intéressée. Depuis le l’essai de Volkovitch et son blabla, je suis très sensible à la traduction et je n’oublie jamais de noter le nom du traducteur à propos des œuvres étrangères. Dans cette édition l’ordre chronologique est respecté donc « les joueurs d’échec » termine le recueil puisqu’il est paru si peu de temps avant le suicide de Stefan Sweig. Chacune des nouvelles est précédée d’un prologue rédigé par le traducteur ou la traductrice. C’est vraiment un plaisir de relire Zweig de cette façon. Il a tellement raison Pierre Deshusses, il faut retraduire les textes car chaque époque a sa sensibilité et quand on ne lit pas dans la langue maternelle, on a du mal avec les archaïsmes du français qui alourdissent inutilement la prose de l’écrivain.

Un traducteur n’est pas une personne qui vit hors de son temps. Par-delà ses qualités, il est le produit d’une ambiance, d’une idéologie et parfois de mode. On ne traduit plus comme on traduisait il y a un demi-siècle. C’est l’un des grands paradoxes de la littérature : une œuvre originale ne peut être changée ; sa traduction doit être changée, ce qui explique le phénomène que l’on appelle « retraduction » et qui touche tous les auteurs de tous les continents.
Ce qui est certain c’est que j’ai relu avec grand plaisir cette nouvelle, alors que très souvent j’étouffe à la lecture de Stefan Zweig , je trouve son style trop lourd . Alors un grand merci à Françoise Wuilmart , la traductrice, dont l’introduction est brillante et pose si bien tout ce qu’on ressent pendant la lecture
Zweig a-t-il fini par se sentir coupable de cet humanisme abstrait, de cet isolement qui pouvait passer pour une égoïste indifférence, et par se « dégoûter » de lui-même ?…. La confrontation entre le champion « abruti » et le joueur abstrait a inspiré bien des analyses qui vont dans toutes dans ce sens : le personnage du Dr B. symboliserait une Europe torturée qui s’autodéchire, Mirko Czentovic qui utilise sa lenteur pour déstabiliser son adversaire représenterait la stratégie froide, déshumanisée et sadique du nazisme.
Vous souvenez sans doute des parties d’échec qui ont lieu sur un paquebot, menant le narrateur vers l’exil. elles opposent d’abord l’homme qui ne savait faire que cela Mirko Czentovic au Dr. B . Comme moi vous avez sans doute voulu que ce dernier écrase de toute sa brillante intelligence cette stupide machine sans âme qui écrase tous ses concurrents de son mépris. Mais auparavant, Zweig décrit avec minutie une des horreurs du nazisme, une torture particulièrement raffinée et sadique : le Dr. B a été pendant de longs mois tenu au plus grand secret sans pouvoir occuper son esprit. Rien, il n’avait rien à regarder ni à lire, il ne lui restait que son cerveau qui a bien failli devenir fou. Le plus grand des hasards lui offre la possibilité de lire un livre d’échec et dès lors, il devient à la fois le joueur le plus imaginatif de son époque, mais hélas, cela le fit sombrer aussi dans la folie quand il essaye d’imaginer des parties où il jouait contre lui même. À travers les parties qui l’opposent à Czentovic, si bien décrites, c’est bien au combat de l’intelligence raffinée contre la force brutale à laquelle on assiste. Le champion du monde, n’est pas si stupide qu’il y paraît car il comprend quand même très vite qu ‘il ne peut gagner qu’en ralentissant son jeu. Et hélas ! ce n’est pas celui que l’on souhaiterait voir triompher qui est le vainqueur. On ne peut pas oublier qu’alors que Stefan Zweig rédigeait ces textes, tous ses livres étaient brûlés à Berlin et à Vienne, son intelligence et son immense culture ne faisaient pas le poids face au Nazisme.

Citations

Les qualités pour jouer au échecs

Certes, je savais d’expérience l’attrait secret que pouvait exercer ce jeu Royal, le seul d’entre tous les jeux inventés par l’homme qui puisse se soustraire souverainement à la tyrannie du hasard et le seul qui ne dispense ses lauriers qu’à l’intelligence ou plutôt à une certaine forme d’intelligence.

J’aime bien cette distinction

J’ai toujours pris le jeu d’échecs à la légère et joué pour mon seul plaisir, quand je m’assieds devant un échiquier pour une heure ce n’est pas dans le but de produire des efforts, mais contraire de me détendre l’esprit. Je « joue »au plein sens du terme tandis que les autres, les vrais joueurs, ils « sérieusent », si je puis me permettre cet audacieux néologisme. 

Le jeu des échecs

Aussi vieux que le monde et éternellement nouveau, mécanique dans sa disposition mais activé par la seule imagination, limité dans son espace géométrique rigide et pourtant illimité dans ses combinaison, impliqué dans un constant développement et pourtant stérile, une pensée qui ne mène à rien, une mathématique qui n’établit rien, un art qui ne laisse pas d’oeuvre, une architecture sans matière et nonobstant d’une pérennité plus avéré dans son être et dans son existence que tous les livres ou tous les chef-d’œuvre, le seul et unique jeu qui a appartenu à tous les peuples et à tous les temps et dont personne ne sait quel Dieu en a fait don à la terre, pour tuer l’ennui, pour aiguiser les sens, pour stimuler l’âme.

SONY DSCTraduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landed.
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

4
Beaucoup de charme à ce roman, et surtout une écriture originale. Déjà repéré chez Dasola. Comment avec une certaine légèreté traiter de la période la plus horrible de l’Autriche : 1938 ? C’est étonnant, mais Robert Seethaller y parvient, on y retrouve l’ambiance des valses de Vienne et des pâtisseries crémeuses. Dans ce pays de cartes postales (qui jouent leur rôle dans ce récit) rien de grave ne devait arriver. Oui mais voilà, les Autrichiens sont aussi des antisémites virulents et lorsqu’il règneront en maître sur Vienne, ils n’auront pas besoin de leur cher Führer pour faire laver les trottoirs à de vieux juifs terrorisés sous l’air goguenard de jeunes en uniforme nazi.

Et pendant ce temps, le jeune Frantz Huchel poursuit son initiation à la vie d’homme, en ne comprenant pas grand chose à l’amour. Mais en apprenant beaucoup sur la façon de fabriquer les cigares, et d’écrire dans la presse des articles qu’il faut savoir décoder. Heureusement pour lui, il rencontre le « Docteur des Fous » et le dialogue qu’il noue avec un véritable « Herr Professor Freud » lui permet de comprendre bien des choses même si l’âme d’Anezca est bien difficile à saisir. Ce roman sans concession pour les Autrichiens de l’époque nous balade dans tous les quartiers d’une ville qui a toujours cultivé un certain art de vivre. Du buraliste qui a perdu sa jambe à la guerre 14 en but à la malveillance de son voisin boucher- sans doute parce qu’il sert du tabac tous les clients juifs ou pas- à l’humoriste qui tourne en dérision Adolf Hitler, à la famille Freud qui se terre dans son appartement, au facteur qui voit la police secrète ouvrir le courrier, tout ce monde se met en mouvement devant les yeux de Frantz et nous montre mieux qu’un reportage l’ambiance de Vienne en 1938.

J’ai beaucoup aimé ce retour vers le passé car, autant l’Allemagne cherche à faire un travail très honnête sur son passé, autant d’autres pays (France y compris), comme l’Autriche cherchent à rendre les nazis allemands responsables de toutes les horreurs qui ont été commises sur leur sol. Dans ce bureau de tabac cent pour cent autrichien, avec un auteur à la plume légère nous voyons bien que le grand frère n’a pas eu à faire grand chose pour pousser cette population à exterminer ou chasser tous les juifs et tous ceux qui n’étaient pas d’accord pour voir la croix gammée flotter au dessus des monuments de leur capitale.

Citations

L’arrivée à Vienne en 1937

Le goût des autrichiens pour les titres

 Dialogue avec un Freud désabusé

Dialogue sur les cigares

– Un cigare de cette qualité n’est pas particulièrement donné.
– C’est parce qu’il est récolté par des hommes courageux sur les rives fertiles du fleuve Juan y Martinez et délicatement roulé à la main par de belles femmes, dit Franz en hochant la tête avec sérieux.
– Encore que, en l’occurrence, je ne me m’explique pas vraiment pourquoi le courage est censé constituer la qualité la plus éminente des cultivateurs cubains, lui opposa Freud.

Initiation du jeune homme naïf

Résultat de son initiation